Nations Unies

CCPR/C/107/D/2027/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 avril 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2027/2011

Décision adoptée par le Comité à sa 107e session (11-28 mars 2013)

Communication p résentée par:

Almas Kusherbaev (représenté par Nani Jansen, Media Legal Defence Initiative)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

6 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 16 février 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 mars 2013

Objet:

Journaliste déclaré coupable de diffamation à l’égard d’un homme politique et condamné à verser une indemnité importante

Questions de procédure:

Recevabilité ratione temporis

Questions de fond:

Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial; restriction du droit à la liberté d’expression et d’opinion

Articles du Pacte:

14 (par. 1) et 19

Article du Protocole facultatif:

1er

Annexe

Décision du Comité des droits de l’hommeen vertu du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civilset politiques (107e session)

concernant la

Communication no 2027/2011*

Présentée par:

Almas Kusherbaev (représenté par Nani Jansen, Media Legal Defence Initiative)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kazakhstan

Date de la communication:

6 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2013,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. Almas Kusherbaev, de nationalité kazakhe, né en 1981. Il se déclare victime d’une violation par le Kazakhstan de ses droits au titre de l’article 4 (par. 1) et de l’article 19 du Pacte. Il est représenté par Mme Nani Jansen, de Media Legal Defence Initiative.

1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur travaillait comme journaliste au Taszha r gan, hebdomadaire indépendant d’Almaty. Le 24 avril 2008, il a publié dans ce journal un article intitulé «Le pauvre latifundiste Madinov» («Бедный Латифундист Мадинов» en russe), dans lequel il décrivait la situation du secteur agraire à la suite de la décision du Gouvernement d’interdire l’exportation de céréales et donnait son avis sur diverses questions revêtant à l’époque un intérêt public, telles que l’économie mondiale et la place qu’y occupait le Kazakhstan, la crise financière, le prix des denrées alimentaires de base, notamment des céréales, l’interdiction de l’exportation de céréales et les intérêts commerciaux d’un député au Parlement, Romin Madinov. L’article critiquait M. Madinov et laissait entendre qu’il y avait un conflit d’intérêts entre ses activités professionnelles et ses obligations en tant que député.

2.2En août 2008, en réponse à cet article, M. Madinov a engagé une procédure civile contre DAT-X Media Ltd. et contre l’auteur, réclamant des dommages-intérêts pour diffamation, la restitution des droits de propriété et une indemnité pour préjudice moral. Il accusait l’auteur d’avoir porté atteinte à son image en expliquant dans son article que ses intérêts commerciaux avaient bénéficié de son activité législative, et il réclamait 300 millions de tenges kazakhs (environ 2 millions de dollars É.-U.) à titre de dédommagement.

2.3Le 16 janvier 2009, le tribunal du district Medeu d’Almaty a déclaré l’auteur coupable de diffamation et accordé à M. Madinov 3 millions de tenges (18 420 euros), cette somme devant être versée conjointement par l’auteur et par le propriétaire de DAT-X Media Ltd.. Le tribunal a observé que l’auteur avait établi un parallèle entre M. Madinov et la «prédation d’entreprises» (à savoir la saisie par une partie d’un bien appartenant à une autre partie contre la volonté de cette dernière au moyen de menaces, de pressions, de violences, etc.) et était allé plus loin en comparant le parti politique dirigé par M. Madinov à un simple moyen de garder les profits de la privatisation. Le tribunal a également indiqué que, au mépris du principe de la présomption d’innocence, l’auteur avait accusé M. Madinov d’actes délictueux liés à la tentative de prise de contrôle et d’acquisition de «l’industrie céréalière», jetant un doute sur la légalité de ses activités. Le tribunal a d’autre part évoqué la vaine tentative faite par M. Madinov pour obtenir de l’hebdomadaire une rétractation, et considéré que l’article publié ne correspondait pas à la vérité. Notant en outre que l’auteur a indiqué que M. Madinov mettait ses pouvoirs de député à son service personnel en spéculant dans l’agriculture, le tribunal a conclu que les remarques sans fondement formulées dans l’article portaient atteinte au nom et à la réputation de M. Madinov et violaient des droits personnels non patrimoniaux garantis aux articles 17 et 18 de la Constitution.

2.4L’auteur a introduit un recours auprès du tribunal de la ville d’Almaty, arguant d’une violation de son droit à la liberté d’expression. M. Madinov a également fait appel, réclamant des dédommagements plus importants. Le 26 février 2009, le tribunal a rejeté l’appel de l’auteur, et a fait partiellement droit à la demande de M. Madinov, portant à 30 millions de tenges (environ 200 000 dollars É.-U.) le montant des dédommagements devant être versés conjointement par l’auteur et le propriétaire de DAT-X Media Ltd. Le tribunal a rejeté les conclusions de l’expertise linguistique de l’article de l’auteur au motif que celle-ci avait été effectuée par une organisation de défense de la liberté d’expression qui employait l’avocat de l’auteur pour des procédures internes, et n’était donc pas objective, et il a refusé la réalisation de toute autre analyse. L’auteur a demandé le 20 août 2009 un réexamen de l’affaire par la Cour suprême, invoquant notamment une violation de son droit à la liberté d’expression. Le 21 août 2009, la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal de la ville d’Almaty. Suite à ce jugement, la police a enjoint l’auteur de payer les dommages-intérêts par mensualités de 7 200 tenges chacune (environ 50 dollars). L’auteur effectue depuis des versements mensuels. À ce rythme, il affirme qu’il paiera des dommages-intérêts jusqu’à la fin de sa vie et qu’il risque la prison s’il interrompt ses versements.

Teneur de la plainte

Allégations de violation de l’article 19 du Pacte

3.1L’auteur affirme que son article était protégé par l’article 19 du Pacte et que les dédommagements qui lui ont été imposés pour diffamation, le régime de paiement établi par la police et la mise à exécution de l’obligation de paiement sous peine d’emprisonnement constituent une violation persistante des droits que lui reconnaît l’article 19 du Pacte.

3.2L’auteur fait valoir que la liberté d’expression est universellement reconnue comme un droit de l’homme fondamental, notamment en raison de son rôle essentiel dans le fondement de la démocratie. Ainsi que l’a déclaré le Comité, «le droit à la liberté d’expression revêt une importance essentielle dans toute société démocratique». La garantie de la liberté d’expression s’applique avec une force particulière aux médias. La Cour européenne des droits de l’homme a régulièrement fait valoir «le rôle éminent de la presse dans un État de droit». Le Comité a également souligné qu’une presse libre était essentielle dans le processus politique: la communication libre des informations et des idées concernant des questions publiques et politiques entre les citoyens, les candidats et les représentants élus est essentielle. Cela exige une presse et d’autres organes d’information libres, en mesure de commenter toute question publique sans censure ni restriction, et capable d’informer l’opinion publique.

3.3Selon l’auteur, les médias ont non seulement le droit mais aussi le devoir de commenter et de relater des questions d’intérêt public. Les tribunaux internationaux ont fait valoir que le devoir de la presse allait au-delà de la simple présentation des faits: le devoir de la presse était d’interpréter les faits et les événements afin d’informer le public et de contribuer au débat sur des questions d’importance publique. Il n’y a guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de la discussion de questions d’intérêt général.

3.4L’auteur rappelle en outre que le droit à la liberté d’expression protège les propos au caractère heurtant et insultant autant que ceux qui sont accueillis favorablement. L’un des principes fondamentaux qui se dégagent de la jurisprudence relative à la liberté d’expression est que le droit à la liberté d’expression «vaut non seulement pour les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de “société démocratique”».

3.5L’auteur affirme que les tribunaux internationaux des droits de l’homme ont reconnu que les hommes politiques et les personnalités publiques devaient être ouverts aux critiques concernant leurs agissements publics. Cela signifie que les limites des critiques acceptables sont plus larges pour les hommes politiques que pour les personnes privées. Comme l’a déclaré la Cour européenne des droits de l’homme, les limites de la critique admissible sont donc plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier. À la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance. Ce principe ne se limite pas à la critique des hommes politiques agissant en tant que personnes publiques. La question des intérêts privés ou professionnels peut également entrer en ligne de compte. La Cour européenne des droits de l’homme a par exemple estimé que «le fait qu’un homme politique se trouve dans une situation où ses activités professionnelles et politiques empiètent les unes sur les autres peut donner lieu à un débat public, même lorsque, à strictement parler, aucun problème d’incompatibilité de fonctions ne se pose en droit interne».

3.6L’auteur déclare en outre que le droit international des droits de l’homme exige que, dans les cas de diffamation, l’exposé des faits soit clairement distingué des jugements de valeur. La raison en est que l’existence de faits peut être démontrée alors que la vérité d’un jugement de valeur ne peut pas être prouvée. Dans l’affaire Dich and et autres c.Autriche, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’il était impossible de prouver la vérité d’un jugement de valeur et qu’une telle exigence enfreignait la liberté d’opinion elle‑même, qui était un élément fondamental du droit à la liberté d’expression. La Cour a en outre déclaré, dans l’affaire Dalban c. Roumanie, qu’on ne saurait admettre qu’un journaliste ne puisse formuler des jugements de valeur critiques qu’à la condition de pouvoir en démontrer la vérité. L’auteur affirme que les tribunaux nationaux n’ont pris en considération − ou même mentionné − aucun de ces principes fondamentaux et n’ont pas tenu compte du fait que son article portait sur une question de grande importance publique et concernait les activités professionnelles d’un homme politique.

3.7En outre, l’auteur affirme que son article analyse les problèmes économiques complexes liés à l’augmentation du prix des céréales et les mesures prises par le Gouvernement pour régler cette question. Dans ce contexte, il évoque le rôle de M. Madinov en tant qu’homme politique et homme d’affaires. L’article portait sur une question de grande importance publique qu’en tant que journaliste il avait non seulement le droit mais aussi le devoir de traiter. Le Kazakhstan est un grand producteur de céréales et la question intéressait la population; or les tribunaux n’ont tenu compte d’aucune de ces considérations.

3.8L’auteur déclare qu’il a été critiqué par les tribunaux nationaux pour n’avoir fourni aucun élément de preuve à l’appui des déclarations faites dans son article. Il affirme que les tribunaux ont qualifié à tort les déclarations en cause comme étant l’exposé de faits susceptibles d’être prouvés alors qu’elles auraient dû être considérées comme des déclarations d’opinion non susceptibles d’être prouvées, et que les quatre déclarations auxquelles les tribunaux se sont attachés sont des exemples typiques de déclarations d’opinion. Or les tribunaux ont considéré que les déclarations n’étaient pas étayées par des preuves et conclu qu’elles étaient diffamatoires. Certaines déclarations sont certes rédigées en termes énergiques, mais l’auteur affirme que les journalistes sont en droit de recourir à une certaine dose d’exagération et que les hommes politiques doivent tolérer les critiques portant sur leurs agissements, même lorsqu’elles sont durement formulées.

3.9L’auteur rappelle que toute restriction au droit à la liberté d’expression doit être justifiée comme étant strictement «nécessaire» au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Le critère de «nécessité» implique la proportionnalité, ce qui signifie que l’ampleur des restrictions imposées à la liberté d’expression doit être en rapport avec la valeur que ces restrictions visent à protéger, et cette condition s’applique aussi aux dédommagements imposés dans les affaires de diffamation. L’auteur se réfère à cet égard à l’affaire Tolstoy  Miloslavsky c. Royaume-Uni, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’imposer le versement de dommages-intérêts excessifs dans les affaires de diffamation violait le critère de «nécessité» justifiant une restriction à la liberté d’expression. La Cour a expliqué que, selon la Convention, toute décision accordant des dommages-intérêts devait présenter un rapport raisonnable de proportionnalité avec l’atteinte causée à la réputation. Dans l’affaire Steel et Morris c. Royaume-Uni, la Cour a considéré que, lors de l’imposition de dommages-intérêts, il fallait tenir compte des conséquences probables d’une telle mesure pour le requérant, et a relevé que les montants auxquels les requérants avaient été condamnés étaient très substantiels si on les comparait aux revenus et aux moyens modestes des deux intéressés; elle a donc conclu à une violation du droit à la liberté d’expression.

3.10À cet égard, l’auteur affirme que les dommages-intérêts qui lui ont été imposés sont très disproportionnés et constituent donc une violation de son droit à la liberté d’expression. Il prétend que M. Madinov n’a pas démontré le préjudice exact qu’il avait subi du fait de son article, et constate qu’il est toujours député. Il affirme que le montant de 30 millions de tenges représentait à l’époque près de 200 fois son salaire mensuel, et 300 fois le revenu moyen dans le secteur de la communication au Kazakhstan. L’auteur s’oppose en outre à la prise en considération par le tribunal d’Almaty de la «déclaration subjective» de M. Madinov concernant le stress qu’il aurait subi. Outre qu’une telle déclaration est totalement invérifiable, son acceptation ouvrirait grand la porte à n’importe quelle évaluation subjective des préjudices, même les plus excessifs. L’auteur fait valoir que la confirmation de l’indemnité prohibitive qui lui a été imposée ne manquera pas de dissuader d’autres personnes de critiquer des responsables publics et limitera la libre circulation de l’information et des idées.

3.11En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis, l’auteur affirme que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009; le Comité a compétence pour examiner des communications concernant des mesures qu’ont prises (ou que n’ont pas prises) des autorités publiques ou concernant des textes réglementaires ou des décisions qu’elles ont adoptés à une date ultérieure. L’auteur affirme en outre que, selon la jurisprudence du Comité, celui-ci a compétence pour examiner des violations qui persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Plus particulièrement, le Comité a considéré qu’une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. De plus, le Comité s’est déclaré à plusieurs reprises compétent pour examiner des violations présumées qui ont eu des conséquences équivalant en elles-mêmes à des violations après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. L’auteur fait valoir que, dans l’affaire Paraga c. Croatie, le Comité a considéré que les poursuites pour calomnie qui avaient été engagées avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif et n’avaient jamais été abandonnées plusieurs années durant se rapportaient à des incidents qui avaient des effets persistants pouvant constituer en eux-mêmes une violation du Pacte. Il affirme donc que le Comité est compétent pour examiner sa communication parce que les autorités veillent activement à l’exécution du versement des dommages-intérêts après le 30 septembre 2009, c’est-à-dire après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Comme suite à la décision de la Cour suprême, il a été convoqué au poste de police et s’est vu imposer un régime de versements mensuels qui fait l’objet d’un contrôle suivi. Il affirme que cela constitue une reconnaissance par une institution de l’État du jugement rendu et une violation persistante, à la fois par des actes et de manière implicite. En outre, ses paiements ayant été reçus par trois institutions publiques, la perception des versements par ces institutions après le 30 septembre 2009 constitue une claire reconnaissance par des institutions de l’État du jugement rendu, et donc une violation persistante.

3.12L’auteur déclare que sa condamnation pour diffamation a de graves effets qui perdurent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif et qui constituent en eux-mêmes une violation de ses droits. Premièrement, du fait de cette condamnation, il ne peut plus être employé dans la presse et est donc dans l’incapacité d’exercer son droit à la liberté d’expression par le moyen de son choix, à savoir les médias. Il s’agit d’un effet de sa condamnation qui constitue en soi une violation de l’article 19 du Pacte. Deuxièmement, l’auteur continue de pâtir financièrement de sa condamnation. Il continue de verser des dommages-intérêts et, étant donné l’énormité de la somme à verser et de la modestie de ses moyens, continuera de le faire jusqu’à sa mort. C’est là un effet persistant de sa condamnation initiale qui constitue en soi une violation.

Allégations de violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte

3.13L’auteur affirme que la procédure menée contre lui a été partiale, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il déclare qu’aucun des tribunaux nationaux n’a mentionné le fait que son article portait sur les activités d’un homme politique concernant une question d’intérêt public, que les médias devraient être autorisés à traiter. Il rappelle que le Comité a expliqué que l’exigence d’impartialité comprend deux aspects. Premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des parties au détriment de l’autre. Deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable. L’auteur affirme que les tribunaux nationaux n’ont respecté aucune de ces deux conditions.

3.14L’auteur affirme aussi que l’expertise (analyse linguistique de son article) effectuée pour son compte a été négligée par les tribunaux bien que le tribunal du district de Medeu (juridiction de première instance) l’ait dans un premier temps admise comme preuve; tout au long de la procédure, les représentants du requérant ont fait l’objet d’une déférence manifeste.

3.15L’auteur déclare qu’il a épuisé les recours internes. Il affirme qu’il serait vain pour lui de former un recours contre la mise à exécution de la décision de dédommagement et précise que cette question n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

3.16L’auteur demande au Comité de déclarer que ses droits ont été violés au titre des articles 14 (par. 1) et 19 du Pacte, en établissant que le contenu de son article était protégé par l’article 19 du Pacte et que le montant du dédommagement qui lui a été imposé était disproportionné. Il lui demande en outre de prier l’État partie de modifier sa législation de façon à ce que les dispositions relatives à la diffamation soient conformes au Pacte, c’est-à-dire à ce que le droit interne admette l’expression d’opinions honnêtes sur des questions d’intérêt public et prévoie le plafonnement des dommages-intérêts imposables dans les affaires civiles de diffamation, et de le dédommager pour la violation de ses droits au titre du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note verbale du 25 février 2012, l’État partie confirme que l’auteur a épuisé tous les recours internes et indique que le jugement rendu à son égard est entré en vigueur le 26 février 2009. Il rappelle que, lors de la ratification du Protocole facultatif, il a fait une déclaration limitant la compétence du Comité ratione temporis. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009, or les actes dont l’auteur se plaint dans sa communication ainsi que les décisions adoptées dans son affaire sont antérieurs à cette date. En conséquence, l’État affirme que la communication de l’auteur est irrecevable ratione temporis.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1Le 25 avril 2012, l’auteur réitère sa réclamation et note que l’objection opposée par l’État partie à la recevabilité de sa communication ne tient pas compte de la persistance de la violation à son égard. À ce propos, il répète les arguments formulés dans sa communication initiale (par. 3.11 et 3.12 ci-dessus) et maintient que le Comité a compétence pour examiner sa communication dans la mesure où: a) l’État partie a prolongé la violation commise antérieurement, à la fois par des actes et de manière implicite; b) la violation a persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif et persiste encore; c) la violation a des conséquences qui en elles-mêmes et par elles-mêmes violent le Pacte.

5.2.L’auteur affirme que dans l’affaire Gueye et al.c. France, le Comité a constaté une violation des droits des auteurs au titre du Pacte dans la mesure où la loi a eu des effets après la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie. Il a confirmé, dans l’affaire E. et A. K. c. Hongrie, qu’une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. Dans l’affaire J. L.c.Australie, le Comité a considéré le caractère persistant d’une violation du Pacte résultant d’audiences qui avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’Australie, et noté que les effets des décisions de la Cour ont persisté après l’entrée en vigueur du Protocole.

5.3L’auteur affirme que, comme dans ces affaires, la violation de ses droits au titre du Pacte a persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Du fait de sa condamnation, il n’a pas pu trouver de travail comme journaliste ni d’emploi rémunérateur. Il a pâti financièrement des obligations de paiement qui lui ont été imposées, violation qui a persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Ne s’acquittant pas de ces obligations, car étant dans l’incapacité de le faire, il risque en permanence l’emprisonnement, ce qui signifie que ses droits continuent d’être violés. L’auteur affirme en outre que le Comité a compétence pour examiner des violations au titre du Pacte qui ont des conséquences constituant en elles-mêmes une violation du Pacte après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif.

5.4L’auteur réaffirme que le jugement rendu à son égard par la Cour suprême du Kazakhstan le 20 août 2009 a eu des conséquences qui ont perduré après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Kazakhstan et qui durent encore. Ces effets persistants, à la fois en eux-mêmes et par eux-mêmes, violent le Pacte, puisque l’auteur ne peut pas trouver d’emploi rémunérateur du fait de sa condamnation et qu’il doit payer des dommages-intérêts énormes, et puisque, du fait de l’incapacité où il se trouve de s’acquitter de son obligation parce qu’il ne peut pas percevoir de salaire, il est menacé en permanence d’emprisonnement. Le fait que les paiements qu’il a effectués sont perçus par des institutions publiques constitue à la fois une nouvelle violation et une confirmation de sa condamnation antérieure.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 17 juillet 2012, l’État partie a soumis ses observations sur le fond et présenté un résumé des faits et des procédures dans l’affaire de l’auteur. Selon l’État partie, l’auteur, dans l’article qu’il a publié, a indiqué que M. Madinov profitait de ses fonctions officielles pour promouvoir ses intérêts personnels dans l’agriculture. Il a en outre déclaré que M. Madinov s’était «arrangé pour privatiser, ou plus précisément mettre la main (d’aucuns diraient par un acte de “prédation”) sur un vaste pan de l’industrie céréalière». L’État partie déclare que la notion de prédation renvoie à la saisie par une partie d’un bien appartenant à une autre partie contre la volonté de cette dernière au moyen de menaces, de pressions, de violences, etc. Ces remarques portent atteinte au nom et à la réputation professionnelle de M. Madinov, puisqu’elles l’accusent de comportement délictueux lié à la spéculation et à la tentative de prise de contrôle et d’acquisition de «l’industrie céréalière».

6.2Conformément au paragraphe 3 1) de l’article 77 de la Constitution du Kazakhstan, une personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie par une décision judiciaire passée en force de chose jugée. Selon l’article 65 du Code de procédure civile, toutes les parties sont tenues de fournir des éléments de preuve à l’appui des circonstances qu’elles invoquent dans leurs objections et réclamations. L’auteur n’a produit aucun élément prouvant que M. Madinov aurait acquis ses biens de manière illicite. Au cours de la procédure civile, l’auteur a soumis pour sa défense un avis établi par des philologues du Centre public d’expertise des questions d’information et de documentation, selon lequel les remarques faites dans son article ne portaient pas atteinte au nom et à la réputation professionnelle de M. Madinov. Ces conclusions ont été rejetées au motif que l’analyse linguistique en question avait été réalisée par une organisation de défense de la liberté d’expression qui employait également l’avocat de l’auteur dans des procédures internes, et qu’elle n’était donc pas objective.

6.3L’État partie fait de plus observer que l’auteur déclare dans son article que «le parlement monocaméral est dépourvu de personnalités remarquables ou présentant une valeur pour la société, ou capables de défendre les intérêts de l’État. Il se compose uniquement d’opportunistes, d’affairistes, de flagorneurs et de gagne-deniers, types de privilégiés et d’hommes d’affaires qui ne se servent du parlement que pour promouvoir leurs propres intérêts et protéger leurs affaires personnelles tout en feignant de temps à autre de s’intéresser au bien de l’État», et l’auteur poursuit: «M. Madinov pourrait parfaitement raisonnablement contester une telle critique, en demandant par exemple: “Pourquoi diable avoir formé ce parti si c’est seulement pour suivre le mouvement et soutenir le régime et, quand l’occasion se présente, ne pas en profiter?”». Selon l’État partie, de tels propos présentent publiquement M. Madinov comme un homme qui s’exprime grossièrement et semble manquer de manières, ce qui constitue également une diffamation à son égard.

6.4L’article 21 de la loi du Kazakhstan sur les médias interdit aux journalistes de publier des informations inexactes et leur impose de respecter les droits et les intérêts légitimes des personnes physiques et morales et de s’acquitter des autres devoirs que leur impose la législation kazakhe. Conformément au paragraphe 1 de l’article 143 du Code civil, un citoyen peut exiger en justice la rétractation d’informations portant atteinte à son nom et à sa réputation professionnelle si la personne publiant ces informations n’apporte pas la preuve que celles-ci correspondent à la vérité. Ainsi, conformément à cette disposition, le devoir de prouver la véracité de l’information publiée incombe-t-il au défendeur. Le demandeur doit seulement prouver que l’information diffamatoire a été publiée par le défendeur et peut aussi fournir des éléments prouvant que l’information diffamatoire est inexacte. L’auteur n’a pas présenté d’élément prouvant que l’information contenue dans son article était exacte et n’a pas vérifié l’exactitude de ces remarques (fait qu’il n’a pas réfuté à l’audience). L’information contenue dans l’article «Le pauvre latifundiste» portait donc atteinte au nom et à la réputation de M. Madinov et violait ses droits personnels non patrimoniaux garantis aux articles 17 et 18 de la Constitution.

6.5Conformément au paragraphe 4 de l’article 143 du Code civil, la demande faite à un média par une personne physique ou morale de publier une rétractation ou une mise au point est examinée par les tribunaux si le média en question refuse d’y accéder ou n’y accède pas dans un délai d’un mois, ou en cas de dissolution du média. Le 6 août 2008, M. Madinov a demandé au journal Taszhargan de publier une rétractation mais sa demande a été laissée sans suite. Conformément au paragraphe 6 de l’article 143 du Code civil, une personne physique ou morale dont le nom ou la réputation professionnelle ont été attaqués a non seulement le droit d’exiger une rétractation mais peut aussi demander la réparation et l’indemnisation du préjudice moral subi. À cet égard, le tribunal du district de Medeu d’Almaty (16 janvier 2009) et le tribunal de la ville d’Almaty (26 février 2009) ont ordonné à l’auteur et à DAT-X Media Ltd. de publier une rétractation et de verser des dommages‑intérêts d’un montant de 30 millions de tenges. Les décisions des tribunaux sont licites et pleinement conformes au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, selon lequel le droit à la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions qui doivent être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui.

6.6L’État partie déclare en outre que les allégations de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte ne sont pas fondées puisque l’auteur a fait appel des décisions adoptées à son égard auprès d’instances supérieures. L’État partie juge également non fondée l’allégation de l’auteur selon laquelle la législation interne n’est pas conforme au Pacte, dans la mesure où l’auteur n’indique pas les dispositions précises de la législation qui contreviennent au Pacte.

6.7L’État partie explique en outre que la législation nationale en vigueur ne prévoit aucune restriction quant au montant pouvant être accordé à titre de réparation d’un préjudice moral. L’article 951, paragraphe 1, du Code civil définit le préjudice moral comme une violation, un dénigrement ou la privation des avantages et droits non patrimoniaux personnels d’individus, y compris la souffrance morale ou physique résultant d’un acte illégal commis contre eux. L’article 952 du Code civil prévoit, pour le préjudice moral subi, une indemnisation pécuniaire dont le montant est décidé par le tribunal. Pour déterminer le montant pécuniaire de la réparation d’un préjudice moral, le tribunal se fonde sur la résolution no 6, adoptée le 18 décembre 1992 par la Cour suprême en session plénière, relative à l’application par les tribunaux de la législation sur l’atteinte au nom et à la réputation professionnelle des personnes physiques et morales, sur la résolution réglementaire adoptée le 21 juin 2001 par la Cour suprême, relative à l’application par les tribunaux de la législation sur les dédommagements pour préjudice moral, et sur les principes d’équité et de suffisance, en tenant compte de l’évaluation subjective que fait la partie lésée de la gravité des souffrances morales ou physiques subies ainsi que de données objectives attestant de ces souffrances, en particulier l’importance déterminante des droits non patrimoniaux personnels (droit, santé, liberté, inviolabilité du domicile, protection de la vie privée et de la vie familiale, honneur et réputation, etc.), l’étendue des souffrances morales et physiques subies, et la nature de la faute de l’auteur (malveillance, négligence) lorsque celle-ci doit être établie aux fins de la réparation du préjudice.

6.8En ce qui concerne l’allégation de l’auteur, selon laquelle il se trouve dans l’incapacité de trouver un emploi rémunérateur du fait de sa condamnation, l’État partie déclare que les tribunaux ne l’ont pas privé de son droit d’exercer le métier de journaliste. Il n’y a donc aucune raison découlant des décisions judiciaires qui soit susceptible d’empêcher l’auteur d’exercer une activité journalistique ou tout autre emploi rémunérateur.

6.9Quant à l’allégation de l’auteur concernant la menace constante d’emprisonnement qui pèse sur lui s’il n’exécute pas le jugement, l’État partie déclare qu’aucune poursuite pénale n’a été engagée contre l’auteur pour non-exécution de la décision judiciaire, et qu’il n’est actuellement pas question de poursuivre l’auteur à cet égard. Son affirmation selon laquelle il serait en permanence menacé d’emprisonnement en raison de son incapacité à verser les mensualités imposées n’est donc pas fondée. De plus, conformément à l’article 233 du Code de procédure civile, l’auteur peut saisir la justice pour demander une suspension ou un report de l’exécution du jugement.

Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une lettre datée du 11 septembre 2012, l’auteur renouvelle ses griefs précédents et relève que l’État n’a pas vraiment répondu aux faits et arguments juridiques contenus dans sa communication. Il maintient que la sentence pour diffamation rendue à son égard et la menace d’exécution de cette sentence sous peine d’emprisonnement en cas de non-paiement constituent une violation persistante de l’article 19 du Pacte parce que les tribunaux nationaux n’ont pas pris en compte les principes fondamentaux relatifs au droit à la liberté d’expression en ne reconnaissant pas comme ils l’auraient dû que son article portait sur une question de grande importance publique, en qualifiant à tort son article comme exposant des faits alors qu’il exprimait une opinion, et en lui infligeant une sanction disproportionnée. L’État partie n’a traité ou contesté aucun de ces arguments dans ses observations.

7.2L’auteur fait en outre observer que l’État partie n’a pas répondu à ses arguments concernant la violation des droits que lui reconnaît l’article 14 du Pacte, déclarant que ses allégations n’étaient pas fondées sans présenter d’autre raison que le fait qu’il avait pu contester le jugement et qu’il l’avait effectivement contesté.

7.3En ce qui concerne les arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas indiqué les dispositions précises de la législation kazakhe qui étaient contraires au Pacte, il déclare qu’il a clairement demandé au Comité dans sa communication de recommander au Kazakhstan de modifier sa législation sur deux points: a) admettre l’expression d’une opinion honnête sur des questions d’intérêt public; b) plafonner le montant des dommages-intérêts imposables dans les actions civiles en diffamation.

7.4L’auteur note en outre que l’État partie reconnaît que la législation nationale en vigueur ne prévoit aucune limitation du montant pouvant être imposé à titre de réparation pour préjudice moral. Il affirme que le montant énorme des dommages-intérêts qu’il a été condamné à verser montre que les règles de la Cour suprême auxquelles l’État partie se réfère ne sont pas efficaces pour empêcher les tribunaux d’imposer des montants aussi excessifs. Cela signifie, soit que ces règles sont elles-mêmes mal conçues, soit qu’elles ont été en l’espèce mal interprétées ou mal appliquées par les tribunaux.

7.5L’auteur juge également difficile à comprendre l’argument de l’État partie concernant son incapacité à trouver un emploi rémunérateur du fait de sa condamnation. L’État partie prétend ne pas voir en quoi le jugement rendu contre lui l’empêcherait d’obtenir un autre emploi rémunérateur. L’auteur répète qu’il lui est impossible de trouver un emploi rémunérateur «puisqu’une partie de son salaire devra être reversée à l’État partie». Il lui est difficile non seulement de trouver du travail dans sa profession, mais aussi de trouver tout autre type d’emploi rémunérateur. Le fait qu’il ne puisse pas travailler comme journaliste l’empêche non seulement d’exercer son droit fondamental à la liberté d’expression mais a également des effets plus larges sur le respect des principes démocratiques consacrés dans le Pacte en général.

7.6Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle les organismes chargés de l’application de la loi ne cherchent pas actuellement à faire exécuter la décision du tribunal à son égard, l’auteur affirme que cela vient à l’appui de son allégation selon laquelle, si la décision n’est pas actuellement mise à exécution, il se trouve en permanence sous la menace qu’une telle procédure d’exécution puisse être engagée. Bien que la mise à exécution ne soit actuellement pas recherchée (comme l’a indiqué l’État partie), elle est en permanence pendante à son égard. En ce qui concerne la déclaration de l’État partie affirmant qu’il peut demander une suspension d’exécution de sa sentence, l’auteur ne voit pas comment des tribunaux qui ont fait preuve d’une telle partialité à son égard lors des audiences ayant abouti à sa condamnation pourraient statuer de façon impartiale sur une éventuelle demande de suspension de sa part.

7.7À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de ses soumissions initiales, l’auteur demande au Comité d’examiner sa communication sur le fond, de conclure que l’État partie a violé les articles 14 (par. 1) et 19 du Pacte, et de prier l’État partie de modifier sa législation relative à la diffamation et de le dédommager pour la violation de ses droits.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis, dans la mesure où les actes contestés par l’auteur, ainsi que les décisions adoptées dans son cas, portent sur des événements qui se sont produits avant le 30 septembre 2009, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Kazakhstan. À cet égard, l’État partie invoque sa déclaration restreignant la compétence du Comité aux seuls faits postérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité rappelle qu’il ne peut examiner les violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie concerné, sauf si ces violations perdurent après cette date ou continuent d’avoir des effets qui, en soi, constituent une violation du Pacte. À cet égard, l’auteur affirme que le Comité est compétent pour examiner sa communication parce que le versement continu de dommages-intérêts après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif constitue une reconnaissance, par des actes ou de manière implicite, de la violation antérieure, et parce que la condamnation pour diffamation a des conséquences graves qui persistent après l’entrée en vigueur du Protocole et qui constituent elles-mêmes des violations de ses droits au titre du Pacte, puisqu’il ne peut plus trouver de travail dans la presse et n’est pas en mesure d’exercer sa liberté d’expression par le moyen de son choix, qu’il continue de pâtir financièrement de sa condamnation et qu’il est menacé en permanence d’emprisonnement pour non-exécution du jugement (voir par. 3.11, 3.12 et 5.1 à 5.4 ci-dessus).

8.3Le Comité observe que la publication de l’article de l’auteur, l’ouverture à l’égard de celui-ci d’une action civile en diffamation et la décision du tribunal lui ordonnant de verser des dommages-intérêts à la partie lésée se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le cas d’espèce est donc différent des circonstances de la communication Para ga c. Croatie, sur laquelle l’auteur s’est appuyé, dans laquelle la procédure pour diffamation n’était pas terminée avant la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie et s’est poursuivie après cette date. Le Comité considère que le simple fait que l’auteur continue de verser des dommages-intérêts pour diffamation après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie et continue de pâtir financièrement après cette date ne constitue pas la reconnaissance d’une violation antérieure ni n’équivaut en soi à des effets persistants constituant eux-mêmes une violation de l’un quelconque des droits de l’auteur au titre du Pacte. De plus, les éléments dont est saisi le Comité montrent que l’auteur n’a en aucune manière été privé de son droit de pratiquer le journalisme. Le Comité considère donc que le jugement initial n’a pas d’effets persistants constituant eux-mêmes une violation des droits reconnus à l’auteur par le Pacte. À la lumière de cette conclusion, le Comité n’a pas à se prononcer sur la question de savoir si la déclaration faite par le Kazakhstan lors de la ratification du Protocole facultatif doit être considérée comme une réserve ou comme une simple déclaration.

8.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable ratione temporis en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]