Nations Unies

CCPR/C/103/D/1850/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

1er décembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1850/2008

Décision adoptée par le Comité à sa 103e session,17 octobre-4 novembre 2011

Présentée par:

S. L. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

14 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

26 octobre 2011

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter une communication; irrecevabilité ratione temporis; non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article du Pacte:

26

Article s du Protocole facultatif:

1er et 3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no 1850/2008 **

Présentée par:

S. L. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

14 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 octobre 2011,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, en date du 14 mars 2006, est S. L., de nationalité américaine par naturalisation, résidant aux États-Unis d’Amérique et née le 6 avril 1927 à Hradec Kràlové, en Tchécoslovaquie. Elle affirme être victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En août 1968, l’auteur et son mari, P. L., ont quitté la Tchécoslovaquie pour se rendre aux États-Unis d’Amérique où ils ont obtenu le statut de réfugiés. Le 23 juin 1970, ils ont été condamnés par défaut à sept mois d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens par le tribunal municipal de Prague pour avoir quitté le pays de manière illicite. En 1970, les biens ont été vendus par l’État à M. I. P., alors Vice-Ministre du commerce international. Ils ont ensuite été revendus par la fille de celui-ci qui en avait hérité. En 1977, l’auteur et son mari sont devenus citoyens des États-Unis et ont de ce fait perdu la nationalité tchécoslovaque.

2.2En 1991, le mari de l’auteur a pris contact avec un avocat, lequel lui a cependant indiqué qu’en vertu de la loi no 87/1991, il lui serait juridiquement impossible de récupérer les biens puisqu’il avait perdu sa nationalité tchécoslovaque. Le mari de l’auteur a alors écrit au nouveau propriétaire des biens pour lui demander de les lui restituer en sa qualité de propriétaire légitime, mais il s’est heurté à un refus. Après le décès de P. L., le fils du couple a demandé une consultation à un autre avocat à propos de la restitution de leurs biens. Le 20 mai 2003, il a reçu une lettre lui expliquant qu’il n’y avait aucun moyen de récupérer les biens vu que les lois relatives à la restitution étaient inapplicables aux Tchèques ayant perdu leur nationalité. L’auteur et son mari n’ont jamais demandé à être rétablis dans la nationalité tchèque, estimant que cela n’aurait aucun effet.

2.3L’auteur fait valoir qu’il ne lui reste aucun recours interne utile à épuiser compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle de la République tchèque de juin 1997 par laquelle la Cour a refusé de supprimer la condition de nationalité prévue dans les lois relatives à la restitution, dans un cas analogue au sien.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que la République tchèque a violé les droits qu’elle tient de l’article 26 du Pacte en appliquant la loi no 87/1991 qui fait de la nationalité tchèque une condition de la restitution de biens.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 mai 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il apporte des éclaircissements sur les faits présentés par l’auteur.

4.2L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur n’ayant pas épuisé les recours internes.

4.3L’État partie considère aussi que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif au motif que l’auteur ne fournit qu’un minimum de renseignements à propos des biens confisqués en 1970, dont elle réclame la restitution près de quarante ans après la confiscation. Tout en prenant acte de la jurisprudence du Comité selon laquelle le Protocole facultatif ne fixe aucun délai précis pour la présentation d’une communication et un simple retard dans la présentation d’une communication n’est pas en soi constitutif d’un abus, l’État partie considère qu’un délai de quarante ans constitue un abus du droit de présenter une communication au Comité.

4.4L’État partie estime aussi qu’il convient d’analyser la situation par rapport à un autre délai, ayant pour point de départ la date du dernier fait juridiquement pertinent, en l’absence de toute décision des juridictions internes dans le cas de l’auteur. En l’espèce, l’État partie considère que le dernier fait juridiquement pertinent est «l’expiration du délai accordé par les lois sur la restitution pour notifier la requête à la personne responsable qui possédait les biens litigieux», et il fait valoir que l’auteur a présenté sa communication au Comité onze ans après l’expiration des délais normaux pour engager les actions prévues par les lois de restitution, et que l’auteur ne mentionne aucun fait justifiant le délai de présentation de sa communication au Comité.

4.5L’État partie ajoute que la maison et le terrain en cause sont devenus la propriété de l’État en 1970, c’est-à-dire bien avant la ratification par la République socialiste tchécoslovaque du Protocole facultatif.

4.6Sur le fond, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant l’article 26, selon laquelle une différence de traitement fondée sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination interdite aux fins de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur ne remplissant pas la condition légale relative à la nationalité, sa demande de restitution des biens ne pouvait s’appuyer sur la législation en vigueur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 mars 2011, l’auteur a présenté ses commentaires à propos des observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. S’agissant de la présentation tardive de sa communication, elle affirme que les délais imposés pour le dépôt d’une réclamation auprès des autorités nationales n’étaient pas raisonnables et qu’il a fallu du temps pour réunir les renseignements nécessaires et préparer le dossier depuis l’étranger. L’auteur fait aussi référence à des difficultés familiales au moment où la procédure a été entamée.

5.2L’auteur rappelle aussi qu’à deux reprises, sa famille a pris contact avec des avocats dans le but d’engager des actions devant les juridictions internes et ainsi épuiser les recours internes. À chaque fois, il a été conseillé à l’auteur, son mari et son fils, de ne pas compter sur la loi tchèque pour faire valoir leurs droits car elle ne leur laissait aucune chance de succès.

5.3Sur le fond, l’auteur affirme être victime d’une violation des droits qu’elle tient du Pacte puisqu’elle n’a pas pu réclamer la restitution des biens de sa famille en raison de sa nationalité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note les arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et la communication devrait être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de présenter une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du retard avec lequel elle a été présentée au Comité. L’auteur fait valoir qu’il n’existait aucun recours interne utile et que le retard de onze ans auquel l’État partie fait référence s’explique par le temps qu’il a fallu aux avocats consultés par la famille pour lui dire de ne pas engager de procédure, par un manque d’information, et par les délais qui ont été nécessaires pour se procurer et fournir des renseignements et des documents depuis l’étranger.

6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence établie selon laquelle, aux fins du Protocole facultatif, l’auteur d’une communication n’a pas besoin d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci sont réputés inutiles. Le Comité relève que la famille de l’auteur a été informée en 1991 et de nouveau en 2003 qu’en raison des conditions prévues par la loi no 87/1991, l’auteur ne pouvait pas réclamer la restitution des biens parce qu’elle et son mari n’avaient plus la nationalité tchèque. Le Comité note à ce propos que d’autres auteurs de plaintes ont contesté sans succès la constitutionnalité de cette loi, que les constatations qu’il a déjà formulées dans des affaires analogues n’ont pas été suivies d’effet et que, malgré ces plaintes, la Cour constitutionnelle a réaffirmé en juin 1997 la constitutionnalité de la loi no 87/1991 relative à la restitution des biens. Le Comité conclut que l’auteur ne disposait d’aucun recours utile.

6.5Le Comité relève que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation des communications. Le Comité fait observer que conformément à l’article 96 c) de son règlement intérieur, qui s’appliquera aux communications reçues après le 1er janvier 2012, il doit s’assurer que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Pour le moment, le Comité suit sa jurisprudence qui établit qu’une communication peut constituer un abus lorsqu’elle est présentée après un délai exceptionnellement long, sans raisons suffisantes pour justifier ce retard.

6.6Le retard avec lequel l’auteur a soumis la présente communication ne peut pas être calculé à partir de la date d’épuisement des recours internes puisque l’auteur n’a pas exercé les recours internes réputés inutiles. Il convient de signaler que l’auteur ne laisse pas entendre qu’elle et son mari ont été dissuadés de saisir les juridictions internes par crainte de représailles ou pour des considérations analogues. L’auteur a soumis la présente communication en mars 2006, soit environ quinze ans après qu’elle-même et son mari eurent été informés qu’il n’existait aucun recours interne utile, près de onze ans après l’adoption par le Comité de ses constatations dans l’affaire Simunek, et près de neuf ans après la décision de la Cour constitutionnelle de l’État partie qui a établi l’absence de recours interne. L’auteur cite comme causes du retard des difficultés familiales et les problèmes logistiques liés à la conduite d’une procédure depuis l’étranger. Dans des cas présentant des délais comparables après l’épuisement des recours internes, le Comité a conclu à un abus du droit de présenter une communication. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que le délai est déraisonnable et excessif au point de constituer un abus du droit de présenter une communication, et que la communication est de ce fait irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]