COMITÉ DES DROITS DE L’ENFANT
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 8 DU PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION RELATIVE AUX DROITS DE L’ENFANT, CONCERNANT L’IMPLICATION
D’ENFANTS DANS LES CONFLITS ARMÉS
Rapports initiaux des États parties attendus en 2005
TIMOR ‑LESTE*
[1er mars 2007]
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes Page
I.INTRODUCTION1 − 43
II.CONTEXTE HISTORIQUE RÉCENT5 − 113
III.PRINCIPAL CADRE JURIDIQUE ET ADMINISTRATIF12 − 145
IV.LES ENFANTS ET LE SERVICE MILITAIRE15 − 186
V.DÉMOBILISATION, RÉADAPTATION ET RÉINSERTION19 – 246
VI.PROMOTION DU PROTOCOLE25 – 268
VII.AUTRES GROUPES ARMÉS278
I. INTRODUCTION
1.L’instrument d’adhésion du Gouvernement au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés a été reçu le 2 août 2004. Cette adhésion a été faite sans réserve, mais avec la déclaration suivante:
«Conformément au paragraphe 2 de l’article 3 …, le Gouvernement timorais déclare qu’en vertu du droit national, l’âge minimum à partir duquel il autorise l’engagement volontaire dans ses forces armées nationales est de 18 ans.».
2.Le présent rapport porte de façon générale sur la période allant du rétablissement de l’indépendance en mai 2002 à décembre 2005.
3.Bien qu’il ne doive être soumis que deux ans après l’entrée en vigueur du Protocole (à savoir le 2 septembre 2006), le présent rapport est présenté à l’avance de façon que le Gouvernement timorais puisse l’intégrer dans le processus harmonisé de présentation de rapports aux organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme à partir d’un document de base commun élargi et de documents propres à chaque instrument.
4.Le présent rapport a été élaboré conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 8 du Protocole facultatif et en tenant largement compte des directives données dans le document CRC/OP/AC/1; il fait partie du rapport sur la Convention relative aux droits de l’enfant, auquel on peut également se reporter pour le contexte national plus général concernant les enfants (ce dernier document (CRC/C/TLS/1) et le document général élargi (HRI/CORE/TLS/2007) constituent conjointement le rapport initial du Timor‑Leste au Comité des droits de l’enfant).
II. CONTEXTE HISTORIQUE RÉCENT
5.Il est utile d’examiner les événements qui ont précédé immédiatement le rétablissement de l’indépendance en mai 2002 (période pour laquelle la référence de base concernant les enfants est une étude de l’UNICEF, publiée en 2001), bien qu’ils soient antérieurs à la période devant faire l’objet du présent rapport. Pendant la période de résistance, de nombreux enfants étaient impliqués dans des activités militaires pour le compte des deux parties au conflit (à savoir le mouvement de résistance pour l’indépendance, les FALINTIL (Forces armées de libération nationale du Timor oriental), et des groupes militaires indonésiens et des milices pro‑indonésiennes).
6.«De part et d’autre, les enfants soldats avaient entre 10 et 18 ans, la majorité d’entre eux étant âgés de 15 à 18 ans. Il est impossible d’obtenir des chiffres exacts concernant le nombre d’enfants combattants pour le compte de chaque partie au conflit. Autrefois, les FALINTIL ne tenaient pas systématiquement de fichiers sur l’âge ou le nom de ses soldats... Du côté du groupe favorable à l’autonomie, la milice établissait des listes de recrues, y compris les recrues âgées de moins de 18 ans au moment du recrutement. Néanmoins, ces listes ont été détruites ou sont entre les mains des chefs de la milice ou de l’armée indonésienne en Indonésie.».
7.Selon l’étude de 2001, «La plupart des enfants ont rejoint [les milices] pour les raisons suivantes: le prestige et le pouvoir conférés par le port d’un fusil, le port d’un uniforme et le respect inspiré aux aînés; la coercition au moyen de l’intimidation ou la menace de mort ou la mort de membres de la famille; l’offre d’une rémunération; et la possibilité d’échapper à des situations de famille marquées par la violence ou l’appauvrissement.».
8.Lors des auditions publiques de la Commission accueil, vérité et réconciliation, plusieurs Timorais ont témoigné de l’expérience vécue lorsqu’ils étaient enfants. Une personne de sexe masculin a parlé de la conscription forcée d’enfants recrutés par les militaires indonésiens pour être employés comme TBO (tenaga bantuan operasional, ou aide aux opérations militaires). Il avait été recruté par la force à l’âge de 11 ans:
«En tant que TBO, outre le travail au camp de base, je devais accompagner [mon sergent] lorqu’il allait combattre. Je devais rester allongé à l’arrière de l’armée et charger les fusils. Un jour, l’un des TBO a refusé de porter plus que la lourde charge qu’il portait déjà. Le soldat était en colère. De retour au camp de base, tous les soldats de la section et les TBO ont été rassemblés. Le commandant a déclaré qu’un TBO ne pouvait pas refuser de porter quelque chose. L’armée était venue pour aider à obtenir l’indépendance. Après quoi, le TBO qui avait refusé de porter des charges supplémentaires a été appelé et fusillé sous les yeux de tous. On nous faisait savoir que si nous refusions quoi que ce soit, nous subirions le même sort. Il nous fallait transporter de lourdes charges chaque fois que le camp se déplaçait. Chaque fois, chaque TBO recevait une piqûre à la hanche droite et à la hanche gauche. Le médicament était jaune clair. Après la piqûre, les marchandises ne semblaient pas lourdes et on pouvait marcher sans se sentir fatigué. Le soir, les jambes étaient très douloureuses mais il n’y avait aucun autre effet secondaire.».
9.À propos de la partie indépendantiste, l’étude de l’UNICEF note que de nombreux jeunes ont «assisté à des scènes de violence perpétrées contre des membres de la famille et des collègues par les militaires indonésiens. Cela les a incités à se rallier à des organismes clandestins au service des FALINTIL, à des groupes d’étudiants et autres groupes indépendantistes.».
10.L’étude conclut ainsi (la conclusion est citée intégralement):
«Les enfants du Timor oriental ont participé au conflit, mais pour des raisons différentes. Le nombre d’enfants soldats impliqués est impossible à vérifier. Les enfants qui se sont ralliés à des groupes clandestins indépendantistes et aux FALINTIL ont déclaré qu’ils l’avaient fait de leur propre gré, et généralement suite à des sévices infligés à des membres de la famille ou à des amis par les forces armées indonésiennes. Ces enfants soldats étaient attachés à la cause d’un Timor oriental indépendant. Certains membres des milices autonomistes ont rejoint les rangs des milices en raison de sévices infligés par la partie indépendantiste, et du fait de leur attachement à l’intégration à l’Indonésie. Toutefois, la majeure partie d’entre eux ont été recrutés par la force moyennant des méthodes coercitives et violentes, ou des offres de rémunération. Les enfants qui se sont ralliés aux FALINTIL et au réseau clandestin étaient bien traités par leurs chefs, tandis que ceux qui étaient dans les milices disaient que leurs aînés utilisaient la peur et l’intimidation pour être sûrs qu’ils assument leurs fonctions. Aucune des deux parties n’a prévu d’indemnisation pour services rendus, ni de services visant directement les enfants soldats. Il semblerait que les enfants associés à la partie indépendantiste aient eu dans l’ensemble une expérience positive, malgré certains aspects négatifs. En revanche, les enfants engagés dans les milices ont été exposés à une violence excessive et manifestent souvent des traumatismes graves et un comportement antisocial. On ne connaîtra pas avant des années toutes les conséquences sociales de l’expérience de ces enfants, et il faudra en poursuivre l’étude.».
11.C’est à la suite de ces expériences que le Gouvernement a mis au point les nouvelles dispositions régissant la protection des enfants à l’intérieur des forces armées et éventuellement en cas de conflit armé.
III. PRINCIPAL CADRE JURIDIQUE ET ADMINISTRATIF
12.Le cadre principal d’où émanent ces dispositions est la Constitution. Celle‑ci prévoit que, pour ce qui est des relations internationales, l’État est guidé, entre autres, par la protection des droits de l’homme (art. 8.1), et que le système juridique est conforme au droit international (qui rend caduque toute règle de l’État contenant des dispositions contraires) (art. 9). Elle prévoit en outre que tous les citoyens ont le droit et le devoir de défendre la souveraineté territoriale (art. 49.1), laquelle doit être garantie par la Force de défense nationale (art. 146.2) qui opère conformément à la loi (art. 49.2).
13.La loi nationale concernée est la loi organique relative à la Force de défense du Timor oriental‑FALINTIL (FALINTIL‑FDTL) (loi no 7/2004). Cette loi est entrée en vigueur le 5 mai 2004 (soit quatre mois avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif au Timor‑Leste) et prévoit que la Force de défense se compose exclusivement de citoyens volontaires (art. 14.1). Actuellement, la Force compte 1 435 hommes et se compose de deux bataillons d’infanterie et d’un élément naval.
14.Une étude en cours menée par le Secrétaire d’État à la défense («Force 2020 Study») examine tous les aspects de politique. Il semblerait qu’il ne soit pas possible de modifier les dispositions actuelles concernant l’engagement de jeunes de moins de 18 ans. La possibilité d’instituer la conscription militaire est envisagée, mais il est très peu probable que cette option soit retenue.
IV. LES ENFANTS ET LE SERVICE MILITAIRE
15.L’article 14 de la loi organique (composition de la F‑FDTL) prévoit que la Force de défense ne peut se composer que de citoyens volontaires et que «2. Aucune personne de moins de 18 ans ne peut être enrôlée pour accomplir un service militaire dans la FALINTIL‑FDTL.».
16.Des conseillers de la défense indiquent que la carte d’identité de l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO) − délivrée début 2001 aux fins des élections nationales de l’Assemblée constituante − est utilisée comme preuve de l’âge aux fins de l’incorporation.
17.Ainsi, la prescription visée à l’article 2 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant est observée à deux titres: aucune disposition ne prévoit l’engagement non volontaire au Timor‑Leste, et l’âge minimum pour l’engagement volontaire est de 18 ans. En conséquence, il en va de même pour l’article premier, et les articles 3 et 5 ne sont pas applicables (si ce n’est, s’agissant de l’article 5, que les lois nationales protègent les droits de l’enfant au plus haut niveau recommandé dans le Protocole). La disposition du paragraphe 1 de l’article 6, elle aussi suivie, si ce n’est qu’il reste la possibilité de donner plus explicitement une valeur juridique au Protocole (éventuellement dans le futur code de l’enfance, mais sans doute de préférence dans la loi organique relative à la FALINTIL‑FDTL).
18.Il est permis de croire que ces dispositions bénéficient d’un large soutien, surtout immédiatement après la participation au récent conflit armé d’un aussi grand nombre d’enfants.
V. DÉMOBILISATION, RÉADAPTATION ET RÉINSERTION
19.Le Protocole facultatif est applicable aux enfants et adolescents dans la mesure où il peut être appliqué aux enfants et adolescents qui ont été impliqués dans le conflit antérieur ou en ont subi autrement les conséquences. Les FALINTIL ont démobilisé en 2000 et se sont officiellement dissoutes le 31 janvier 2001. Le 1er février 2001, au moment de la formation de la nouvelle force de défense nationale à partir des FALINTIL, le Conseil national − l’organe législatif intérimaire désigné par l’Organisation des Nations Unies − a fixé à 18 ans l’âge minimum pour l’enrôlement dans l’armée.
20.Le processus de démobilisation a été facilité par le programme d’aide à la réinsertion des FALINTIL (FRAP), mis en œuvre par l’Organisation internationale pour les migrations. Les bénéficiaires de l’aide apportée dans le cadre du FRAP au personnel démobilisé ont été choisis sur la base de noms communiqués par le haut commandement du Fretilin (Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental) pendant la période de cantonnement. Toutefois, les dirigeants des FALINTIL avaient «renvoyé presque tous les soldats de moins de 18 ans chez eux dans leur village pour qu’ils retournent à l’école. [Il n’y a eu] aucun programme spécifique destiné à aider spécifiquement les enfants soldats démobilisés des FALINTIL au Timor oriental…» (UNICEF (2001), p. 14).
21.Bien qu’ils aient reçu peu d’aide matérielle, les anciens enfants soldats pro‑indépendance auraient été, selon un rapport publié en 2001,
«bien traités par leur communauté et sont respectés pour s’être impliqués dans la lutte armée. Les anciens jeunes clandestins restaient dans la clandestinité, et du fait de la structure de leur réseau, ils étaient souvent inconnus de la population. Ceux qui sont connus de la population locale sont toujours tenus en haute estime, mais ceux qui se sentent remplis d’amertume et de colère, qui ont participé à des activités criminelles, ne sont plus respectés par le public. Ces jeunes se sentent tenus à l’écart du processus de reconstruction du pays pour lequel ils se sont battus. Un grand nombre d’entre eux pensent qu’ils ont donné au mouvement une grande part de leur vie, négligeant ainsi leur scolarité. Maintenant un grand nombre d’entre eux ne peuvent entrer à l’université puisqu’ils n’ont pas étudié normalement pendant des années. Ils ont des difficultés à obtenir un emploi satisfaisant auquel ils pensent avoir droit.» (ibid., p. 22).
22.Les enfants et adolescents associés aux milices qui sont retournés au Timor‑Leste ont été en butte à une hostilité plus explicite. Le processus accueil, vérité et réconciliation a été un moyen essentiel de résoudre ces problèmes de réintégration. Lors de ce processus, de nombreuses personnes ayant collaboré avec les milices ou le mouvement autonomiste ont décrit leur comportement et exprimé leurs regrets et leurs remords bénéficiant de ce fait d’une aide à la réinsertion dans leur communauté.
23.Toutefois, il est regrettable qu’après un processus de démobilisation déjà très difficile, qui a accéléré le retour des enfants dans leur communauté, ces enfants se soient vu de fait refuser les formes d’aide à la réinsertion ainsi qu’à l’éducation ou à l’emploi qui ont été accordées à d’autres enfants impliqués dans la lutte pour l’indépendance. Dans le cas de certaines communautés, l’absence d’une aide de ce genre a contribué à favoriser un comportement antisocial (du fait de l’absence de possibilités constructives) ou la participation à des groupes d’arts martiaux souvent inquiétants.
24.Néanmoins, aux fins du présent rapport, il convient de noter qu’il est peu probable qu’en décembre 2005 des enfants impliqués dans le conflit armé jusqu’en 1999 aient encore moins de 18 ans.
VI. PROMOTION DU PROTOCOLE
25.À ces premiers stades de l’indépendance, il a surtout été question de mettre en place un régime législatif et administratif approprié; à savoir, assurer la conformité avec les dispositions du Protocole facultatif relatives à l’âge au plus haut niveau recommandé (à savoir aucun recrutement avant l’âge de 18 ans). La promotion et la défense des principes et priorités du Protocole facultatif font partie d’efforts plus larges du Gouvernement − particulièrement en coopération avec l’UNICEF − visant à promouvoir et recommander les principes et dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant. La prompte adhésion du Gouvernement à la Convention et à ses protocoles facultatifs a permis d’aborder de façon cohérente le processus de sensibilisation de la communauté.
26.Indiscutablement, le Gouvernement pense que le fait d’avoir retenu le plus haut niveau recommandé dans le Protocole facultatif concernant l’enrôlement dans les forces armées favorise cette politique plus générale de promotion des droits de l’enfant. Il convient de se reporter à la section I.B du rapport portant spécifiquement sur la Convention relative aux droits de l’enfant, pour ce qui est de l’observation concernant l’article 42.
VII. AUTRES GROUPES ARMÉS
27.Il est souvent considéré que le réseau de groupes d’arts martiaux en place dans tout le pays est une séquelle toujours présente du récent conflit − et en particulier des activités des milices. Alors que ces groupes ne relèvent pas explicitement de l’article 4 du Protocole facultatif, le Gouvernement juge nécessaire de surveiller leurs activités afin − lorsque cela est possible − de favoriser un dialogue constructif avec ces groupes de façon à s’assurer qu’ils offrent à de nombreux adolescents des possibilités de loisirs positifs et − si nécessaire − d’édicter des règles et même d’intervenir lorsqu’il y a lieu de penser qu’ils pratiquent des activités illicites ou violentes. Ces questions sont examinées dans le texte principal du document portant spécifiquement sur la Convention relative aux droits de l’enfant (section VII.C).
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