Comité des droits de l’homme
Observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Togo *
1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique du Togo à ses 3780e, 3781e et 3782e séances, les 29 juin, 30 juin et 1er juillet 2021. Les séances ont eu lieu en format virtuel en raison de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). À sa 3797e séance, le 23 juillet 2021, il a adopté les observations finales ci-après.
A.Introduction
2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports et d’avoir soumis son cinquième rapport périodique en s’appuyant sur la liste de points établie au préalable dans le cadre de cette procédure. Il apprécie l’occasion qui lui a été donnée de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie sur les mesures prises pendant la période considérée pour donner effet aux dispositions du Pacte. Il remercie également l’État partie pour les réponses apportées oralement par sa délégation, ainsi que pour les informations complémentaires transmises par écrit au Comité après le dialogue.
B.Aspects positifs
3.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption par l’État partie des mesures législatives, politiques et institutionnelles suivantes :
a)La loi no 2019-003 du 15 mai 2019 portant modification de la Constitution du 14 octobre 1992, dont certaines dispositions renforcent un certain nombre de droits reconnus par le Pacte et constitutionnalisent l’abolition de la peine de mort et de la peine à perpétuité ;
b)La loi organique no 2018-006 du 20 juin 2018 relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme, qui désigne cette dernière comme mécanisme national de prévention de la torture ;
c)La loi no 2016-021 du 24 août 2016 portant statut de réfugié au Togo ;
d)La loi no 2015-010 du 24 novembre 2015 portant nouveau Code pénal, modifiée par la loi no 2016-027 du 11 octobre 2016 ;
e)La loi no 2013-010 du 27 mai 2013 portant aide juridictionnelle au Togo ;
f)La loi no 2012-014 du 6 juillet 2012 portant Code des personnes et de la famille, modifiée par la loi no 2014-019 du 17 novembre 2014.
4.Le Comité se félicite de l’adhésion de l’État partie, le 14 septembre 2016, au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort. Il note également avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants, ou y a adhéré :
a)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 16 décembre 2020 ;
b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le 21 juillet 2014.
C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne
5.Tout en notant que le Pacte et d’autres dispositions juridiques internationales sont directement applicables en droit interne après leur ratification, le Comité est préoccupé par le fait que certaines lois adoptées et leur interprétation ne sont toujours pas pleinement conformes au Pacte. Il regrette, en outre, que l’État partie ne lui ait pas fourni suffisamment d’exemples de cas dans lesquels les dispositions du Pacte ont été invoquées devant les tribunaux ou appliquées par ceux-ci (art. 2).
6. L’État partie devrait examiner et réviser, si nécessaire, les dispositions juridiques internes afin de les mettre davantage en conformité avec les droits garantis par le Pacte, et de faire en sorte que le droit national soit interprété et appliqué conformément à ses obligations au titre du Pacte. Il devrait également mettre pleinement en œuvre les dispositions du Pacte dans son droit interne et redoubler d’efforts pour proposer effectivement des cours de formation spécialisés sur le Pacte aux fonctionnaires, aux procureurs, aux juges et aux membres de l’Assemblée nationale, et organiser des actions de sensibilisation à l’intention du grand public.
Droit coutumier et application du Pacte au niveau national
7.Tout en prenant note des explications fournies par l’État partie selon lesquelles les dispositions de droit positif prévalent sur le droit coutumier, le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles le droit coutumier continue, en pratique, à être appliqué de manière incompatible avec les dispositions du Pacte (art. 2).
8. Conformément à l’observation générale n o 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’État partie devrait garantir à toutes les personnes se trouvant sur son territoire les droits consacrés par le Pacte, et prendre toutes les mesures nécessaires pour harmoniser les normes traditionnelles et coutumières avec les dispositions du Pacte et, en cas de conflit, assurer la primauté effective du Pacte sur le droit coutumier.
Commission nationale des droits de l’homme
9.Tout en prenant note des explications fournies par l’État partie, le Comité reste préoccupé par le fait que les rapports émis par la Commission nationale des droits de l’homme sont confidentiels sauf si elle décide de les publier, ce qui est susceptible de nuire à la mise en œuvre de ses recommandations. En dépit de l’article 40 de la loi no 2018-006 autorisant la dénonciation de violations des droits de l’homme auprès de l’autorité judiciaire compétente, le Comité exprime ses inquiétudes quant à la mise en œuvre de ladite disposition et note avec préoccupation le manque d’informations sur la suite donnée aux plaintes soumises aux organes judiciaires par la Commission. Le Comité exprime également son inquiétude quant aux allégations de remaniements, par des membres du Gouvernement, du rapport publié par la Commission en 2012 à la suite de son enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement, notamment dans le cadre de l’affaire « Kpatcha Gnassingbé et coaccusés », et aux allégations de menaces contre l’ancien Président de la Commission, qui a dû quitter le pays par crainte pour sa sécurité (art. 2).
10. Le Comité recommande à nouveau à l’État partie de renforcer le statut de la Commission nationale des droits de l’homme afin d’en assurer la pleine conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) . En particulier, l’État partie devrait :
a) Renforcer l’indépendance de la Commission, notamment en supprimant tout contrôle de ses activités par des entités gouvernementales ;
b) Encourager la publication des rapports de la Commission et en faciliter l’accès par toutes les parties prenantes ;
c) Garantir le plein accès de la Commission au système judiciaire pour soumettre des plaintes relatives à des violations des droits de l’homme ;
d) Ouvrir une enquête pénale à la charge du parquet sur les allégations de torture subie par les sept victimes concernées dans l’affaire « Kpatcha Gnassingbé et coaccusés » , ainsi que par d’autres victimes mentionnées dans le rapport de la Commission ;
e) Enquêter sur les allégations de menaces contre l’ancien Président de la Commission.
Lutte contre la corruption
11.Le Comitéest préoccupé par le fait que la corruption semble être une pratique courante dans l’État partie, en particulier dans le secteur de la justice. Il est également préoccupé par le faible nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations pour fait de corruption (art.2, 14 et 25).
12. L’État partie devrait :
a) Renforcer la Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, et adopter une stratégie nationale de lutte contre la corruption ;
b) Donner aux membres du parquet et aux forces de l’ordre des moyens accrus pour lutter contre la corruption, en mettant notamment à leur disposition des programmes de formation continue et en leur allouant des ressources suffisantes ;
c) Veiller à ce que tous les actes de corruption fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales et à ce que les responsables, y compris les fonctionnaires au plus haut niveau de l’État et autres personnalités, soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, sanctionnés comme il convient ;
d) Continuer de mener des actions de formation et des campagnes visant à sensibiliser les responsables politiques, les agents de l’État, les entreprises et la population en général aux coûts économiques et sociaux de la corruption.
Lutte contre l’impunité et les violations passées des droits de l’homme
13.Tout en saluant les mesures prises pour mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle, le Comité est préoccupé par l’absence de condamnation pénale des auteurs présumés des violations flagrantes des droits de l’homme qui ont émaillé l’élection présidentielle de 2005. À cet égard, le Comité note avec grande inquiétude l’explication donnée par l’État partie selon laquelle il a donné la priorité à la réparation sur la répression des auteurs de violations graves des droits de l’homme. Le Comité est conscient des difficultés rencontrées dans la conduite des enquêtes et l’identification des responsables, mais rappelle son observation générale no 31, qui précise que les États parties doivent veiller à ce que les responsables de violations graves des droits de l’homme soient traduits en justice. Par conséquent, les mesures d’indemnisation, les mesures disciplinaires et les enquêtes internes menées par les forces de sécurité ne sont pas suffisantes pour que l’État partie s’acquitte pleinement de ses obligations en vertu du Pacte (art. 2, 6, 7 et 14).
14. L’État partie devrait, à titre prioritaire, mettre en place un processus d’établissement des responsabilités pénales pour les violations graves des droits de l’homme, en veillant à ce qu’il soit conforme aux normes internationales, notamment en ce qui concerne l’indépendance et l’expertise des magistrats et l’accès des victimes à la justice. L’État partie devrait en particulier :
a) Veiller à ce que tous les auteurs présumés de violations graves des droits de l’homme soient poursuivis de manière impartiale et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes, et relever de ses fonctions officielles toute personne dont il est prouvé qu’elle a été impliquée dans des violations graves des droits de l’homme ;
b) Mettre en œuvre les recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation ;
c) Poursuivre ses efforts en matière de réparation, notamment par l’intermédiaire du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale.
Non-discrimination et droits des personnes appartenant à des minorités ethniques ou sexuelles
15.Le Comité note que l’article 553 du Code pénal et l’article 157 de la loi no 2020-001 du 7 janvier 2020 relative au Code de la presse et de la communication en République togolaise interdisent tout appel à la haine ethnique constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Il demeure toutefois préoccupé par :
a)L’absence d’enquête et de poursuite judiciaire contre les dirigeants politiques et les journalistes soupçonnés d’avoir attisé la haine ethnique au cours du processus électoral de 2005, en application des dispositions pénales en vigueur à l’époque ;
b)La persistance de l’impunité pour ces crimes, même après l’adoption du nouveau Code pénal et du Code de la presse et de la communication, ce qui favorise la répétition de violations similaires (art. 2 et 20).
16. L’État partie devrait :
a) Promptement diligenter des enquêtes et des poursuites judiciaires contre les dirigeants politiques et les journalistes dont les appels à la haine ethnique au cours du processus électoral de 2005 ont déclenché des violations graves des droits de l’homme ;
b) Poursuivre de manière impartiale et, si elle est reconnue coupable, condamner à des peines proportionnées à la gravité de ses actes toute personne tenant des discours ayant pour effet d’inciter à de tels actes, en violation de l’article 20 du Pacte.
17.Le Comité note les dispositions du nouveau Code pénal relatives à l’incrimination de la discrimination. Il est néanmoins préoccupé par l’absence de définition et d’incrimination claires de la discrimination directe et indirecte couvrant tous les motifs prévus dans le Pacte, et englobant l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Il note également les informations fournies par l’État partie faisant état de la non-application, dans la pratique, des dispositions pénales criminalisant les relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe et de l’importance de changer d’abord les mentalités avant d’effectuer les changements législatifs en la matière. Il s’inquiète toutefois du maintien de ces dispositions dans le nouveau Code pénal et de l’aggravation des peines applicables. En outre, il est préoccupé par les informations faisant état d’actes de harcèlement, d’agressions, de mauvais traitements et de détentions arbitraires de personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, réelles ou présumées, de la part des forces de sécurité. Il est par ailleurs préoccupé par les restrictions imposées aux associations de défense des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre (art. 2, 20, 22, 26 et 27).
18. L’État partie devrait :
a) Réviser sa législation nationale afin de la rendre pleinement conforme au Pacte en incluant une définition de la discrimination, directe et indirecte, y compris dans la sphère privée, couvrant tous les motifs prévus dans le Pacte, et englobant l’orientation sexuelle et l’identité de genre ;
b) Amender le Code pénal afin de décriminaliser les relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe ;
c) Prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des mesures de sensibilisation des magistrats du siège et du parquet, aussi bien que des membres des forces de l’ordre et de sécurité, pour garantir la protection des personnes ciblées pour leur orientation sexuelle ou leur identité de genre et des organisations de défense de ces personnes contre toutes les formes de harcèlement, de discrimination et de violence à leur égard.
Égalité femmes-hommes et discrimination à l’égard des femmes
19.Le Comité constate avec préoccupation que, malgré les dispositions de la Constitution prévoyant l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes et les nouvelles dispositions du Code pénal criminalisant en ses articles 311 à 313 les discriminations envers les femmes, plusieurs lois nationales comportent encore des dispositions discriminatoires à leur égard. En particulier, le Comité note avec inquiétude que des dispositions discriminatoires demeurent dans le Code des personnes et de la famille révisé en 2014, notamment le délai de trois cents jours à compter de la dissolution du précédent mariage imposé aux femmes avant qu’elles puissent se remarier et la disposition autorisant la polygamie. Le Comité note avec satisfaction l’information fournie par l’État partie selon laquelle il envisage d’adopter des mesures pour mettre fin àla pratique de la polygamie. Tout en notant l’incrimination des entraves à l’accès à la terre des femmes par l’article 313 du Code pénal, le Comité est préoccupé par le fait que le droit coutumier et la pratique perpétuent les inégalités entre les hommes et les femmes, en particulier en ce qui concerne le droit de succession et le droit à la propriété, et que des pratiques culturelles, telles que le mariage forcé, ont toujours cours (art. 2, 3, 7 et 26).
20. L’État partie devrait d’urgence :
a) Réviser les lois nationales, y compris les lois coutumières, portant sur la condition des femmes, et abroger ou modifier toutes les dispositions discriminatoires à leur égard qui sont incompatibles avec le Pacte, notamment celles relatives au mariage, y compris à la polygamie, à l’héritage et à la propriété ;
b) Intensifier son action contre les pratiques coutumières discriminatoires, y compris le mariage forcé, en veillant entre autres à la juste administration des successions et à la sensibilisation dans les zones rurales sur les effets néfastes de ces pratiques ;
c) Renforcer les activités d’éducation et de sensibilisation du grand public afin d’éliminer les stéréotypes sexistes, de lutter contre la subordination des femmes et de promouvoir le respect des rôles et des responsabilités partagées des femmes et des hommes dans la famille et dans la société.
Violences à l’égard des femmes
21.Le Comité note avec préoccupation la persistance des violences à l’égard des femmes, notamment des violences domestiques et sexuelles. Il prend note des explications de l’État partie sur les dispositions juridiques portant sur les violences domestiques, mais regrette l’absence d’une disposition pénale distincte en conformité avec le Pacte. Le Comité est par ailleurs préoccupé par :
a)Le fait que la peine prévue par le Code pénal pour le viol conjugal est inférieure à la peine prévue pour le viol en général ;
b)L’absence de mesures, notamment en matière de protection, permettant aux victimes de viols d’accéder à la justice sans craindre de faire l’objet de discrimination, de stigmatisation ou de représailles ;
c)La persistance de la pratique des mutilations génitales féminines malgré son incrimination aux articles 217 à 222 du Code pénal et son éradication progressive, et par le manque d’informations sur les mesures prises pour protéger les femmes et les filles contre cette pratique pendant la pandémie de COVID-19 (art. 3 et 7).
22. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, notamment :
a) Réviser le Code pénal afin de définir et de criminaliser spécifiquement les violences domestiques, d’une part, et d’harmoniser la sanction prévue pour le viol conjugal et celle prévue pour le viol en général, d’autre part ;
b) Considérer l’adoption d’une loi intégrale, en consultation avec la société civile, pour prévenir, combattre et sanctionner toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, y compris les violences domestiques, dans la sphère publique comme dans la sphère privée ;
c) Intensifier ses efforts pour sensibiliser les magistrats du siège et du parquet, les membres des forces de l’ordre et le public dans son ensemble aux conséquences néfastes des violences domestiques, et prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des mesures de protection, pour permettre aux victimes de viols d’accéder à la justice, notamment pendant la pandémie de COVID-19 ;
d) Poursuivre ses efforts de sensibilisation et développer de nouvelles stratégies d’intervention , n otamment pendant la pandémie de COVID-19, pour éradiquer les mutilations génitales féminines.
Interruptions volontaires de grossesse et santé sexuelle des femmes
23.Le Comité est préoccupé par le nombre important d’avortements clandestins et le taux élevé de mortalité maternelle liée à cette pratique. Il prend note de l’explication de l’État partie selon laquelle les articles 829 à 832 du Code pénal qui criminalisent l’interruption volontaire de grossesse ne sont pas appliqués en pratique, mais demeure préoccupé par le fait que ces dispositions sont en vigueur et favorisent, par leur existence même, le recours aux avortements clandestins. Il est également préoccupé par le fait que les adolescents et les groupes vulnérables, en particulier, n’ont pas tous accès à l’information et aux services de santé sexuelle et reproductive (art. 3, 6, 7 et 17).
24. L’État partie devrait :
a) Redoubler d’efforts pour réduire la mortalité maternelle due aux avortements clandestins en adaptant sa réglementation relative à la grossesse et à l’avortement de telle sorte que les femmes aient un accès effectif à un avortement légal et sécurisé ;
b) Réviser la législation pénale pour s’assurer que les femmes et les filles qui ont recours à l’avortement et les médecins et autres membres du personnel de santé qui leur prêtent assistance ne fassent pas l’objet de sanctions pénales ;
c) Garantir le plein accès aux services de santé sexuelle et reproductive et à une éducation sexuelle complète pour les hommes, les femmes, les filles et les garçons dans l’ensemble du pays, y compris dans les zones rurales et isolées.
Torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants
25.Le Comité se félicite de l’intégration du mécanisme national de prévention de la torture au sein de la Commission nationale des droits de l’homme, et note avec satisfactionles informations fournies par l’État partie concernant les visites effectuées par le mécanisme dans différents lieux de privation de liberté. Il est toutefois préoccupé par la suspension des visites de lieux de détention pour les organisations de la société civile, décidée en avril 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Tout en accueillant avec satisfaction l’introduction du crime de torture et de son imprescriptibilité dans le nouveau Code pénal, le Comité est préoccupé par :
a)Le fait que la définition prévue à l’article 198 du Code pénal n’est pas pleinement conforme à l’article 7 du Pacte ;
b)Les allégations de torture et de mauvais traitements fréquemment pratiqués par les membres des forces de l’ordre et de sécurité pendant la garde à vue et la détention préventive, y compris contre des enfants, notamment afin d’extorquer des aveux ;
c)La quasi-absence d’enquêtes et de poursuites par le parquet pour ces actes de torture et de mauvais traitements, ce qui contribue à créer et à entretenir une situation d’impunité à l’égard de leurs auteurs (art. 2 et 7).
26. L’ État partie devrait :
a) Réviser la définition de la torture prévue dans le Code pénal pour la rendre pleinement conforme à l’article 7 du Pacte ;
b) Donner des instructions claires aux responsables des forces de sécurité sur la prohibition absolue de la torture, sa pénalisation et le fait que les auteurs de tels actes seront poursuivis, et donner des instructions claires au parquet pour enquêter sur tout acte de torture ou de mauvais traitements et mener les poursuites nécessaires ;
c) Prendre les mesures nécessaires en vue de lever dès que possible les restrictions imposées aux organisations de la société civile en matière de visite de lieux de détention.
Vindictes populaires
27.Le Comité exprime ses préoccupations au sujet des vindictes populaires et des lynchages, et regrette le très faible nombre d’enquêtes menées par le parquet, de poursuites et de condamnations à l’encontre des responsables. Il est également préoccupé par le sentiment de défiance envers l’État et son système de justice qui se traduit parfois par des cas de vindicte populaire et de lynchage de personnes suspectées d’infractions (art. 2, 6 et 7).
28. L’État partie devrait :
a) Mener des enquêtes et poursuivre tous les auteurs présumés de vindicte populaire ou de lynchage et, s’ils sont reconnus coupables, les condamner à des sanctions appropriées ;
b) Prendre des mesures concrètes pour restaurer la confiance de ses citoyens envers ses institutions judiciaires ;
c) Poursuivre les mesures prises pour éliminer les vindictes populaires, et mener des campagnes de sensibilisation sur l’illégalité de la justice expéditive et populaire et sur la responsabilité pénale des auteurs.
Interdiction de l’esclavage et de la servitude
29.Le Comité salue les efforts de l’État partie dans la lutte contre l’exploitation et la servitude des enfants. Toutefois, il demeure préoccupé par la persistance du phénomène. Il regrette également le fait que :
a)Les inspecteurs du travail ne disposent pas de ressources suffisantes pour mener leurs activités de manière effective et systématique dans tous les secteurs où le travail des enfants est prévalent ;
b)Le plan d’action national de lutte contre la traite des personnes n’a pas été renouvelé depuis 2008 (art. 8, 16 et 24).
30. L’État partie devrait :
a) Garantir la stricte application des dispositions du Code pénal réprimant les différentes formes de traite des personnes et de travail forcé, ainsi que de l’arrêté n o 1556/MPFTRAPS du 22 mai 2020 déterminant les travaux dangereux interdits aux enfants du Togo ;
b) Renforcer les capacités des inspecteurs du travail pour leur permettre de mener leurs activités de manière effective et systématique dans tous les secteurs où le travail des enfants est prévalent ;
c) Adopter au plus vite le projet de décret portant création, attribution, organisation et fonctionnement de la Commission nationale de lutte contre la traite des personnes, et renouveler le plan d’action national de lutte contre la traite des personnes ;
d) Prendre les mesures nécessaires pour accorder des permis de séjour à toutes les victimes de la traite et assurer leur protection.
Détention et durée de la garde à vue
31.Le Comité prend note de la réforme pénale en cours dans l’État partie, notamment à travers l’adoption du Code pénal, mais déplore la longueur du processus d’adoption du Code de procédure pénale, qui est crucial pour la pleine application du Pacte. À cet égard, le Comité exprime sa préoccupation concernant :
a)L’absence de base légale claire permettant à une personne arrêtée ou détenue de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention devant un tribunal ;
b)Les allégations réitérées d’arrestations et de détentions arbitraires et de non‑respect des délais légaux de garde à vue ;
c)La non-application de mesures de substitution à la détention prévues dans le nouveau Code pénal (art. 9, 10 et 14).
32. L’État partie devrait :
a) Accélérer la révision du Code de procédure pénale conformément au Pacte et à l’observation générale n o 35 (2014) du Comité sur la liberté et la sécurité de la personne, de façon à permettre à tout individu arrêté ou en détention d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ;
b) Garantir en pratique le respect des délais légaux de garde à vue, mettre fin à toute détention arbitraire ou excessive et indemniser toute personne détenue en violation de la loi ;
c) Veiller à ce que tous les cas de détention arbitraire ou excessive donnent lieu à une enquête, à des sanctions disciplinaires et/ou à des poursuites judiciaires contre leurs auteurs ;
d) S’assurer que les détenus bénéficient de toutes les garanties légales, conformément aux articles 9, 10 et 14 du Pacte ;
e) S’assurer que les tribunaux nationaux peuvent avoir recours à des mesures de substitution à la détention par suite de l’adoption d’un nouveau code de procédure pénale.
Conditions carcérales et décès en détention
33.Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour répondre à la situation des détenus pendant la pandémie de COVID-19. Il est néanmoins préoccupé par :
a)Les conditions de détention inadéquates dans les établissements pénitentiaires de l’État partie et, en particulier, le taux très élevé de surpopulation carcérale dû notamment au pourcentage élevé de personnes en détention préventive ;
b)Les allégations de décès en détention, qui sont dans leur majorité liés aux conditions sanitaires insatisfaisantes ;
c)Le fait qu’en raison de la surpopulation carcérale, la séparation entre prévenus et condamnés n’est généralement pas respectée (art. 6, 9 et 10).
34. L’État partie devrait :
a) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de vie et le traitement des détenus, et garantir la séparation des détenus selon le régime de détention, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ;
b) Prendre des mesures urgentes pour que tous les décès en détention fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales ;
c) Poursuivre ses efforts visant à remédier au problème de la surpopulation carcérale, notamment en mettant en place une politique effective de recours aux mesures et aux peines de substitution à la privation de liberté.
Aide juridictionnelle
35.Le Comité relève avec préoccupation que la loi no 2013-010 portant aide juridictionnelle au Togo n’est pas appliquée, en l’absence de décret d’application, ce qui est de nature à porter atteinte aux capacités des personnes indigentes ou vulnérables d’accéder à la justice. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles l’assistance judiciaire d’office demeure insuffisamment connue et utilisée par la population (art. 2, 9, 10 et 24).
36. L’État partie devrait promptement procéder à la modification de la loi n o 2013 ‑010 et à la publication de ses décrets et arrêtés d’application afin de garantir concrètement à tout justiciable dépourvu de moyens suffisants l’accès à une aide juridictionnelle. Il devrait également intensifier ses efforts pour veiller à ce que la population ait connaissance de l’assistance juridique d’office et puisse effectivement l’utiliser.
Administration de la justice
37.Malgré les explications fournies par l’État partie, le Comité est préoccupé par les informations de tentatives fréquentes d’ingérence d’acteurs publics et privés dans le fonctionnement du système judiciaire et du ministère public. Il est aussi préoccupé par le manque d’indépendance du parquet, qui dépend légalement et hiérarchiquement du Ministre de la justice. Le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, qui établit qu’une situation dans laquelle les fonctions et les attributions du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ne peuvent pas être clairement distinguées et dans laquelle le second est en mesure de contrôler ou de diriger le premier est incompatible avec le principe de tribunal indépendant (art. 14 et 25).
38. L’État partie devrait prendre promptement des mesures, y compris des mesures législatives, pour protéger la pleine autonomie, l’indépendance, l’impartialité et la sécurité des juges, des magistrats et des procureurs. Il devrait aussi veiller à ce qu’ils soient préservés de tout type de pression ou d’ingérence indue d’autres organes, notamment du pouvoir exécutif ou législatif.
Traitement des réfugiés et des demandeurs d’asile
39.Tout en accueillant favorablement l’entrée en vigueur de la loi no 2016-021 portant statut de réfugié au Togo et la création de la Commission nationale pour les réfugiés et de la Commission de recours, le Comité est préoccupé par le manque d’informations sur la mise en œuvre de la loi et sur le fonctionnement des deux organes qu’elle a créés. Tout en relevant les renseignements fournis par l’État partie confirmant la possibilité pour les demandeurs d’asile de déposer un recours devant un tribunal, le Comité regrette l’absence d’informations et de données concrètes pour évaluer dans quelle mesure ce droit est effectivement exercé par eux et si ce recours a un effet suspensif (art. 7, 9, 12 et 13).
40. L’État partie devrait fournir davantage d’informations sur la mise en œuvre et l’impact de la loi n o 2016-021 ainsi que sur le fonctionnement des deux commissions qu’elle a créées, en précisant quelles sont les procédures et les modalités en place permettant aux demandeurs d’asile de déposer un recours devant un tribunal et si ce recours a un effet suspensif.
Liberté de religion et d’association
41.Le Comité est préoccupé par :
a)Les informations selon lesquelles les associations, notamment religieuses, font face à des obstacles importants pour s’enregistrer, et le fait que certaines organisations religieuses se seraient même vu refuser l’enregistrement ;
b)L’absence de règle sur le délai d’obtention, par les associations, du récépissé, qui est laissé à la discrétion des autorités administratives ;
c)Les critères vagues utilisés pour évaluer les demandes d’enregistrement des organisations religieuses (art. 18, 22 et 26).
42. L’État partie devrait garantir la liberté de religion et d’association et s’abstenir de toute action susceptible de limiter l’exercice de ces libertés au-delà des seules restrictions permises par les articles 18 et 22 du Pacte. L’État partie devrait accélérer l’adoption du nouveau projet de loi sur la liberté de conscience et de religion ainsi que celle du projet relatif à la liberté d’association , avec la participation active de la société civile, en pleine conformité avec le Pacte .
Liberté d’expression
43.Le Comité est préoccupé par :
a)L’existence d’un certain nombre de dispositions législatives fixant des limites excessives au contenu des discours, notamment dans la loi sur la sécurité intérieure, la loi sur la cybercriminalité et le Code de la presse et de la communication, et s’inquiète de ce que le caractère vague de ces normes porte atteinte de manière disproportionnée aux dispositions de l’article 19 du Pacte ;
b)Un certain nombre d’articles du Code pénal qui criminalisent des activités liées à l’exercice de la liberté d’expression, telles que les cris et chants séditieux dans les lieux ou réunions publics, la publication de fausses nouvelles ou la diffamation ;
c)Les allégations faisant état de l’utilisation de ces dispositions pénales dans le but d’entraver les activités de journalistes, de syndicalistes, de leaders d’opinion ou de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, et de restreindre leur liberté d’expression ;
d)Les informations relatives aux nombreux actes de menaces, d’intimidation, de harcèlement et d’arrestations arbitraires de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme ;
e)Les informations faisant état de suspensions appliquées contre des journaux ou d’interdictions de diffuser pour des radios, ainsi que les doutes suscités par le manque d’indépendance de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication, ce qui l’exposerait à des ingérences indues, notamment de la part de l’exécutif, et ne permettrait pas de protéger adéquatement les journalistes et les médias (art. 2, 6, 7, 14, 18, 19, 21 et 22).
44. L’État partie devrait :
a) Réviser les lois mentionnées au paragraphe 43 ci-dessus pour les rendre conformes à l’article 19 du Pacte ;
b) S’abstenir d’intimider, de harceler, d’arrêter, de détenir et de poursuivre pour des infractions définies en des termes vagues des journalistes et des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme exerçant leur droit à la liberté d’expression ;
c) Veiller à ce que toutes les violations commises à l’encontre de journalistes et de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales dans les plus brefs délais, à ce que les responsables soient jugés et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes, et à ce que les victimes obtiennent réparation ;
d) Prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des mesures législatives, pour garantir la pleine indépendance de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication.
Liberté de réunion pacifique et usage excessif de la force par des agents de l’État
45.Le Comité exprime sa vive préoccupation concernant :
a)La loi no 2019-010 du 12 août 2019 modifiant la loi no 2011-010 du 16 mai 2011 fixant les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques, dont les dispositions introduisent des restrictions injustifiées et disproportionnées à l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique ;
b)Les allégations selon lesquelles les manifestations sont souvent dispersées par des membres des forces de l’ordre ou de la sécurité, y compris des forces armées, faisant preuve d’un recours excessif à la force qui a provoqué de nombreux morts et blessés ;
c)Le manque d’informations sur les enquêtes menées par le parquet à la suite de ces allégations, ainsi que sur les poursuites engagées et les condamnations et sanctions prononcées (art. 7, 9, 10, 14, 19 et 21).
46. Conformément à l’observation générale n o 37 (2020) du Comité sur le droit de réunion pacifique, aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et aux Lignes directrices des Nations Unies bas é es sur les droits de l’homme portant sur l’utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l’application des lois, l’État partie devrait :
a) Réviser la loi n o 2019-010 afin qu’elle soit conforme à l’article 21 du Pacte ;
b) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient menées sans délai par le parquet sur toutes les allégations d’usage excessif de la force ou d’exécution extrajudiciaire par des agents de l’État lors des manifestations, et faire en sorte que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, qu’ils soient sanctionnés et que les victimes obtiennent réparation ;
c) S’assurer que les dispositions législatives et réglementaires régissant le recours à la force sont conformes aux normes internationales, et veiller à ce que les forces de sécurité appliquent des mesures non violentes avant tout usage de la force, lors du contrôle de manifestations ;
d) Prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer que les forces armées ne participent pas aux opérations de maintien de l’ordre.
D.Diffusion et suivi
47. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son cinquième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte.
48. Conformément au paragraphe 1 de l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 23 juillet 2023 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12 (lutte contre la corruption), 26 (torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants) et 44 (liberté d’expression).
49. En conformité avec le cycle d’examen prévisible du Comité, l’État partie recevra du Comité en 2027 la liste de points à traiter avant soumission du rapport et aura un an pour soumettre ses réponses à la liste de points, qui constitueront son sixième rapport périodique. Le Comité demande également à l’État partie de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales œuvrant dans le pays lors de la préparation de son rapport. En conformité avec la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, la limite fixée pour ce rapport est de 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2029, à Genève.