CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/65/CO/510 décembre 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑cinquième session2‑22 août 2004

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

MAURITANIE

1.Le Comité a examiné les sixième et septième rapports périodiques de la Mauritanie, qui auraient dû être présentés en 2000 et 2002 respectivement, soumis en un seul document (CERD/C/421/Add.1), à ses 1652e et 1653e séances (CERD/C/SR.1652 et 1653), tenues les 6 et 9 août 2004. À ses 1667e et 1668e séances (CERD/C/SR.1667 et 1668), tenues le 18 août 2004, le Comité a adopté les conclusions suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de la Mauritanie et la possibilité qui lui est ainsi offerte de poursuivre le dialogue avec l’État partie. Il salue le fait que l’État partie s’est fait représenter par une délégation de haut niveau, et prend note avec intérêt des réponses que celle‑ci a apportées aux questions qui lui ont été posées.

3.Le Comité salue les efforts de l’État partie pour se conformer à ses principes directeurs concernant la présentation des rapports. Il regrette toutefois que le rapport ne contienne pas suffisamment d’informations relatives à l’application concrète de la Convention et qu’il ne réponde pas complètement aux demandes de renseignements formulées par le Comité dans ses précédentes conclusions.

4.Le Comité, notant que le rapport lui a été remis avec plus de trois ans de retard, invite l’État partie à respecter les délais fixés pour la soumission de ses prochains rapports.

B. Aspects positifs

5.Le Comité se félicite de la déclaration de la délégation selon laquelle un plan national d’action pour la promotion et la protection des droits de l’homme, élaboré en coopération avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a été adopté en septembre 2003.

6.Le Comité prend note de la déclaration de la délégation relative au dépôt des instruments de ratification des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.Le Comité salue l’élaboration, en 2001, d’un cadre stratégique de lutte contre la pauvreté.

8.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption, le 17 juillet 2003, de la loi portant répression de la traite des personnes et, en juin 2004, de l’article 5 du Code du travail relatif à l’interdiction du travail forcé et obligatoire.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

9.Le Comité constate que le rapport de l’État partie contient des informations relatives à la composition linguistique de la population, mais que ces données ne traduisent pas toute la complexité de la société mauritanienne, en particulier en ce qui concerne la composition du groupe arabophone. Il regrette que les indicateurs économiques et sociaux communiqués au Comité n’aient pas été ventilés selon l’ascendance ou l’origine ethnique.

L’État partie devrait procéder à un recensement de la population plus précis, sans se limiter aux seuls éléments linguistiques, et produire des indicateurs plus détaillés, ventilés selon l’ascendance ou l’origine ethnique. Le Comité recommande à l’État partie de mener des enquêtes ciblées, sur la base d’une identification volontaire, permettant de déterminer la situation dans laquelle se trouvent les divers groupes relevant de la définition formulée à l’article premier de la Convention, et de lui fournir le résultat de ces enquêtes dans son prochain rapport.

10.Le Comité note que seul le Code du travail contient une définition de la discrimination raciale se rapprochant de la définition inscrite à l’article premier de la Convention.

Le Comité recommande à l’État partie d’intégrer dans son droit interne une définition de la discrimination raciale qui soit applicable dans tous les domaines de la vie sociale et qui reprenne l’ensemble des éléments de l’article premier de la Convention, y compris la discrimination fondée sur l’ascendance.

11.Le Comité s’inquiète de ce que certaines organisations non gouvernementales de défense des droits de l’hommen’ont pas été officiellement reconnues malgré leur demande.

Le Comité recommande à l’État partie de lever toute entrave à l’exercice de la liberté d’association et de reconnaître les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme.

12.Le Comité, tout en prenant note des ordonnances 091‑023 et 091‑024 du 25 juillet 1991 relatives, respectivement, à la liberté de la presse et aux partis politiques, relève avec inquiétude que la législation de l’État partie ne satisfait pas entièrement aux exigences de l’article 4 de la Convention, en ce que les dispositions du Code pénal ne visent pas expressément la discrimination raciale ou ethnique.

Le Comité recommande à l’État partie de compléter cette lacune de sa législation, notamment en disposant que l’existence d’une motivation raciste constitue une circonstance aggravante, en cas d’infraction.

13.Le Comité regrette l’insuffisance de renseignements sur l’application de l’ordonnance 091‑024 du 25 juillet 1991, interdisant aux partis politiques de s’identifier à une race, une ethnie, une région, une tribu ou une fratrie. Il s’inquiète d’informations selon lesquelles ce texte a parfois été appliqué improprement à certains partis politiques.

Le Comité recommande à l’État partie de garantir le respect des libertés d’expression et d’association lorsqu’il met en œuvre l’article 4 a) et b) de la Convention. L’État partie devrait, dans son prochain rapport périodique, indiquer plus précisément comment est interprétée et appliquée cette ordonnance.

14.Le Comité demeure préoccupé par des allégations faisant état de la très faible représentation des Maures noirs et des Négro‑Africains dans l’armée, la police, l’administration, le Gouvernement et autres institutions de l’État.

L’État partie devrait fournir dans son prochain rapport des informations détaillées sur cette question. Quoi qu’il en soit, il devrait veiller à ce que les diverses composantes de la population mauritanienne soient effectivement représentées dans les institutions de l’État et aient le droit d’accéder aux fonctions publiques dans des conditions d’égalité.

15.Le Comité note avec inquiétude que les vestiges du système des castes perdurent en Mauritanie. Saluant le fait que la loi du 9 novembre 1981 a aboli l’esclavage, il demeure préoccupé par des informations relatives à la persistance de pratiques esclavagistes, constitutives de discriminations graves fondées sur l’ascendance. Il est préoccupé par le fait que la loi de 1981 n’a pas été suivie de décrets d’application et qu’aucune disposition pénale ne réprime expressément l’esclavage.

Le Comité attire l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale XXIX concernant la discrimination fondée sur l’ascendance et suggère qu’une étude détaillée sur cette question soit incluse dans le prochain rapport. Il recommande instamment à l’État partie de mettre sur pied, en coopération avec les organisations non gouvernementales et les chefs religieux, une vaste campagne d’information et de sensibilisation de l’opinion publique pour mettre un terme aux pratiques esclavagistes. L’État partie devrait faire en sorte que les auteurs de telles pratiques, déjà interdites par la loi, soient systématiquement poursuivis devant les tribunaux, y compris dans les cas où ils s’approprient les biens de leurs anciens esclaves décédés.

16.Le Comité constate que les informations relatives à l’adoption de mesures concrètes visant spécifiquement à lutter contre les pratiques esclavagistes demeurent insuffisantes.

Prenant note de la déclaration de la délégation selon laquelle le programme de lutte contre la pauvreté contribue à éradiquer les séquelles de l’esclavage, le Comité estime que d’autres actions ciblant spécifiquement les populations concernées devraient être menées. L’État partie devrait faire une étude, en coopération avec la société civile, afin de déterminer la situation économique et sociale des descendants d’esclaves, notamment le nombre de ceux qui ont des titres fonciers.

17.Le Comité note avec inquiétude que, selon certaines informations, plusieurs milliers de réfugiés mauritaniens noirs sont toujours au Mali et au Sénégal. Il demeure préoccupé par des renseignements selon lesquels de nombreux réfugiés rentrés en Mauritanie n’ont pas retrouvé leurs biens et leur emploi.

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures concrètes pour favoriser le retour des réfugiés mauritaniens noirs qui demeurent au Mali et au Sénégal, de même que leur réintégration pleine et entière dans la société mauritanienne. Une étude détaillée de la situation des réfugiés mauritaniens toujours en exil et de ceux qui sont rentrés devrait être fournie dans le prochain rapport périodique.

18.Le Comité note avec inquiétude que le Code de la nationalité ne semble pas être en pleine conformité avec l’article 5 d) iii) de la Convention, notamment en ce qu’il prévoit des règles d’accès à la nationalité différentes selon que les enfants sont nés de père ou de mère mauritaniens, ou encore selon qu’ils sont nés de père ou de mère étrangers nés eux‑mêmes en Mauritanie.

Le Comité recommande à l’État partie de garantir le respect du principe de non ‑discrimination en matière d’accès des enfants à la nationalité.

19.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de mutilations génitales féminines dans certains groupes ethniques.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser ces pratiques. Des mesures d’information et de sensibilisation spécifiquement destinées et adaptées aux populations concernées devraient être adoptées.

20.Le Comité note avec inquiétude qu’aucune disposition n’a été prise dans le domaine de l’éducation pour inclure les langues nationales peule, soninké et wolof dans les programmes d’enseignement.

Le Comité recommande à l’État partie d’étudier à nouveau cette question en consultation avec les populations concernées et d’envisager d’inclure les langues nationales dans l’éducation pour les enfants désireux de recevoir un tel enseignement. Le Comité rappelle qu’en tout état de cause l’enseignement dans les langues nationales ne devrait pas avoir pour conséquence l’exclusion du groupe concerné, et devrait répondre aux normes minimales concernant la qualité des cours.

21.Le Comité relève avec inquiétude la politique de l’État partie visant à ce que les programmes de l’enseignement privé et public soient identiques. Prenant en compte la volonté de l’État partie de contrôler la qualité de l’enseignement privé, le Comité doute toutefois qu’un tel contrôle favorise l’enseignement des langues et cultures des groupes minoritaires.

Le Comité recommande à l’État partie de respecter la liberté des parents de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants et de choisir pour leurs enfants des établissements d’enseignement privés offrant des programmes qui répondent à leurs attentes en matière culturelle et linguistique.

22.Le Comité est préoccupé par la déclaration de la délégation selon laquelle la langue berbère n’est plus parlée en Mauritanie. Selon certaines informations, une minorité pratiquerait encore cette langue menacée d’extinction dans le pays.

Le Comité recommande à l’État partie, en consultation avec la communauté concernée, d’adopter des mesures de préservation de la langue berbère. Une place devrait être donnée à la langue, l’histoire et la civilisation berbères dans les manuels scolaires, l’enseignement et les manifestations culturelles.

23.Le Comité note qu’aucun cas de discrimination raciale n’a été soumis aux tribunaux nationaux et s’inquiète de l’insuffisance des possibilités offertes aux victimes pour obtenir réparation. Il rappelle que le fait que les victimes de discrimination raciale ne saisissent pas les tribunaux n’est pas nécessairement un indicateur positif. Cela peut être dû, par exemple, à la modicité de leurs ressources, à l’ignorance de leurs droits, à un manque de confiance à l’égard des autorités de police et de justice, ou à une insuffisance d’attention ou de sensibilisation des autorités aux affaires de discrimination raciale.

Le Comité recommande en particulier à l’État partie de procéder à une enquête indépendante et impartiale lorsque des allégations de discrimination et de pratiques esclavagistes sont portées à sa connaissance. L’État partie devrait informer les victimes de l’ensemble des voies de recours qui s’offrent à elles, faciliter leur accès à la justice, garantir leur droit à une réparation juste et adéquate et faire connaître les lois pertinentes.

24.Le Comité note avec satisfaction la déclaration de la délégation selon laquelle un processus de consultation est en cours à propos de la création d’une commission nationale des droits de l’homme.

Le Comité encourage l’État partie à créer une telle commission, conformément aux Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (les Principes de Paris) (résolution 48/134 de l’Assemblée générale).

25.Le Comité regrette de n’avoir pas reçu suffisamment d’informations relatives à la formation des juges, avocats et responsables de l’application des lois en ce qui concerne spécifiquement la lutte contre les discriminations, y compris celles fondées sur l’ascendance, et la lutte contre les vestiges de l’esclavage.

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter une stratégie spécifique à ce propos.

26.Le Comité recommande à l’État partie, lorsqu’il applique dans l’ordre juridique interne les dispositions de la Convention, en particulier celles des articles 2 à 7, de tenir compte des passages pertinents de la Déclaration et du Programme d’action de Durban et de communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les plans d’action et autres mesures adoptés pour appliquer cette déclaration et ce programme d’action au niveau national.

27.Le Comité recommande vivement à l’État partie de ratifier l’amendement au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111. À cet égard, le Comité renvoie à la résolution 57/194 de l’Assemblée générale, dans laquelle l’Assemblée a demandé instamment aux États parties de hâter leurs procédures internes de ratification de l’amendement et d’informer par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation de cet amendement. L’Assemblée générale a renouvelé cette demande dans sa résolution 58/160.

28.Le Comité note que l’État partie n’a pas fait la déclaration facultativeprévue à l’article 14 de la Convention et recommande d’envisager de la faire.

29.Le Comité recommande à l’État partie de rendre ses rapports périodiques publics et de diffuser de la même manière les conclusions du Comité.

30.Le Comité recommande à l’État partie de soumettre ses huitième, neuvième et dixième rapports périodiques en un seul document, attendu le 12 janvier 2008, et d’y traiter tous les points soulevés dans les présentes observations finales.

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