C omité des droits de l’homme
Communication no 1820/2008
Constatations adoptées par le Comité à sa 104e session(12-30 mars 2012 )
Communication p résentée par: |
Irina Krasovskaya et Valeriya Krasovskaya(représentées par le cabinet Böhler, Franken, Koppe et Wijngaarden) |
Au nom de: |
Les auteurs et leur mari et père décédé, Anatoly Krasovsky |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
10 juin 2008 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial, en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2008 (non publiée sous forme de document) |
Date de l’adoption des constatations: |
26 mars 2012 |
Objet: |
Disparition forcée |
Questions de fond: |
Privation arbitraire de la vie; torture et mauvais traitements; privation arbitraire de liberté; absence d’enquête diligente |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3), 6, 7, 9 et 10 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Annexe
Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (104e session)
concernant la
Communication no 1820/2008 *
Communication p résentée par: |
Irina Krasovskaya et Valeriya Krasovskaya(représentées par le cabinet Böhler, Franken, Koppe et Wijngaarden) |
Au nom de: |
Les auteurs et leur mari et père décédé, Anatoly Krasovsky |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
10 juin 2008 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 mars 2012,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1820/2008 présentée au nom de d’Anatoly Krasovsky en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif
1.Les auteurs de la communication sont Irina Krasovskaya et Valeriya Krasovskaya, toutes deux de nationalité bélarussienne, nées respectivement en 1958 et en 1982, résidant actuellement aux Pays-Bas. Elles présentent la communication au nom de leur mari et père, Anatoly Krasovsky, né en 1952, et affirment que le Bélarus a violé les droits qui lui sont reconnus aux articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs affirment aussi qu’elles sont elles-mêmes victimes d’une violation des droits qu’elles tiennent de l’article 7 du Pacte. Elles sont représentées par le cabinet Böhler, Franken, Koppe et Wijngaarden (Pays-Bas). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1M. Krasovsky était un homme d’affaires au Bélarus. Dans les années 1990, il offrait à l’opposition un soutien financier et d’autres formes d’appui, et était un ami personnel de Victor Gonchar, opposant notable au Président du Bélarus, Alexander Loukachenko. M. Gonchar a aussi été Vice-Premier Ministre du Bélarus (1994-1995) et Président du Conseil suprême (Parlement) en 1999.
2.2En août 1999, M. Krasovsky a été arrêté par la police, étant accusé de ne pas avoir remboursé un prêt bancaire dans les délais prescrits. Il a été libéré au bout d’une semaine, après avoir payé une caution de 102 000 dollars des États-Unis. Il a également été harcelé par les autorités en raison de ses activités politiques.
2.3Le 19 septembre 1999, l’ami de M. Krasovsky, M. Gonchar, devait présider une séance prolongée du Parlement au cours de laquelle celui-ci devait entendre les conclusions d’une commission parlementaire spéciale sur les graves crimes présumés commis par le Président Loukachenko, afin de décider d’engager ou non une procédure de mise en accusation du Président. Le 16 septembre 1999, alors qu’ils marchaient dans la rue, M. Gonchar et M. Krasovsky ont été abordés par plusieurs inconnus qui les ont forcés à monter dans la voiture de M. Krasovsky et à conduire vers une destination inconnue. Des traces de sang ont été retrouvées plus tard sur le lieu de leur enlèvement.
2.4Cette disparition était clairement motivée par des raisons politiques. Pour appuyer leurs allégations, les auteurs citent de larges extraits d’un mémorandum élaboré par Christos Pourgourides à l’intention de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (le mémorandum de l’APCE). D’après les auteurs, le Président bélarussien avait à l’époque la réputation de ne pas respecter les droits de l’homme et, le mois précédant la disparition de M. Krasovsky, l’ancien Ministre de l’intérieur, Yuri Zakharenko, avait également disparu.
2.5Le 20 septembre 1999, le bureau du Procureur a lancé une enquête pénale sur la disparition de M. Krasovsky. M. Chumachenko a été chargé de l’enquête.
2.6Le 21 novembre 2000, le général Nikolai Lapatik, Chef de la police criminelle du Bélarus, a écrit au Ministre de l’intérieur. Dans cette lettre manuscrite, il affirme que le Secrétaire du Conseil de sécurité du Bélarus a ordonné l’assassinat d’un ancien Ministre de l’intérieur, Yuri Zakharenko. D’après le général Lapatik, l’assassinat avait été perpétré par un officier de haut rang, le colonel Dmitry Pavlichenko, avec l’assistance du Ministre de l’intérieur de l’époque, Yuri Sivakov. Celui-ci avait procuré à M. Pavlichenko un pistolet emprunté dans une prison. La même arme, affirme le général Lapatik, avait été utilisée le 16 septembre 1999, date à laquelle M. Gonchar et M. Krasovsky ont disparu.
2.7Les autorités n’ont pas été à même de donner une explication plausible pour l’emprunt du pistolet. Le bureau du Procureur n’a pas enquêté sur les raisons pour lesquelles l’arme a été empruntée à la prison. Les conclusions du mémorandum de l’APCE montrent que le pistolet a vraisemblablement été utilisé pour assassiner M. Krasovsky.
2.8Les auteurs, citant le mémorandum de l’APCE, indiquent que l’authenticité de la note manuscrite du général Lapatik a été confirmée par le Ministre de l’intérieur de l’époque, M. Vladimir Naumov, destinataire de cette note, et par le Procureur général du Bélarus de l’époque, M. Sheyman. Dans le mémorandum l’APCE établissait qu’il n’y avait pas eu d’enquête sur les accusations formulées par le général Lapatik dans sa note. Par exemple, la peinture rouge trouvée sur les lieux du crime n’avait pas été comparée à la peinture de la voiture rouge qui était signalée dans la lettre du général Lapatik comme celle que conduisait le colonel Pavlichenko. Les conclusions du mémorandum de l’APCE montrent clairement qu’il y a eu collusion et tentatives d’étouffement de l’affaire au cours de l’enquête.
2.9Suite à cela, et en raison de la lettre du général Lapatik, le colonel Pavlichenko a été arrêté le 22 novembre 1999. Le mandat d’arrêt était signé du chef du KGB bélarussien d’alors, M. Matskevich et visé par le Procureur général. Toutefois, le général Pavlichenko a été libéré peu après et a été promu, probablement sur ordre direct de M. Loukachenko. Plusieurs autres responsables publics qui avaient affirmé que d’autres officiers étaient impliqués dans les enlèvements ont été rapidement remplacés ou démis de leurs fonctions. Depuis, l’enquête sur la disparition de M. Krasovsky et M. Gonchar est bloquée.
2.10Le 20 janvier 2003, un procureur a décidé de clore l’affaire. Les auteurs ont fait appel de la décision du bureau du Procureur de mettre fin à l’enquête sur la disparition de M. Krasovsky. En conséquence, l’affaire a officiellement été rouverte. Jusqu’à présent, l’enquête menée par la police bélarussienne n’a donné aucun résultat tangible. Tous les trois mois, les auteurs reçoivent une lettre confirmant que l’enquête est toujours en cours mais rien ne prouve ni même ne donne à penser qu’un véritable travail d’enquête est mené. Selon toute vraisemblance, la disparition des deux hommes est imputable à des fonctionnaires bélarussiens et que de hauts responsables empêchent la police de divulguer cette information ou d’y donner suite.
2.11Un certain nombre de rapports d’organisations non gouvernementales montrent clairement que le pouvoir en place ne répugne pas à commettre des actes illégaux pour se maintenir au pouvoir. Au moment de la disparition de M. Krasovsky et M. Gonchar, l’opposition était en train d’organiser une campagne pour une élection présidentielle parallèle et les deux hommes y prenaient une part active. La situation politique du pays était très instable.
2.12Les auteurs n’ont eu de cesse de demander aux autorités d’enquêter sur certains éléments spécifiques mais aucune de leurs suggestions n’a été suivie par les enquêteurs. Le 9 octobre 2002, le 5 novembre 2002, le 20 novembre 2002, le 10 janvier 2003, le 3 février 2003 et à d’autres dates, elles ont déposé de nombreuses plaintes. Il n’y a plus d’autre recours à épuiser et, en tout état de cause, les recours internes ont déjà excédé des délais raisonnables.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que l’État partie a commis une violation des droits reconnus à l’article 6 du Pacte dans la mesure où, M. Krasovsky a été très probablement victime d’une exécution extrajudiciaire perpétrée par des agents de l’État.
3.2L’État partie aurait également violé les droits consacrés par l’article 7 du Pacte. Les auteurs soulignent que, dans un certain nombre d’affaires, le Comité a estimé que la disparition forcée d’une personne constituait un traitement cruel et dégradant, la victime ayant subi, tout comme sa famille immédiate, une violation des droits consacrés par l’article 7. Elles font valoir qu’en conséquence elles sont elles aussi victimes d’une violation des droits reconnus à l’article 7 du Pacte, en raison de la souffrance morale qu’elles ont vécue en raison de la disparition de M. Krasovsky.
3.3L’État partie avait aussi violé les droits de M. Krasovsky au titre de l’article 9 du Pacte parce que son enlèvement aurait dû être considéré comme arbitraire et son arrestation illicite. Il n’a jamais non plus été présenté à un juge et n’a pas pu engager de procédure judiciaire.
3.4Enfin, les auteurs affirment qu’il y a eu violation de l’article 10 du Pacte puisque M. Krasovsky a été probablement tué alors qu’il était aux mains d’agents de l’État.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1En date du 20 octobre 2009, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond et la recevabilité. Il affirme que la plainte des auteurs est fondée sur des spéculations au sujet de la disparition de M. Krasovsky.
4.2Le Bélarus n’est pas membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et n’a pas participé à la rédaction du mémorandum de l’APCE présenté par M. Pourgourides. Ce mémorandum, cité par les auteurs, n’a donc aucune incidence sur le fond de l’affaire en question.
4.3Le 17 septembre 1999, les familles de M. Krasovsky et de M. Gonchar ont informé les autorités de police de Minsk de leur disparition. Le 20 septembre 1999, le bureau du Procureur de Minsk a ouvert une enquête pénale.
4.4Il a été établi au cours de l’enquête que la dernière fois que M. Gonchar et M. Krasovsky avaient été vus ils sortaient d’un établissement thermal et montaient dans une «Jeep Cherokee» appartenant à M. Krasovsky. Sur les lieux, les enquêteurs ont trouvé des fragments de plastique et de verre, des traces laissant supposer qu’une voiture avait freiné et heurté un arbre, et des traces de sang.
4.5D’après les examens médico-légaux effectués dans le cadre de l’enquête, les fragments de plastique et de verre pourraient provenir de la «Jeep Cherokee» appartenant à M. Krasovsky. Il a aussi été établi que le sang retrouvé était celui de M. Gonchar et non de M. Krasovsky.
4.6Pendant l’enquête, les autorités de police ont examiné plusieurs mobiles possibles pour ce crime, dont les relations personnelles, les connexions politiques et les affaires commerciales. Elles ont aussi donné suite aux informations diffusées dans la presse, selon lesquelles M. Gonchar et M. Krasovsky avaient été tués à l’aide d’un pistolet qui aurait été pris au centre de détention provisoire no 1. Ces allégations, formulées par Oleg Alkaev, ancien directeur du centre de détention provisoire no 1 et M. Lapatik, chef de la police criminelle de Minsk, ont fait l’objet d’une enquête qui a montré qu’elles étaient sans fondement.
4.7Les autorités de police ont aussi examiné les lieux où, selon certaines informations, M. Gonchar et M. Krasovsky avaient été enterrés. Aucun corps n’a été retrouvé. Dans le cadre de l’enquête, les autorités de police ont aussi interrogé deux suspects, I. et M., qui exécutent tous deux des peines pour d’autres crimes graves, et n’ont trouvé aucun lien avec l’affaire à l’examen.
4.8L’État partie fait aussi valoir que le colonel Pavlichenko, que les auteurs mentionnent dans leur communication, n’a jamais été soupçonné et n’a jamais été arrêté dans le cadre de cette affaire.
4.9Malgré toutes les mesures prises, les autorités ne savent toujours pas où se trouvent M. Gonchar et M. Krasovsky. L’enquête sur la disparition se poursuit et, tant qu’elle n’est pas arrivée à son terme, les informations restent confidentielles. L’État partie affirme que les allégations des auteurs concernant l’inaction des autorités de police et l’arrêt de l’enquête sont dénuées de fondement.
4.10Puisque l’enquête est toujours en cours, les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et le Comité devrait par conséquent déclarer la communication irrecevable.
Observations supplémentaires des auteurs
5.1Dans une lettre du 19 février 2010, les auteurs font valoir que, malgré la lettre de l’État partie en date du 20 octobre 2009, la communication doit être déclarée recevable car elle satisfait à toutes les conditions énoncées dans le Protocole facultatif.
5.2Les auteurs réaffirment que l’État partie n’a pas enquêté avec diligence sur la disparition de M. Krasovsky. Après la découverte de plusieurs pistes prometteuses pouvant mettre en cause des fonctionnaires de haut rang, l’enquête «s’est effondrée» et le 20 janvier 2003 elle a été officiellement suspendue. Le 23 juin 2003, l’enquête a été rouverte. Les auteurs déclarent que, tous les trois mois, elles reçoivent une lettre indiquant que l’enquête se poursuit.
5.3Pour appuyer leurs dires, les auteurs renvoient une nouvelle fois au mémorandum de l’APCE. Elles affirment que l’État partie ne devrait pas refuser de prendre en considération ce document qui contient des informations très importantes.
5.4Comme l’enquête n’a donné aucun résultat tangible en plus de dix ans, les auteurs ont épuisé tous les recours internes. Depuis la réouverture de l’enquête le 23 juin 2003, elles ont envoyé plusieurs lettres à la police pour s’enquérir de l’avancement de l’enquête.
5.5D’après la jurisprudence constante du Comité, la charge de la preuve ne peut pas reposer uniquement sur l’auteur d’une communication. L’État partie et l’auteur n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve. Les auteurs soutiennent qu’il est du devoir de l’État partie d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Comme aucun renseignement n’a été fourni, les auteurs font valoir qu’aucune enquête effective n’a été menée sur l’affaire par l’État partie.
5.6Le cas de M. Krasovsky a été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires, ce qui, selon les auteurs, ne devrait pas empêcher le Comité d’examiner l’affaire.
Observations supplémentaires de l’État partie
6.Dans des observations supplémentaires datées du 8 juillet 2010 et du 4 septembre 2010, l’État partie affirme à nouveau qu’il s’est acquitté de l’obligation que lui impose l’article premier du Protocole facultatif de recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, de sa part, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Il souligne qu’il n’a contracté aucune autre obligation au titre de l’article premier du Protocole facultatif. Il considère par conséquent que le Comité ne peut pas examiner des communications qui lui sont soumises par un tiers.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que la disparition de M. Krasovsky a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou par le Conseil des droits de l’homme, et dont le mandat consiste à examiner la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou des cas de violations massives des droits de l’homme dans le monde et d’établir des rapports publics à ce sujet, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de M. Krasovsky par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.
7.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui estime que le Comité ne peut pas examiner des communications qui lui sont soumises par un tiers, le Comité note que rien dans le Protocole facultatif n’empêche les auteurs de désigner un tiers pour recevoir la correspondance du Comité en leur nom. Le Comité note en outre que la pratique établie de longue date veut que les auteurs désignent un représentant de leur choix, non seulement pour recevoir leur correspondance, mais aussi pour les représenter devant le Comité. Dans le cas d’espèce, les auteurs ont présenté un pouvoir dûment signé permettant à leur conseil de les représenter devant le Comité. Le Comité considère par conséquent que, aux fins de l’article premier du Protocole facultatif, la communication a été présentée par les personnes qui se déclarent victimes elles-mêmes, par l’intermédiaire de leurs représentants dûment désignés.
7.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles, le Comité note que celles-ci déclarent qu’elles ont déposé un certain nombre de plaintes concernant la disparition de M. Krasovsky et l’inefficacité de l’enquête menée par le bureau du Procureur, en vain, et que l’enquête est en cours depuis 1999. Le Comité prend note des plaintes déposées par les auteurs le 9 octobre 2002, le 5 novembre 2002, le 20 novembre 2002, le 10 janvier 2003, le 3 février 2003 et à d’autres dates. Il constate que l’État partie n’a fourni aucun détail au sujet de l’enquête et n’a pas démontré que celle-ci se poursuit effectivement, compte tenu du caractère particulièrement grave des allégations et du manque manifeste de pistes depuis plusieurs années. L’État partie ne peut pas empêcher le Comité d’examiner une communication simplement en affirmant qu’une enquête, qui pour le moment n’a donné aucun résultat, est en cours. Dans ces circonstances, le Comité considère que les recours internes ont excédé des délais raisonnables. Il conclut par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.
7.5Le Comité considère que les allégations des auteurs sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et procède donc à leur examen au fond, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
8.2Le Comité note que les auteurs affirment que la disparition forcée de M. Krasovsky constitue une violation des articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte par l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les États parties, outre qu’ils doivent protéger efficacement les droits découlant du Pacte, doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles et utiles pour faire valoir ces droits. Le Comité note que les communications qui lui ont été soumises ne contiennent pas suffisamment d’informations pour déterminer la cause de la disparition de M. Krasovsky ou de son décès présumé, ou l’identité de toute personne susceptible d’avoir été impliquée dans l’affaire et ne font donc pas apparaître un lien suffisant entre la disparition de M. Krasovsky et les actes et activités de l’État partie qui auraient conduit à sa disparition. Dans ces circonstances, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’État partie lui-même a fait disparaître M. Krasovsky. Ils ne lui permettent pas non plus d’établir qu’il y a eu violation des articles 9 et 10 du Pacte.
8.3Le Comité rappelle que les États parties ont une obligation positive d’assurer la protection des personnes contre les violations des droits consacrés par le Pacte qui peuvent être commises non seulement par leurs agents mais aussi par des personnes privées, physiques ou morales. Le Comité renvoie également à son Observation générale no 31 selon laquelle les États parties doivent mettre en place des mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits (par. 15) et rappelle que l’ouverture d’une enquête pénale et l’engagement de poursuites judiciaires sont des mesures nécessaires en cas de violation de droits de l’homme comme ceux protégés par les articles 6 et 7 du Pacte. En l’espèce, le Comité relève que les nombreuses plaintes déposées par les auteurs n’ont pas conduit à l’arrestation d’une seule personne ou à l’engagement de poursuites. Il relève en outre que non seulement l’État n’a pas mené d’enquête appropriée mais aussi qu’il n’a pas expliqué à quel stade en est l’affaire, dix ans après la disparition de M. Krakovsky. En l’absence d’explications sur les raisons pour lesquelles l’enquête ne progresse pas et compte tenu des informations dont il dispose, le Comité conclut que l’État partie a manqué à ses obligations au titre du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 6 et l’article 7 en n’enquêtant pas comme il convient sur la disparition de M. Krasovsky et en ne prenant pas les mesures correctives nécessaires.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par le Bélarus du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6 et 7.
10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur les faits, à engager des poursuites et à prendre des sanctions contre les responsables, à communiquer les informations utiles sur les résultats des enquêtes et à verser une indemnité adéquate aux auteurs. L’État partie devrait aussi prendre des mesures pour que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement en bélarussien et en russe dans l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]
Appendice
Opinion individuelle (dissidente) de M. Fabián Omar Salvioli
1.J’ai le profond regret d’être en désaccord avec le Comité dans les constatations adoptées par la majorité à l’issue de l’examen de la communication no 1820/2008 (Krasovskaya c. Bélarus). Je suis dans l’obligation d’exposer clairement ma position, expliquée dans les paragraphes qui suivent.
2.La complexité des faits dont le Comité des droits de l’homme était saisi dans l’affaire Krasovskaya − et plus particulièrement le volume et la qualité de la preuve − l’ont conduit à conclure que le Bélarus était responsable d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec les articles 6 et 7.
3.Or, la responsabilité internationale d’un État engagée pour la violation d’un instrument international relatif aux droits civils et politiques est objective et la preuve n’est pas régie par les mêmes paramètres qu’en droit interne. En particulier, les représentants des victimes ne peuvent pas être tenus de présenter des preuves qu’il est impossible d’obtenir sans la coopération de l’État.
4.Dans la présente affaire, le Comité «relève que les nombreuses plaintes déposées par les auteurs n’ont pas conduit à l’arrestation d’une seule personne ou à l’engagement de poursuites. Il relève en outre que non seulement l’État n’a pas mené d’enquête appropriée mais aussi qu’il n’a pas expliqué à quel stade en est l’affaire, dix ans après la disparition de M. Krasovsky» (par. 8.3); au paragraphe précédent le Comité a noté que «les communications qui lui ont été soumises ne contiennent pas suffisamment d’informations pour déterminer la cause de la disparition de M. Krasovsky, ou de son décès présumé, ou l’identité de toute personne susceptible d’avoir été impliquée dans l’affaire et ne font donc pas apparaître un lien suffisant entre la disparition de M. Krasovsky et les actes et activités de l’État partie qui auraient conduit à sa disparition. Dans ces circonstances, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’État partie lui-même a fait disparaître M. Krasovsky» (par. 8.2).
5.Selon cette analyse, l’État partie bénéficie de sa propre inaction; il n’y a pas eu d’enquête suffisante ni même un minimum d’actions en justice; il n’y a eu aucun progrès sur la voie de l’arrestation ou du jugement de quiconque et par conséquent le Comité n’a aucun moyen de prouver que l’État est responsable de la disparition de la victime.
6.Toutefois, si la valeur voulue est accordée à des preuves indirectes et à des indices, la conclusion pourrait être différente: l’arrestation de M. Krasovsky et le harcèlement qu’il a subi pour ses activités de soutien à des membres de l’opposition politique, en particulier à M. Gonchar, sont établis; il est également prouvé qu’il a été arrêté par plusieurs personnes en même temps que ce dissident politique connu et que depuis cette arrestation il a disparu; enfin, il est confirmé que l’État n’a pas pris la moindre initiative pour diligenter une enquête suffisante sur les faits.
7.De surcroît, les auteurs ont présenté un mémoire rédigé par un Rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qui expose les résultats de l’enquête menée par cet organe sur quatre disparitions, dont celle de M. Krasovsky. L’État a répondu en indiquant qu’il n’est pas membre du Conseil de l’Europe − ce qui est vrai. Mais il ne s’agit pas de prendre en considération l’appartenance ou non du Bélarus au Conseil de l’Europe; il s’agit d’examiner la teneur d’une preuve écrite résultant d’une enquête liée directement à l’affaire. Le Comité aurait dû considérer que face à l’absence de réponse sur la preuve écrite, celle-ci pouvait être appréciée conformément aux critères de la saine critique.
8.C’est à l’État qu’il appartient de donner une explication convaincante de ce qui s’est passé; dans le cas contraire, la preuve devient pour les auteurs de la communication une probatio diabolica. L’enlèvement avait-il pour but le chantage? Cela ne semble pas être le mobile, puisque personne n’a demandé à la famille de l’argent contre la libération de la victime. S’agit-il d’un vol ordinaire? Dans l’affirmative, il faut se demander s’il était fréquent à l’époque des faits que ceux qui commettaient un vol sur le lieu des faits enlèvent leurs victimes, les exécutent et prennent la peine de «faire disparaître» les corps; l’État n’a donné aucune statistique criminelle sur la question. En l’absence d’une autre explication possible, l’activité politique de la victime et de la personne avec laquelle il se trouvait au moment de l’enlèvement, le harcèlement subi et l’inaction ultérieure de l’État qui n’a pas ouvert d’enquête, constituent des indices suffisants pour conduire le Comité à conclure que l’État partie est responsable au plan international de violations directes du droit à la vie, du droit à l’intégrité de la personne, du droit à la liberté et des garanties d’une procédure équitable.
9.Or le Comité, à cause de ce qu’il considère comme une insuffisance de preuves, a conclu que l’État partie était responsable seulement de ne pas avoir offert aux victimes un recours utile pour les violations des droits de l’homme éventuelles, ce qui est dérisoire au regard des caractéristiques de l’affaire à l’examen.
10.Il sera bientôt nécessaire que le Comité étudie en profondeur les critères d’appréciation des preuves à appliquer pour déterminer la responsabilité internationale des États au titre du Protocole facultatif. Les conclusions auront une incidence directe sur des questions essentielles, comme la réparation due en cas de violation.
[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]