Nations Unies

CCPR/C/105/D/1863/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

12 septembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1863/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 105e session(9-27 juillet 2012)

Communication présentée par:

Dev Bahadur Maharjan (représenté par un conseil, Mandira Sharma, Advocacy Forum − Népal)

Au nom de:

L’auteur, sa femme et ses parents

État partie:

Népal

Date de la communication:

31 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 février 2009 (non publiée sous forme de document)

Date d ’ adoption des constatations:

19 juillet 2012

Objet:

Arrestation arbitraire, détention au secret et actes de torture sur la personne d’un ancien enseignant soupçonné d’appartenir au Parti communiste (maoïste)

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Arrestation et détention arbitraires; torture et mauvais traitements; détention au secret; disparition forcée; conditions de détention; droit à un recours utile

Articles du Pacte:

2 (par. 3), seul et lu conjointement avec les articles 7, 9 et 10

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1863/2009 *

Présentée par:

Dev Bahadur Maharjan (représenté par un conseil, Mandira Sharma, Advocacy Forum − Népal)

Au nom de:

L’auteur, sa femme et ses parents

État partie:

Népal

Date de la communication:

31 décembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1863/2009 présentée au nom de Dev Bahadur Maharjan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 31 décembre 2008, est Dev Bahadur Maharjan, de nationalité népalaise, né le 22 mars 1972. Il affirme être victime de violations par le Népal des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, seul et lu conjointement avec les articles 7, 9 et 10. L’État partie a adhéré au Pacte et au Protocole facultatif le 14 mai 1991. L’auteur est représenté par un conseil, Mandira Sharma (Advocacy Forum − Népal).

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 15 novembre 2003, alors que l’auteur, sa femme et ses parents dormaient, des soldats de l’Armée royale népalaise ont fait irruption à leur domicile, à Katmandou, en défonçant la porte. Ils ont interrogé l’auteur au sujet de son frère, qui était lié au Parti communiste (maoïste). Les soldats ont fouillé la maison et demandé à l’auteur de signer un document attestant qu’ils ne leur avaient fait aucun mal, à lui et aux membres de sa famille, et n’avaient causé aucun dommage à ses biens. Ils lui ont aussi demandé d’appeler un des officiers la semaine suivante pour lui donner des renseignements sur le lieu où se trouvait son frère; l’auteur a appelé l’officier mais il n’avait aucune information au sujet de son frère à lui fournir. Quatre ou cinq jours plus tard, les forces armées de la police ont de nouveau fouillé le domicile de l’auteur et l’ont questionné sur son frère. Quatre ou cinq jours plus tard, des hommes en civil portant des revolvers ont procédé à une nouvelle fouille de son domicile. À aucun moment il n’a été présenté de mandat de perquisition à l’auteur.

2.2Le 26 novembre 2003, l’auteur a été arrêté à son domicile par des membres de l’Armée royale népalaise, certains en civil et d’autres en uniforme. Ils lui ont demandé de les conduire au domicile de sa sœur, chez qui ils pensaient que son jeune frère pourrait se trouver. L’auteur a ensuite été emmené à la caserne de Chhauni, à Katmandou, où il a été placé en détention dans le même local que son beau-frère, R. M., qui venait lui aussi d’être arrêté. On ne lui a pas présenté de mandat d’arrêt et on ne l’a pas informé des raisons de son arrestation. Huit mois plus tard, le 29 juillet 2004, il s’est vu remettre une ordonnance de placement en détention préventive pendant quatre-vingt-dix jours délivrée en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression). Cette ordonnance est devenue caduque le 26 octobre 2004. Le 1er novembre 2004, le chef du district de Katmandou en a signé une nouvelle autorisant l’incarcération de l’auteur en application de la loi sur la sécurité publique.

2.3L’auteur est resté détenu à la caserne de Chhauni du 26 novembre 2003 au 17 septembre 2004, date à laquelle il a été transféré dans un lieu de détention officiel, le centre de détention de Sundarijal. Pendant les dix mois qu’il a passés à Chhauni, il était enfermé la plupart du temps dans des locaux surpeuplés, infestés de poux, où il devait dormir à même le sol, sur une couverture; il avait un accès limité aux installations sanitaires et n’a pu se laver que trois fois pendant toute la durée de sa détention. Durant cette période, il avait les yeux bandés ou était obligé de porter une cagoule qui ne lui permettait de voir que vers le bas. Il n’a pas pu prendre contact avec sa famille ou ses amis ni consulter un avocat. Lors des visites de délégués du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’auteur était caché dans un local différent et ne pouvait donc pas leur parler. Néanmoins, le 17 août 2004, il a écrit avec d’autres détenus une lettre collective adressée au CICR, appelant l’attention sur la torture qu’ils subissaient et leurs conditions de détention. L’auteur ajoute que sa détention dans la caserne n’a pas été reconnue officiellement par l’État partie.

2.4Pendant sa détention, il a été soumis à la torture et à des mauvais traitements. Seize jours après son arrestation, il a été interrogé quatre nuits d’affilée sur les activités des maoïstes et sur une liste de personnes, dont certaines étaient connues de lui. Lorsqu’il a déclaré qu’il n’était pas maoïste, il a été frappé dans le dos, sur les jambes, sur la plante des pieds et sur les tibias; il a également reçu des coups de pied sur la poitrine et au visage; on l’a aussi en partie asphyxié et aspergé d’eau froide. Le dernier jour de son interrogatoire, on lui a demandé de conduire les soldats à la maison de M., un travailleur social dont l’auteur avait fait la connaissance dans le cadre de son travail d’enseignant. L’auteur les y a conduits. Sur le chemin du retour, les soldats ont abattu une personne qui se tenait près de la clôture d’enceinte de la caserne. Ils ont menacé l’auteur de mort au cas où il parlerait à quiconque de cet incident. Après cet événement, l’auteur a encore plus craint pour sa vie. Le quatrième jour de l’interrogatoire, l’auteur souffrait de violentes douleurs; il avait beaucoup de fièvre et n’arrivait plus à bouger. Son beau-frère, qui était détenu au même endroit et qui a été le témoin des sévices infligés à l’auteur, a déclaré qu’il l’avait entendu crier dans une pièce voisine pendant quatre nuits consécutives. Durant toute sa détention dans la caserne, l’auteur n’a reçu aucun soin.

2.5Après la disparition de l’auteur, sa famille et ses amis ont tenté de le retrouver. Ils se sont rendus à la caserne de Chhauni, ainsi que dans d’autres casernes et postes de police. Ils se sont également adressés aux autorités, en se rendant notamment au quartier général de l’armée et dans les bureaux de l’administration du district. Ils ont aussi alerté le CICR, les organisations locales de défense des droits de l’homme, le Comité des droits de l’homme du barreau du Népal et la Commission nationale des droits de l’homme. Le père de l’auteur a organisé un sit-in pour tenter de faire pression sur les autorités et les amener à relâcher l’auteur ou, au moins, à dire à la famille où il se trouvait. Malgré toutes ces démarches, il ne leur a pas été possible d’obtenir une confirmation officielle de la détention de l’auteur ou du lieu où il se trouvait. Ce n’est que lorsqu’il a été transféré au centre de détention de Sundarijal, le 17 septembre 2004, que sa détention est devenue officielle et qu’il a pu recevoir des visites.

2.6L’auteur a été remis en liberté le 7 janvier 2005, sa sœur ayant introduit avec succès une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, qui a conclu que l’auteur avait été détenu sans motif suffisant et sans que la procédure applicable ait été respectée. Il n’avait jamais été inculpé d’aucune infraction. Il s’est écoulé près de trois ans depuis sa remise en liberté sans que l’État partie ne mène la moindre enquête sur sa disparition forcée et les tortures auxquelles il avait été soumis, et sans qu’il reçoive la moindre indemnisation.

2.7Le jour de sa remise en liberté, les forces de sécurité ont essayé de l’arrêter de nouveau et il a dû changer de véhicule à deux reprises. La voiture où il se trouvait dans un premier temps a été arrêtée par la police et ses occupants ont été interrogés. L’auteur s’est caché pendant une quinzaine de jours après sa libération car il craignait pour sa vie et sa liberté. Trois à quatre semaines après sa libération, il s’est rendu au Centre d’aide aux victimes de la torture, qui l’a envoyé à l’hôpital; en chemin, il s’est aperçu que son véhicule était suivi par des militaires. Craignant d’être de nouveau arrêté ou de subir des représailles de la part de l’armée, l’auteur ne s’est pas rendu à l’hôpital et n’est pas retourné au Centre d’aide aux victimes de la torture. Pendant quelque sept mois après sa libération, l’auteur avait des difficultés à marcher longtemps, il avait du mal à s’alimenter et souffrait d’accès de fièvre; il souffre toujours aujourd’hui de problèmes respiratoires, en particulier en hiver. Il a aussi des problèmes de mémoire à court et à long terme et a donc dû abandonner son emploi d’enseignant. D’après un certificat médical établi le 23 mai 2008, l’auteur souffre de dépression et de troubles post-traumatiques. Il n’avait aucune de ces pathologies avant sa détention.

2.8La disparition forcée de l’auteur a placé ses proches dans des difficultés financières et psychologiques considérables car l’auteur était l’unique soutien de sa famille. Sa femme et son père ont eu des problèmes de santé dus à leur état d’angoisse permanent, et son épouse, enceinte de huit mois au moment de son arrestation, a eu des complications lors de la naissance de leur fille.

2.9En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, l’auteur cite la jurisprudence du Comité, selon laquelle il n’est pas nécessaire pour la respecter d’intenter des actions en justice qui, objectivement, n’ont aucune chance d’aboutir ni de former des recours inapplicables de jure ou de facto et ne constituant pas un moyen de droit utile au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il affirme que cette jurisprudence est applicable en l’espèce. Il fait valoir que les recours internes ne sont pas utiles et qu’ils sont insuffisants, et que la peur qu’il ressentait lorsqu’il avait été libéré était telle qu’il n’avait pas pu les épuiser. Tout d’abord il explique que les actes de torture, les mauvais traitements, la disparition forcée et la détention au secret ne constituent pas des infractions pénales en droit interne. La torture, les traitements inhumains et les disparitions forcées sont mentionnés dans la Constitution mais leur incrimination n’est prévue dans aucune loi d’application. Par conséquent, l’auteur ne peut pas porter plainte auprès de la police et celle-ci n’est pas habilitée à enquêter d’office sur les infractions en cause car elles ne sont pas prévues par la loi. L’auteur aurait pu porter plainte auprès de la police ou saisir le tribunal de district pour que soient engagées des poursuites privées pour une infraction de moindre gravité (voies de fait ou conditions de détention inhumaines), mais il affirme que le préjudice qu’il a subi n’aurait pas pu être réparé car de telles plaintes ne sont pas à la mesure de sa gravité et ne sont pas susceptibles de donner lieu à une enquête indépendante, la police étant placée sous le commandement de l’Armée royale népalaise depuis 2003. De plus, l’auteur fait valoir que la loi de 1959 sur l’armée ainsi que la nouvelle loi sur l’armée, datant de 2006, accordent l’immunité à tout militaire pour tout acte accompli de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions, y compris la torture et la disparition forcée. Les mêmes conditions valent pour des actes intervenant dans le cadre du décret relatif aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression) de 2004, en application duquel l’auteur a été détenu du 29 juillet au 26 octobre 2004.

2.10L’auteur affirme de plus qu’il n’a été possible d’introduire une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême que lorsque sa détention a été reconnue officiellement, car la Cour suprême avait pour pratique de ne pas donner suite aux plaintes si les autorités ne reconnaissaient pas l’arrestation. En outre, lorsqu’il était détenu dans la caserne, l’auteur n’a pu prendre aucune mesure pour contester sa détention car il ne pouvait prendre contact avec aucune organisation qui aurait pu l’aider, et n’avait pas été déféré à un juge ni autorisé à voir un médecin.

2.11Le 27 novembre 2003, le frère de l’auteur a soumis une requête à une organisation non gouvernementale locale, l’Organisation des droits de l’homme du Népal, qui a écrit le 1er décembre 2003 à la Commission nationale des droits de l’homme. Néanmoins, l’auteur n’a connaissance d’aucune action engagée par la Commission nationale des droits de l’homme à la suite de cette lettre. Le 7 mars 2008, il a décidé de prendre de nouveau contact avec la Commission pour demander une indemnisation. Mais, en novembre 2008, il a été informé par des voies officieuses que rien n’avait été fait pour ouvrir une enquête au sujet de sa plainte. L’auteur explique que, même si la Commission nationale des droits de l’homme avait mené une enquête, celle-ci n’aurait pas constitué un recours utile puisque la Commission peut seulement faire des recommandations aux autorités et ne rend pas de décisions exécutoires.

2.12L’auteur ajoute que la loi sur la sécurité publique, en application de laquelle il a été détenu du 1er novembre 2004 au 7 janvier 2005, prévoit un recours qui n’est toutefois pas utile puisqu’il peut seulement aboutir à une sanction administrative contre l’agent concerné ou à une indemnisation, en guise de réparation, si la détention n’a pas été ordonnée de bonne foi. De plus, cette loi est assortie d’un délai de prescription de trente-cinq jours. L’auteur affirme qu’il en va de même pour le décret relatif aux activités terroristes et destructrices. Dans les deux cas, le placement en détention préventive est autorisé pour une période allant jusqu’à un an et l’auteur aurait pu demander une indemnisation − mais n’aurait pas pu demander sa remise en liberté − et seulement s’il arrivait à démontrer que les autorités avaient agi de mauvaise foi.

2.13L’auteur affirme que la loi relative à l’indemnisation en cas de torture ne prévoit pas de responsabilité pénale, mais donne seulement droit à une indemnisation, dont le montant maximum est d’environ 1 266 dollars des États-Unis (100 000 roupies népalaises). Une requête doit être déposée dans les trente-cinq jours suivant l’acte de torture ou la remise en liberté et une amende peut être infligée s’il est établi que la plainte était dénuée de fondement ou mal intentionnée. Étant donné que ses craintes de subir des représailles ou d’être de nouveau arrêté étaient justifiées et que le recours disponible était insuffisant, il ne peut pas être demandé à l’auteur d’épuiser la voie de recours prévue par cette loi.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été victime de disparition forcée et rappelle que l’élément principal qui définit une telle disparition est le placement en détention qui soustrait la personne à la protection de la loi. Il affirme être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, pour avoir été placé en détention au secret à la caserne de Chhauni du 26 novembre 2003 au 17 septembre 2004 sans que la détention soit reconnue. L’auteur note qu’il a été délibérément empêché d’entrer en contact avec des organisations extérieures, ayant été caché lors de la visite des délégués du CICR, et que sa détention n’a été reconnue officiellement que lorsqu’il a été transféré au centre de détention de Sundarijal.

3.2Il affirme aussi que durant quatre nuits de suite, les soldats de l’Armée royale népalaise l’ont soumis à des tortures physiques et mentales afin d’obtenir des informations sur les activités des maoïstes et qu’à cause de ces mauvais traitements, il a perdu connaissance une fois et a eu de fortes fièvres et des douleurs, a été incapable de marcher pendant un certain temps et continue d’avoir du mal à le faire. De plus pendant sa détention à la caserne, l’auteur a été sauvagement battu, il a reçu des coups de pied, a été menacé de mort et insulté et a cru constamment qu’il allait mourir. Il dit que ces faits sont constitutifs de torture ou au moins de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 7. Il affirme également que le fait qu’il n’a pas pu recevoir de soins médicaux pendant sa détention constitue une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que le fait d’avoir été gardé dans un local surpeuplé infesté de poux, d’avoir eu les yeux bandés ou une cagoule sur la tête pendant toute sa détention, d’avoir reçu une nourriture insuffisante pendant les deux premiers mois et de n’avoir été autorisé à se laver que trois fois durant toute sa détention dans la caserne est constitutif de mauvais traitements en violation des articles 7 et 10 du Pacte. Il renvoie également à l’Observation générale no21 (1992) du Comité sur le droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité et affirme que les conditions de détention qu’il a subies étaient avilissantes et humiliantes et contraires à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il estime que l’État partie a donc violé l’article 10.

3.4L’auteur fait aussi valoir que l’État partie a manqué à son obligation de mener une enquête sur ses griefs et de traduire en justice les responsables, alors qu’il avait été informé à plusieurs reprises. Il affirme que l’État partie a ainsi manqué à l’obligation qui lui incombait en vertu de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.5L’auteur affirme aussi que l’État partie a violé les obligations qui découlent de l’article 7 en imposant à sa famille de vivre dans la souffrance et l’angoisse causées par l’incertitude sur son sort et sur le lieu où il se trouvait.

3.6L’auteur affirme que l’État partie a violé leparagraphe 1 de l’article 9 parce qu’il est resté détenu du 26 novembre 2003 au 29 juillet 2004 et du 26 octobre au 1er novembre 2004 sans aucune autorisation, contrairement aux procédures établies en droit interne. Il ajoute aussi qu’en ne l’informant ni des motifs juridiques de son arrestation ni des accusations portées contre lui jusqu’à ce qu’une ordonnance de placement en détention en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression) lui soit remise le 29 juillet 2004, l’État partie a violé le paragraphe 2 de l’article 9. Étant donné qu’il ne l’a pas présenté promptement à une autorité judiciaire indépendante, l’État partie l’a empêché de contester sa détention, en violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 9. En outre, en le maintenant au secret, sans que sa détention soit reconnue, et en ne lui assurant ni recours utile, ni indemnisation, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 5 de l’article 9, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.7Enfin, l’auteur affirme que le paragraphe 3 de l’article 2, seul, a été violé, car en l’absence d’une loi érigeant en infraction les disparitions forcées, les mauvais traitements ou la torture, l’État partie n’a pas voulu ou n’a pas pu mener une enquête sur ses allégations; de plus,l’absence de véritable registre d’écrou, tenu avec précision, réduisait la possibilité d’introduire une requête en habeas corpus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 27 avril 2010, l’État partie affirme que l’auteur a été arrêté le 29 juillet 2004 et qu’il a été placé au centre de détention de Sundarijal le 17 septembre 2004. Il fait valoir que rien ne prouve que l’auteur ait été torturé et que la lettre d’écrou ne contient aucune remarque concernant des allégations de torture. Il note que la Constitution de 1990 et la loi sur l’indemnisation en cas de torture, qui est encore en vigueur, prévoyaient un recours constitutionnel et une indemnisation en cas de torture. L’État partie assure le Comité que, si une plainte avait été déposée, les autorités auraient respecté la procédure interne voulue et y auraient coopéré. Il note que, si le tribunal avait constaté que des actes de torture avaient été commis, il pouvait ordonner une indemnisation en faveur de la victime et faire une recommandation sur les mesuresà prendre contre les auteurs de tels actes. L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisque l’armée n’a reçu aucune communication d’un bureau ou tribunal compétent.

4.2Dans une lettre du 16 juillet 2010, l’État partie fait part d’observations supplémentaires et affirme de nouveau que l’auteur a été arrêté le 29 juillet 2004 et placé en détention aux fins d’interrogatoire au motif que certaines de ses activités constituaient une menace à l’ordre public. Le 17 septembre 2004, sur ordre du bureau de l’administration du district, l’auteur a été transféré au centre de détention de Sundarijal, où il a été placé en détention préventive. Le 5 janvier 2005, sur arrêt de la Cour suprême, l’auteur a été remis en liberté.

4.3L’État partie affirme que l’allégation de torture formulée par l’auteur est sans fondement car il n’y a aucune trace de tels actes dans les documents pertinents. Il souligne aussi que, dans un délai de trois jours, tout membre de la famille ou un avocat peut s’adresser au tribunal de district pour lui demander un examen de l’état de santé physique et mentale d’une victime présumée d’actes de torture. Mais l’État partie n’a trouvé aucune trace d’un tel recours au sujet de l’auteur. Il note également que la requête en habeas corpus présentée par la sœur de l’auteur ne contenait aucune mention d’actes de torture. Il affirme aussi que ni l’auteur ni les membres de sa famille n’ont introduit une demande d’indemnisation. L’État partie maintient donc que la plainte de l’auteur n’est pas fondée sur des faits réels. Il fait valoir que l’auteur a été remis en liberté dès que la Cour suprême en a donné l’ordre, qu’il a ensuite mené sa vie librement et qu’il n’a nullement cherché à obtenir une réparation desmauvais traitements ou actes de torture qu’il dit avoir subis.

4.4L’État partie répète que la Constitution, qui était en vigueur en 1990, ainsi que la loi de 1996 sur l’indemnisation en cas de torture offrent un recours dans les affaires de torture. En effet, le paragraphe 4 de l’article 14 de la Constitution de 1990 dispose que «aucune personne maintenue en détention pendant l’instruction ou l’action pénale ou pour toute autre raison ne peut être soumise à la torture physique ou mentale ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne ayant été soumise à un tel traitement a droit à réparation conformément aux conditions stipulées par la loi». De même, en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture, toute personne qui a été torturée durant sa détention peut présenter une plainte au tribunal de district et demander une indemnisation dans un délai de trente-cinq jours à compter de la date à laquelle les actes de torture ont été commis ou de la date de sa libération. Si la victime est décédée ou incapable de présenter une plainte elle-même, un membre de sa famille ou son conseil peut le faire en son nom. Si le tribunal juge l’allégation fondée, il peut accorder une indemnisation correspondant à un montant d’un maximum de 100 000 roupies népalaises et peut ordonner à l’organe concerné de prendre des mesures contre l’agent responsable. L’État partie note qu’il a été établi, aux niveaux national et international, que son appareil judiciaire s’était acquitté de ses responsabilités, en toute liberté et impartialité, même à l’époque troublée du conflit armé et des difficultés politiques. La communication atteste que l’auteur a été libéré lorsque le tribunal compétent en a donné l’ordre. L’auteur n’a cependant fait aucune démarche pour présenter des recours devant les tribunaux; l’État partie estime donc que son allégation de torture ne peut être établie et qu’elle devrait par conséquent être rejetée.

4.5L’État partie affirme que l’auteur a été arrêté non parce qu’il était enseignant mais parce qu’il menait des activités interdites. Il note que les services de sécurité ont des unités distinctes qui s’occupent des droits de l’homme et que des activités de formation sont régulièrement organisées, notamment par le bureau au Népal du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il note aussi que les institutions chargées de la sécurité sont soumises à une pression particulière parce qu’elles doivent assurer la paix et la sécurité de l’ensemble des citoyens et qu’il est fâcheux de les mettre en cause par des allégations non fondées de violation des droits de l’homme. Il souligne qu’il respecte sans réserve les droits de l’homme et assure que tous les habitants du pays jouissent de la même protection juridique et ont la possibilité d’obtenir réparation en engageant les procédures judiciaires et administratives prévues par la loi. Il réaffirme sa volonté de collaborer de manière constructive avec le Comité des droits de l’homme. Il demande que la communication soit rejetée pour les raisons susmentionnées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 19 juillet 2010, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie du 27 avril 2009; il note que, contrairement à la date mentionnée dans les observations de l’État partie, il a été arrêté le 26 novembre 2003. La date du 29 juillet 2004 n’est pas la date de son arrestation mais la date à laquelle il a été informé de ce qu’une ordonnance de placement en détention avait été émise en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle ces recours doivent pouvoir remédier aux violations supposées, être disponibles et effectifs, tant juridiquement que dans la pratique, et avoir des chances objectives d’aboutir. De plus, ils ne doivent pas être dangereux pour le requérant.

5.3L’auteur rappelle que ni lui ni les membres de sa famille ne pouvaient présenter une requête en habeas corpus tant qu’il était en détention au secret dans la caserne de Chhauni, puisqu’il n’avait aucun contact avec le monde extérieur et qu’à l’époque la Cour suprême avait pour pratique de rejeter de telles requêtes lorsque le lieu de détention n’était pas mentionné. Lorsque la détention de l’auteur a été reconnue officiellement, sa sœur a présenté une requête en habeas corpus; ne sachant pas qu’il avait subi des tortures et des mauvais traitements, elle n’a pas mentionné ces éléments dans sa requête. À l’audience, comme les marques de torture étaient cachées par les vêtements, le juge n’a pas demandé à l’auteur comment il avait été traité dans le lieu de détention et celui-ci avait trop peur pour livrer lui-même cette information, d’autant qu’il n’avait aucune preuve médicale. Ensuite, lorsqu’il a été remis en liberté, on a essayé de l’arrêter de nouveau alors qu’il quittait le tribunal. Il note que c’était une pratique courante à l’époque. L’auteur note également que trois ou quatre semaines après sa remise en liberté, alors qu’il se rendait à l’hôpital où le Centre népalais d’aide aux victimes de la torture venait de l’envoyer, il a été suivi par des militaires et n’a donc pas pu rejoindre cet établissement. En raison de ces menaces et de sa peur de subir des représailles et d’être de nouveau arrêté, l’auteur n’a pas déposé de plainte auprès de la police ou de l’armée ni fait valoir ses droits en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture.

5.4L’auteur répète qu’une plainte a été enregistrée en son nom auprès de la Commission nationale des droits de l’homme le 3 décembre 2003 (voir par. 2.11). Le 8 juillet 2010, il a reçu une lettre confirmant l’enregistrement de la plainte. Cette lettre indiquait que les forces de sécurité l’avaient fait disparaître durant le conflit armé, le 1er décembre 2003. L’auteur fait valoir qu’une demande auprès de la Commission nationale des droits de l’homme n’est pas un recours utile car celle-ci n’est pas un organe judiciaire, et peut seulement faire des recommandations. C’était néanmoins le seul organisme auquel il pouvait s’adresser sans craindre des représailles. La Commission nationale des droits de l’homme a recueilli sa déposition alors qu’il était détenu au centre pénitentiaire de Sundarijal et lui a conseillé de ne pas porter plainte au titre de la loi sur l’indemnisation en cas de torture. L’auteur a aussi noté que l’État partie n’avait pas mené d’enquête sur ses allégations après que la présente communication lui a été transmise, ce qui constitue une violation distincte de l’article 7.

5.5L’auteur réaffirme qu’au-delà de la crainte légitime qu’il éprouvait pour sa propre sécurité, les recours prévus par la Constitution et la loi sur l’indemnisation en cas de torture ne sont pas des recours fiables et utiles aux fins de la règle de l’épuisement des recours. Dans la Constitution de 1990, la torture n’est pas qualifiée d’infraction. Quant à la Constitution provisoire de 2007, elle a criminalisé la torture et la disparition forcée mais, à ce jour, le Parlement népalais n’a pas adopté de loi prévoyant des sanctions pénales pour ce crime. La détention au secret n’est mentionnée dans aucun des deux textes constitutionnels et ne constitue pas une infraction. L’auteur affirme aussi que le dépôt d’une plainte en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture n’est pas un recours utile car cette loi ne prévoit pas la responsabilité pénale des auteurs de tels actes; de plus, sa peur des représailles et son état de santé physique et mentale après sa remise en liberté l’auraient empêché de déposer une plainte dans le délai de trente-cinq jours prévu par la loi. L’auteur fait également valoir que la nature de cette limitation n’est pas conforme à l’article 7. En outre, en l’absence de tout examen médical durant sa détention et en raison de sa crainte d’être de nouveau arrêté ou de subir des représailles après sa remise en liberté, l’auteur n’a pas non plus été en mesure d’obtenir des éléments de preuve d’ordre médical, qui lui auraient permis d’étayer une éventuelle plainte au titre de la loi sur l’indemnisation en cas de torture. L’auteur ajoute qu’il n’était pas en mesure de présenter une plainte au pénal en vertu de la législation interne, parce que les actes en cause n’étaient pas illégaux, et que toute enquête aurait été menée par l’armée elle-même ou par la police, placée sous le commandement unifié de l’armée, et n’aurait donc pas été indépendante.

5.6Pour ce qui est des éléments de preuve, l’auteur affirme qu’il a apporté des preuves crédibles et détaillées à l’appui de ses allégations, dont des témoignages personnels détaillés − celui d’un codétenu, celui de son beau-frère qui était détenu en même temps que lui, ainsi que ceux de sa femme et de sa sœur, qui ont décrit ses lésions physiques ainsi que les changements survenus dans sa personnalité, la lettre d’une organisation non gouvernementale locale adressée à la Commission nationale des droits de l’homme, une lettre adressée au CICR par un groupe de détenus, dont il faisait partie, ainsi que des rapports d’évaluation médicale et psychologique de son état. L’auteur note que l’État partie n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter ses griefs. De plus, la lettre de transfèrement au centre de détention de Sundarijal, dont l’État partie fait mention, n’a pas été montrée à l’auteur et n’a pas été jointe aux observations de l’État partie au Comité. Quel que soit le contenu de cette lettre, l’auteur maintient qu’il n’a jamais reçu de soins médicaux durant sa détention, qu’avant celle-ci il jouissait d’une bonne santé et que l’État partie n’a donné aucune explication permettant de conclure que ses lésions n’étaient pas le résultat de la torture ou des mauvais traitements qui lui avaient été infligés en détention.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

6.1Dans une lettre du 28 septembre 2010, l’auteur présente ses commentaires sur les observations supplémentaires soumises par l’État partie le 16 juillet 2010, et réitère ses commentaires du 19 juillet 2010. Il affirme de nouveau qu’il n’a pas été arrêté le 29 juillet 2004 mais le 26 novembre 2003 et qu’il n’a pas été libéré le 5 janvier 2005, comme l’a indiqué l’État partie dans ses observations, mais le 7 janvier 2005. En ce qui concerne les raisons de sa détention données par l’État partie, l’auteur note que les motifs de son arrestation ne lui ont pas été révélés et que l’État partie n’a jamais présenté le moindre élément de preuve concernant les infractions qu’il aurait commises.

6.2L’auteur note qu’il n’a jamais été présenté à un juge et qu’il n’a jamais été accusé d’aucune infraction. Il fait valoir qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 3 de la loi sur l’indemnisation en cas de torture, les autorités chargées de la détention sont tenues de fournir des copies des rapports médicaux au tribunal de district et le fait que l’État partie n’invoque pas de tels rapports confirme qu’il n’y a pas eu d’examen médical.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que, étant donné qu’il faut renforcer la motivation des institutions chargées de la sécurité et les rendre plus efficaces, il est fâcheux de les mettre en cause par des allégations non fondées, l’auteur dit que dans les cas où il existe des arguments défendables à l’appui d’allégations concernant des arrestations arbitraires, des actes de torture et autres mauvais traitements, l’État partie est tenu de mener une enquête complète, approfondie et diligente et doit assurer à la victime un recours utile et une réparation adéquate. Il note que des arguments d’ordre politique ou le profil des agents responsables ne changent rien aux obligations de l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité note l’argument présenté par l’État partie selon lequel la communication ne remplit pas les conditions établies au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, parce que l’auteur n’a pas saisi les juridictions internes. Il note que l’État partie affirme que l’auteur aurait pu déposer une plainte en vertu de la Constitution de 1990 et de la loi sur l’indemnisation en cas de torture de 1996, et qu’il aurait pu saisir le tribunal de district et demander un examen pour évaluer son état de santé physique et mentale dans un délai de trois jours. Il note aussi l’argument de l’État partie qui affirme que la requête en habeas corpus ne contenait aucune allégation de torture. Il note également l’argument de l’auteur selon lequel les recours internes ne sont pas utiles parce que: a) les violations qu’il allègue ne sont pas érigées en infraction; b) des plaintes concernant des infractions de moindre gravité ne feraient pas l’objet d’enquêtes indépendantes, la police ayant été placée sous le commandement de l’Armée royale népalaise, et ne donneraient pas lieu à une réparation adéquate; c) sa détention non officielle ne pouvait pas être contestée auprès de la Cour suprême et une fois que la détention est devenue officielle, sa sœur ne savait pas qu’il avait subi des tortures et des mauvais traitements; d) s’il avait déposé une plainte en vertu de la loi sur la sécurité publique et du décret relatif aux activités terroristes et destructrices, il n’aurait pas pu obtenir sa libération mais aurait seulement pu prétendre à une indemnisation, s’il avait été établi que les autorités avaient agi de mauvaise foi, et que de surcroît il ne pouvait se prévaloir de cette possibilité en raison de la brièveté du délai de prescription; e) une plainte déposée en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture n’aurait pas permis une réparation adéquate et n’était pas possible en raison de la brièveté du délai de prescription. Le Comité note aussi que l’auteur affirme que sa crainte de subir des représailles et d’être de nouveau arrêté l’a empêché d’utiliser tout autre recours que la plainte qu’il a déposée auprès de la Commission nationale des droits de l’homme.

7.4À ce sujet, le Comité rappelle qu’aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne doivent pas dépasser des délais raisonnables. En ce qui concerne le fait que l’auteur n’a pas saisi la justice au sujet de sa disparition forcée, des tortures, des mauvais traitements, de l’arrestation arbitraire et des conditions inhumaines de détention dont il avait fait l’objet, le Comité observe que l’État partie s’est contenté d’énoncer dans l’abstrait l’existence de recours, pour le grief de torture, en vertu de la Constitution de 1990 alors en vigueur, de la loi sur l’indemnisation en cas de torture et compte tenu de la possibilité de saisir un tribunal de district, sans relier ces dispositifs aux circonstances de l’espèce et sans montrer comment ces dispositifs auraient pu constituer un recours utile dans ces circonstances. Le Comité rappelle que l’utilité du recours dépend également de la nature de la violation dénoncée.

7.5Le Comité relève que le paragraphe 4 de l’article 14 de la Constitution énonce un principe général selon lequel il est interdit de soumettre des détenus à la torture, physique ou mentale, ainsi qu’à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Néanmoins, cette interdiction générale ne semble pas avoir été transposée dans les lois de l’État partie au moyen d’une définition des infractions visées et des peines correspondantes. Le Comité rappelle son Observation générale no 20, dans laquelle il note qu’il ne suffit pas, pour respecter l’article 7, d’interdire ces peines ou traitements, ni de déclarer que leur application constitue un délit. Les États parties doivent faire connaître au Comité les mesures législatives, administratives, judiciaires et autres qu’ils prennent pour prévenir et réprimer les actes de torture ainsi que les traitements cruels, inhumains ou dégradants dans tout territoire placé sous leur juridiction. Compte tenu de la nature grave des violations présumées et de l’absence de toute information sur la manière dont une plainte déposée en vertu de la Constitution peut constituer un recours utile pour l’auteur, y compris une enquête prompte, efficace et impartiale au sujet de ses allégations et la condamnation des auteurs de tels actes, le Comité considère qu’il n’était pas nécessaire d’épuiser ce recours constitutionnel aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne le recours qui aurait pu être introduit en vertu de la loi de 1996 sur l’indemnisation en cas de torture, le Comité relève qu’en application du paragraphe 1 de l’article 5 de cette loi, les demandes d’indemnisation doivent être déposées dans un délai de trente-cinq jours après l’acte de torture ou après la remise en liberté. Il note aussi qu’en application du paragraphe 2 de l’article 6 de la même loi, un requérant peut se voir appliquer une amende s’il est prouvé qu’il a agi de mauvaise foi. Il note aussi que cette loi prévoit une indemnisation d’un montant maximum de 100 000 roupies népalaises (par. 1 de l’article 6). Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la constitution de parties civiles pour des infractions aussi graves que celles qui font grief en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par les autorités contre les auteurs supposés des actes de torture et des mauvais traitements. Le Comité relève qu’aux fins de la recevabilité, la crainte de l’auteur d’être arrêté une nouvelle fois ou de subir des représailles après sa remise en liberté a été suffisamment étayée, notamment par des pièces concernant des affaires analogues. Le Comité considère donc qu’en raison du délai de prescription de trente-cinq jours à partir de l’acte de torture ou de la date de la remise en liberté, imposé par la loi sur l’indemnisation en cas de torture, délai sans commune mesure avec la gravité de l’infraction, ce recours n’était pas disponible dans le cas de l’auteur.

7.7En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur ou quelqu’un d’autre agissant en son nom aurait pu saisir dans les trois jours le tribunal de district pour lui demander d’évaluer son état de santé physique et mentale, le Comité relève que l’auteur a été détenu au secret et que sa famille ignorait totalement où il se trouvait et le traitement qui lui était réservé. Il note aussi que l’État partie n’a donné aucune explication montrant comment ce recours aurait été ouvert à l’auteur et comment il aurait pu être utile. Le Comité considère donc qu’en l’espèce ce recours n’était pas ouvert à l’auteur ni à sa famille.

7.8Le Comité conclut qu’en l’espèce, le fait que l’auteur n’a pas saisi les tribunaux internes ne peut être retenu contre lui. Il relève aussi que l’auteur et les membres de sa famille ont porté plainte auprès des autorités de l’État partie au sujet de l’arrestation arbitraire de l’auteur et de sa détention au secret. Par conséquent, le Comité admet l’argument de l’auteur selon lequel les recours internes n’étaient ni utiles ni disponibles en l’espèce, et considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication. Le Comité ne voit pas d’autre obstacle à l’examen de la communication et passe donc à l’examen quant au fond des allégations de l’auteur au regard du paragraphe 3 de l’article 2, seul et lu conjointement avec les articles 7, 9 et 10 du Pacte.

Examen au fond

8.1Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2En ce qui concerne le grief de détention non officielle, le Comité reconnaît l’ampleur de la souffrance subie. Il rappelle son Observation générale no 20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il note que, selon les renseignements dont il dispose, l’auteur a été arrêté sans mandat et placé en détention au secret le 26 novembre 2003 et que, le 29 juillet 2004, huit mois après son arrestation, il a fait l’objet d’un ordre de détention préventive en vertu du décret relatif aux activités terroristes et destructrices (prévention et répression). Il note aussi que l’État partie déclare, sans autre explication, que l’auteur a été arrêté le 29 juillet 2004. Durant sa détention au secret dans une caserne jusqu’à son transfèrement au centre de détention de Sundarijal, le 17 septembre 2004, l’auteur a été privé de tout contact avec sa famille ou avec le monde extérieur. Il est resté en détention préventive jusqu’au 7 janvier 2005.

8.3Le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune réponse aux allégations de l’auteur concernant sa disparition forcée et qu’il n’a pas non plus réfuté sur le fond l’allégation de l’auteur qui affirme que pendant quatre nuits de suite, il avait été soumis à des actes de torture et des mauvais traitements dans la caserne. Le Comité note aussi le grief de l’auteur qui raconte que quand il était détenu dans la caserne, il était enfermé dans des locaux surpeuplés, infestés de poux, qu’il dormait sur une couverture à même le sol, qu’il avait les yeux bandés ou une cagoule sur la tête durant toute la détention, qu’il recevait une nourriture insuffisante pendant les deux premiers mois, que l’accès aux sanitaires était restreint, qu’il n’avait pu se laver que trois fois durant toute sa détention et qu’il avait été battu sauvagement, frappé du pied, insulté et menacé par les gardes. Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte formulées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. En l’absence de toute explication convaincante fournie par l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

8.4En se fondant sur les éléments dont il dispose, le Comité conclut que la détention de l’auteur, sans contact avec sa famille et le monde extérieur, les actes de torture et de mauvais traitements dont il a été victime durant quatre nuits d’affilée et les conditions de sa détention font apparaître, pour chacun des griefs de l’auteur, des violations de l’article 7 du Pacte.

8.5Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse causées à la famille de l’auteur par sa disparition, entre le moment de son arrestation et le 17 septembre 2004, lorsque sa détention est devenue officielle et qu’il a pu recevoir des visites. Il note que l’auteur a été arrêté alors que sa femme était enceinte de huit mois et qu’il était le seul soutien de la famille, ce qui a causé à celle-ci des difficultés financières considérables. Le Comité constate donc que les faits dont il est saisi font apparaître, à l’égard de la femme de l’auteur et de ses parents, une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

8.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, le Comité note que d’après l’auteur il a été arrêté le 26 novembre 2003 sans mandat par des soldats de l’Armée royale népalaise, détenu à la caserne de Chhauni et mis au secret sans être informé des motifs de son arrestation ni des accusations portées contre lui. Le Comité rappelle que l’auteur n’a jamais été présenté à un juge au cours de sa détention et qu’il n’a pu contester la légalité de sa détention que lorsque celle-ci est devenue officielle et que sa sœur a déposé une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie faisant valoir que l’auteur avait été arrêté le 29 juillet 2004 en vertu du décret de 2004 relatif aux activités terroristes et destructrices, adopté dans le contexte de l’état d’urgence déclaré par l’État partie, qui autorisait l’arrestation de suspects et leur placement en détention pendant une période maximale d’un an. Toutefois faute d’explication pertinente de la part de l’État partie au sujet de l’arrestation de l’auteur et de son placement en détention du 26 novembre 2003 au 29 juillet 2004 et du 26 octobre 2004 au 1er novembre 2004, et en l’absence d’accusations portées contre lui et d’une décision prise par un tribunal sur la légalité de son arrestation et de sa détention, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

8.7Pour ce qui est de l’article 10, le Comité rappelle que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. En l’absence de toute information de la part de l’État partie concernant le traitement réservé à l’auteur durant sa détention, le Comité accorde le crédit voulu aux allégations de l’auteur; il considère que ses conditions de détention à la caserne de Chhauni constituent des mauvais traitements et conclut qu’il y a eu une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 10.

8.8L’auteur invoque également le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de garantir à chacun des recours accessibles, utiles et exécutoires permettant de faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle l’importance qu’il accorde à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits, même en cas d’état d’urgence. Le Comité rappelle en outre que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les informations dont il dispose montrant que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.9Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître, à l’égard de l’auteur, une violation des articles 7 et 9 et du paragraphe 1 de l’article 10, seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité constate également qu’il y a eu violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de la femme et des parents de l’auteur.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa famille un recours utile, en a) veillant à ce qu’une enquête approfondie et diligente soit menée sur les actes de torture et les mauvais traitements infligés à l’auteur, b) poursuivant et punissant les responsables de ces actes, c) indemnisant de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies et d) modifiant sa législation de façon à la rendre conforme au Pacte, c’est-à-dire en modifiant et allongeant le délai de trente-cinq jours à compter des faits de torture ou de la date de la libération fixé pour déposer une plainte en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture, en promulguant un texte législatif qui définisse et incrimine la torture et en abrogeant toutes les lois qui accordent l’immunité aux responsables des actes de torture et de disparition forcée. L’État partie doit veiller, à cet égard, à ce que l’auteur et sa famille soient protégés contre les représailles ou les actes d’intimidation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]