Nations Unies

CCPR/C/102/D/1478/2006

Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Distr. générale*

15 septembre 2011

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

102esession

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1478/2006

Présentée par:

Nikolai Kungurov (représenté par un conseil, Morris Lipson)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

17 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le21 juin 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoptiondes constatations:

20 juillet 2011

Objet:

Refus d’enregistrement d’une association de défense des droits de l’homme par les autorités de l’État partie

Questions de procédure:

Actio popularis

Questions de fond:

Droit à la liberté d’expression; droit à la liberté d’association; restrictions autorisées

Articles du Pacte:

2, 19 et 22

Article du Protocole facultatif:

1

Le 20 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations concernant la communication no 1478/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1478/2006**

Présentée par:

Nikolai Kungurov (représenté par un conseil, Morris Lipson)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

17 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1478/2006 présentée au nom de Nikolai Kungurov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Nikolai Kungurov, de nationalité ouzbèke, né en 1962, habitant à Yangiyul, en Ouzbékistan. Il se déclare victime de violations par l’Ouzbékistan des droits consacrés à l’article 19 et à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lus conjointement avec l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 28 décembre 1995. La communication est présentée par un conseil, M. Morris Lipson, agissant en coopération avec l’organisation non gouvernementale «Article 19».

1.2Le 11 octobre 2006, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément du fond, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité. Le 17 octobre 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé, au nom du Comité, d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 4 juin 2003, avec 11 autres personnes, l’auteur a tenu l’assemblée constituante d’une organisation non gouvernementale appelée «Démocratie et Droits», qui a adopté ses statuts. D’après les statuts, les buts et les objectifs de l’ONG «Démocratie et Droits» étaient notamment la promotion et le renforcement de la primauté du droit, la protection de l’égalité et la sauvegarde des droits et libertés de tous les individus vivant en Ouzbékistan. Les activités prévues pour poursuivre ces objectifs, énumérées au paragraphe 2.1 des statuts, comportaient la surveillance de la pratique législative et juridique, l’élaboration de recommandations sur des questions relatives aux droits de l’homme à l’intention des organes du Gouvernement, la surveillance des atteintes aux droits de l’homme et l’aide aux victimes de violations et la diffusion d’une information sur la protection des droits de l’homme dans tout le pays.

2.2Autour du 5 août 2003, en prévision de la soumission de la demande d’enregistrement de l’ONG «Démocratie et Droits», l’auteur s’est rendu au Ministère de la justice pour obtenir des renseignements sur ce qu’il faudrait écrire dans la requête. Les fonctionnaires qui lui ont répondu lui ont donné des renseignements tirés de règles d’enregistrement qui n’avaient plus cours. L’auteur a fait remarquer que de nouvelles règles étaient récemment entrées en vigueur et on lui a dit que le Ministère de la justice continuait d’appliquer les anciennes. Peu de temps après, un autre membre de la future ONG s’est rendu au Ministère de la justice pour obtenir de plus amples renseignements sur l’enregistrement et s’est entendu dire qu’aucune ONG qui entendait consacrer son action au domaine des droits de l’homme n’obtiendrait l’enregistrement.

Première demande d’enregistrement

2.3Le 7 août 2003, l’auteur a déposé les documents nécessaires auprès du Ministère de la justice, à Tachkent, et a acquitté des frais d’enregistrement correspondant à 20 mois de salaire minimum (c’est-à-dire environ 160 dollars des États-Unis). L’organisation demandait à être enregistrée en tant qu’ONG nationale, ce qui lui permettrait de mener à bien le volet de ses activités consacré à la diffusion de l’information dans le pays tout entier.

2.4La loi applicable fixe aux autorités un délai de deux mois pour répondre aux demandes d’enregistrement; l’auteur aurait donc dû recevoir une réponse officielle avant le 7 octobre 2003. Comme il n’avait pas de réponse, il est allé au Ministère de la justice le13 octobre 2003. Un fonctionnaire lui a appris qu’une décision avait été prise mais il a refusé d’en donner une copie à l’auteur. Le lendemain, un coursier est arrivé sur le lieu de travail de l’auteur porteur d’une copie d’une lettre du Ministère de la justice datée du8 octobre 2003.

2.5Dans cette lettre (première lettre de rejet), le Ministère de la justice indiquait que la demande d’enregistrement était retournée «sans avoir été examinée». À ce sujet, l’auteur souligne que l’article 23 de la loi relative aux organisations non gouvernementales à but non lucratif (la loi relative aux ONG) énonce clairement qu’il peut y avoir seulement deux réponses possibles à une demande d’enregistrement, en disposant que «l’organe de justice … doit étudier la demande d’enregistrement et rendre une décision octroyant ou rejetant l’enregistrement» (italique ajouté). Or l’article 3, paragraphe 3, des règles pour l’examen des demandes d’enregistrement des statuts des associations publiques fonctionnant sur le territoire de la République d’Ouzbékistan (Règle d’enregistrement des associations publiques) prévoit une troisième catégorie de réponse: l’autorité chargée de l’enregistrement peut ne pas examiner une requête et la renvoyer «sans examen». Les demandes peuvent être laissées «sans examen» quand certains des documents nécessaires manquent ou dans «les circonstances mentionnées» à l’article 2 (relatif au contenu des documents à joindre à la demande) ou quand le nom demandé est déjà utilisé par une autre association publique enregistrée. L’auteur se réfère à l’avis juridique du directeur du barreau de Tachkent (avis juridique) qui conclut notamment que, eu égard aux dispositions explicites de la loi relative aux ONG et de la loi relative aux associations publiques dans la République d’Ouzbékistan (loi sur les associations publiques), il est illégal de renvoyer des demandes d’enregistrement sans les avoir examinées.

2.6L’auteur fait valoir que la différence peut être considérable si une demande d’enregistrement est laissée «sans examen» au lieu d’être rejetée. En effet, l’article 26 de la loi relative aux ONG garantit la possibilité de faire recours auprès des tribunaux en cas de rejet de la demande d’enregistrement et l’article 7 du règlement relatif à l’enregistrement des associations publiques également, mais l’article 8 de ce même règlement dispose que, si une demande est renvoyée «sans examen», le recours approprié est de soumettre à nouveau la demande «après avoir corrigé les défauts». Il ajoute que par conséquent la décision de retourner une demande sans l’avoir examinée n’est pas nécessairement susceptible de recours devant un tribunal.

2.7La première lettre de rejet contenait une liste de 26 «défauts» devant être corrigés dans les documents soumis aux fins d’enregistrement. Ces défauts étaient de nature très différente. Certains étaient d’ordre stylistique ou grammatical, d’autres portaient sur de prétendues difficultés au sujet de la façon dont l’organisation était structurée et d’autres encore portaient sur certaines des activités proposées. Les principaux «défauts» étaient que: 1) le titre des statuts aurait dû être écrit en caractères latins et qu’il fallait remplacer le mot «sociétal» par «public»; 2) la date de naissance des membres fondateurs de «Démocratie et Droits» n’était pas indiquée sur la liste des noms des membres; 3) certains sigles devaient être développés; 4) le nom «Comité d’Ouzbékistan pour la protection des droits individuels» était illégal, conformément à l’article 46 du Code civil, et devait être supprimé dans les paragraphes 6.1 et 6.2 des statuts; 5) plusieurs parties des statuts [devaient] être éditées de façon à corriger des erreurs de grammaire et de style; 6) la compétence de l’Assemblée générale devrait être étendue de façon à prévoir la faculté de modifier les statuts et d’autres documents constitutifs; 7) les mots «cour d’arbitrage» et «tribunal d’arbitrage» [devaient] être supprimés dans le paragraphe 1.3 des statuts parce que la législation ouzbèke ne prévoit pas l’existence de cours ou de tribunaux d’arbitrage; 8) chacune des activités énoncées au paragraphe 2.1 des statuts, principale disposition énonçant les activités proposées de l’association «Démocratie et Droits», relevait de la «compétence des organes de l’État et [devait] donc être revue intégralement»; 9) en violation de la condition qu’il fallait être une ONG nationale (et non locale), les documents produits ne montraient pas que l’association «Démocratie et Droits» était active dans certaines régions du pays, notamment dans la République du Karakalpakstan ainsi que «dans la ville de Tachkent et dans certaines provinces».

2.8Le 5 novembre 2003, l’auteur a formé recours directement auprès de la Cour suprême contre le renvoi de sa demande d’enregistrement. Le droit de s’adresser à la Cour suprême pour contester le rejet d’une demande d’enregistrement est explicitement prévu à l’article 12 de la loi relative aux associations publiques. Au nombre des pièces soumises pour son recours, l’auteur joignait un mémoire (le mémoire de novembre 2003). Dans une décision datée du 12 novembre 2003, la Cour suprême a conseillé à l’auteur de «déposer une plainte présentant [ses] arguments et des témoignages au tribunal civil interdistrict compétent».

2.9En date du 14 décembre 2003, l’auteur s’est adressé au tribunal interdistrict Mirzo-Ulugbek de la ville de Tachkent (le tribunal interdistrict) et lui a soumis le mémoire de novembre 2003. Dans ce mémoire, il faisait valoir de façon détaillée qu’aucune des objections sur le fond soulevées dans la première lettre de rejet n’était fondée en droit. En particulier, il montrait en détail qu’aucune loi n’exigeait qu’une organisation non gouvernementale qui voulait se faire enregistrer comme organisation nationale prouve qu’elle était présente dans toutes les régions du pays. L’auteur renvoie à l’avis juridique qui confirme notamment que la dernière condition est effectivement contraire à la loi ouzbèke.

2.10L’auteur reconnaissait bien dans le mémoire de novembre 2003 qu’il y avait trois erreurs techniques dans les documents joints à la demande d’enregistrement. Il s’agissait d’erreurs qui pouvaient être rectifiées en quelques minutes et ces erreurs ne justifiaient pas le refus d’enregistrer «Démocratie et Droits», refus que le mémoire qualifiait d’«illégal». L’auteur faisait valoir également dans son mémoire que le renvoi de sa demande «sans examen» était contraire à la loi relative aux ONG, qui ne prévoit que deux possibilités: l’approbation ou le refus exprès de l’enregistrement. Il se réfère à l’avis juridique qui confirme que les renvois «sans examen» sont contraires à la loi ouzbèke. Enfin, dans le mémoire de novembre 2003, l’auteur affirmait que le refus d’enregistrer «Démocratie et Droits» en tant qu’ONG nationale constituait une violation de l’article 22 du Pacte.

2.11À l’audience du tribunal interdistrict, le représentant du Ministère de la justice a affirmé que même un seul «défaut» suffisait à justifier le renvoi d’une demande d’enregistrement «sans examen» et que l’auteur avait reconnu lui-même que sa demande présentait certains «défauts». Le tribunal interdistrict s’est prononcé contre l’auteur dans une décision en date du 12 février 2004. Les motifs étaient les suivants: 1) l’auteur n’avait pas «joint la liste du groupe de membres fondateurs avec leur date de naissance en trois exemplaires, certifiée par un notaire» − et ce alors que l’auteur avait expliqué qu’il avait bien joint cette liste dans le dossier original et avait joint au mémoire de novembre 2003 une copie de la liste certifiée par notaire, portant la date de naissance de tous les membres du groupe fondateur; 2) les statuts «contenaient des dispositions qui enfreignaient la loi en vigueur», notamment: a) ils mentionnaient des cours d’arbitrage, juridictions qui n’existent pas en Ouzbékistan − alors que dans le mémoire de novembre 2003 il était clairement précisé que la référence à ces tribunaux avait été introduite pour viser la possibilité d’un arbitrage dans un pays tiers comme la Fédération de Russie au cas où «Démocratie et Droits» aurait affaire avec des organisations non gouvernementales ou d’autres organismes russes; b) «une organisation publique individuelle ne peut pas se fixer comme but la protection des droits et libertés de tous les citoyens de la République d’Ouzbékistan»; et 3) les statuts se contredisaient puisqu’il était dit au paragraphe 1.1 que «Démocratie et Droits» opérerait sur le territoire de la République d’Ouzbékistan et au paragraphe 4.1 que «Démocratie et Droits» pouvait créer des «filiales dans plusieurs districts de Tachkent, sans mentionner d’autres territoires […]».

2.12Le tribunal a dit en outre qu’il avait «tenu compte» du fait que l’auteur avait «en partie reconnu» le bien-fondé des commentaires faits par les agents qui avaient rédigé la première lettre de rejet au sujet des statuts et a ajouté que «Démocratie et Droits» avait «présenté une demande identique à la première». Enfin, le tribunal n’a pas répondu à l’argument de l’auteur qui faisait valoir que le non-enregistrement de «Démocratie et Droits» constituait une violation de l’article 22 du Pacte. L’auteur note qu’aucune autre juridiction dans d’autres procédures n’a répondu à cet argument.

2.13À une date non précisée, l’auteur a formé recours de la décision du tribunal interdistrict auprès de la Chambre des affaires civiles du tribunal de la ville de Tachkent (le tribunal de la ville de Tachkent). Le 30 mars 2004, le tribunal a confirmé la décision rendue en première instance, et l’a en réalité répétée. Ce tribunal a relevé lui aussi que l’auteur avait «en partie reconnu» le bien-fondé de l’avis du Ministère de la justice au sujet des statuts. Il a noté que la deuxième demande d’enregistrement avait été rejetée et a fait remarquer que l’auteur pouvait «déposer une plainte auprès d’un tribunal au sujet du réexamen de la décision au vu de nouvelles circonstances».

2.14Le 12 avril 2004, l’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême pour demander la révision des décisions du tribunal interdistrict et du tribunal de la ville de Tachkent. En date du 20 avril 2004, la Cour suprême a transmis le pourvoi au Président du tribunal de la ville de Tachkent. Ce dernier a rendu sa décision le 26 avril 2004, considérant que «les décisions judiciaires sur l’affaire [étaient] justifiées et [qu’il] ne [voyait] pas de motif pour contester ces décisions». Le tribunal a réaffirmé que l’auteur avait reconnu que la première demande présentait des «défauts» et a fait observer que l’auteur était libre de soumettre une nouvelle demande d’enregistrement «à condition qu’elle soit conforme aux normes prévues dans la législation en vigueur».

2.15Le 3 septembre 2004, l’auteur a de nouveau demandé à la Cour suprême la révision des décisions du tribunal interdistrict et du tribunal de la ville de Tachkent. Une fois encore toutefois, la Cour suprême a renvoyé la plainte au tribunal de district de Tachkent, qui a répondu le 11 novembre 2004 comme suit (texte intégral): «Votre plainte, qui a été renvoyée par la Cour suprême, a été examinée. Soyez avisé que vous avez reçu une réponse détaillée à la plainte de la même teneur en date du 26 avril 2004.». À ce stade, et étant donné que la Cour suprême avait refusé par deux fois d’examiner la demande de recours en révision, l’auteur a conclu qu’il serait vain de tenter encore d’obtenir un examen approfondi des décisions précédentes et il n’a plus engagé d’action par la voie judiciaire.

Deuxième demande d’enregistrement

2.16Le 27 décembre 2003, l’auteur a soumis au Ministère de la justice une deuxième demande d’enregistrement, dans laquelle il avait apporté trois corrections «techniques» seulement. Il présentait dans la demande une argumentation détaillée pour réfuter les affirmations faites dans la première lettre de rejet qui affirmait que les «défauts de fond» de la première demande rendaient la demande irrégulière en droit.

2.17En date du 1er mars 2004, le Ministère de la justice a répondu par une lettre indiquant qu’une fois encore la demande n’avait pas été examinée. Après avoir fait remarquer d’une manière générale que «les défauts signalés dans la [première lettre de rejet] n’ont pas été entièrement rectifiés», la lettre relevait trois «défauts» précis: 1) «l’existence de sections» dans d’autres régions que Tachkent n’avait pas été démontrée; 2) le paragraphe 1.1 des statuts, qui établit que l’association serait présente sur le territoire de la République d’Ouzbékistan, était «en contradiction» avec le paragraphe 4.1 qui dispose que «Démocratie et Droits» peut créer des «filiales dans plusieurs districts de Tachkent, sans mentionner d’autres territoires», et était incompatible avec l’article 21 de la loi relative aux ONG; 3) le «Ministère de la protection des droits de l’homme», cité dans la troisième partie des statuts, n’existait pas.

2.18L’auteur n’a pas essayé une troisième fois d’obtenir l’enregistrement de l’association, considérant qu’une telle tentative était vouée à l’échec et, bien que «Démocratie et Droits» n’ait pas réussi à obtenir l’enregistrement en tant qu’ONG nationale, l’auteur et à peu près six autres membres de l’association ont continué à mener bon nombre des activités prévues dans les statuts, même en sachant qu’en tant que membres d’un groupe non enregistré leurs activités leur font courir le risque de poursuites pénales et de sanctions administratives. L’auteur précise que mener des activités en tant que groupe relevant de la définition donnée à l’article 2 de la loi relative aux ONG sans être enregistré en tant qu’ONG peut effectivement engager la responsabilité des membres. Par exemple, l’article 37 de la loi relative aux ONG dispose que quiconque commet une violation des dispositions de cette loi sera «poursuivi conformément à la loi». De plus, l’article 216 du Code pénal interdit la «participation active aux actions [d’associations publiques illégales]» − et dispose que toute «association publique» qui mène des activités sans être enregistrée est illégale. Les peines peuvent être un emprisonnement allant jusqu’à cinq ans, une «détention allant jusqu’à six mois» ou une amende d’un montant équivalent à 50 à 100 mois de salaire minimum. Plusieurs dispositions adoptées en 2005 ont augmenté le montant maximal de certaines amendes administratives pour les porter à 150 mois de salaire minimum et ont créé, entre autres nouvelles infractions, l’infraction consistant à «solliciter la participation à l’activité d’ONG, de mouvements et de sectes illégaux».

Demande d’exercice de la liberté d’information

2.19Convaincu qu’il trouverait des preuves solides montrant qu’une grande proportion d’ONG locales qui avaient souhaité se livrer à des activités de promotion des droits de l’homme s’étaient vu refuser le droit d’être enregistrées, l’auteur a déposé le 1er août 2005 une demande d’exercice de la liberté d’information auprès du Ministère de la justice, conformément au droit que confère la loi relative aux principes et garanties pour la liberté d’information. Il demandait à avoir accès au dossier indiquant le nom de toutes les organisations non gouvernementales qui avaient déposé une demande d’enregistrement auprès du Ministère de la justice, ainsi que le nom et les coordonnées de toutes celles dont la demande avait été rejetée et les motifs du rejet. En outre, l’auteur a demandé une copie du «registre d’État unifié portant les noms et les domaines d’activité de toutes les ONG enregistrées».

2.20Conformément à l’article 9 de la loi relative aux principes et garanties pour la liberté d’information, le Ministère de la justice était tenu de répondre à la demande dans les trente jours. Or il n’a répondu en fait que dans une lettre datée du 14 octobre 2005 (plus d’un mois plus tard) mais dont le cachet de la poste indiquait le 25 novembre 2005 (près de trois mois plus tard). Le Ministère de la justice signalait dans cette lettre que l’auteur pouvait obtenir les renseignements qu’il voulait auprès du Département des associations publiques et des organisations religieuses du Ministère. Peu après, l’auteur s’est adressé au chef de ce Département pour lui demander un rendez-vous et pour avoir accès aux documents qui l’intéressaient. Le chef du Département lui a répondu qu’il n’avait pas le temps de s’occuper de ce genre de demande et que l’auteur ne pouvait pas consulter sur place les documents. À ce stade, l’auteur a conclu que le Ministère de la justice n’avait aucune intention de lui permettre d’accéder aux documents et qu’il serait inutile d’insister. Il a donc renoncé à poursuivre son action dans ce domaine.

Obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles

2.21En ce qui concerne les faits exposés plus haut, l’auteur fait valoir que tous les recours internes disponibles ont été épuisés et que toute nouvelle tentative serait vaine. Il affirme que la deuxième demande d’enregistrement ne représente pas une reconnaissance que la première demande avait été illégale; et même si c’était le cas, l’argument majeur de la communication n’en serait pas pour autant invalidé. Tout en étant convaincu que la première demande était parfaitement conforme à la loi applicable, l’auteur a apporté certaines modifications mineures aux documents avant de les soumettre une deuxième fois, simplement pour prouver sa bonne foi dans toute la procédure, dans l’espoir d’obtenir l’enregistrement de «Démocratie et Droits».

2.22L’auteur fait valoir que même si le Comité considère que la deuxième demande, qui a été corrigée sur quelques points techniques, est une reconnaissance de la part de l’auteur que la première demande présentait certaines failles juridiques, cette reconnaissance ne saurait en aucune manière invalider le grief de violation de certains des droits consacrés par le Pacte constituée par le rejet de la première demande. Comme il ressort de la communication, c’est l’application du régime d’enregistrement lui-même à la première demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» − que la demande ait été ou non «légitime» en droit interne − qui a entraîné une violation des droits que l’auteur tient du Pacte.

2.23L’auteur précise que «Démocratie et Droits» voulait diffuser une information sur les droits de l’homme dans tout le pays mais en rassemblant les informations uniquement dans la capitale. L’association ne pouvait pas se permettre d’ouvrir des antennes régionales et de toute façon elle n’en avait pas besoin pour les buts qu’elle se proposait. Or la lettre qui retournait la deuxième demande réitérait l’accusation faite dans la lettre de renvoi «sans examen» de la première demande, qui était que l’auteur n’avait pas montré que «Démocratie et Droits» était présente dans toutes les régions du pays. L’auteur rappelle qu’il avait fait valoir devant les juridictions internes quand il était question de sa première demande que l’obligation d’être présente dans les régions n’avait aucun fondement en droit et constituait une violation directe des articles 22 et 19 du Pacte. Or ces arguments ont été rejetés par le tribunal interdistrict comme par le tribunal de la ville de Tachkent. La Cour suprême a confirmé les conclusions des deux tribunaux. L’auteur fait donc valoir que s’il avait contesté le deuxième renvoi de la demande «sans examen», le résultat aurait été rigoureusement le même.

2.24L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité confirmant que la règle de l’épuisement des recours internes n’oblige pas à former les recours qui n’ont objectivement aucune perspective d’aboutir et qu’une décision préalable sur un point de droit contestant la position d’un plaignant rend vaine la soumission par le même requérant du même grief. Il affirme donc qu’il aurait été vain d’essayer de contester en justice le deuxième refus d’enregistrement étant donné qu’il avait déjà présenté tous les arguments − et qu’il avait perdu − contre la condition que l’association soit présente dans toutes les régions pour pouvoir être enregistrée en tant qu’ONG nationale.

Teneur de la plainte

Loi et pratique de l’État partie en ce qui concerne l’enregistrement des organisations non gouvernementales

3.1Le premier des principaux griefs de l’auteur est que le régime d’enregistrement des organisations non gouvernementales appliqué par l’État partie laisse la porte ouverte à beaucoup d’abus étant donné que les agents de l’État ont un pouvoir discrétionnaire très étendu pour rejeter les demandes ou pour les renvoyer «sans examen». Ce pouvoir discrétionnaire apparaît évident non seulement dans la liste des documents exigés pour l’enregistrement, qui n’est pas limitée, mais aussi dans l’imprécision de certains des motifs avancés pour rejeter les demandes d’enregistrement. L’auteur ajoute qu’il y a également des règles et règlements (par exemple les dispositions qui créent la nouvelle catégorie de renvoi «sans examen» ou exigeant la preuve d’une représentation de l’association dans toutes les régions du pays comme condition pour être enregistrée en tant qu’ONG nationale) qui n’ont pas de fondement en droit et laisse entendre que le processus de réglementation lui-même n’impose quasiment aucune restriction de forme aux agents chargés de l’examen des demandes, qui sont libres de suivre leur idée.

3.2Le deuxième des griefs principaux, avancé sur la base des entretiens menés par l’organisation «Article 19» en préparation de la présente communication auprès de 15 ONG candidates à l’enregistrement qui souhaitent se consacrer à la défense des droits de l’homme, est que l’État partie applique la procédure d’enregistrement d’une façon totalement abusive, de telle sorte que la grande majorité des personnes qui veulent faire valoir leur droit de s’associer en groupes constitués pour surveiller la situation des droits de l’homme dans leur pays et informer le grand public ne peuvent tout simplement pas le faire. L’auteur affirme qu’en fait, comme le montrent sa communication et les témoignages d’autres personnes dont la demande a été rejetée, le pouvoir discrétionnaire très étendu accordé aux fonctionnaires chargés de l’enregistrement revient dans la pratique à leur donner un pouvoir illimité, dont ils usent sans hésiter pour rejeter à leur guise les demandes d’enregistrement.

3.3À l’appui de ce qu’il avance, l’auteur joint une analyse approfondie du droit et de la pratique de l’État partie en ce qui concerne l’enregistrement des ONG, des copies des textes législatifs applicables et des témoignages d’autres ONG donnant une description détaillée et documentée de leurs vaines tentatives pour obtenir ou conserver le statut d’ONG enregistrée [une étude de 53 pages et deux gros dossiers contenant des documents].

3.4L’auteur reconnaît que le Comité n’est pas «appelé à faire la critique dans l’abstrait des lois promulguées par les États parties» et que «[l]e rôle assigné au Comité par le Protocole facultatif consiste à déterminer si les conditions des restrictions imposées à la liberté d’expression sont remplies dans les communications qui lui sont soumises». D’un autre côté, toutefois, le Comité n’a pas hésité à souligner l’incompatibilité intrinsèque de certaines lois avec le Pacte et a engagé les États à les abroger ou à les modifier dans de tels cas.

Article 22 du Pacte

3.5L’auteur fait valoir que le régime d’enregistrement des ONG appliqué par l’État partie constitue une violation de l’article 22 du Pacte, d’une façon générale et tel qu’il est appliqué spécifiquement pour empêcher l’enregistrement de «Démocratie et Droits» en tant qu’ONG nationale. Il souligne que le Comité a reconnu le rôle crucial des ONG qui ont des activités de défense des droits de l’homme. L’auteur ajoute que le Comité s’est souvent déclaré préoccupé de ce que les régimes d’enregistrement des ONG imposent parfois des restrictions à la liberté d’association qui peuvent ne pas répondre au strict critère de nécessité retenu dans la jurisprudence du Comité et dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité a en outre exprimé par deux fois la préoccupation que lui inspirait le régime d’enregistrement appliqué par l’Ouzbékistan, qui est en cause dans la présente communication.

3.6L’auteur fait valoir que le Comité a très clairement exprimé l’avis que les régimes d’enregistrement d’ONG qui prévoient un système d’autorisation préalable, comme le fait le régime ouzbek, enfreignent l’article 22 du Pacte: «L’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique pour permettre aux organisations non gouvernementales d’exercer leurs attributions sans entraves incompatibles avec les dispositions de l’article 22 du Pacte, telles que l’autorisation préalable, […].». La reconnaissance par le Comité que même un système d’enregistrement qui a l’air «anodin» peut être appliqué de telle manière qu’il équivaut dans les faits à un système d’autorisation préalable est particulièrement pertinente pour la présente communication; comme l’a écrit le Comité, «si la législation régissant la création et le statut des associations est à première vue compatible avec l’article 22 du Pacte, dans les faits, la pratique de l’État partie a limité le droit à la liberté d’association, avec la mise en place d’une procédure d’autorisation préalable et de contrôle».

a)La liberté d’association a été restreinte

3.7L’auteur renvoie à la conclusion du Comité qui a établi que les dispositions législatives restreignant l’enregistrement des associations publiques pouvaient soulever des questions au regard notamment de l’article 22 du Pacte, et il avance qu’il ne fait aucun doute que le refus d’enregistrer «Démocratie et Droits» en tant qu’ONG a constitué une restriction de la liberté d’association des membres et en particulier de la liberté de l’auteur. Étant donné que s’ils se livrent aux activités prévues dans les statuts de «Démocratie et Droits» alors que l’association n’est pas enregistrée, les membres risquent des poursuites pénales et administratives, le régime d’enregistrement a représenté (et représente toujours) une restriction particulière grave de la liberté d’association de l’auteur et, du reste, des membres de toute organisation non gouvernementale des droits de l’homme locale.

b)La restriction n’est pas prévue par la loi

3.8L’auteur fait valoir que le renvoi de la demande d’enregistrement «sans examen» n’est pas prévu par la loi. Comme le Comité l’a bien établi, pour être prévue par la loi une restriction doit répondre à des critères précis. À son avis, pour qu’une loi satisfasse au critère de la nécessité d’être «prévue par la loi», elle doit être rédigée en termes suffisamment clairs pour que des citoyens ordinaires comprennent ce que l’on attend d’eux et une loi qui confère dans les faits des pouvoirs illimités aux personnes chargées de veiller à son application ne peut pas satisfaire à ce critère. L’auteur ajoute que, si le Comité n’a pas une jurisprudence très fournie concernant l’octroi de pouvoirs discrétionnaires au regard de l’article 22, il a eu l’occasion de faire des observations sur des pouvoirs discrétionnaires contestables dans un domaine étroitement lié à l’article 22, celui de la liberté d’expression. Plus précisément, il s’est déclaré préoccupé de ce que les régimes d’enregistrement ou de licence (pour les médias) qui accordent aux agents chargés de les appliquer un trop grand pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de refuser ou de retirer l’enregistrement ou la licence peuvent contrevenir à l’article 19 du Pacte. L’auteur ajoute que, comme le montre la pratique systématiquement abusive du régime d’enregistrement ouzbek, il est tout simplement impossible pour qui que ce soit de savoir ce que doit comporter une demande d’enregistrement pour être sûr que le Ministère de la justice l’acceptera.

3.9L’auteur fait valoir que les raisons avancées pour refuser d’enregistrer «Démocratie et Droits» n’étaient pas raisonnablement prévisibles (voir par. 2.7 et 2.9). En particulier, il n’était pas possible de prévoir que «Démocratie et Droits» devait prouver qu’elle était physiquement présente dans toutes les régions puisque la loi applicable prévoit seulement que, s’il s’agit d’une ONG nationale, ses activités (par exemple la diffusion d’informations) peuvent être déployées dans de nombreuses régions. Il n’était pas possible non plus de prévoir que les activités de défense des droits de l’homme que «Démocratie et Droits» entendait mener ne pouvaient pas être inscrites dans ses statuts, parce que la première lettre de rejet ne précisait pas quelles activités de quels organes de l’État pouvaient être incompatibles avec les activités proposées par l’association.

3.10L’auteur demande au Comité de conclure que l’utilisation de pouvoirs discrétionnaires par les fonctionnaires du Ministère de la justice pour retourner sans l’examiner la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» n’était pas prévue par la loi. L’auteur demande aussi instamment au Comité d’envisager de considérer d’une façon plus générale que dans tous les cas un pouvoir discrétionnaire trop étendu permettant à des fonctionnaires d’autoriser ou de refuser l’enregistrement d’une ONG est incompatible avec la condition fixée à l’article 22 du Pacte qui veut qu’une restriction doit être «prévue par la loi», aussi anodin que puisse sembler le système d’enregistrement. Si toutefois le Comité ne voulait pas se prononcer sur la question d’une façon aussi générale, l’auteur lui demande instamment de conclure (en plus de constater que le refus d’enregistrer «Démocratie et Droits», en particulier, n’était pas prévu par la loi) que dans quasiment tous les cas la probabilité est grande que le rejet d’une demande d’enregistrement d’une ONG par des fonctionnaires ouzbeks ne soit pas prévu par la loi, et par conséquent que le régime d’enregistrement ouzbek lui-même n’est pas prévu par la loi.

c)Le refus d’enregistrement n’est pas justifié par un but légitime

3.11L’auteur fait valoir que rien dans la législation applicable et, de même, rien dans les décisions rendues par les tribunaux au sujet de «Démocratie et Droits» ne permet d’avoir une idée du but que le régime d’enregistrement est censé servir. Il ajoute que, même si le Comité était disposé à accepter qu’une certaine forme de régime d’application générale pour les ONG pourrait servir un but réputé légitime au regard de l’article 22, il est évident que bon nombre des conditions réelles imposées par le régime d’enregistrement ouzbek ne sont pas et ne peuvent pas être au service d’un but légitime.

3.12L’auteur rappelle que «Démocratie et Droits» a appris qu’elle ne pouvait pas mener les activités de défense des droits de l’homme qu’elle se proposait parce que celles-ci relevaient de la compétence exclusive de certains organes (non précisés) de l’État. D’après l’auteur, le Comité a contré cet argument en expliquant que «le libre fonctionnement des organisations non gouvernementales est indispensable à la protection des droits de l’homme et à la diffusion d’une information concernant les droits de l’homme parmi la population […]» et que par conséquent les États parties doivent «faciliter la création de ces ONG et leur fonctionnement sans entraves, conformément à l’article 22 du Pacte». L’auteur affirme que ni la santé ni la moralité publiques ne pourraient être menacées quand des violations des droits de l’homme sont mises au grand jour par des ONG. Il demande donc au Comité de conclure que cet aspect du régime ouzbek qui, dans les faits, interdit toute activité de défense des droits de l’homme par les ONG quand l’État lui-même pourrait également exercer le même genre d’activité constitue une violation de l’article 22 du Pacte, et que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits», en partie en raison des activités de défense des droits de l’homme qu’elle entendait mener, représentait une violation des droits que l’auteur tient de l’article 22 du Pacte.

3.13L’auteur dit qu’on ne voit absolument pas comment la subordination de l’enregistrement d’une association en tant qu’ONG nationale à l’obligation d’être présente dans chaque région du pays, condition qui va bien au-delà de la condition obligeant simplement une ONG à s’identifier, pourrait être considérée comme justifiée dans l’intérêt d’un but réputé légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Il demande donc au Comité de conclure que l’obligation d’être présent dans toutes les régions est en soi une violation de l’article 22 du Pacte car elle ne vise aucun but légitime, et que le rejet de l’enregistrement de «Démocratie et Droits» au motif que l’association n’avait pas prouvé qu’elle était présente dans toutes les régions constitue une violation de l’article 22 de la Convention.

3.14L’auteur demande aussi au Comité de conclure que le fonctionnement de tout le système d’enregistrement ouzbek, tel qu’il s’applique aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme locales en général et à «Démocratie et Droits» en particulier, vise un unique but, illégitime, et est incompatible avec l’article 22 du Pacte étant donné qu’il empêche l’enregistrement d’ONG de défense des droits de l’homme.

d)Le refus d’enregistrer l’association n’était pas nécessaire pour atteindre un quelconque but légitime

3.15L’auteur se réfère à la jurisprudence du Comité et fait valoir qu’il appartient à l’État partie de montrer que les restrictions à la liberté d’association sont «nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique», pour un ou plusieurs buts légitimes énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 ou pour l’ordre démocratique lui-même «et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif». Il considère que le régime d’enregistrement ouzbek ne peut pas satisfaire à ce critère.

Article 19 du Pacte

3.16L’auteur dit que lui-même et les autres membres de son association voulaient joindre leurs efforts pour recueillir des informations sur la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan, puis faire partager cette information au public. Le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement leur a en fait interdit de mener des activités essentielles pour la liberté d’expression et a constitué une violation des droits consacrés par l’article 19 du Pacte. En ce qui concerne la jurisprudence du Comité, l’auteur fait valoir que les droits qu’il tient de l’article 19 ont été violés parce que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» n’était pas prévu par la loi, ne visait pas un quelconque but légitime énoncé à l’article 19 et en aucun cas n’était nécessaire pour atteindre un but légitime.

a)La liberté d’expression a été restreinte

3.17L’auteur avance que, même si le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement n’a pas porté directement atteinte aux droits de l’un quelconque des membres de recueillir et diffuser cette information eux-mêmes, individuellement, il est beaucoup plus efficace de mener des actions de communication en tant que groupe et cela correspond beaucoup mieux aux aspirations légitimes des communicants. L’auteur relève que d’après le Comité, seuls des individus, et non des associations (y compris des ONG), peuvent lui présenter des communications en vertu du Protocole facultatif. Il fait valoir toutefois que cette réserve ne constitue pas un empêchement dans le cas de la présente communication puisque le Comité a déjà explicitement reconnu que le droit à la liberté d’expression des individus était étroitement lié à leurs actions tendant à communiquer par l’intermédiaire de groupes. L’auteur affirme donc que les efforts qu’il fait pour coopérer avec d’autres dans la collecte et la diffusion d’une information relative aux droits de l’homme, en voulant s’associer avec eux dans l’organisation «Démocratie et Droits», concernaient directement le droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 du Pacte. Par conséquent le refus d’enregistrer l’association a constitué une restriction de ce droit.

b)La restriction n’est pas prévue par la loi

3.18L’auteur fait valoir que la pratique systématiquement abusive du régime d’enregistrement des ONG montre qu’il n’avait aucune possibilité de savoir ce qu’il fallait faire pour obtenir l’enregistrement de «Démocratie et Droits»; de même, l’application de ce système prouve que les fonctionnaires du Ministère ont bien un pouvoir discrétionnaire illimité leur permettant de rejeter arbitrairement les demandes d’enregistrement et que «Démocratie et Droits» a été victime de ce pouvoir abusif. Par conséquent, l’auteur demande au Comité de conclure que le renvoi «sans examen» de sa demande d’enregistrement n’était pas prévu par la loi aux fins de l’article 19.

c)La restriction n’est pas justifiée par un but légitime

3.19L’auteur demande au Comité de conclure, au vu de l’application systématiquement abusive du régime d’enregistrement des ONG, que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» ne poursuivait aucun but réputé légitime énoncé à l’article 19.

d)La restriction n’était pas nécessaire aux fins d’un but légitime

3.20Pour ce qui est des «défauts» de fond de la demande d’enregistrement, l’auteur fait valoir que la restriction générale du droit de communiquer sur des questions relatives aux droits de l’homme par l’intermédiaire de «Démocratie et Droits» ne peut en aucun cas être nécessaire aux fins d’un quelconque but du Gouvernement, qui serait la promotion ou la protection des droits de l’homme, étant donné qu’elle est disproportionnée. De plus, les autorités de l’État partie n’ont pas apporté de justification détaillée et spécifique, comme l’exige l’article 19 du Pacte, pour interdire l’activité de communication de l’association dans le domaine des droits de l’homme. Quant aux «défauts» techniques, l’auteur se réfère à la jurisprudence du Comité et fait valoir que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement a été arbitraire et par conséquent n’était pas nécessaire pour la poursuite d’un but légitime prévu à l’article 19.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note verbale du 11 octobre 2006, l’État partie a répondu en contestant la recevabilité de la communication, sans toutefois avancer d’arguments précis en vertu des articles 1er, 2, 3, 4 ou 5, paragraphe 2, du Protocole facultatif.

4.2Sur le fond, l’État partie répète les faits de l’affaire tels qu’ils sont résumés aux paragraphes 2.3, 2.9, 2.11 et 2.13 et ajoute que des défauts ont été constatés pendant l’examen des documents statutaires soumis par «Démocratie et Droits», comme suit: 1) les documents n’indiquent pas le mandat du Comité; 2) les activités proposées enfreignent la loi relative aux associations publiques, la loi relative aux ONG et le paragraphe 1.1 des propres statuts de l’association; 3) la liste des membres fondateurs de l’association n’avait pas été certifiée par un notaire et ne donnait pas la date de naissance des membres fondateurs, en contravention des règles fixées pour enregistrer une association publique; 4) d’après le paragraphe 1.1 des statuts, «Démocratie et Droits» opère dans les régions d’Ouzbékistan sans produire les documents requis des sections régionales des associations publiques, ce qui contrevient aux règles d’enregistrement des associations publiques; 5) le paragraphe 1.1 des statuts contredit le paragraphe 4.1 car la lettre signée par l’auteur le 10 décembre 2003 indique que «Démocratie et Droits» n’a pas de section locale. Conformément à l’article 21 de la loi relative aux ONG, une association publique de ce type ne peut pas avoir le statut d’organisation nationale; 6) le paragraphe 8.5 des statuts n’est pas conforme aux articles 53 à 56 du Code civil et à l’article 36 de la loi relative aux ONG. En date du 8 octobre 2003, le Ministère de la justice a informé l’auteur que sa demande d’enregistrement n’avait pas été examinée et lui a conseillé de déposer une nouvelle demande quand les défauts constatés auraient été corrigés.

4.3L’État partie fait valoir que l’auteur a demandé au tribunal interdistrict d’annuler la décision du Ministère de la justice de ne pas examiner la demande d’enregistrement, au motif qu’elle lui était parvenue le 13 octobre 2003, soit passé le délai fixé pour l’examen d’une demande. L’État partie rappelle la décision du tribunal interdistrict du 12 février 2004, dans laquelle il était expliqué qu’en vertu de l’article 11 de la loi relative aux associations publiques et de l’article 3 du règlement sur l’enregistrement des associations publiques, la demande d’enregistrement des statuts d’une association publique devait être examinée dans les deux mois suivant réception. L’organe d’enregistrement devait alors prendre une des trois décisions suivantes: enregistrer, refuser d’enregistrer ou ne pas examiner la demande.

4.4D’après l’État partie, comme il ressort des documents de l’affaire civile, le projet de statuts contenait un certain nombre de clauses qui n’étaient pas conformes à la législation: les paragraphes 1.1 et 4.1 des statuts ne donnaient pas une description claire du statut juridique de l’association et ne définissaient pas clairement ses objectifs; de plus, dans le paragraphe 1.3 il était question de «cours d’arbitrage», qui n’existent pas dans le système juridictionnel ouzbek.

4.5L’État partie note que le temps que le tribunal interdistrict rende sa décision, l’auteur avait déposé une deuxième demande d’enregistrement sans toutefois avoir rectifié les défauts constatés. C’est pourquoi cette demande a également été retournée sans avoir été examinée par décision du Ministère de la justice en date du 27 février 2004.

4.6L’État partie précise que, d’après l’explication que l’auteur avait donnée quand son recours a été examiné par le tribunal de la ville de Tachkent, il contestait la décision du Ministère de la justice sur sa deuxième demande d’enregistrement. Ces nouveaux griefs ne pouvaient toutefois pas être examinés par le tribunal de la ville de Tachkent puisqu’ils n’avaient pas été soulevés devant la juridiction de première instance. Le tribunal de la ville de Tachkent a confirmé la décision de la juridiction du premier degré et a rejeté le recours par une décision motivée. Parallèlement, l’auteur a été avisé qu’il pouvait demander la révision d’une décision judiciaire qui était déjà exécutoire, si de nouveaux éléments étaient apportés.

4.7Pour toutes ces raisons et conformément aux dispositions du Protocole facultatif, l’État partie considère que la communication est irrecevable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 11 décembre 2006, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il dit qu’il a relevé, dans la réponse de l’État partie, deux principaux arguments avancés pour contester la recevabilité de sa communication.

5.2Premièrement, il est possible que l’État partie veuille dire qu’il a lui-même objecté devant le tribunal de la ville de Tachkent que le renvoi de la deuxième demande d’enregistrement était inopportun. L’État partie semblerait faire valoir sur ce point que, étant donné que l’auteur n’a pas contesté le renvoi de la deuxième demande devant la juridiction de première instance, il ne pouvait pas valablement le contester devant la cour d’appel. Par conséquent, le renvoi de cette demande ne peut pas faire grief dans la communication au Comité parce que les recours internes dans le cas de cette deuxième demande n’ont pas été épuisés. Deuxièmement, il est possible que l’État partie fasse valoir que la décision du tribunal de la ville de Tachkent en ce qui concerne la première demande d’enregistrement était valable et conforme au droit interne. Étant donné que la décision du tribunal de première instance était «justifiée», c’est-à-dire valable conformément au droit interne, le Comité ne devrait pas examiner la communication.

5.3En ce qui concerne le premier argument de l’État partie, l’auteur rappelle qu’il a contesté devant les juridictions nationales et dans le contexte de sa communication au Comité le premier renvoi «sans examen» seulement, et que tous les recours disponibles ont été épuisés pour la première demande. De plus, dans toute la procédure judiciaire nationale, il a fait valoir que le rejet effectif de la première demande d’enregistrement motivée par l’un quelconque des «défauts» allégués, y compris les défauts «techniques», enfreignant les règles internes, constituait une violation du Pacte. Même si le renvoi de la deuxième demande d’enregistrement n’est pas l’objet des griefs portés devant le Comité, l’auteur note qu’il aurait été vain de contester ce renvoi devant un tribunal parce que deux des trois raisons données par les autorités de l’État partie pour rejeter la deuxième demande étaient exactement les mêmes que les raisons dont la validité a été confirmée par le tribunal interdistrict et par le tribunal de la ville de Tachkent (et non contestée par la Cour suprême) pour constituer un fondement correct du renvoi de la première demande.

5.4Pour ce qui est du deuxième argument avancé par l’État partie, l’auteur fait valoir que même si le renvoi de la première demande d’enregistrement était correct et conforme à la loi ouzbèke, il n’était pas conforme au Pacte. Il affirme que la restriction imposée au droit d’association et d’expression qui résulte du renvoi de la première demande était illégale en vertu du Pacte pour les raisons suivantes: 1) elle n’était pas «prévue par la loi» au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte; 2) elle n’était pas «prévue par la loi» au sens du paragraphe 3 de l’article 19; 3) elle ne visait pas un but réputé légitime énoncé dans le paragraphe 2 de l’article 22 ou le paragraphe 3 de l’article 19; 4) elle n’était pas «nécessaire» à la protection d’un but légitime comme l’exigent le paragraphe 2 de l’article 22 ou le paragraphe 3 de l’article 19. L’auteur note que dans ses observations l’État partie ne traite absolument aucun des arguments de fond développés dans la communication sur ces questions et n’avance aucun argument pour montrer que le renvoi de la première demande d’enregistrement était conforme aux dispositions du Pacte.

Observations supplémentaires de l’auteur

6.Dans une note verbale datée du 26 février 2007, l’auteur présente une comparaison entre les faits et les décisions du Comité dans les affaires Zvozskov et consorts c. Bélarus et Korneenko et consorts c. Bélarus et les faits et les arguments avancés par lui-même dans la présente communication. Il fait valoir que le régime d’enregistrement bélarussien fonctionne d’une façon très similaire à celui de l’Ouzbékistan, qu’il conteste dans la communication. L’auteur fait valoir que les faits dans la présente communication imposent exactement la même conclusion relativement au critère de «nécessité» que dans les deux communications citées, c’est-à-dire que le refus d’enregistrer «Démocratie et Droits» constitue une violation de l’article 22 dans la mesure où il n’était pas nécessaire pour un but réputé légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Parallèlement, l’auteur demande au Comité d’envisager d’étendre sa jurisprudence relative aux régimes d’enregistrement des organisations non gouvernementales abusifs au-delà de ces deux décisions. En particulier, étant donné l’ampleur et le caractère systématique de l’application abusive du système d’enregistrement ouzbek par les fonctionnaires du Ministère, le Comité devrait décider, sur le fondement des arguments développés dans la présente communication, que 1) le fonctionnement réel du système d’enregistrement ouzbek tel qu’il est appliqué aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme n’est pas prévu par la loi, et 2) le système ne vise aucun but réputé légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication sans toutefois avancer d’arguments précis relevant des articles 1er à 5, paragraphe 2, du Protocole facultatif. Il note aussi que l’auteur affirme que la communication porte uniquement sur le premier renvoi «sans examen». En l’absence d’objection de la part de l’État partie au sujet de l’épuisement des recours internes dans le cas de la première demande d’enregistrement pour «Démocratie et Droits», le Comité considère que les conditions fixées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies en ce qui concerne cette partie de la communication.

7.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation de l’article 19 et de l’article 22 du Pacte, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit avant tout déterminer si le refus des autorités de l’État partie d’enregistrer «Démocratie et Droits» constitue une restriction du droit à la liberté d’association de l’auteur et si cette restriction était justifiée. Le Comité note que la loi ouzbèke interdit aux associations publiques qui ne sont pas enregistrées de mener leurs activités sur le territoire de l’État et établit la responsabilité pénale et administrative pour les membres individuels de ces associations non enregistrées qui se livrent aux activités décrites dans leurs statuts. À ce sujet, le Comité relève que le droit à la liberté d’association non seulement comprend le droit de constituer une association mais garantit aussi le droit de cette association de mener à bien librement les activités prévues dans ses statuts. La protection accordée par l’article 22 s’étend à toutes les activités d’une association, et le refus de l’État d’enregistrer une association doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 de cet article.

8.3Dans la présente affaire, la décision du Ministère de la justice de renvoyer la première demande d’enregistrement sans l’avoir examinée, qui a été confirmée par le tribunal interdistrict et le tribunal de la ville de Tachkent, repose sur la non-conformité supposée des documents joints à la demande de «Démocratie et Droits» avec deux conditions de fond prévues par la loi ouzbèke: 1) «Démocratie et Droits» ne doit pas se livrer à des activités relatives aux droits de l’homme qui relèvent de la compétence d’un organe officiel; et 2) elle doit être physiquement présente dans toutes les régions du pays; en outre, il y avait des «défauts» techniques dans les documents soumis par l’association. Étant donné que, d’après les autorités de l’État partie, même un unique «défaut» suffirait à justifier le renvoi d’une demande d’enregistrement «sans examen», ces prescriptions de fond et d’ordre technique constituent des restrictions de facto et doivent être appréciées à la lumière des conséquences qu’elles entraînent pour l’auteur et l’association «Démocratie et Droits».

8.4Le Comité note que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction à la liberté d’association doit satisfaire à toutes et à chacune des conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut être imposée que pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 2; c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» dans l’intérêt de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» dans le contexte de l’article 22 indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris de celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent la pierre angulaire d’une société démocratique.

8.5Pour ce qui est des conditions de fond, le Comité note tout d’abord que les autorités de l’État partie n’ont pas précisé quelles étaient les activités qui pouvaient être incompatibles avec les activités proposées dans les statuts de «Démocratie et Droits» dans le domaine des droits de l’homme et de quels organes de l’État elles relevaient. Il note ensuite que l’auteur et l’État partie ne sont pas d’accord sur la question de savoir si la loi ouzbèke exige effectivement une présence physique dans chacune des régions du pays pour pouvoir prétendre au statut d’association publique nationale, ce qui l’autorise à diffuser des informations partout dans le pays. Le Comité estime que même si ces restrictions et d’autres étaient précises et prévisibles et étaient bien prévues par la loi, l’État partie n’a pas avancé d’arguments montrant pourquoi ces restrictions subordonnant l’enregistrement d’une association à une limitation de la portée de ses activités dans le domaine des droits de l’homme, qui doivent être réduites à des questions indéterminées sur lesquelles les organes de l’État ne mènent pas d’activités, ou à l’existence de sections régionales de «Démocratie et Droits» seraient nécessaires, aux fins du paragraphe 2 de l’article 22.

8.6Pour ce qui est des conditions d’ordre technique, le Comité note que les parties ne sont pas d’accord sur l’interprétation de la loi et que l’État partie n’a apporté aucun argument pour montrer quels étaient les nombreux «défauts» des documents joints à la demande d’enregistrement qui pouvaient donner lieu à l’application des restrictions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Même si les documents de «Démocratie et Droits» n’étaient pas parfaitement conformes aux prescriptions de la loi nationale, la réaction des autorités de l’État partie qui ont refusé l’enregistrement était disproportionnée,

8.7Étant donné les conséquences graves pour l’exercice du droit à la liberté d’association de l’auteur du refus de l’enregistrement par l’État de «Démocratie et Droits», ainsi que l’illégalité dans laquelle tombent en Ouzbékistan les associations qui mènent leurs activités sans être enregistrées, le Comité conclut que ce refus ne remplit pas les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 22 ont donc été violés.

8.8En ce qui concerne l’article 19 du Pacte, l’auteur fait valoir avec une argumentation très détaillée que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement a effectivement empêché les autres membres de «Démocratie et Droits» et lui-même de mener des activités qui sont fondamentales pour la liberté d’expression, c’est-à-dire de rassembler des informations sur la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan puis de les diffuser auprès du grand public. Il fait valoir que le refus d’enregistrer l’association constitue une violation des droits consacrés à l’article 19 du Pacte dans la mesure où il n’est pas «prévu par la loi» et ne vise pas un but légitime, au sens du paragraphe 3 de l’article 19. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le droit à la liberté d’expression des individus est lié à leur action tendant à communiquer par l’intermédiaire d’associations et est donc protégé par l’article 19. Le Comité note que l’article 19 autorise des restrictions uniquement si elles sont prévues par la loi et si elles sont nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il rappelle que le droit à la liberté d’expression a une importance primordiale dans toute société et que toute restriction apportée à son exercice doit être rigoureusement justifiée.

8.9Dans la présente affaire, le Comité est d’avis que l’application de la procédure d’enregistrement de «Démocratie et Droits» n’a pas permis à l’auteur d’exercer son droit à la liberté d’expression, en particulier le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, selon la définition énoncée au paragraphe 2 de l’article 19. Le Comité note que l’État partie n’a pas tenté de répondre aux griefs spécifiques de l’auteur et n’a pas non plus avancé d’arguments montrant que les conditions qu’il fixe, qui sont des restrictions de facto au droit à la liberté d’expression et qui s’appliquent au cas de l’auteur, sont compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le Comité considère donc que le renvoi «sans examen» de la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» a également entraîné une violation du droit que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 22, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte, seul et lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation correspondant à un montant au moins égal à la valeur actuelle des dépenses engagées par lui dans le cadre de la demande d’enregistrement de «Démocratie et Droits» en tant qu’ONG nationale et de tous frais de justice qu’il a acquittés. L’État partie devrait réexaminer la demande d’enregistrement de l’auteur à la lumière de l’article 19 et de l’article 22 du Pacte et veiller à ce que les lois et pratiques régissant l’enregistrement et les restrictions imposées soient compatibles avec le Pacte. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Salvioli

1.Je souscris à la décision du Comité des droits de l’homme qui a conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 22, seul et lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans l’affaire Nikolai Kungurov c. Ouzbékistan (communication no 1478/2006).

2.Toutefois, pour les raisons exposées ci-après, je considère que le Comité aurait dû conclure que dans cette affaire l’État est responsable également d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et indiquer dans la partie consacrée au recours utile que l’État devrait modifier sa législation afin de la rendre compatible avec le Pacte.

3.Depuis que je suis membre du Comité, je maintiens que dans une communication émanant d’un particulier il est possible d’examiner une éventuelle violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte conformément aux normes actuelles concernant la responsabilité internationale de l’État en matière de droits de l’homme; je n’ai pas de raison de m’écarter de l’argumentation exposée aux paragraphes 6 à 11 de l’opinion individuelle que j’avais formulée pour la communication no 1406/2005 au sujet de la responsabilité internationale engagée pour des actes normatifs, de la faculté qu’a le Comité d’appliquer le paragraphe 2 de l’article 2 dans le contexte de communications émanant de particuliers, des critères d’interprétation qui doivent guider le Comité pour apprécier s’il s’est produit des violations et constater ces violations et, enfin, au sujet des conséquences pour ce qui est de la réparation demandée: je renvoie donc à cette argumentation.

4.Dans la présente affaire il s’agit de l’application concrète, au détriment de M. Nikolai Kungurov, d’un texte législatif clairement incompatible avec le Pacte. Comme il est indiqué dans le paragraphe 3.5 des constatations du Comité, l’auteur «fait valoir que le régime d’enregistrement des ONG appliqué par l’État partie constitue une violation du paragraphe 22 du Pacte, d’une façon générale et tel qu’il est appliqué spécifiquement…»; c’est pourquoi, (par. 1.1) l’auteur «se déclare victime de violations par l’Ouzbékistan des droits consacrés à l’article 19 et à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lus conjointement avec l’article 2» (non souligné dans la décision).

5.La constatation d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte dans un cas précis a des incidences concrètes sur le plan de la réparation, en particulier en ce qui concerne les mesures demandées pour que des faits analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. Dans l’affaire à l’examen, il existe précisément une victime de l’application d’une disposition législative incompatible avec le Pacte, ce qui écarte toute interprétation concernant une position in abstracto de la part du Comité des droits de l’homme.

6.Le Comité n’est pas une juridiction constitutionnelle mais il est bien une juridiction conventionnelle; suite à la ratification du Pacte, tous les pouvoirs de l’État (exécutif, législatif et judiciaire) doivent procéder à un examen de la conformité de leurs actes avec l’instrument, afin d’éviter que la responsabilité internationale de l’État ne soit engagée pour des violations des droits des personnes placées sous sa juridiction, du fait de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec le Pacte.

7.La fonction du Comité est d’appliquer le droit sans être nécessairement soumis aux considérations juridiques des parties; indépendamment de cela, dans la présente affaire l’auteur a invoqué une violation possible de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 22, il a mis en cause le régime juridique appliqué, en lui-même, et bien que dans le dossier les allégations formulées soient très claires sur ce point le Comité garde un silence incompréhensible à ce sujet. Les dispositions du «règlement relatif à l’enregistrement des associations publiques» ainsi que de la «loi relative aux organisations non gouvernementales à but non lucratif» sont en contradiction flagrante avec le Pacte puisqu’elles accordent aux autorités de l’État un pouvoir de décision absolument arbitraire, ce qui s’est vérifié dans l’affaire.

8.Comme le Comité s’abstient de se prononcer sur une éventuelle violation de l’article 2 du Pacte, la forme de recours indiquée dans sa décision est insuffisante: il demande de «… veiller à ce que les lois et pratiques régissant l’enregistrement et les restrictions imposées soient compatibles avec le Pacte…» ce qui est certes important mais ne règle pas le problème soulevé dans l’affaire. Si, comme l’a affirmé le Comité «… l’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir», il aurait fallu également signaler l’obligation pour l’État partie de modifier sa législation concernant l’inscription et l’enregistrement des ONG, de façon à la rendre compatible avec les dispositions du Pacte et, sur le fond, il aurait fallu établir une violation de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

(Signé) Fabián Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]