Nations Unies

CCPR/C/102/D/1605/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

24 août 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1605/2007

Présentée par:

Nikolai Zyuskin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

15 mars 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 octobre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

19 juillet 2011

Objet:

Condamnation à un emprisonnement de longue durée après des actes de torture et un procès inéquitable

Questions de procédure:

Griefs non étayés

Questions de fond:

Recours utile; non-dérogation à l’article 7; torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial; droit à la présomption d’innocence; droit d’obtenir la comparution et l’interrogatoire de témoins; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Articles du Pacte:

7, 14 (par. 1, 2, 3 e) et 5)

Article du Protocole facultatif:

2

Le 19 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no1605/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1605/2007 **

Présentée par:

Nikolai Zyuskin (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

15 mars 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1605/2007 présentée par M. Nikolai Zyuskin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Nikolai Zyuskin, de nationalité russe, né en 1978, qui exécute actuellement une peine d’emprisonnement en Fédération de Russie. Il se déclare victime de violations par la Fédération de Russie des droits consacrés à l’article 7 et aux paragraphes 1, 2, 3 e) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1erjanvier 1992. L’auteur n’est pas représenté.

Exposé des faits

2.1Le 19 mars 2001 à 23 h 35, l’auteur a été arrêté par des agents du Département de district pour la lutte contre le crime organisé de la ville de Gatchina (ci-après le Département de district) parce qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction. Il a été conduit au Département de district, où il aurait subi des pressions physiques et psychologiques. Le 22 novembre 2001, le tribunal régional de Leningrad a déclaré l’auteur coupable de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes (art. 105, deuxième partie, du Code pénal), lésions corporelles légères intentionnelles (art. 115) et coups et blessures (art. 116). Il a été condamné à une peine de seize ans et six mois d’emprisonnement. Le tribunal a établi que, le 24 novembre 2000, pendant une dispute, l’auteur avait agressé une certaine N. B., avec qui il consommait de l’alcool. Mme N. B. avait menacé de signaler l’agression à la police et c’est alors que l’auteur et I. L. l’avaient tuée en la frappant plusieurs fois à la tête avec un bâton. Peu après, ils avaient jeté le corps de Mme N. B. dans un fossé, avant de l’enterrer deux jours plus tard.

2.2Le 14 février 2002, la Cour suprême a examiné le pourvoi en cassation formé par l’auteur et annulé la décision rendue concernant les chefs de lésions corporelles légères intentionnelles (art. 115 du Code pénal) et de coups et blessures (art. 116), pour raisons de procédure. La Cour suprême a donc établi que l’auteur était coupable de meurtre avec préméditation accompagné de circonstances aggravantes (art. 105, deuxième partie, du Code pénal) et l’a condamné à une peine de seize ans d’emprisonnement.

2.3Le 17 octobre 2002, l’auteur a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré celle-ci irrecevable le 7 janvier 2005 au motif qu’elle avait été déposée après l’expiration du délai de six mois.

Allégations de torture et de mauvais traitements pendant l’enquête préliminaire

2.4L’auteur affirme que peu après son arrestation le 19 mars 2001, dans les locaux du Département de district, il a été contraint par des agents à porter un masque à gaz dont l’arrivée d’air était obstruée, ce qui l’a empêché de respirer jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Il ne pouvait pas enlever le masque à gaz parce que ses mains étaient menottées derrière la chaise sur laquelle il était assis. De plus, une écharpe avait été nouée autour de sa tête pour l’empêcher de voir ceux qui le frappaient à coups de bâton sur la tête, les cuisses et les tibias. Les agents du Département de district ont en outre menacé et insulté l’auteur et lui ont donné des coups de pied et de poing à l’abdomen, à l’aine, dans le dos et sur la tête pour le forcer à s’avouer coupable. L’auteur a aussi entendu crier sous les coups son coaccusé, I. L., qui avait été arrêté en même temps que lui.

2.5L’auteur affirme qu’un enquêteur principal du Bureau du Procureur de la ville de Gatchina, V. V., qui a ensuite été chargé de l’enquête dans l’affaire le concernant, a été témoin des actes commis par les agents du Département de district. V. V. n’est pas intervenu et, peu de temps après, il a établi un rapport sur l’interrogatoire de l’auteur en tant que suspect. Le 20 mars 2001 au matin, ce dernier et I. L. ont été transférés au centre de détention temporaire (IVS) de la ville de Gatchina, où V. V. a dressé les procès-verbaux de l’arrestation et de la fouille de chacun d’entre eux.

2.6Le 22 mars 2001, l’auteur a été interrogé par V. V. en présence du Procureur de la ville de Gatchina et d’un avocat commis d’office. Il affirme qu’il n’a fait aucune déclaration devant le Procureur concernant des méthodes illégales employées par les agents du Département de district contre lui et l’absence d’intervention de la part de l’enquêteur parce qu’il avait encore peur à cause des coups et des tortures qu’il avait subis et parce qu’il craignait les incidences négatives que pourrait avoir le fait de porter plainte. Il affirme également qu’il n’a pas demandé au Procureur d’ordonner un examen médical pour constater les lésions qu’il présentait car les contusions et les éraflures sur son visage étaient clairement visibles mais que le Procureur n’a pas réagi, en dépit de son obligation de veiller au respect de la loi au stade de l’enquête préliminaire. Il ajoute que l’avocat commis d’office n’a pas non plus réagi comme il aurait dû en voyant ses contusions et éraflures.

2.7Le 18 juin 2001, l’auteur a soumis au Procureur de la ville de Gatchina une plainte écrite dans laquelle il déclarait, entre autres choses, qu’il avait subi des actes de violence de la part des agents du Département de district. Le 10 juillet 2001, le Procureur de la ville de Gatchina a répondu en rappelant à l’auteur qu’il avait été interrogé en sa présence le 22 mars 2001 et qu’il aurait pu l’informer à ce moment-là des violences supposément commises. Le 6 août 2001, l’auteur a soumis une autre plainte écrite au Procureur de la ville de Gatchina. Le 7 août 2001, ce dernier a répondu en informant l’auteur qu’il avait le droit, en vertu de l’article 51 de la Constitution, de ne pas témoigner contre lui-même et ses proches.

2.8Le 19 septembre 2001, l’auteur a déposé une nouvelle plainte écrite auprès du Bureau du Procureur de la ville de Gatchina pour demander l’ouverture d’une action pénale concernant son passage à tabac par des agents du Département de district le 20 mars 2001. Le 23 octobre 2001, l’assistant principal du Procureur de la ville de Gatchina a décidé de ne pas engager de procédure pénale. Il est indiqué à l’appui de cette décision que les quatre agents du Département de district qui ont été interrogés au sujet de la plainte de l’auteur ont déclaré qu’ils avaient dû utiliser des techniques de sambo (art martial) et des menottes pour arrêter l’auteur et I. L. parce que ceux-ci avaient tenté de s’échapper. Les agents ont également déclaré qu’ils avaient dûment signalé avoir appliqué des techniques de sambo et menotter l’intéressé et que leur rapport sur l’arrestation faisait partie des éléments versés au dossier de l’affaire. Ils ont en outre déclaré qu’il n’avait pas été fait usage de la force contre l’auteur et I. L. dans les locaux du Département de district, ce qui a été confirmé par un certain A. A., ancien agent du Département de district, qui était présent au moment de l’arrestation. D’après les déclarations de l’enquêteur, V. V., l’auteur et I. L. n’ont pas subi d’actes de torture et de violence dans les locaux du Département de district et ne se sont pas plaints d’avoir été frappés pendant leur transfert vers le centre de détention temporaire. L’enquêteur a également affirmé que l’auteur avait commencé à se plaindre «partout» d’avoir été victime de méthodes illégales seulement après son placement en détention provisoire pour tenter d’échapper à sa responsabilité pour le meurtre qu’il avait commis. Il a ajouté que tous les actes d’enquête, à l’exception de l’interrogatoire de l’auteur en tant que suspect, avaient eu lieu en présence d’un avocat.

2.9L’auteur affirme qu’il a dénoncé les méthodes illégales employées par les trois agents du Département de district devant le tribunal régional de Leningrad; il renvoie à la page 18 du compte rendu d’audience à l’appui de cette affirmation. Il fait valoir que le tribunal de première instance n’a pas tenu compte de ses allégations de torture et de mauvais traitements, comme le montre l’absence de toute référence à ces allégations dans le jugement rendu par le tribunal régional de Leningrad. L’auteur affirme qu’il a également dénoncé les violences et les actes de torture subis dans son pourvoi auprès de la Cour suprême. Dans sa décision du 14 février 2002, la Cour suprême a déclaré que les arguments de l’auteur concernant l’utilisation de méthodes illégales pendant l’enquête préliminaire avaient été examinés par le tribunal régional de Leningrad qui avait conclu, dans une décision motivée, que ces arguments étaient sans fondement. L’auteur fait en outre valoir que I. L. s’est lui aussi plaint d’avoir été frappé et torturé dans son pourvoi en cassation.

2.10L’auteur fait valoir qu’il s’est plaint en vain de l’utilisation de méthodes illégales auprès du Bureau du Procureur régional de Leningrad et du Bureau du Procureur général dans le cadre de la procédure de réexamen par une juridiction supérieure.

2.11Le 8 janvier 2002, l’auteur a soumis une plainte écrite au Médiateur pour les droits de l’homme. À une date non précisée, la plainte a été transmise au Bureau du Procureur régional de Leningrad. Le 11 mars 2002, ce dernier a révoqué la décision du 23 octobre 2001 de ne pas ouvrir de procédure pénale et l’affaire a été renvoyée devant le Bureau du Procureur de la ville de Gatchina pour un complément d’enquête.

2.12Le 18 mai 2002, le Procureur de la ville de Gatchina a décidé de ne pas engager de procédure pénale concernant les méthodes illégales employées par les agents du Département de district et l’absence de réaction de l’enquêteur à ces actes illégaux. Pendant l’enquête complémentaire, l’auteur a expliqué qu’il n’avait pas été frappé au moment de son arrestation mais que des agents lui avaient infligé des coups et d’autres formes de violence physique dans les locaux du Département de district en présence de l’enquêteur, qui n’était pas intervenu. D’après les registres médicaux du centre de détention temporaire, aucune lésion n’a été constatée sur le corps de l’auteur à son arrivée au centre et celui-ci n’a reçu aucune assistance médicale du 21 au 23 mars 2001. Le rapport d’enquête complémentaire fait référence aux explications données par écrit par l’auteur à l’administration du centre de détention temporaire, qui étaient que ses blessures résultaient de violences subies avant son arrestation. Il y était noté qu’il était impossible de confirmer ou d’infirmer cette affirmation. D’après le rapport de l’Association médicale du district de Gatchina, l’auteur a été examiné le 23 mars 2001. Lors de cet examen, il a été constaté que l’auteur présentait plusieurs blessures à la tête et une contusion autour de l’œil droit. D’après le certificat établi par le centre de détention temporaire, l’auteur a été détenu dans cet établissement du 23 mars au 2 avril 2001. Il a été examiné par un aide-soignant d’astreinte le 23 mars 2001 à 18 h 40, à son arrivée au centre. Il présentait alors une blessure à la tête, un hématome à l’œil droit et quelques éraflures sur le côté gauche du front; l’auteur ne s’est pas plaint de son état de santé et n’a pas demandé une assistance médicale. Le rapport d’enquête complémentaire fait également référence au témoignage d’un barman qui avait déclaré que l’auteur et I. L. n’avaient opposé aucune résistance lors de leur arrestation mais qu’ils pouvaient s’être blessés en tombant par-dessus une table renversée. Les quatre agents du Département de district qui ont été interrogés au sujet de la plainte initiale de l’auteur en date du 19 septembre 2001 ont réitéré leurs déclarations antérieures concernant l’utilisation de techniques de sambo et de menottes contre l’auteur et I. L. au moment de leur arrestation. L’un des agents a précisé qu’il n’y avait pas de masques à gaz dans les locaux du Département de district.

2.13À maintes reprises, l’auteur s’est plaint en vain du fait que le Bureau du Procureur de la ville de Gatchina ne lui avait pas remis de copie de la décision du 18 mai 2002 et du dossier de l’enquête complémentaire. Le 26 août 2004, l’auteur a adressé une requête écrite au Bureau du Procureur régional de Leningrad pour demander l’ouverture d’une procédure pénale contre le Procureur de la ville de Gatchina au motif que celui-ci avait failli à son obligation de lui fournir une copie de la décision du 18 mai 2002 et du dossier de l’enquête complémentaire; cette requête a été rejetée le 29 octobre 2004. Le premier Procureur adjoint de la région de Leningrad a expliqué que si l’auteur n’était pas en mesure de prendre lui-même connaissance du dossier de l’enquête complémentaire, il devrait autoriser un avocat à le représenter. Le 18 novembre 2004, l’auteur a déposé plainte auprès du Bureau du Procureur général contre la décision du 29 octobre 2004; la plainte a été rejetée par le Procureur général adjoint le 21 janvier 2005.

2.14Le 17 juin 2004, l’auteur a déposé une plainte auprès du tribunal de la ville de Gatchina contre la décision du 18 mai 2002 de ne pas engager de procédure pénale concernant les méthodes illégales utilisées contre lui par les agents du Département de district. L’auteur a fait valoir, entre autres, que les actes d’enquête ci-après n’avaient pas été accomplis dans le cadre du complément d’enquête: interrogatoire des personnes détenues dans la même cellule que l’auteur au centre de détention temporaire du 20 au 23 mars 2001; interrogatoire de I. L., qui a vu les blessures au visage de l’auteur lorsqu’ils ont été transférés vers le centre de détention temporaire; clarification des contradictions entre le témoignage de l’enquêteur, qui a expliqué que des techniques de sambo et des menottes avaient été utilisées au moment de l’arrestation parce que l’auteur et I. L. avaient tenté de s’échapper, et le témoignage du barman qui a déclaré que les intéressés n’avaient opposé aucune résistance; vérification des allégations de l’auteur, qui a déclaré n’avoir fait l’objet d’aucun examen médical à son arrivée au centre de détention temporaire et avoir expliqué le 23 mars 2001 par écrit qu’il avait été battu avant son arrestation le 19 mars 2001. L’auteur a ajouté qu’il avait plus tard retiré ces explications.

2.15Le 18 août 2004, le tribunal de la ville de Gatchina a examiné la plainte de l’auteur en son absence et l’a rejetée. Le tribunal a conclu que l’enquête sur les allégations de l’auteur concernant les coups et autres méthodes illégales dont il aurait fait l’objet avait été complète et impartiale. L’enquête a établi que la force (techniques de sambo) et les menottes avaient été utilisées contre l’auteur au moment de son arrestation et qu’il n’était pas exclu que les blessures constatées sur son corps le 23 mars 2001 (blessure à la tête, hématome à l’œil droit et éraflures sur le côté droit du front) aient été infligées à ce moment-là. L’usage de la force au moment de l’arrestation de l’auteur était conforme aux dispositions de la loi sur la police, dans la mesure où l’intéressé était soupçonné d’avoir commis un meurtre avec préméditation et où des informations reçues laissaient penser que lui-même et I. L. pouvaient être armés. Le tribunal a estimé qu’il était impossible d’interroger les personnes qui avaient été détenues avec l’auteur du 20 au 23 mars 2001 étant donné que l’auteur n’avait fourni aucun renseignement qui pourrait permettre de les identifier et que leur identification à ce moment-là n’était plus possible. Quant à la demande de l’auteur tendant à ce que I. L. soit interrogé, le tribunal a décidé que cela n’était pas nécessaire étant donné que les éléments figurant dans le dossier de l’enquête complémentaire étaient suffisants pour lui permettre de rendre une décision.

2.16Le 23 septembre 2004, l’auteur a formé un pourvoi en cassation auprès du tribunal régional de Leningrad contre la décision rendue le 18 août 2004 par le tribunal de la ville de Gatchina et a réitéré les arguments résumés au paragraphe 2.14 ci-dessus. Le 26 octobre 2005, le tribunal régional de Leningrad a rejeté le pourvoi de l’auteur et maintenu la décision du 18 août 2004.

Procédure en première instance

2.17L’auteur fait référence à la partie du jugement du tribunal régional de Leningrad en date du 22 novembre 2001 dans laquelle est examinée la déposition faite par sa maîtresse, Mme A. O., en tant que témoin lors de l’enquête préliminaire. Dans cette déposition, Mme A. O. déclarait que l’auteur lui avait dit à la fin de l’année 2000 que lui-même et I. L. avaient assassiné une amie de Mme E. S., sans nommer la victime, et que Mme E. S. lui avait également dit plus tard que l’auteur et I. L. avaient assassiné son amie «Natasha» en novembre 2000. L’auteur fait valoir que le témoignage de Mme A. O. a été utilisé dans le jugement en tant que preuve à charge, en violation du droit à un procès équitable. Il affirme que devant le tribunal de première instance, Mme A. O. a retiré le témoignage qu’elle avait donné pendant l’enquête préliminaire et déclaré que celui-ci avait été obtenu sous la pression de l’enquêteur, puisqu’il lui avait été demandé de s’engager par écrit à ne pas quitter son lieu de résidence habituel. Elle a déclaré au contraire que Mme E. S. ne lui avait pas dit que son amie avait été assassinée par l’auteur et I. L. De plus, Mme E. S. a également déclaré devant le tribunal de première instance qu’elle n’avait pas dit à Mme A. O. qui avait assassiné Mme N. B. L’auteur fait donc valoir que la déposition faite par Mme A. O. pendant l’enquête préliminaire ne pouvait pas être utilisée pour le jugement. Il ajoute que le tribunal a ignoré le témoignage ultérieur de Mme A. O. en déclarant que celle-ci l’avait modifié dans le but d’aider l’auteur à échapper à sa responsabilité pour le crime qu’il avait commis.

2.18L’auteur affirme en outre que le tribunal régional de Leningrad a passé outre le témoignage de I. L., qui déclarait avoir assassiné Mme N. B. parce qu’il craignait qu’elle ne signale à la police un autre crime commis par lui avec Mme E. S., ainsi que les déclarations d’un autre témoin, qui corroboraient l’affirmation de I. L. selon laquelle il avait une raison d’assassiner Mme N. B. L’auteur fait donc valoir que les conclusions énoncées par le tribunal régional de Leningrad dans sa décision du 22 novembre 2001 constituent une violation du droit à un procès équitable.

2.19L’auteur relève que d’après les conclusions de l’enquête préliminaire et du tribunal régional de Leningrad, il aurait assassiné Mme N. B. après que celle-ci eut menacé de signaler à la police qu’il l’avait agressée plus tôt dans la journée. Il soutient, par une argumentation détaillée, que les témoins ont fait des déclarations contradictoires concernant l’agression et le meurtre de Mme N. B. Il affirme que le tribunal régional de Leningrad n’a pas tenu compte de ces déclarations contradictoires, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

2.20L’auteur affirme qu’il s’est plaint, en vain, dans son pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, de l’utilisation du témoignage initial de Mme A. O. dans le jugement rendu par le tribunal régional de Leningrad, du fait que le tribunal régional de Leningrad n’ait pas pris en compte le témoignage de I. L. qui affirmait avoir assassiné Mme N. B., et des déclarations contradictoires des témoins principaux. Il ajoute que ses plaintes ultérieures auprès de la Cour suprême, du Bureau du Procureur régional de Leningrad et du Bureau du Procureur général dans le cadre de la procédure de réexamen par une juridiction supérieure n’ont pas non plus été suivies d’effet.

Objections au compte rendu d’audience

2.21Le 7 décembre 2001, conformément à l’article 260 du Code de procédure pénale, l’auteur a déposé au tribunal régional de Leningrad ses objections au compte rendu d’audience du tribunal de première instance afin que ses déclarations et celles des témoins soient modifiées pour correspondre à ce qui avait véritablement été dit. Le 18 décembre 2001, les objections de l’auteur et celles de I. L. ont été examinées par un juge du tribunal régional de Leningrad, qui les a rejetées. Le juge a conclu que l’auteur et I. L. avaient soumis leurs objections au compte rendu d’audience dans le but de détourner les témoignages qui avaient été dûment consignés et d’échapper à leur responsabilité pour les actes qu’ils avaient commis.

2.22Le 13 janvier 2002, l’auteur a fait part de son désaccord avec la décision rendue le 18 décembre 2001 sur son pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Le 23 janvier 2002, la Cour a décidé de ne pas examiner cette partie du pourvoi parce que le tribunal régional de Leningrad s’était déjà prononcé sur ce point le 18 décembre 2001.

2.23L’auteur affirme que le témoignage d’un des témoins, Mme E. Sm., a été déformé dans le compte rendu d’audience, ce qui a altéré la capacité du tribunal à rendre un jugement juste, étant donné que le témoignage en question montrait que I. L., à la différence de l’auteur, avait une raison d’assassiner Mme N. B. En conséquence, il fait valoir que le compte rendu d’audience a été établi en violation de l’article 264 du Code de procédure pénale (comptes rendus d’audience) et constitue une violation substantielle de la procédure en vertu de l’article 345 du Code (violations substantielles de la procédure pénale). À maintes reprises, l’auteur s’est plaint sans succès auprès de la Cour suprême, du Bureau du Procureur régional de Leningrad et du Bureau du Procureur général de l’inexactitude et du caractère mensonger du compte rendu d’audience du tribunal de première instance dans le cadre de la procédure de réexamen par une juridiction supérieure.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a été frappé et torturé peu après son arrestation le 19 mars 2001, ce qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte. Il fait valoir que le fait que les autorités de l’État partie ne lui ont pas donné accès au dossier de l’enquête complémentaire confirme ce grief.

3.2L’auteur affirme que le droit à un procès équitable, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a été violé étant donné que le tribunal de première instance n’a pas tenu compte de ses allégations concernant l’utilisation de méthodes illégales pendant l’enquête préliminaire et le caractère inexact et mensonger du compte rendu d’audience correspondant. De plus, le tribunal régional de Leningrad a utilisé la déposition faite par Mme A. O. pendant l’enquête préliminaire en tant que preuve à charge dans son jugement du 22 novembre 2001 et n’a pas tenu compte de son témoignage ultérieur. Le tribunal n’a pas non plus tenu compte du témoignage de I. L., qui affirmait avoir assassiné Mme N. B. parce qu’il craignait qu’elle ne signale un autre crime à la police, et des déclarations contradictoires des principaux témoins.

3.3L’auteur invoque une violation du droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure, consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, étant donné que la juridiction du deuxième degré a rejeté les arguments avancés dans son pourvoi concernant l’utilisation de méthodes illégales pendant l’enquête préliminaire en se contentant de faire référence au jugement rendu par le tribunal de première instance, sans prendre aucune autre mesure pour protéger ses droits. En outre, la Cour suprême n’a pas tenu compte de ses allégations concernant le caractère inexact et mensonger du compte rendu d’audience du tribunal de première instance. Elle n’a pas non plus tenu compte de l’argument de l’auteur selon lequel le témoignage donné par Mme A. O. pendant l’enquête préliminaire n’aurait pas dû être utilisé dans le jugement du tribunal régional de Leningrad en tant que preuve à charge, ni de sa déclaration concernant le témoignage de I. L., affirmant avoir assassiné Mme N. B. parce qu’il craignait qu’elle signale un autre crime à la police. La Cour suprême a également passé outre à son affirmation concernant les contradictions dans les déclarations des principaux témoins.

3.4L’auteur invoque une violation des droits qu’il tient des paragraphes 2 et 3 e) de l’article 14 du Pacte, sans donner d’éléments à l’appui de ce grief.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Par des notes verbales du 25 mars 2008 et du 28 avril 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication et réitéré les faits de l’affaire résumés aux paragraphes 2.1 et 2.2. L’État partie souligne que pendant l’enquête préliminaire, I. L. a donné des renseignements détaillés sur les circonstances du crime et le rôle de l’auteur dans celui-ci. Le témoignage de I. L. correspond à celui d’un autre témoin, Mme A. O., qui a été informée du crime par l’auteur lui-même. La culpabilité de l’auteur a été établie sur la base des déclarations d’un témoin oculaire, Mme E. S., et d’autres témoins auxquels l’auteur a proposé de l’argent pour tenter d’acheter leur silence, ainsi que de l’examen médico-légal du corps de Mme N. B., de l’analyse chimique de la terre prélevée sur le lieu où était enterré le corps et sur la pelle saisie auprès de l’auteur et I. L., et d’autres éléments de preuve dûment examinés par le tribunal. Les arguments de l’auteur faisant valoir que les preuves retenues contre lui étaient contradictoires ont été examinés à maintes reprises par le Bureau du Procureur général et la Cour suprême dans le cadre de la procédure de cassation.

4.2L’État partie affirme qu’un rapport sur l’arrestation de l’auteur a été établi conformément à l’article 122 du Code de procédure pénale le 20 mars 2001 à 2 h 40. Le même jour, l’auteur a été interrogé en tant que suspect et il ne s’est pas plaint d’avoir fait l’objet de méthodes illégales à ce moment-là ni le 22 mars 2001 pendant son interrogatoire en présence du Procureur et de l’avocat. L’auteur a été interrogé à de nombreuses reprises pendant l’enquête préliminaire mais il n’a jamais reconnu sa culpabilité dans le meurtre de Mme N. B. L’État partie ajoute que ni l’auteur ni son avocat n’ont dénoncé de méthodes illégales lorsqu’ils se familiarisaient avec le dossier de l’affaire.

4.3L’État partie note que le 8 novembre 2001, l’auteur a déclaré lors de l’audience devant le tribunal régional de Leningrad qu’il avait fait l’objet de méthodes illégales et qu’il s’en était plaint précédemment auprès du Bureau du Procureur. À cet égard, l’État partie rappelle les faits de l’affaire résumés aux paragraphes 2.8, 2.9, 2.12 et 2.14 à 2.16 ci-dessus. Il fait valoir que les dossiers examinés par les tribunaux ne contenaient aucun document médical établi au nom de l’auteur. D’après les renseignements fournis par la Direction fédérale de l’administration pénitentiaire, l’auteur a été transféré du centre de détention temporaire (IVS) au centre de détention (SIZO) le 2 avril 2001 et, d’après l’examen médical réalisé les 2 et 3 avril 2001, il ne présentait aucune blessure. L’État partie conclut qu’il n’existe pas de faits objectifs corroborant les allégations de l’auteur concernant les violations qui auraient été commises par les agents des forces de l’ordre.

4.4Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme que le témoignage de Mme A. O. a été obtenu pendant l’enquête préliminaire en violation de dispositions non spécifiées de la législation en matière de procédure pénale, l’État partie fait valoir que Mme A. O. a précisé devant le tribunal de première instance qu’elle avait été prévenue par l’enquêteur que toute personne donnant un faux témoignage engageait sa responsabilité pénale et que les garanties énoncées à l’article 51 de la Constitution lui avaient été expliquées. Mme A. O. a déclaré qu’elle n’avait pas fait de déposition concernant le meurtre de Mme N. B. par l’auteur et I. L. et qu’elle avait en fait appris de l’auteur que Mme N. B. avait été tuée par I. L. et Mme E. S. Elle a déclaré que le contenu du rapport d’interrogatoire qu’elle avait signé était différent et qu’elle ne savait pas comment un nouveau texte était apparu dans le rapport d’interrogatoire qui avait été lu au tribunal. L’État partie fait valoir que d’après le tribunal régional de Leningrad, Mme A. O., qui était la maîtresse de l’auteur, a modifié son témoignage pour aider celui-ci à échapper à sa responsabilité.

4.5L’État partie affirme que les autres griefs de l’auteur se rapportent à la légalité et au caractère raisonnable de sa condamnation. Il rappelle que ce n’est pas au Comité mais aux juridictions de l’État partie qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ainsi que la légalité et le caractère raisonnable d’une condamnation. L’État partie conclut que les allégations de l’auteur concernant les violations par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, y compris au titre des articles 7 et 14, sont sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 19 juin 2008, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il a fait valoir que ce dernier ne réfutait aucun de ses griefs initiaux (voir, en particulier, les paragraphes 2.4, 2.6, 2.9 et 2.13) et ne contestait pas la recevabilité de la communication. L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que le dossier de l’affaire ne contenait aucun document médical établi à son nom et objecte que la présence de lésions sur son corps n’a pas été contestée par le Bureau du Procureur et a été corroborée par le rapport de l’Association médicale du district de Gatchina et par un certificat médical émanant du centre de détention temporaire.

5.2L’auteur affirme qu’en ne répondant pas au grief concernant l’inexactitude et le caractère mensonger du compte rendu d’audience du tribunal régional de Leningrad, l’État partie a accepté celui-ci et tous les griefs connexes. Il fait valoir que l’État partie n’a apporté aucun élément pour réfuter l’allégation selon laquelle le témoignage de Mme A. O. a été obtenu sous la pression de l’enquêteur au stade de l’enquête préliminaire. L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que ses autres griefs se rapportent à la légalité et au caractère raisonnable de sa condamnation. Il réitère les allégations résumées aux paragraphes 2.18 et 2.19 ci-dessus et soutient qu’il y a violation des droits énoncés aux paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte étant donné que les conclusions des tribunaux de l’État partie ne correspondent pas aux faits et que leur appréciation des éléments de preuve a été arbitraire.

Commentaires supplémentaires de l’État partie et de l’auteur

6.1Dans une note du 17 novembre 2008, l’État partie réitère les arguments avancés précédemment et souligne que ni le tribunal régional de Leningrad, qui a examiné l’affaire en première instance, ni la Cour suprême, qui a examiné le pourvoi de l’auteur en cassation, n’ont conclu à une violation en matière de procédure pénale.

6.2L’État partie affirme que l’enquête du Bureau du Procureur sur les allégations de l’auteur concernant les méthodes illégales dont il aurait fait l’objet pendant l’enquête préliminaire a été complète et objective. D’après le rapport médical du 23 mars 2001, l’auteur présentait des blessures légères. L’État partie note toutefois que l’auteur a résisté au moment de son arrestation et qu’il a été fait usage de la force et de menottes contre lui. Il ajoute que l’emploi de la force au moment de l’arrestation, qui était conforme aux dispositions de la loi sur la police, n’exclut pas que les blessures constatées sur le corps de l’auteur aient été infligées dans ces circonstances. Il fait valoir que les allégations de l’auteur, qui affirme avoir été torturé par des membres de la police et du Bureau du Procureur, n’ont pas été confirmées et il renvoie aux faits de l’affaire résumés plus haut aux paragraphes 2.15 et 2.16.

7.Dans une note du 15 janvier 2009, l’auteur réitère les arguments avancés dans ses précédents commentaires et fait valoir que les explications de l’État partie quant à l’origine de ses blessures ne concordent pas avec le témoignage du barman qui a assisté à son arrestation et à celle de I. L. et qui a déclaré que ceux-ci n’avaient aucunement résisté. L’auteur ajoute qu’il est impossible qu’il se soit blessé en tombant sur une table renversée, étant donné que toutes les tables du bar dans lequel il a été arrêté sont fixées au sol et ne peuvent donc pas basculer. L’auteur relève que les autorités de l’État partie n’ont pas interrogé I. L. et Mme A. O., qui se trouvaient dans le même bar le soir du 19 mars 2001 et qui ont été témoins de son arrestation.

8.Dans une note du 9 juin 2009, l’État partie réitère les arguments avancés dans ses précédents commentaires et souligne que les allégations de l’auteur concernant l’inexactitude et le caractère mensonger du compte rendu d’audience du tribunal de première instance avaient déjà été examinées par le tribunal régional de Leningrad le 18 décembre 2001, conformément à la procédure prévue à l’article 260 du Code de procédure pénale. La décision rendue le 18 décembre 2001 en vertu de l’article 266 du Code énonce les motifs du rejet des objections de l’auteur et de son coaccusé au compte rendu d’audience.

9.Dans une note du 13 août 2009, l’auteur réitère les arguments qu’il avait avancés précédemment et déclare que l’État partie n’a été en mesure de réfuter aucune de ses allégations, corroborées par des documents et par les déclarations des témoins.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3En l’absence de toute objection de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

10.4Le Comité note que l’auteur a invoqué une violation des droits consacrés aux paragraphes 2 et 3 e) de l’article 14 du Pacte mais n’a apporté aucun élément à l’appui de ses griefs. L’auteur n’ayant pas étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité a pris note des griefs tirés des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte, qui auraient été violés parce que le compte rendu d’audience du tribunal de première instance était inexact et mensonger, que le tribunal régional de Leningrad a utilisé la déposition faite par Mme A. O. pendant l’enquête préliminaire en tant que preuve à charge dans son jugement du 22 novembre 2001 et n’a pas tenu compte du témoignage ultérieur de Mme A. O.; que le tribunal régional de Leningrad n’a pas tenu compte du témoignage de I. L., qui affirmait avoir assassiné Mme N. B. parce qu’il craignait qu’elle ne signale à la police un autre crime, ni des témoignages contradictoires des principaux témoins, et que la Cour suprême a procédé à un examen superficiel de son pourvoi en cassation et maintenu le jugement du tribunal régional de Leningrad en dépit de son innocence. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée et qu’il se rangera à cette appréciation sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur qui affirme que les conclusions des tribunaux de l’État partie ne concordent pas avec les faits de l’affaire et que l’appréciation des éléments de preuve a été arbitraire. Toutefois, il note aussi que d’après les éléments dont il dispose, le coïnculpé de l’auteur et les principaux témoins ont modifié leurs témoignages et leurs déclarations à de nombreuses reprises, tant pendant l’enquête préliminaire que devant le tribunal de première instance, souvent sans explication valable. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la conduite du procès en l’espèce a été arbitraire ou a constitué un déni de justice; il déclare donc que ses griefs au titre des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 du Pacte sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur au titre de l’article 7 ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède donc à leur examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

11.2L’auteur affirme qu’il a été frappé, maltraité, menacé et insulté dans la nuit du 20 mars 2001 par des agents du Département de district qui voulaient le contraindre à s’avouer coupable, en violation de l’article 7 du Pacte. Le Comité note que le 19 septembre 2001, l’auteur a soumis une plainte écrite au Bureau du Procureur de la ville de Gatchina pour demander l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre des agents du Département de district et que le Bureau du Procureur a décidé de ne pas engager de poursuites pénales après avoir entendu seulement les agents concernés et l’enquêteur. Il note également que l’enquête sur la plainte de l’auteur a été rouverte par le Bureau du Procureur régional de Leningrad le 11 mars 2002 et qu’il a été demandé au Bureau du Procureur de la ville de Gatchina de procéder à un complément d’enquête. Le 18 mai 2002, le Bureau du Procureur a de nouveau décidé de ne pas engager de poursuites pénales, après avoir entendu l’auteur, les agents du Département de district concernés et le barman qui avait assisté à l’arrestation de l’auteur et après avoir examiné les certificats médicaux établis par l’Association médicale du district de Gatchina et par le centre de détention temporaire. Le Comité note en outre que, bien que le complément d’enquête ait confirmé que l’auteur avait subi des blessures, l’auteur et l’État partie sont en désaccord sur les circonstances dans lesquelles ces blessures ont été infligées. De plus, il prend note de l’argument de l’auteur faisant valoir que le témoignage des agents interrogés ne concorde pas avec celui d’un témoin oculaire et que deux autres témoins oculaires désignés par lui n’ont pas été entendus pendant toute la procédure d’enquête complémentaire.

11.3Le Comité note également que, comme il ressort du jugement rendu le 22 novembre 2001 par le tribunal régional de Leningrad, ce dernier n’a pas examiné spécifiquement les griefs de l’auteur concernant l’utilisation de méthodes illégales pendant l’enquête préliminaire et n’a procédé à aucune enquête sur ce point. Il note en outre que la Cour suprême n’a pas estimé nécessaire d’enquêter sur les allégations de l’auteur concernant les coups et les actes de torture au motif que celles-ci avaient déjà été examinées par le tribunal régional de Leningrad, qui les avait jugées sans fondement.

11.4Le Comité rappelle que les États parties sont responsables de la sécurité de toute personne qu’ils privent de liberté et qu’il leur incombe, lorsqu’une personne affirme avoir été blessée en détention, de produire des éléments de preuve pour réfuter ces allégations. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des informations nécessaires. Il découle implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements dont il dispose. Dans les cas où l’auteur a fait tout son possible pour collecter des preuves à l’appui de ses allégations et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer que ces allégations sont fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves ou des explications satisfaisantes.

11.5Le Comité rappelle également que les plaintes pour mauvais traitements doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales de la part des autorités compétentes. Il note que l’auteur a donné une description détaillée des mauvais traitements qu’il a subis et des circonstances dans lesquelles ses blessures lui ont été infligées. Il note également que l’affirmation de l’auteur selon laquelle les enquêtes effectuées par les autorités de l’État partie n’ont apporté aucun élément de preuve réfutant ces allégations ni répondu véritablement aux griefs de l’auteur concernant les incohérences entre les témoignages collectés pendant l’enquête complémentaire et les explications avancées par les autorités de l’État partie. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’État partie a manqué à son obligation de procéder sans délai à une enquête impartiale sur les allégations de l’auteur concernant les mauvais traitements qu’il affirme avoir subis, en violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

13.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Ce recours devrait consister en une enquête impartiale, effective et approfondie sur les griefs de violation de l’article 7, l’ouverture de poursuites contre toute personne considérée comme responsable et l’octroi d’une réparation, y compris une indemnité adéquate. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]