Nations Unies

CCPR/C/102/D/1535/2006

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

15 septembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1535/2006

Présentée par:

Nataliya Litvin (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Viktor Shchetka (fils de l’auteur)

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

15 juin 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

19 juillet 2011

Objet:

Condamnation à l’emprisonnement à vie prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de procédure:

Incompatibilité ratione materiae

Questions de fond:

Interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants; droit à un procès équitable; droit à la présomption d’innocence; droit d’interroger des témoins et d’obtenir la comparution de témoins à décharge; droit à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure

Articles du Pacte:

7, 14 (par. 1, 2, 3 e) et g) et 5)

Article du Protocole facultatif:

3

Le 19 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1535/2006.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1535/2006 **

Présentée par:

Nataliya Litvin (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Viktor Shchetka (fils de l’auteur)

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

15 juin 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1535/2006 présentée au nom de M. Viktor Shchetka, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 15 juin 2006, est Mme Nataliya Litvin, de nationalité ukrainienne, née en 1949. Elle présente la communication au nom de son fils, M. Viktor Shchetka, également de nationalité ukrainienne, né en 1973, qui, à la date de la lettre initiale, exécutait une peine d’emprisonnement à Zhitomir (Ukraine). L’auteur affirme que son fils est victime de violation des droits qu’il tient des articles 7 et 14 (par. 1, 2 et 3 e) et 5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représentée. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 11 juillet 2000, une sœur de la femme du fils de l’auteur a été tuée dans l’appartement des beaux-parents de celui-ci, où il résidait provisoirement. La victime était dénudée et ses effets personnels dispersés dans tout l’appartement. D’après la version initiale des enquêteurs, la victime avait été violée et tuée. Lorsque le fils de l’auteur est rentré au domicile dans la soirée du 11 juillet 2000, on lui a demandé de se rendre au poste de police du district pour témoigner.

2.2Au poste de police, on a dit au fils de l’auteur qu’il était le seul à avoir pu violer et tuer la sœur de sa femme. L’auteur affirme que le responsable de l’enquête a officiellement désigné son fils comme étant l’auteur du viol et du meurtre, y compris dans des documents officiels comme la décision d’effectuer un examen médico-légal en date du 11 juillet 2000. Pendant vingt-quatre heures, les policiers ont essayé d’obliger le fils de l’auteur à s’avouer coupable. Il a été humilié de diverses manières, privé d’eau et de sommeil, et il n’a pas été autorisé à utiliser les toilettes. On lui a également refusé de consulter un avocat. L’auteur affirme que dans la soirée du 12 juillet 2000, les policiers ont commencé à torturer son fils. Il a été menotté, suspendu à un crochet en métal et frappé à la tête. On lui a aussi mis un masque à gaz et les policiers bloquaient le passage de l’air. À la suite de cela, il a eu une crise cardiaque et a écrit des aveux (où il déclarait avoir violé, tué et dispersé les effets) sous la dictée des policiers, qui le corrigeaient constamment. Peu après, vers 23 h 30 le 12 juillet 2000, un rapport relatif à la détention du fils de l’auteur en tant que suspect a été établi, suivi d’un compte rendu de l’interrogatoire, qu’il a été obligé de signer sous la menace de tortures supplémentaires. Ces actes d’enquête ont été effectués en l’absence d’un avocat.

2.3Dans la matinée du 13 juillet 2000, le fils de l’auteur a été transféré du poste de police du district au centre de détention provisoire (KPZ-23-GOM), où il a été interrogé par l’enquêteur principal du bureau du Procureur, M. K., en l’absence d’un avocat. Au cours de l’interrogatoire, il est revenu sur ses aveux et a affirmé qu’ils lui avaient été extorqués par la torture. Il a également demandé à l’enquêteur de ne pas être mis en contact avec les policiers qui l’avaient récemment torturé. Cet interrogatoire a été consigné et filmé. Cependant, aucune enquête sur les allégations de torture n’a été menée.

2.4La nuit du 13 au 14 juillet, deux policiers sont venus au centre de détention provisoire (KPZ-23-GOM), et ont torturé le fils de l’auteur parce qu’il était revenu sur ses aveux. Le matin du 14 juillet, l’enquêteur K. lui a rendu visite et lui a demandé pourquoi il avait changé d’avis et s’était rétracté. Le fils de l’auteur a nié toute responsabilité dans les crimes et a refusé de parler à l’enquêteur tant qu’il ne serait pas autorisé à consulter un avocat.

2.5L’auteur affirme que les avocats de son fils ont été empêchés de rencontrer celui-ci et que les responsables de l’enquête ont délibérément refusé de leur dire où il se trouvait, malgré plusieurs requêtes adressées au bureau du Procureur. Ce n’est que le 18 juillet 2000, soit sept jours après l’arrestation et alors que les traces de torture s’étaient atténuées, que son fils a été autorisé à voir un avocat. Le lendemain, le 19 juillet 2000, l’avocat a déposé une requête auprès du Procureur du district de Minsk, indiquant que son client présentait des traces de torture et demandant un examen médical immédiat. Le 20 juillet 2000, l’avocat a porté plainte auprès du Procureur du district de Minsk pour les actes illégaux de l’enquêteur principal, K., qui, abusant de ses pouvoirs, avait privé son client des services d’un avocat pendant six jours, et a demandé au Procureur d’ouvrir une enquête pour comportement illégal. Une plainte similaire a été adressée au Procureur général de l’Ukraine. Le 29 juillet 2000, l’avocat a été informé que l’enquête interne n’avait pas recueilli suffisamment d’éléments de preuve contre M. K. Le bureau du Procureur était tenu de faire procéder à un examen médical et d’ouvrir une enquête sur les allégations de torture du fils de l’auteur, mais il l’a fait de manière inefficace. Le personnel du bureau du Procureur a refusé dans un premier temps d’enregistrer officiellement la requête. Le 28 septembre 2000, l’enquêteur principal K. a refusé d’engager une action pénale contre les policiers qui avaient torturé le fils de l’auteur, indiquant que les allégations de celui-ci n’étaient pas confirmées. M. K. a déclaré notamment que, le 12 juillet 2000, le fils de l’auteur avait spontanément adressé des aveux écrits au Procureur du district de Minsk et qu’il ne s’était pas plaint de torture, et qu’il avait été examiné le 12 juillet 2000 par un médecin qui n’avait constaté aucune trace de torture. D’après l’auteur, K. savait très bien que cet examen médical avait eu lieu la matinée du 12 juillet, alors que le fils de l’auteur avait été torturé dans la soirée du 12 juillet et pendant la nuit du 13 au 14 juillet. De plus, K. a dissimulé le fait qu’il avait enregistré par vidéo l’interrogatoire du fils de l’auteur qu’il avait mené le 13 juillet 2000. K. a affirmé que le fils de l’auteur s’était plaint pour la première fois de torture et était revenu sur ses aveux le 25 juillet 2000 seulement. Tous les documents vidéo ont été retirés du dossier de l’affaire parce qu’ils montraient que le fils de l’auteur était revenu sur ses aveux et qu’il présentait des traces visibles de torture. D’après l’auteur, lors d’une audience tenue ultérieurement, K. a reconnu qu’il avait interrogé son fils le 13 juillet 2000 et que celui-ci était revenu sur les aveux qui lui avaient été extorqués par la torture. M. K. a également reconnu qu’il avait retiré du dossier de l’affaire le compte rendu de l’interrogatoire et tout autre document mentionnant cet interrogatoire.

2.6Le 16 août 2000, le fils de l’auteur s’est plaint auprès du bureau du Procureur de la ville de Kiev, affirmant qu’il avait été torturé. C’était la première plainte qu’il pouvait rédiger lui-même car depuis qu’il avait été torturé, il ne pouvait plier les doigts pour tenir un stylo. Cette plainte n’a pas été versée à son dossier et le tribunal a ultérieurement rejeté la demande de l’avocat de l’utiliser comme élément de preuve.

2.7Le 12 décembre 2000, la chambre judiciaire des affaires pénales de la ville de Kiev (tribunal de première instance) a reconnu le fils de l’auteur coupable d’un certain nombre d’infractions, et notamment de détention illégale d’armes blanches et de meurtre aggravé de viol, et l’a condamné à l’emprisonnement à vie. Pendant les audiences, le fils de l’auteur s’est plaint des pressions physiques et psychologiques exercées par la police. Il a déclaré que ses aveux lui avaient été extorqués par la torture, que le rapport sur l’interrogatoire du 12‑13 juillet 2000 avait été signé sous la menace de tortures supplémentaires et qu’il n’avait pas pu consulter un avocat. Le tribunal n’a tenu aucun compte de ses allégations de torture et ne les a pas examinées.

2.8L’auteur confirme que son fils avait bien un couteau et un nunchaku qui avaient été transférés de son ancien appartement à un appartement récemment acheté. Elle affirme toutefois que ni les enquêteurs ni le tribunal n’ont clarifié la question du lieu où se trouvaient ces objets lors du déménagement et le point de savoir s’ils avaient pu être utilisés pour commettre un crime. Le tribunal n’a posé aucune question visant à obtenir des éclaircissements et n’a pas examiné ce chef d’inculpation pendant le procès, malgré qu’il ait reconnu le fils de l’auteur coupable de détention illégale d’armes blanches. Sur la base des aveux du 12 juillet 2000 extorqués par la torture et des conclusions non probantes de l’examen médico-légal, le tribunal a également reconnu le fils de l’auteur coupable de meurtre aggravé de viol, sans examiner ce chef d’inculpation. L’auteur déclare que les éléments de preuve recueillis montrent de manière objective que la victime n’avait pas été violée. Or, le tribunal n’a tenu aucun compte de cela et a condamné le fils de l’auteur à l’emprisonnement à vie en vertu de l’article 93 du Code pénal (meurtre aggravé, notamment de viol). Le tribunal n’a pu appliquer l’article 93 que parce qu’il avait «officiellement» établi que la victime avait été violée avant d’être tuée. Hormis le viol, il n’y avait pas d’autres circonstances aggravantes au sens de l’article 93 du Code pénal.

2.9Le fils de l’auteur s’est pourvu en cassation auprès de la chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour suprême, qui l’a débouté le 22 février 2001. La Cour suprême a déclaré que pendant l’enquête préliminaire le fils de l’auteur avait fait des aveux qui avaient été corroborés par d’autres éléments de preuve, notamment la déposition du principal témoin de l’accusation auquel il avait donné des détails du crime, ainsi que par les examens médico-légaux qui n’avaient pas exclu la possibilité qu’il y ait eu viol. La Cour a déclaré en outre que les allégations du fils de l’auteur, qui affirmait que les éléments de preuve avaient été obtenus en violation des normes de procédure pénale et que les autorités chargées des enquêtes avaient recouru à des méthodes d’interrogatoire illégales, n’avaient pas été confirmées par les pièces figurant dans le dossier. La Cour a conclu que la culpabilité du fils de l’auteur avait été établie sur la base d’éléments de preuve et qu’il n’y avait aucun motif d’annuler sa condamnation.

2.10L’auteur signale qu’en examinant le cas de son fils, les tribunaux ont commis un certain nombre d’irrégularités exposées ci-après.

Faux témoignage du principal témoin de l’accusation

2.11Le tribunal a fondé son jugement sur la déposition du témoin principal, un certain Ko., lequel a affirmé qu’en juillet 2000 il avait partagé une cellule au poste de police du district avec le fils de l’auteur qui lui avait donné, ainsi qu’à trois autres détenus, des détails au sujet des crimes qu’il avait commis. Le témoin a également affirmé que c’était le fils de l’auteur lui-même qui avait appelé le policier de garde et rédigé des aveux. M. Ko. a soutenu qu’il avait immédiatement informé les policiers par écrit des détails des crimes fournis par le fils de l’auteur. M. Ko. n’a été interrogé comme témoin que le 3 août 2000, soit près d’un mois après sa déclaration écrite à la police. Malgré les questions posées par l’avocat à ce sujet, le tribunal n’a pas expliqué pourquoi ce témoin aussi important n’avait pas été interrogé rapidement après ses déclarations accusatrices et pourquoi aucune confrontation entre le témoin et l’accusé n’avait été organisée. Le témoin a également déclaré pendant le procès qu’il avait fourni les informations relatives aux crimes dans sa déclaration écrite de juillet 2000 et au cours de son interrogatoire du 3 août 2000. L’enquêteur K. a cependant nié que le témoin avait fourni ces informations. Le fils de l’auteur a déclaré pendant le procès que M. Ko. était un faux témoin vu qu’ils n’avaient jamais partagé de cellule, et que cette information aurait pu être aisément vérifiée dans le registre officiel des arrestations du poste de police et par une confrontation entre M. Ko., le policier de garde et les trois détenus auxquels le fils de l’auteur était censé avoir parlé des crimes.

Refus du tribunal de convoquer et d’entendre des témoins importants, déformation et dissimulation de témoignages

2.12L’auteur affirme que l’enquête a permis de déterminer l’heure exacte du meurtre car lorsqu’elle avait été agressée la victime consultait l’Internet et l’utilisation de l’ordinateur s’était interrompue brusquement à 16 h 39. Le fils de l’auteur a demandé à plusieurs reprises au tribunal de convoquer et d’entendre deux témoins, un certain Kl. et un certain O., qui avaient déclaré pendant l’enquête préliminaire qu’ils l’avaient vu à 16 h 30, soit neuf minutes avant que les crimes ne soient commis, à plusieurs kilomètres de la scène de crime. Bien que cette information confirme son alibi, le tribunal n’en a tenu aucun compte et l’alibi n’a pas été vérifié.

2.13De plus, le compte rendu de l’interrogatoire d’un autre témoin, un certain Ch. qui a été interrogé le 12 juillet 2000 et a affirmé que le fils de l’auteur n’avait pas d’égratignures au visage à 19 heures, soit plus de deux heures après les crimes, a été retiré du dossier pénal par l’enquêteur, qui a soutenu que ce témoin n’avait jamais été interrogé et que le fils de l’auteur n’en avait jamais parlé comme d’une personne l’ayant vu le jour du crime. Bien que le fils de l’auteur lui-même ait cité le nom de ce témoin pendant son interrogatoire, que cette information ait été consignée dans tous les comptes rendus d’interrogatoires pertinents, et que M. Ch. ait confirmé qu’il avait été interrogé dans la matinée du 12 juillet 2000, le tribunal n’a pas tenu compte de ces faits et a rejeté la requête de la défense réclamant que l’enquêteur soit tenu de fournir le compte rendu de l’interrogatoire afin qu’il soit versé au dossier. Le tribunal a également rejeté une requête relative au versement au dossier pénal d’autres documents qui étaient favorables à la défense.

2.14Le tribunal a également considérablement déformé le témoignage de M. B., qui avait affirmé que le fils de l’auteur n’avait pas bu de vodka le 11 juillet 2000 (jour du crime), alors que dans sa décision le tribunal indiquait qu’il avait consommé de l’alcool et qu’il était ivre. L’auteur affirme que rien dans le dossier ne prouve que son fils était ivre le 11 juillet 2000 (pas de témoignage ni d’examen médical).

Dissimulation par le tribunal de faits et d’éléments de preuve à décharge

2.15Le tribunal a fait référence à une série d’éléments qui, à son avis, confirmaient la culpabilité du fils de l’auteur. Il a ainsi indiqué que la victime avait résisté physiquement et griffé le visage du fils de l’auteur avec ses ongles. Un examen médico-légal a permis de constater quatre égratignures sur la gauche du menton du fils de l’auteur et l’expert a conclu qu’elles avaient pu être infligées par la victime pendant qu’elle se débattait. Le tribunal a également déclaré qu’il n’y avait pas de griffures sur le visage du fils de l’auteur le matin du 11 juillet 2000. L’auteur affirme toutefois que, d’après les résultats de l’expertise, d’infimes particules de peau d’un individu de sexe masculin, des follicules pileux et des cellules de muqueuses de l’agresseur ont été trouvés sous les ongles des mains de la victime. L’agresseur aurait donc dû avoir plus de quatre griffures et présenter des lésions des muqueuses, alors que l’examen médical n’a trouvé que quatre égratignures sur le visage du fils de l’auteur et a conclu que ses muqueuses étaient intactes. De plus, le tribunal a cité l’expert médical, lequel avait affirmé que «l’emplacement des égratignures n’exclu[ai]t pas qu’elles soient dues à la résistance de la victime», en ne tenant aucun compte d’une autre conclusion de l’expert selon laquelle le fils de l’auteur aurait pu se griffer lui-même comme il l’a déclaré pendant l’enquête préliminaire. L’auteur soutient que les égratignures sur le visage de son fils sont apparues pendant l’interrogatoire, soit trois heures après que le crime a été commis. Comme le tribunal l’a indiqué dans son jugement, les proches de la victime ont confirmé qu’il n’y avait pas d’égratignures sur le visage du fils de l’auteur le matin du 11 juillet 2000 (jour du crime). Néanmoins, le tribunal ne s’est pas référé aux déclarations des proches de la victime et de deux autres témoins, selon lesquels le fils de l’auteur n’avait pas d’égratignures sur le visage à 19 heures, soit plus de deux heures après les crimes.

Fabrication d’éléments de preuve par les organes chargés de l’enquête et le tribunal

2.16L’auteur affirme que les taches de sang de la victime sur la chemise de son fils ont été déposées par les enquêteurs car elles n’étaient pas présentes lorsque la chemise a été saisie. La présence de taches de sang n’a été consignée dans aucun des actes de procédure établis le 11 juillet 2000. Dans son jugement, le tribunal affirme qu’«alors qu’il était interrogé en tant que suspect le 12 juillet 2000, M. Shchetka a indiqué que du sang avait éclaboussé ses vêtements», tandis qu’en réalité les mots consignés dans le compte rendu de l’interrogatoire sont «après cela du sang a jailli», sans qu’il ne soit question de vêtements. En conséquence, l’auteur soutient que son fils n’a jamais parlé de taches de sang sur ses vêtements et que le tribunal a déformé les faits.

2.17Le tribunal a parlé de taches de sang qui avaient été lavées sur la chemise du fils de l’auteur. Celui-ci a contesté cette observation et a demandé au tribunal d’ordonner des examens supplémentaires afin de clarifier la manière dont les taches étaient apparues sur sa chemise, mais le tribunal a refusé au motif que l’examen biologique apportait une réponse suffisante à ses questions et que le tissu ne se prêtait plus à une analyse chimique. L’auteur affirme qu’au contraire, l’expert biologiste a expliqué que la formation de taches de sang ne relevait pas de sa compétence et que l’on pouvait effectuer un examen physique et chimique supplémentaire.

2.18Le 18 juillet 2001, après le jugement du tribunal de première instance, l’auteur a adressé au Procureur du district de Minsk une requête écrite réclamant les vêtements de son fils qui avaient été saisis comme éléments de preuve. Le 27 juillet 2001, le Procureur a répondu que les vêtements qui avaient été conservés à titre d’éléments de preuve ne pourraient être restitués que lorsque le jugement serait entré en vigueur et que le tribunal aurait rendu une décision concernant les éléments de preuve. Le même jour, le 27 juillet, l’auteur a adressé au tribunal de la ville de Kiev une requête demandant que le tribunal restitue les vêtements de son fils ou, si cela n’était pas possible, qu’il les conserve étant donné qu’il y avait eu appel et qu’il faudrait en disposer pour un nouvel examen médico-légal. Le 30 juillet 2001, l’auteur a adressé au Président du tribunal de la ville de Kiev une nouvelle requête écrite demandant au tribunal d’ordonner la restitution des vêtements de son fils en vue d’examens médico-légaux supplémentaires. À la demande de la cour d’appel de Kiev, le Procureur a transmis tous les éléments de preuve à la cour le 7 août 2001. La cour d’appel a ordonné la destruction des vêtements, qui a été effectuée le 21 septembre 2001. La cour a ensuite indiqué que les éléments de preuve avaient été détruits parce que le fils de l’auteur avait déclaré lors d’une audience qu’il ne souhaitait pas récupérer ses vêtements. L’auteur soutient que son fils n’a jamais fait pareille déclaration et qu’au contraire, lui-même et ses avocats ont demandé à plusieurs reprises à la cour d’ordonner un examen médico-légal supplémentaire et de conserver avec soin la chemise supposément tachée du sang de la victime. En conséquence, l’auteur affirme que la cour a délibérément détruit les éléments de preuve afin d’empêcher la défense de faire effectuer des examens médico-légaux supplémentaires.

Faits nouvellement découverts et refus du bureau du Procureur de réexaminer l’affaire

2.19L’auteur affirme que, pendant l’enquête préliminaire et le procès, son fils a été privé de son droit de se défendre avec efficacité et de réfuter les arguments avancés par l’accusation. En particulier, il a été privé de son droit de poser des questions supplémentaires aux experts et d’obtenir un nouvel examen médico-légal. C’est pourquoi, après le jugement, son avocat a demandé à plusieurs experts médico-légaux d’évaluer les conclusions des examens antérieurs. Ainsi, le 23 juillet 2001, il a sollicité l’avis de deux experts (spécialistes en médecine légale et en biologie moléculaire et génétique) à propos de la conclusion de l’examen médico-légal effectué le 19 juillet 2000. Les experts ont déclaré que, compte tenu des méthodes de recherche employées et des données disponibles, il était impossible de parvenir à la conclusion que la deuxième tache de sang sur la chemise du fils de l’auteur provenait sans aucun doute du sang de la victime. À la demande de l’avocat, un spécialiste de médecine légale a étudié les documents médico-légaux et la conclusion du rapport d’autopsie daté du 18 septembre 2000. Il a conclu qu’aucune donnée médico-légale ne confirmait que la victime avait eu un rapport sexuel avant sa mort, en particulier de manière contrainte et violente.

2.20Afin de confirmer les allégations de torture du fils de l’auteur, deux examens médico-légaux supplémentaires ont été effectués. Après avoir étudié les textes que le fils de l’auteur avait écrits à la main dans les documents relatifs à la fourniture des services d’un avocat datés des 14 et 25 juillet 2000, le graphologue a conclu qu’à ce moment-là, le fils de l’auteur avait beaucoup de mal à écrire à cause d’une blessure à la main, et peut-être parce qu’il se trouvait aussi dans un état émotionnel inhabituel (peur, stress, etc.). Le deuxième examen a été effectué par un spécialiste en linguistique médico-légale à partir du texte des aveux faits le 12 juillet 2000. L’expert a conclu que ces aveux avaient été écrits dans un état de tension mentale et qu’ils faisaient songer à la transcription du discours spontané d’une personne habituée à recueillir des déclarations.

2.21La défense a également recueilli des éléments de preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle le principal témoin, M. Ko., avait fait un faux témoignage au cours du procès. L’auteur affirme que la déclaration écrite à l’encontre de son fils que M. Ko. aurait fournie aux policiers le 12 ou 13 juillet 2000 ne figurait pas dans le dossier de l’affaire. À la demande de l’avocat, le poste de police du district a confirmé qu’en 2000, il n’avait reçu aucune déclaration écrite de M. Ko.. L’auteur affirme par ailleurs que Ko. était un sans-abri qui avait été arrêté par la police à plusieurs reprises pour des infractions mineures et qu’il avait peut-être aidé les autorités à fabriquer des éléments de preuve contre son fils en échange de sa remise en liberté. Ko. n’a pas témoigné contre le fils de l’auteur immédiatement après que celui-ci lui aurait parlé des crimes, mais uniquement après avoir été arrêté et avoir reçu une amende à deux reprises pour actes de vandalisme (les 2 et 3 août 2000), et la date de son interrogatoire coïncide avec celle de sa dernière arrestation − 3 août 2000.

2.22Le 13 août 2002, les avocats du fils de l’auteur ont adressé au Bureau du Procureur général une requête demandant le réexamen de l’affaire sur la base des faits nouvellement découverts mentionnés ci-dessus. Le 27 septembre 2002, le Procureur général a rejeté la requête des avocats au motif que les examens d’experts avaient été effectués en dehors du cadre de la procédure pénale et n’avaient donc aucune valeur procédurale. L’auteur affirme que le Procureur général était tenu par la loi de procéder à l’examen des faits nouveaux demandé, que son refus équivaut pour tout procureur à l’interdiction de facto d’examiner ces faits et que ses actes constituent un déni de justice.

2.23Le 23 septembre 2003, le fils de l’auteur a adressé à la Cour suprême une requête en révision de sa condamnation. La Cour suprême a rejeté la requête le 4 novembre 2003, estimant qu’il n’y avait aucun motif de réexaminer l’affaire.

2.24L’auteur déclare que son fils a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, en ce qu’il a été soumis à la torture et contraint d’endosser la responsabilité de crimes qu’il n’avait pas commis.

3.2L’auteur déclare qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 car le tribunal n’a pas reconnu qu’il y avait eu actes de torture, ce qui lui a permis de déclarer la culpabilité de son fils sur la base d’aveux qui avaient été extorqués par la torture. Les tribunaux n’ont pas correctement évalué les faits et les éléments de preuve, ont déformé les déclarations de témoins et ont dissimulé des faits qui auraient pu constituer des preuves à décharge ou qui contredisaient les arguments de l’accusation. De plus, les tribunaux n’ont pas examiné les griefs du fils de l’auteur relatifs au faux témoignage du principal témoin de l’accusation et à la falsification des preuves par l’enquêteur, et n’en ont tenu aucun compte. Les tribunaux ont enfreint le principe d’impartialité en accordant un traitement privilégié aux demandes du procureur et en rejetant les requêtes de la défense relatives à des examens médico-légaux supplémentaires et au versement au dossier de certains actes de procédure à titre d’éléments de preuve. L’auteur affirme que le droit énoncé à l’article 14 serait privé de tout effet en l’absence de garanties contre la fabrication et la manipulation d’éléments de preuve, l’utilisation de faux témoignages et d’autres irrégularités commises par l’accusation.

3.3L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du droit que son fils tient du paragraphe 2 de l’article 14 puisqu’il a été désigné comme étant l’auteur des crimes dans des documents officiels alors que sa culpabilité n’avait pas été établie conformément à la loi. Le tribunal l’a reconnu coupable de détention illégale d’armes blanches et de viol sans examiner ces accusations lors du procès.

3.4L’auteur affirme que les tribunaux ont rejeté à plusieurs reprises la requête de son fils demandant la présence et l’interrogatoire de plusieurs témoins qui auraient pu confirmer son alibi, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur affirme enfin que son fils est victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14, vu que le Procureur général a refusé d’examiner sa demande de réexamen de l’affaire sur la base de la découverte de faits nouveaux et que la Cour suprême a rejeté sa requête en révision du jugement de culpabilité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note verbale du 6 juin 2007, l’État partie déclare que la culpabilité de M. Shchetka a été dûment établie sur la base d’éléments de preuve, en particulier ses aveux qui correspondaient aux dépositions des proches de la victime et d’autres témoins ainsi que les informations figurant dans le rapport décrivant la scène du crime. M. Shchetka avait indiqué la nature des blessures infligées à la victime et la partie du corps qui avait été touchée, renseignements qui avaient ensuite été confirmés par les examens médico-légaux. Sous les ongles de la victime, d’infimes particules de peau et des follicules pileux appartenant à un individu de sexe masculin avaient été retrouvés et il n’avait pas été exclu qu’ils puissent provenir de M. Shchetka. Les quatre égratignures sur le visage et le cou de celui-ci pouvaient avoir été produites par les ongles de la victime lorsqu’elle avait résisté et les traces de sang sur sa chemise contenaient le profil d’ADN identifié dans l’échantillon de sang prélevé sur la victime.

4.2L’État partie considère comme infondée l’affirmation de l’auteur selon laquelle les examens d’experts effectués après le jugement ont confirmé l’innocence de son fils et constituent des faits nouveaux, et fait valoir que ces faits ont été examinés pendant l’enquête préliminaire et le procès. En particulier, les tribunaux ont étudié avec soin les aveux de M. Shchetka, les motifs pour lesquels il s’était rétracté, l’allégation faisant état de méthodes d’interrogatoire interdites et les dépositions des proches de la victime et d’autres témoins, les conclusions des examens médico-légaux et les autres éléments de preuve disponibles. La Cour suprême n’a constaté aucune violation des normes de procédure pénale qui aurait justifié l’annulation de la déclaration de culpabilité ou la modification de la peine prononcée et a rejeté le pourvoi du fils de l’auteur le 22 février 2001.

4.3Les allégations de M. Shchetka relatives aux pressions physiques et psychologiques exercées par des policiers ont été examinées par le tribunal et l’enquête interne a confirmé que les policiers ne lui avaient infligé aucune blessure. L’enquête interne a également établi que les documents relatifs à l’activité du poste de police du district de Minsk (comptes rendus de l’arrestation et de la garde à vue de personnes soupçonnées de crimes, registre des personnes détenues, etc.) avaient été détruits le 16 février 2005: en application du décret du Ministère de l’intérieur en date du 4 juin 2002, ce type de document est conservé pendant cinq ans puis détruit.

4.4L’État partie fournit également une copie des explications écrites de M. Shchetka datées du 5 juin 2006, dans lesquelles M. Shchetka affirme qu’il n’a aucun grief contre l’administration du centre de détention provisoire de Kiev (no 13) ni celle de l’établissement pénitentiaire de Zhitomir (no 8). L’État partie joint également à ses observations un résumé de neuf pages des dispositions de procédure pénale relatives aux questions soulevées par l’État dans la communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 11 janvier 2008, l’auteur affirme que l’État partie n’a réfuté aucun de ses griefs au titre du Pacte et qu’il s’est borné à reproduire le texte du jugement du tribunal et à citer la législation nationale pertinente. Elle soutient que l’État partie a communiqué des informations inexactes concernant la violation des droits que son fils tient du paragraphe 5 de l’article 14 lorsqu’il a affirmé que les faits nouvellement découverts avaient été examinés pendant l’enquête préliminaire et le procès. En réalité, le Procureur général n’a réfuté aucun des faits nouveaux présentés par l’avocat et a tout simplement refusé d’examiner les faits nouveaux à décharge au motif qu’ils auraient dû être recueillis dans le cadre de la procédure pénale. L’auteur souligne que le Procureur est tenu, en vertu de la législation nationale, de mener une enquête sur les faits nouveaux et que l’avocat peut recueillir de tels faits en tous lieux.

5.2L’auteur réitère ses allégations au titre des articles 7 et 14 du Pacte. Les allégations de torture sont confirmées par des preuves indirectes (déroulement des faits, absence d’enregistrement vidéo de l’interrogatoire de son fils, absence de services d’avocat depuis le moment de l’arrestation, refus des autorités de consigner les actes de torture en faisant procéder à un examen médical, etc.) et des preuves directes (plaintes pour torture déposées par l’avocat, conclusions des analyses linguistique et graphologique, etc.). L’auteur rappelle que les tribunaux ont privé son fils de son droit à la défense, falsifié des documents et détruit des éléments de preuve à décharge, ce qui constitue une violation de l’article 14 du Pacte, tandis que le Procureur général a donné une interprétation erronée de la loi afin de ne pas examiner les nouveaux faits à décharge, ce qui est contraire au paragraphe 5 de l’article 14. De plus, le tribunal a condamné son fils à l’emprisonnement à vie sans examiner la principale accusation portée contre lui pendant le procès, ce qui constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, l’auteur soutient que ses allégations sont suffisamment étayées et corroborées par les preuves écrites fournies au Comité.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 16 avril 2008, l’État partie a fourni au Comité des informations émanant du Bureau du Procureur général et du Ministère de l’intérieur. Il déclare que l’affirmation de l’auteur selon laquelle son fils est innocent est réfutée par les aveux écrits que celui-ci a adressés au Procureur. De plus, en réponse aux questions du Procureur, le fils de l’auteur a fourni des détails concernant les crimes qu’il avait commis et a fait des déclarations similaires alors qu’il était interrogé en tant que suspect. Ses allégations de torture ont été examinées par la Cour suprême en cassation et n’ont pas été confirmées. Sa culpabilité a été pleinement établie par les preuves recueillies qui ont été examinées de manière approfondie par des tribunaux.

6.2L’État partie indique en outre que le 31 août 2001, l’auteur, Mme Nataliya Litvin, a adressé une requête écrite au Département des affaires intérieures de la ville de Kiev, demandant des informations relatives à l’arrestation de M. Ko. Les informations en question ont été fournies le 21 octobre 2001. Le 12 décembre 2005, elle a demandé des explications écrites sur le point de savoir s’il était possible de placer en détention provisoire dans la même cellule une personne ayant été condamnée à maintes reprises et une personne arrêtée pour la première fois. Mme Litvin a été invitée à se rendre au Département des affaires intérieures et pendant l’entretien elle a annulé sa demande de réponse écrite.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7.1Dans une lettre du 25 juillet 2008, l’auteur réitère ses observations selon lesquelles l’État partie n’a pas réfuté ses allégations au titre du Pacte et affirme qu’il a fourni des informations qui ne sont pas pertinentes pour l’examen de la communication.

7.2Le 9 juillet 2009, l’auteur a fourni au Comité une copie de la demande de réexamen de sa condamnation que son fils adressait régulièrement à la Cour suprême d’Ukraine depuis 2003 et une copie de la réponse de la Cour en date du 18 mars 2009 indiquant que la plainte avait été examinée et qu’aucun motif de réexamen de la condamnation n’avait été constaté.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Le 3 mars 2010, l’État partie a réitéré ses observations précédentes. Concernant l’accusation de viol, il affirme que M. Shchetka s’est déclaré coupable de viol en présence d’un avocat au cours de l’enquête préliminaire et qu’il n’a modifié sa déposition que pendant le procès, où il a accusé des policiers d’avoir falsifié des documents et d’avoir employé la force physique à son encontre. Ces allégations ont donné lieu à une enquête conduite par le bureau du Procureur du district de Minsk, qui n’a constaté aucune violation des droits du fils de l’auteur et, en conséquence, a refusé d’engager des poursuites pénales contre les policiers le 28 septembre 2000. M. Shchetka avait la possibilité de faire appel du refus du Procureur auprès du procureur de rang supérieur conformément au paragraphe 1 de l’article 99 du Code de procédure pénale ukrainien, ainsi que devant les tribunaux conformément au paragraphe 1 de l’article 336 du même Code.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3En ce qui concerne l’exigence d’épuisement des recours internes, le Comité note que d’après les informations communiquées par l’auteur, tous les recours internes disponibles ont été épuisés. En l’absence d’objection de l’État partie, le Comité considère que les conditions posées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

9.4S’agissant du grief de l’auteur qui affirme que le refus du Procureur général de réexaminer l’affaire sur la base des faits nouvellement découverts après la décision de la Cour suprême en cassation constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité considère que le paragraphe 5 de l’article 14 ne s’applique pas au réexamen d’une déclaration de culpabilité et d’une condamnation sur la base de faits nouvellement découverts une fois que la condamnation est devenue définitive. En conséquence, le Comité estime que le grief tiré du paragraphe 5 de l’article 14 est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité note également que, outre les violations alléguées par l’auteur, les faits évoqués dans la présente plainte soulèvent des questions au titre du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, le Comité déclare la communication recevable au titre de l’article 7 et des paragraphes 1, 2 et 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a été torturé par les policiers et ainsi contraint à se déclarer coupable du viol et du meurtre de la sœur de sa femme. Il s’est rétracté lors d’un interrogatoire mené par l’enquêteur du bureau du Procureur et enregistré par vidéo, déclarant qu’il avait été torturé et contraint d’endosser la responsabilité des crimes. Cependant, ses allégations n’ont pas été prises en compte et les documents vidéo en question ont été retirés de son dossier pénal. L’auteur fournit des détails concernant les méthodes de mauvais traitements employées, indiquant que ces allégations ont été formulées par son fils devant le bureau du Procureur et devant le tribunal. Le Comité constate que l’avocat de M. Shchetka a adressé au bureau du Procureur des plaintes demandant, notamment, un examen médical et une enquête sur les allégations de torture. À cet égard, le Comité rappelle que lorsqu’une plainte pour un acte prohibé par l’article 7 a été déposée, l’État partie doit mener une enquête rapide et impartiale. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie qui indique que les allégations de torture de M. Shchetka ont donné lieu à une enquête dirigée par le bureau du Procureur du district de Minsk et ont également été examinées par la Cour suprême en cassation mais ont été rejetées au motif qu’elles étaient dénuées de fondement. Il note en outre que l’État partie a fourni des explications écrites de la main de M. Shchetka (voir le paragraphe 4.4 ci-dessus) où celui-ci déclare qu’il n’a aucun grief contre l’administration du centre de détention provisoire de Kiev (no 13) ni celle de l’établissement pénitentiaire de Zhitomir (no 8). Le Comité fait observer que ces explications ne permettent pas de savoir si M. Shchetka parlait de sa détention après son arrestation (moment où il aurait été torturé) ou de sa détention après qu’il a été reconnu coupable par le tribunal. Étant donné que les explications sont datées du 5 juin 2006 et qu’elles ne mentionnent aucune des institutions où M. Shchetka affirme avoir été torturé (poste de police du district et centre de détention provisoire (KPZ-23-GOM), voir les paragraphes 2.2 et 2.4 ci-dessus), le Comité ne les considère pas pertinentes pour l’examen des allégations de l’auteur au titre de l’article 7.

10.3Le Comité note également que M. Shchetka n’a été autorisé à voir son avocat que sept jours après son arrestation, lorsque les traces de torture s’étaient atténuées. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel M. Shchetka s’est déclaré coupable de viol en présence d’un avocat. Cela étant, le Comité observe que, si l’État partie n’a pas fourni de preuve littérale à l’appui de son argument, les allégations de M. Shchetka sont étayées par les documents figurant dans le dossier, notamment deux plaintes adressées au Procureur pour les abus commis par l’enquêteur. En l’absence d’explication détaillée de l’État partie à propos de l’enquête sur les allégations de torture et des motifs justifiant le refus de soumettre le fils de l’auteur à un examen médical, et compte tenu des informations fournies par l’auteur telles que les conclusions des analyses linguistique et graphologique, le Comité considère que les autorités compétentes de l’État partie n’ont pas dûment examiné les plaintes pour actes de torture formulées par M. Shchetka pendant l’enquête préliminaire et devant les tribunaux. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que M. Shchetka tient de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

10.4Le Comité note également l’allégation de l’auteur, qui affirme que le tribunal n’a tenu aucun compte de la requête de son fils relative à la convocation et à l’interrogatoire de plusieurs témoins importants qui avaient déposé pendant l’enquête préliminaire et avaient confirmé, notamment, son alibi et l’absence de toute lésion sur son visage après la commission des crimes. Le tribunal a également rejeté les demandes d’examens médico-légaux supplémentaires déposées par le fils de l’auteur. Le Comité rappelle qu’en tant qu’application du principe de l’égalité des armes, la garantie énoncée au paragraphe 3 e) de l’article 14 est importante car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense, et garantit donc à l’accusé les mêmes moyens juridiques qu’à l’accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous les témoins à charge et les soumettre à un contre-interrogatoire. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a pas répondu à ces allégations et n’a pas fourni d’informations expliquant le refus d’interroger les témoins en question. En l’absence d’information de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que les faits tels qu’ils sont rapportés constituent une violation des droits que M. Shchetka tient du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

10.5L’auteur affirme que les droits de son fils au titre du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés, en ce que le tribunal n’a pas tenu compte de faits et preuves à décharge, n’a pas examiné la question de la fabrication et de la falsification de preuves par les enquêteurs, n’a pas vérifié la crédibilité du principal témoin et, ce faisant, a conféré un avantage indu à l’accusation. Le fils de l’auteur a par ailleurs été désigné comme étant l’auteur des crimes dans des documents relatifs à l’enquête. Le Comité note que les allégations de l’auteur portent principalement sur l’appréciation des faits et des preuves et, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans un cas d’espèce sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. En l’espèce, le Comité note que l’État partie n’a pas répondu sur le fond aux allégations de l’auteur et qu’il s’est borné à affirmer, en des termes généraux, que la culpabilité du fils de l’auteur avait été dûment établie sur la base de témoignages et autres éléments de preuve. Compte tenu des documents versés au dossier, et étant donné que le Comité a conclu à une violation de l’article 7 et des paragraphes 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité est d’avis que l’examen du cas de M. Shchetka par les tribunaux n’a pas été assorti des garanties minimales d’un procès équitable, contrairement au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.6Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas séparément le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé l’article 7 et les paragraphes 1, 3 e) et 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12.En vertu des dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’État partie est tenu d’assurer à M. Shchetka un recours effectif, et notamment de mener une enquête impartiale, effective et approfondie sur les allégations de torture et de mauvais traitements et d’engager une procédure pénale contre les responsables, d’envisager de juger de nouveau M. Shchetka avec toutes les garanties prévues dans le Pacte ou de le libérer et de lui accorder une réparation complète, sous la forme notamment d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent plus.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Salvioli

1.J’ai souscrit à la décision du Comité dans la communication no 1535/2006 (Viktor Shchetka c. Ukraine) car je partage entièrement le raisonnement et les conclusions du Comité. Toutefois je souhaiterais ajouter quelques réflexions au sujet d’une question qui à mon avis devra être approfondie dans la jurisprudence future du Comité: il s’agit de la «fertilisation croisée» dans le règlement de communications émanant de particuliers comme la présente et l’incidence pour ce qui est du mode de réparation demandé par le Comité.

2.L’affaire Sh chetka révèle des défaillances et des omissions extrêmement graves de la part de l’État partie, l’Ukraine, dans sa pratique concernant les enquêtes sur les allégations de torture formulées par la victime et pour punir les responsables; le Comité a donc établi qu’il y avait eu notamment violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.Dans ses constatations le Comité a l’habitude d’indiquer − et c’est ce qu’il a fait dans la présente affaire − que l’État partie doit veiller à ce que des faits analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. Or la formule utilisée au paragraphe 12 des constatations n’est pas suffisante à cette fin; la garantie de non-répétition implique qu’il faut déterminer des mesures spécifiques, au-delà du libellé général.

4.Pour ce faire le Comité peut − et doit − s’inspirer, selon qu’il convient, des conclusions d’autres organes internationaux ou régionaux de protection des droits de l’homme. Ainsi dans les observations qu’il a adressées à l’Ukraine en 2007 le Comité contre la torture a été catégorique et a énoncé plusieurs mesures concrètes visant à prévenir la torture. Il avait recommandé d’une part notamment que l’État partie établisse un mécanisme de contrôle efficace et indépendant afin que toutes les allégations portant sur des actes de torture ou des mauvais traitements infligés au cours des enquêtes pénales fassent immédiatement l’objet d’une enquête impartiale et effective et d’autre part de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer tout effet négatif que le système d’enquête actuel − consistant à encourager les aveux − pourrait avoir sur le traitement des suspects; le Comité contre la torture avait également demandé à l’Ukraine de prendre toutes les mesures nécessaires pour poser comme règle qu’une déclaration faite sous la torture ne peut pas être invoquée comme preuve dans une procédure quelconque.

5.L’interdiction de la torture est absolue, elle représente une règle de droit public international (jus cogens) et en tant que telle est reprise unanimement dans la jurisprudence internationale des droits de l’homme. Le Comité des droits de l’homme a pour mandat d’appliquer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et pour s’acquitter efficacement de ce mandat il doit tenir compte du principe de l’effet utile de ses décisions; dans la présente affaire, en optant pour le mode d’approche le mieux à même de garantir le droit des victimes, la perspective pro persona, et en renforçant sa décision par une application correcte de la théorie des «vases communicants» («fertilisation croisée»), il aurait dû indiquer à l’État partie certaines mesures de réparation spécifiques visant à garantir la non-répétition des faits, par exemple l’établissement d’un mécanisme indépendant et efficace pour enquêter sur les plaintes pour torture ou mauvais traitements et l’enregistrement vidéo obligatoire des interrogatoires.

(Signé) Fabián Salvioli