Nations Unies

CCPR/C/105/D/1848/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 septembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1848/2008

Décision adoptée par le Comité à sa 105e session (9-27 juillet 2012)

Communication p résentée par:

D. V. et H. V. (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

7 septembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

23 juillet 2012

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; abus du droit de présenter une communication

Questions de fond:

Égalité devant la loi

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’hommeau titre du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civilset politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1848/2008 *

Présentée par:

D. V. et H. V. (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

7 septembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2012,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont M. D. V. et Mme H. V., devenus citoyens des États-Unis d’Amérique par naturalisation, nés à Modrany, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, le 31 octobre 1933 et le 8 décembre 1938, respectivement. Ils se déclarent victimes d’une violation par la République tchèque des droits qu’ils tiennent de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs ont fui la Tchécoslovaquie pour des raisons politiques en 1964 et ont émigré aux États-Unis d’Amérique, où ils vivent depuis lors. En 1970, ils ont obtenu la nationalité américaine et ont perdu leur nationalité tchécoslovaque.

2.2Comme ils avaient quitté la Tchécoslovaquie sans autorisation, les auteurs ont été condamnés par défaut à un emprisonnement de deux ans et d’un an et six mois, respectivement, assorti de la confiscation de leurs biens, dont leur maison familiale située à Modrany.

2.3À la suite de la promulgation de la loi no 119/1990, les auteurs ont été rétablis dans leurs droits et leurs condamnations ont été annulées. Ils ont ensuite demandé la réintégration dans la nationalité tchèque, qui leur a été accordée le 5 juin 2001, c’est-à-dire après la date limite fixée pour la présentation des demandes de restitution de biens par la loi no 87/1991, en vertu de laquelle les requérants doivent avoir la nationalité tchèque et avoir leur résidence permanente en République tchèque afin de pouvoir prétendre à la restitution de leurs biens.

2.4Lorsqu’ils ont tenté de recouvrer la propriété de leurs biens, en 2006, les auteurs ont été informés par le Département des relations de propriété du Ministère des finances, dans une lettre datée du 10 août 2006, qu’ils ne remplissaient pas les conditions pour la restitution des biens puisqu’ils n’avaient pas la nationalité tchèque entre le 1er avril et le 31 octobre 1993. Les auteurs affirment qu’ils n’ont pas fait appel de cette décision devant les tribunaux nationaux, considérant que ce serait inutile en raison de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle de la République tchèque le 4 juin 1997, par lequel la Cour avait refusé de supprimer la condition de nationalité prévue dans les lois relatives à la restitution, dans un cas analogue au leur.

2.5Les auteurs font valoir qu’en tout état de cause aucun recours utile ne leur est ouvert et qu’ils n’ont pas à épuiser des recours internes qui sont inopérants.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment qu’ils sont victimes de discrimination et font valoir que la condition de nationalité exigée par la loi no 87/1991 aux fins de la restitution de leurs biens est contraire à l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 21 mai 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il note que les auteurs ont émigré de Tchécoslovaquie et se sont installés à l’étranger. Ils ont obtenu la nationalité américaine le 17 juillet 1970 et ont de ce fait perdu la nationalité tchécoslovaque en vertu du Traité relatif à la naturalisation conclu le 16 juillet 1928 entre la République tchécoslovaque et les États‑Unis d’Amérique. Ils ont été réintégrés dans la citoyenneté tchèque le 5 juin 2001.

4.2L’État partie a demandé au Bureau tchèque des levés, de la cartographie et du cadastre des informations sur les biens qui appartenaient aux auteurs − une maison avec une parcelle à bâtir située à l’adresse Cholupicka 105, Prague 4 − Modrany. Toutefois, le Bureau a indiqué qu’il n’y avait pas de maison portant le numéro 105 ou enregistrée sous le numéro 105 dans la rue en question.

4.3L’État partie note en outre que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes pour ce qui est de la procédure en restitution, car ils n’ont jamais intenté d’action en justice en vue de recouvrer leurs biens. Il rappelle que, en vertu du paragraphe2 b) de l’article5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, le Comité ne peut examiner aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

4.4À ce propos, l’État partie fait observer qu’il existe en République tchèque un système de justice comprenant plusieurs degrés de juridiction, la Cour constitutionnelle étant au sommet de ce système. Il note que les auteurs de la communication ne donnent que les informations strictement indispensables sur les biens qui auraient été confisqués. Par conséquent, puisque les auteurs n’ont pas utilisé les recours internes que leur offrait le système de justice national et notamment n’ont pas saisi la Cour constitutionnelle, certains faits importants relatifs aux circonstances de leur communication n’ont pas pu être vérifiés au niveau national et les tribunaux tchèques n’ont pas eu la possibilité d’examiner le fond du grief de discrimination formulé par les auteurs, au sens de l’article 26 du Pacte.

4.5L’État partie affirme en outre que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Il note que le Protocole facultatif ne fixe pas de date limite pour le dépôt d’une communication et que le simple fait de ne pas avoir soumis rapidement une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Toutefois, en l’espèce, les auteurs ont présenté leur communication au Comité avec un retard de plus de dix ans, sans apporter d’argument raisonnable pour justifier ce retard; la communication peut donc être considérée comme constituant un abus du droit de plainte.

4.6L’État partie ajoute qu’en l’absence de toute décision des juridictions internes dans le cas des auteurs, il faut conclure que le dernier fait juridiquement pertinent est l’expiration du délai accordé par la loi no 87/1991 (c’est-à-dire le 1er avril 1995) pour notifier la requête à la personne responsable qui possédait les biens litigieux. En outre, au moment où le délai a expiré, la loi relative à la restitution a cessé d’être utilisable par les auteurs et si, comme ils l’affirment, la loi était discriminatoire à leur égard, la situation de discrimination a cessé d’exister à compter de ce moment. En conséquence, l’État partie affirme que le délai pour notifier la demande de restitution à la personne devenue propriétaire du bien réclamé a expiré le 1er avril 1995 en vertu de la loi no 87/1991. Or les auteurs ne se sont adressés au Comité que le 16 septembre 2006, c’est-à-dire plus de dix ans après l’expiration du délai fixé par la loi relative à la restitution, ce qui constitue un retard excessif.

4.7Compte tenu de ce qui précède, l’État partie propose que le Comité adopte l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme, qui rejette toute demande soumise après l’expiration du délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive, conformément au paragraphe 1 de l’article 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe.

4.8L’État partie estime approprié de demander aux auteurs d’apporter pour justifier le retard une explication raisonnable, qui ait un fondement objectif et soit satisfaisante. Pour considérer qu’il n’y a pas abus du droit de soumettre une communication ou, en d’autres termes, que l’obligation de défendre ses droits, reconnue dans un certain nombre de systèmes juridiques, est respectée, on ne peut pas tenir compte uniquement de la mesure dans laquelle l’auteur, ex post facto, après avoir laissé s’écouler une longue période, arrive à croire subjectivement qu’il a la possibilité de saisir le Comité.

4.9L’État partie ajoute que les décisions du Comité concernant la recevabilité de diverses communications au regard du temps écoulé semblent manquer de cohérence et ne vont pas dans le sens de la sécurité juridique.

4.10À la lumière de ce qui précède, l’État partie affirme que, en s’adressant au Comité très longtemps après le 1er avril 1995 (voir plus haut, par. 4.6) sans apporter la moindre explication objective et raisonnable, les auteurs ont abusé du droit de soumettre une communication au Comité.

4.11Sur le fond, l’État partie note que les auteurs n’ont pas démontré, tant auprès des autorités nationales que dans la communication, qu’ils étaient propriétaires du bien dont la propriété a été transférée à l’État dans les conditions prévues par la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. L’État partie réaffirme que, selon les renseignements fournis par ses autorités du cadastre, les biens mentionnés par les auteurs ne figurent pas au registre. D’après l’État partie, si les auteurs ne peuvent pas démontrer qu’ils possédaient les biens transférés à l’État et que le seul motif pour lequel la décision de ne pas leur restituer ces biens était que quand ils ont demandé la restitution ils n’étaient pas citoyens tchèques, alors il n’est pas possible de conclure qu’ils n’ont pas bénéficié du droit à une égale protection de la loi et qu’ils ont fait l’objet d’une discrimination. Par conséquent, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée insuffisamment étayée.

4.12L’État partie fait observer que le droit consacré par l’article 26 du Pacte, que les auteurs invoquent à l’appui de leurs griefs, est un droit autonome, indépendant de tout autre droit garanti par le Pacte. Il renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que celui-ci a affirmé à maintes reprises que les différences de traitement n’étaient pas toutes discriminatoires et qu’une différenciation fondée sur des motifs objectifs et raisonnables ne constituait pas une violation de l’article 26.

4.13L’article 26 n’implique pas que l’État est tenu de réparer une injustice passée, compte tenu en particulier du fait que le Pacte n’était pas applicable à l’époque de l’ancien État communiste de Tchécoslovaquie. L’État partie renvoie aux observations qu’il a faites précédemment dans des affaires analogues et réaffirme qu’il n’est pas possible de remédier à toutes les injustices passées et que dans l’exercice de ses prérogatives légitimes le législateur, faisant usage de sa marge d’appréciation, a dû déterminer sur quels domaines factuels il allait légiférer et dans quel sens, de façon à atténuer les préjudices. L’État partie conclut qu’il n’a pas commis de violation de l’article 26 en l’espèce.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires du 5 août 2011, les auteurs expliquent qu’ils n’ont pas saisi les tribunaux civils de la République tchèque parce que les informations accessibles au public et l’expérience d’autres émigrés tchèques les portaient à croire qu’une action n’aurait aucune chance d’aboutir. Ils reconnaissent qu’ils auraient pu engager d’autres procédures en vertu de la loi no 87/1991 pour recouvrer leurs biens, mais insistent sur le fait que la loi exigeait des demandeurs qu’ils aient la nationalité tchèque à cette époque afin de pouvoir prétendre à la restitution des biens confisqués. Les auteurs ne pouvaient pas bénéficier de l’application de cette loi car ils n’avaient pas la nationalité tchèque et qu’il était impossible pour les auteurs de l’obtenir à l’époque considérée. En conséquence, toute action aurait été inutile.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que leurs biens ne figurent pas au cadastre, les auteurs indiquent que leur maison avec terrain à bâtir située à l’adresse Cholupicka 105, Prague 4 − Modrany, n’existe plus en effet car elle a été démolie vers 1973, après avoir été confisquée et probablement vendue, en même temps que d’autres maisons, par les autorités qui avaient besoin de faire de la place pour une nouvelle rue et des immeubles d’habitation. Toutefois, l’un des deux auteurs est né dans cette maison et y a vécu pendant trente et un ans. En outre, l’adresse Cholupicka 105, Prague 4 − Modrany apparaît sur divers documents, dont son certificat de naissance, son certificat de mariage et son permis de conduire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il n’est pas nécessaire, aux fins du Protocole facultatif, d’épuiser des recours internes qui sont réputés inopérants. Le Comité relève qu’en raison des conditions préalables fixées par la loi no 87/1991, les auteurs ne pouvaient pas présenter à l’époque une demande de restitution puisqu’ils n’avaient pas la nationalité tchèque. Le Comité note à ce propos que d’autres demandeurs ont contesté sans succès la constitutionnalité de cette loi, que les constatations qu’il a formulées précédemment dans des affaires analogues n’ont pas été suivies d’effet et que, malgré ces plaintes, la Cour constitutionnelle a confirmé la constitutionnalité de la loi relative à la restitution des biens. Le Comité conclut donc que les auteurs n’étaient pas tenus d’épuiser les recours ouverts au niveau national.

6.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui objecte que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications, selon les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité note que les auteurs lui ont adressé la communication près de quinze ans après l’entrée en vigueur de la loi contestée (loi no 87/1991). À ce sujet, il fait observer que les auteurs n’ont avancé pour toute explication que le fait qu’ils n’étaient pas en mesure à l’époque de recouvrer la nationalité tchèque. Le Comité note en outre que les auteurs ont affirmé qu’ils connaissaient la loi no 87/1991 et les conditions qu’elle fixait, mais n’ont pas expliqué pourquoi ils ont saisi le Comité quinze ans après l’entrée en vigueur de la loi et près de onze ans après que la loi en question a cessé d’être applicable.

6.4Pour l’examen de la communication, le Comité suit sa jurisprudence qui établit qu’une communication peut constituer un abus lorsqu’elle est présentée après un délai exceptionnellement long sans raison suffisante pour justifier ce retard. Le Comité rappelle que les auteurs lui ont adressé la présente communication près de quinze ans après l’entrée en vigueur de la loi contestée (loi no 87/1991) et près de onze ans après que ladite loi a cessé d’être applicable. Le Comité fait observer que les auteurs n’ont avancé pour toute explication que le fait qu’ils n’étaient pas en mesure à l’époque de recouvrer la nationalité tchèque. En l’espèce, alors que l’État partie a soulevé la question de ce retard constitutif d’un abus du droit de plainte, les auteurs n’ont pas expliqué ni justifié pourquoi ils avaient attendu près de quinze ans avant de soumettre leur plainte au Comité. À la lumière de ces éléments, pris ensemble, et compte tenu du fait que la décision du Comité dans l’affaire Simunekremonte à 1995, le Comité conclut que le retard est déraisonnable et excessif au point de constituer un abus du droit de présenter une communication et, dans les circonstances particulières de l’espèce, il déclare la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]