CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/62/CO/32 juin 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALESoixante‑deuxième session3‑21 mars 2003

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Conclusions du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale *

Fidji

1.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné les sixième à quinzième rapports périodiques des Fidji, qui étaient attendus régulièrement entre le 10 février 1984 et le 10 février 2002, respectivement, réunis en un seul document (CERD/C/429/Add.1), à ses 1566e et 1567e séances (CERD/C/SR.1566 et CERD/C/SR.1567), tenues les 11 et 12 mars 2003. À sa 1582e séance, tenue le 21 mars, il a adopté les conclusions ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction les sixième à quinzième rapports périodiques, le rapport complémentaire (anglais seulement), et les informations et réponses additionnelles fournies oralement par la délégation de haut niveau de l’État partie. Il se félicite de pouvoir renouer le dialogue après un intervalle de 18 ans et apprécie, en particulier, les efforts faits par l’État partie pour répondre aux questions soulevées dans les observations formulées par le Comité en 2002 au cours d’un dialogue préliminaire avec le représentant du Gouvernement fidjien.

3.Le Comité espère que l’État partie fera désormais en sorte que tous ses rapports périodiques soient présentés à temps, conformément à l’article 9 de la Convention.

B. Facteurs et difficultés entravant l’application de la Convention

4.Le Comité reconnaît les difficultés auxquelles les Fidji sont confrontées de par leur héritage historique, en particulier les conséquences politiques, sociales et économiques de l’arrivée de nombreux ouvriers agricoles venus d’Inde, la mise en place d’un marché du travail stratifié ethniquement et, pendant le régime colonial, la création d’un système économique qui a séparé et non unifié les différentes communautés des Fidji.

C. Aspects positifs

5.Le Comité note avec appréciation que l’État partie a fourni des renseignements détaillés, notamment des données statistiques, concernant la composition de la population fidjienne et la situation des différents groupes ethniques fidjiens.

6.Le Comité prend note de l’intention de l’État partie de promouvoir la stabilité dans la société multiethnique et multiculturelle des Fidji, de rétablir et reconstruire la confiance entre les citoyens et les communautés et de renforcer les bases de la croissance et de la prospérité économique pour tous au Fidji. Il salue la création du Ministère de la réconciliation pour aider à unir tous les Fidjiens.

7.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie considère la Convention comme une bonne base de dialogue et de coopération avec la société civile. Il se félicite que les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme aient été consultées pour l’établissement du rapport ainsi que des assurances selon lesquelles l’État partie poursuivrait ce dialogue à l’avenir.

8.Le Comité exprime sa satisfaction aux Fidji d’avoir inclus, dans la Constitution de 1997, un chapitre sur la justice sociale (art. 44), qui dispose que des programmes peuvent être prévus pour s’assurer que tous les groupes ou catégories de personnes défavorisées aient effectivement accès, sur un plan d’égalité, à l’éducation et à la formation, à la terre et au logement, ainsi qu’au commerce et à la fonction publique à tous les niveaux et dans tous les secteurs.

9.Le Comité note avec satisfaction la création, en 1999, de la Commission fidjienne des droits de l’homme, conformément à l’article 42 de la Constitution et conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme («Principes de Paris»), approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution 48/134.

10.Le Comité mesure tout l’intérêt de l’Accord parlementaire conclu en 2002 par le Premier Ministre et le chef du Parti travailliste fidjien, dans lequel ils exhortent leurs partis respectifs à réduire le nombre des remarques raciales au cours des sessions parlementaires.

11.Le Comité accueille avec satisfaction l’information donnée par la délégation selon laquelle le Forum constitutionnel des citoyens, qui avait été radié du registre des fondations caritatives en vertu de la loi applicable, devrait être enregistré au titre d’une autre loi et que des consultations étaient en cours à cet égard.

D. Sujets de préoccupation et recommandations

12.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie, lors de son accession, a formulé des déclarations et des réserves concernant les articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la Convention. Le Comité suggère que les autorités fidjiennes réexaminent lesdites réserves, qui sont héritées de l’époque coloniale, en vue de les retirer, compte tenu du paragraphe 75 du Plan d’action de Durban. L’État partie devrait faire en sorte que la protection spécifique et le renforcement des droits des Fidjiens autochtones soient conformes aux normes internationales relatives à l’interdiction de la discrimination raciale.

13.Le Comité est profondément préoccupé par le tort causé aux relations raciales par les coups d’État qui se sont produits à Fidji en 1987 et en 2000. Il encourage l’État partie à réfléchir au fait qu’il est perçu comme continuant à politiser la culture, l’identité et l’ethnicité afin de maintenir l’hégémonie des Fidjiens autochtones.

14.Le Comité est profondément préoccupé par le fait que l’article 99 de la Constitution de 1997, qui garantit un partage du pouvoir entre les communautés ethniques par la création d’un cabinet multipartite, n’est pas appliqué actuellement. Il salue toutefois les assurances données par l’État partie selon lesquelles celui‑ci va respecter l’arrêt que doit rendre à ce sujet la Cour suprême dans le courant de l’année.

15.Le Comité accueille avec satisfaction l’engagement pris par l’État partie d’assurer le développement économique et social ainsi que le droit à l’identité culturelle des Fidjiens autochtones. Toutefois, aucun des programmes en question ne doit supprimer ou diminuer la jouissance des droits de l’homme pour tous, laquelle ne peut être limitée que conformément aux règles et critères institués en vertu du droit international des droits de l’homme. À cet égard, le Comité invite instamment l’État partie à veiller à ce que les mesures de discrimination positive qu’il adopte pour atteindre les objectifs ci‑dessus soient nécessaires dans une société démocratique, qu’elles respectent le principe de l’équité et soient fondées sur une évaluation réaliste de la situation des Fidjiens autochtones ainsi des autres communautés. Le Comité recommande en outre à l’État partie de garantir que les mesures spéciales adoptées pour assurer comme il convient le développement et la protection de certains groupes ethniques et de leurs membres n’aient en aucun cas pour effet le maintien de droits distincts ou inégaux entre les différents groupes ethniques une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient (par. 4 de l’article premier et par. 2 de l’article 2 de la Convention).

16.Le Comité note que, bien que l’on ait signalé une aggravation du niveau de pauvreté pour tous les Fidjiens, notamment chez les Indo‑Fidjiens et les Banabans, les programmes en faveur des groupes défavorisés adoptés en vertu de la Loi sur la justice sociale de 2001 et du plan 50/50 à l’horizon 2020 s’adressent essentiellement aux Fidjiens autochtones et aux Rotumans. Le Comité recommande vivement à l’État partie de veiller à ce que les programmes de lutte contre la pauvreté bénéficient à tous les Fidjiens pauvres, quelle que soit leur origine ethnique, afin d’éviter d’aggraver des relations ethniques déjà tendues. Il recommande aussi que l’adoption de tout programme en faveur des groupes défavorisés soit précédée de consultations avec toutes les communautés ethniques.

17.Le Comité est préoccupé par le fait que, pour certains Fidjiens, l’État partie ne s’occupe pas suffisamment de la question de la réconciliation entre les différents groupes de la population aux Fidji. Il encourage l’État partie à promouvoir explicitement une identité nationale qui unisse au lieu de diviser les Fidjiens autochtones et les Indo‑Fidjiens, ainsi que les autres communautés, et d’inscrire cet objectif dans ses plans de développement.

18.Le Comité se dit préoccupé par la sous‑représentation des Indo‑Fidjiens et d’autres minorités ethniques dans la police, l’armée et d’autres services publics en général, et il recommande que des programmes spécifiques soient adoptés pour que toutes les communautés ethniques aient une représentation appropriée dans lesdits services. Le Comité demande que des statistiques à jour sur la pauvreté, le chômage et l’éducation, ventilées entre les groupes ethniques et à l’intérieur de ces groupes, soient élaborées et figurent dans le prochain rapport périodique. Il demande aussi à être informé par l’État partie des résultats de tous les programmes destinés aux groupes défavorisés, en particulier des programmes de réduction de la pauvreté.

19.Le Comité est préoccupé par le fait que de nombreux agriculteurs, des Indo‑Fidjiens essentiellement, auraient fait l’objet d’une «éviction» à l’expiration de nombreux baux à loyer sur des terres autochtones et par le fait que le programme de réinstallation de l’État partie semble insuffisant. Le Comité souligne que l’État a la responsabilité d’apporter son assistance aux «fermiers exclus», et il recommande de redoubler d’efforts pour dédommager et réinstaller les familles affectées. Le Comité demande instamment à l’État partie d’élaborer des mesures de conciliation entre les Fidjiens autochtones et les Indo‑Fidjiens au sujet de la question foncière, afin de parvenir à une solution acceptable pour les deux communautés.

20.Le Comité voudrait recevoir dans le prochain rapport périodique des informations plus détaillées sur le nombre exact de personnes objet «d’éviction», réinstallées et dédommagées, avec des chiffres ventilés selon l’appartenance ethnique, et des informations sur la manière dont l’État partie envisage de réagir face aux nombreux autres cas de baux qui vont arriver à expiration.

21.Le Comité est préoccupé par les discours inspirés par la haine et les affirmations de suprématie des Fidjiens autochtones qui se produiraient régulièrement. Il recommande que l’État partie adopte toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la diffusion de doctrines de la supériorité fondée sur l’origine ethnique, qui sont socialement injustes et dangereuses et constituent une violation de la Convention. Le Comité souhaite recevoir, dans le prochain rapport périodique, des informations concernant l’application effective de l’Accord de 2002 relatif à l’interdiction des propos raciaux au Parlement, et sur les autres mesures qui auraient pu être adoptées pour s’opposer à ce type de déclaration dans d’autres instances ou tribunes publiques, notamment les médias.

22.Le Comité note que dans les dispositions pertinentes du Code pénal concernant la sédition et dans la loi relative à l’ordre public concernant l’incitation à l’antagonisme racial, le terme «personne» désigne également une organisation et il voudrait recevoir des précisions à ce sujet. Le Comité note que la législation prévoit des peines telles que l’emprisonnement et des amendes, mais pas l’interdiction des organisations racistes. Tout en prenant note de la déclaration de l’État partie relative à l’article 4 de la Convention, le Comité considère que la législation de ce dernier n’est pas pleinement conforme à l’article 4. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter une législation spécifique et sans ambiguïté concernant l’interdiction des organisations racistes. Il est en outre préoccupé par le fait que, dans son rapport périodique, l’État partie s’est déclaré peu enclin à interdire les organisations racistes afin de préserver la liberté d’expression et la liberté d’association, et il renvoie l’État partie à sa Recommandation générale XV (42) du 17 mars 1993 concernant l’article 4.

23.Le Comité est préoccupé par des informations faisant état d’agressions racistes et d’actes d’intolérance religieuse visant les Indo‑Fidjiens, en particulier pendant les coups d’État de 1987 et de 2000. Il souligne n’avoir reçu aucune information substantielle concernant les poursuites qui auraient pu être engagées contre les auteurs de tels actes ou concernant l’adoption de mesures préventives pour l’avenir. Le Comité par conséquent demande que ce type d’information lui soit fourni dans le prochain rapport périodique. Des informations comprenant des statistiques sur l’application pratique et l’efficacité de la législation donnant effet à l’article 4 de la Convention sont également demandées.

24.Le Comité prend note de l’information faisant état de l’augmentation du taux de suicide chez les Indo‑Fidjiens, et recommande que l’État partie mène des études sur les causes de ce phénomène et tienne le Comité au courant.

25.Le Comité recommande que l’État partie continue à soutenir les activités de la Commission fidjienne des droits de l’homme. Il souhaiterait recevoir davantage d’informations sur les résultats des activités de la Commission ainsi que sur les incidences pratiques de l’article 27 de la loi sur la Commission des droits de l’homme qui autorise celle‑ci à ne pas enquêter sur un cas lorsqu’elle «est saisie d’affaires plus dignes de son attention» ou lorsque «les ressources de la Commission sont insuffisantes pour mener une enquête adéquate».

26.Tout en saluant l’assurance donnée par l’État que les écoles ne pratiquent pas la ségrégation raciale aux Fidji, le Comité souhaite davantage d’informations sur les conséquences et l’application dans la pratique du règlement relatif à l’éducation (établissement et enregistrement des écoles), selon lequel «une école enregistrée ou homologuée, en matière d’inscription des élèves, peut donner la préférence à des élèves appartenant à un groupe racial ou confessionnel particulier, mais ne peut refuser une inscription au seul motif de la race ou de la religion». Le Comité souhaite aussi savoir si l’État partie encourage et soutient financièrement les écoles multiraciales. Il souhaiterait recevoir des statistiques ventilées concernant toute forme d’appui fourni aux écoles rattachées aux diverses communautés et religions.

27.Le Comité souhaite recevoir, dans le prochain rapport périodique, des informations sur le statut juridique des personnes issues de parents d’ethnies différentes et celui des diverses langues parlées aux îles Fidji.

28.Le Comité prend note de l’avis exprimé par l’État partie selon lequel les recours prévus par le droit interne et le droit international sont suffisants et qu’il n’est pas nécessaire de faire la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention. Le Comité, soulignant que l’État partie n’a pas fourni assez d’informations pour rapporter la preuve que les recours disponibles sont suffisants, lui rappelle que les recours prévus à l’article 14 de la Convention peuvent être considérés comme complémentaires à ceux qui existent. Il invite par conséquent l’État partie à revoir sa position et à envisager la possibilité de faire la déclaration.

29.Le Comité recommande fermement à l’État partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111. À ce propos, le Comité renvoie à la résolution 57/194 de l’Assemblée générale du 18 décembre 2002, dans laquelle l’Assemblée demande instamment aux États parties de hâter leurs procédures internes de ratification de l’amendement relatif au financement du Comité et d’informer par écrit le Secrétaire général, dans les meilleurs délais, de leur acceptation de cet amendement.

30.Le Comité encourage l’État partie à consulter, pendant l’établissement du prochain rapport périodique, les organisations de la société civile qui luttent contre la discrimination raciale.

31.Le Comité recommande à l’État partie de tenir compte, lorsqu’il incorpore dans l’ordre juridique interne des dispositions de la Convention, en particulier celles des articles 2 à 7, des passages pertinents de la Déclaration et du Programme d’action de Durban et de communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les plans d’action et autres mesures adoptés pour appliquer au niveau national la Déclaration et le Programme d’action. Il suggère également que l’État partie envisage d’élaborer un plan national de lutte contre le racisme et, à cet effet, fasse appel à l’assistance technique offerte par le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

32.Le Comité recommande à l’État partie de mettre à la disposition du grand public ses rapports périodiques dès leur présentation et de faire connaître de la même manière les conclusions correspondantes du Comité.

33.Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son seizième rapport périodique en même temps que son dix‑septième rapport périodique, attendu le 10 février 2006, réunis en un seul document qui traiterait toutes les questions soulevées dans les présentes conclusions.

-----