Nations Unies

CCPR/C/108/D/1592/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 septembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1592/2007

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

Olga Pichugina (représentée par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

20 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 octobre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

17 juillet 2013

Objet:

Habeas corpus; procès inéquitable

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge; procès inéquitable

Articles du Pacte:

2, 9 (par. 3) et 14 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif:

2, 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 1592/2007 *

Présentée par:

Olga Pichugina (représentée par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

20 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1592/2007, présentée au nom de Olga Pichugina en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur est Olga Pichugina, de nationalité polonaise, née en 1962. Elle se déclare victime de violations par le Bélarus des droits qu’elle tient des articles 2, 9 (par. 3) et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 20 avril 2002, l’auteur était à bord d’un train reliant Moscou à Varsovie. À 6 h 30, le train a marqué l’arrêt en gare de Brest, au Bélarus, où elle a été arrêtée parce qu’elle était soupçonnée d’avoir commis une infraction prévue à l’article 228 du Code pénal (passage en fraude d’un montant important de devises soumises au contrôle des changes) et placée dans les locaux de détention temporaire du Département de la sécurité intérieure de la région de Brest. Le 22 avril 2002, un enquêteur du Comité de sécurité de l’État du Bélarus a rendu une ordonnance de maintien en détention, approuvée par le Procureur régional de Brest conformément aux articles 119 (par. 2) et 126 (par. 4) du Code de procédure pénale. Le même jour, l’auteur a été transférée dans les locaux de détention provisoire de la Direction du Comité de sécurité de l’État et, peu de temps après, au centre de détention provisoire de Brest (SIZO no 7). Elle y est restée jusqu’au 30 avril 2002, date à laquelle elle a été remise en liberté. Pendant les dix jours de sa détention, l’auteur n’a pas été présentée à un juge, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

2.2Au cours de cette période, l’auteur n’a engagé aucune action pour dénoncer sa non‑présentation à un juge. Elle affirme que le Code de procédure pénale du Bélarus ne reconnaît aucun droit analogue à celui qui est garanti au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Toutefois, le paragraphe 4 de l’article premier du Code de procédure pénale dispose que «Les instruments internationaux ratifiés par la République du Bélarus qui établissent des droits et des libertés pour les particuliers et les citoyens s’appliquent dans la procédure pénale au même titre que le présent Code.».

2.3Le 26 avril 2007, soit cinq ans après les faits exposés plus haut, l’auteur a déposé plainte auprès du Directeur et auprès du chef de la Direction du Comité de sécurité de l’État, au motif que les autorités compétentes ne l’avaient pas traduite devant un juge dans le plus court délai, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le 14 mai 2007, elle a reçu une réponse de chacun des deux responsables, respectivement datées du 4 et du 5 mai 2007, indiquant que les droits qu’elle tenait du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte n’avaient pas été violés, que la décision de l’enquêteur du Comité de sécurité de l’État était conforme à la loi bélarussienne en vigueur et que le droit de contester devant un tribunal la décision de mise en détention en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale n’avait pas été exercé. Dans sa réponse, le chef de la Direction du Comité de sécurité de l’État soulignait en outre que la législation en vigueur au moment des faits ne prévoyait pas que toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale devrait être présentée à un juge dans le plus court délai.

2.4Le 26 avril 2007, l’auteur a également dénoncé l’inaction des agents du Service des douanes de Brest auprès du Président du Comité national des douanes du Bélarus et du chef du Service des douanes de Brest. Le 11 mai 2007, elle a reçu une réponse du Vice-Président du Comité national des douanes indiquant que son placement en détention avait été ordonné dans le respect de la législation en vigueur. Le même jour, le Vice-Président du Comité national des douanes lui indiquait également dans un courrier daté du 5 mai 2007 que rien ne permettait de conclure que les actions du Service des douanes de Brest, autrement dit le fait de ne pas avoir présenté l’auteur à un juge dans le plus court délai, étaient illégales.

2.5L’auteur affirme qu’elle n’avait pas le droit de faire appel des décisions mentionnées parce qu’en vertu de l’article 138 du Code de procédure pénale, seules les «actions et décisions» des organismes de l’État, et non leurs «omissions», sont susceptibles de recours. En d’autres termes, aucune mesure concrète ouvrant droit à un recours n’avait été prise par un agent de l’État. Concernant le fait qu’elle n’a pas exercé son droit de contester devant un tribunal la décision ordonnant son placement en détention, l’auteur fait valoir que ce droit de recours renvoie au paragraphe 4 et non au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

2.6Le 25 mai 2007, l’auteur a saisi le tribunal du district Lénine de Brest afin qu’il ouvre une instruction civile au sujet de sa non-présentation à un juge dans le plus court délai par les autorités bélarussiennes; la demande a été rejetée le 31 mai 2007 au motif que les griefs soulevés «concernaient des actes accomplis par des organes d’investigation et d’enquête dans le cadre d’une procédure pénale. Ces actes devaient être contestés devant un tribunal conformément à la procédure prévue au chapitre 16 (art. 138 à 147) du Code de procédure pénale et ne pouvaient donc pas l’être dans le cadre de l’action civile prévue à l’article 353 du Code de procédure civile, puisque la loi prévoit une autre voie de recours». L’auteur affirme que l’exception au droit de faire appel d’actes illégaux émanant d’autorités de l’État, consacrée par l’article 353 du Code de procédure civile, ne s’applique que lorsque la loi bélarussienne «institue une autre procédure, non juridictionnelle, pour l’examen de certaines plaintes». La procédure fixée au chapitre 16 du Code de procédure civile, à laquelle le tribunal du district Lénine de Brest s’est référé, ne correspond pas à ce type de procédure. De plus, conformément à la décision no 10 (deuxième partie, par. 1) de la Chambre plénière de la Cour suprême du Bélarus, en date du 10 décembre 2002, «en vertu de l’article 60 de la Constitution du Bélarus, le recours intenté selon la procédure non juridictionnelle applicable aux actions (ou omissions) de l’État prévue par l’article 353 du Code de procédure civile n’empêche pas les justiciables de saisir un tribunal lorsqu’ils désapprouvent la décision prise». Le 15 juin 2007, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal du district Lénine de Brest devant le tribunal régional de Brest en invoquant les griefs mentionnés plus haut. Son recours a été rejeté le 16 juillet 2007 parce que, entre autres motifs, l’auteur aurait pu contester auprès du procureur compétent les actions ou omissions des institutions chargées de l’enquête dans le cadre de la procédure pénale.

2.7L’auteur renvoie à l’Observation générale no 8 (1982) du Comité sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne dans laquelle celui-ci considère que le droit d’être traduit devant un juge «dans le plus court délai» signifie que le délai imparti «ne doit pas dépasser quelques jours». Elle renvoie aussi aux constatations concernant la communication no 852/1999, Borisenko c. Hongrie , dans lesquelles le Comité a établi que la détention de l’auteur pendant trois jours avant que celui-ci ne soit présenté à un magistrat était d’une durée excessive et ne répondait pas à la condition de «célérité» découlant du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, sauf si ce retard était justifié par de bonnes raisons. L’auteur renvoie en outre à la communication no 521/1992, Kulomin c. Hongrie, dans laquelle le Comité a estimé qu’un procureur ne pouvait pas être considéré comme étant une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte parce qu’elle est restée détenue du 20 au 30 avril 2002 sans être présentée à un juge.

3.2Elle affirme en outre que les droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés car la décision du tribunal du district Lénine de Brest du 31 mai 2007 l’a empêchée de faire valoir ses droits devant un tribunal compétent, indépendant et impartial.

3.3L’auteur invoque enfin en des termes généraux une violation de l’article 2 du Pacte, sans donner d’explication ou d’arguments détaillés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 2 mai 2008, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il explique que l’auteur a été arrêtée le 20 avril 2002 en tant que suspect par un inspecteur confirmé du Service des douanes de Brest. Le 22 avril 2002, un inspecteur de la Commission d’enquête du Département de la région de Brest du Comité de sécurité de l’État a décidé de placer l’auteur en détention, décision validée le même jour par le Vice-Procureur régional de Brest. L’auteur a été remise en liberté le 30 avril 2002. Le 27 septembre 2002, elle a été reconnue coupable d’avoir commis une infraction visée par les articles 14 (1) (tentative d’infraction) et 228 (passage en fraude d’une grande quantité de devises soumises au contrôle des changes) du Code pénal par le tribunal du district Lénine de Brest, qui a ordonné la confiscation de la somme d’argent litigieuse (50 000 dollars des États-Unis). Le tribunal régional de Brest a confirmé cette décision le 22 octobre 2002. L’État partie affirme que les décisions du tribunal sont fondées et que la participation de l’auteur à l’infraction est confirmée par un grand nombre d’éléments de preuve − notamment des déclarations de témoins − et par les explications de l’auteur elle‑même, qui dit ne pas avoir déclaré les 50 000 dollars des États-Unis en sa possession, mais simplement quelques centaines de zlotys polonais comme seule somme d’argent qu’elle transportait, car elle craignait pour sa vie pendant le voyage.

4.2L’État partie indique en outre que l’auteur a été détenue conformément aux articles 107 (arrestation), 108 (arrestation d’un suspect), 110 (procédure d’arrestation), 114 (remise en liberté), 115 à 119 (notification de l’arrestation et mesures de contrainte), 126 (détention) et 127 (durée maximale de la détention) du Code de procédure pénale.

4.3L’État partie ajoute en outre que le 31 mai 2007, le tribunal du district Lénine deBrest a refusé d’ouvrir une instruction civile suite à la plainte de l’auteur concernant sa non‑présentation à un juge dans le plus court délai par les autorités, jugeant que l’examen de sa plainte ne relevait pas de la procédure civile. La décision a été confirmée par le tribunal régional de Brest le 16 juillet 2007. L’État partie fait valoir que ces décisions sont bien fondées et légales pour les raisons suivantes: en vertu de l’article 353 du Code de procédure pénale, un justiciable peut porter plainte pour des actions ou omissions illégales des autorités de l’État notamment, à moins qu’une procédure non juridictionnelle distincte, applicable à l’examen de certaines plaintes, ne soit prévue par le droit bélarussien. En vertu de l’article 139 du Code de procédure pénale, les personnes énumérées à l’article 138 du même Code peuvent contester les actions et décisions prises pendant l’enquête préliminaire par les autorités chargées de l’enquête auprès du procureur chargé de superviser celle-ci. Les juridictions nationales ont ainsi conclu à bon droit que la plainte de l’auteur ne pouvait pas être examinée dans le cadre de la procédure civile.

4.4L’État partie note aussi qu’outre les droits énoncés au paragraphe 3, l’article 9 du Pacte garantit d’autres droits connexes. Le paragraphe 1 de l’article 9 dispose que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire et que nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte garantit à quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci puisse statuer sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

4.5L’État partie souligne à ce propos que dans le respect des droits garantis à l’article 9 du Pacte, la légalité de l’arrestation et de la mesure de contrainte appliquée − la détention provisoire, dans le cas de l’auteur − fait l’objet d’un contrôle judiciaire, conformément à la législation interne. Conformément à l’article 144 du Code de procédure pénale, la légalité de l’arrestation est appréciée dans les vingt-quatre heures suivant celle-ci et celle de la détention provisoire dans les soixante-douze heures. Par conséquent, dans la mesure où l’auteur n’a pas utilisé la possibilité mentionnée de faire examiner la légalité de sa détention, le grief tiré de l’absence de contrôle judiciaire est sans fondement.

4.6L’État partie indique qu’en raison de sa nature, la plainte déposée par l’auteur (non‑présentation à un juge dans le plus court délai) devait être examinée au regard du droit pénal. Par conséquent, le grief selon lequel le tribunal civil a illégalement refusé d’examiner sa plainte dans le cadre de la procédure civile n’est pas fondé et ne suffit pas à établir qu’elle n’a pas eu accès à la justice.

4.7Enfin, en ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que la législation interne ne lui permettait pas de contester les omissions/l’inaction d’agents de l’État, l’État partie maintient que ces affirmations sont également infondées. Il relève que l’auteur ne s’est pas prévalue de la possibilité prévue par l’article 144 du Code de procédure pénale de contester la légalité de l’arrestation et de la détention provisoire devant les tribunaux.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse du 4 juillet 2008, l’auteur réaffirme que durant sa détention, du 20 au 30 avril 2002, les autorités ne l’avaient pas traduite devant un juge, violant ainsi le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

5.2Elle relève en outre certaines contradictions dans les observations de l’État partie. Ainsi, d’un côté celui-ci a fait valoir qu’elle ne pouvait pas saisir un tribunal concernant le droit garanti au paragraphe 3 de l’article 9, et qu’il fallait déposer une plainte auprès du procureur à ce sujet. D’un autre côté, il a souligné qu’en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale, les tribunaux pouvaient exercer un contrôle judiciaire de la légalité de l’arrestation ou de la détention provisoire, conformément au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte. À ce sujet, l’auteur confirme qu’une plainte auprès du procureur chargé de superviser l’enquête pénale ou qu’une demande de contrôle judiciaire de la légalité de sa détention ne constitue pas, dans le cas d’espèce, un recours effectif au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Elle relève que dans une autre affaire relative au Bélarus, qui concernait également une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, le dépôt d’une plainte auprès du bureau du Procureur pour non-présentation de l’auteur à un juge dans le plus court délai par les autorités nationales n’avait été d’aucune aide pour la victime. De plus, concernant la possibilité de saisir un tribunal en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale, l’auteur note que cet article ne garantit pas à la personne arrêtée et détenue dans le cadre d’une procédure pénale le droit d’être traduite devant un juge dans le plus court délai conformément au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. C’est pourquoi elle n’a pas utilisé la possibilité qui lui était donnée de porter plainte au sujet de sa détention.

5.3L’auteur souligne que contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les droits garantis au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte ne sont pas des éléments des garanties prévues au paragraphe 4 de l’article 9. Elle insiste sur le fait que le droit d’être traduit devant un juge dans le plus court délai, garanti au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, est un droit indépendant de celui qui est énoncé au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte (c’est-à-dire le droit de contester une décision de mise en détention devant un tribunal). Le fait que l’auteur ne se soit pas prévalue de la possibilité prévue au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte (faire appel en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale, notamment) ne devrait pas faire obstacle à l’exercice de son droit au titre du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte (être traduit devant un juge dans le plus court délai).

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur a été arrêtée et détenue conformément aux articles 107, 108, 110, 114, 115 à 119, 126 et 127 du Code de procédure pénale, l’auteur objecte qu’aucun de ces articles ne comporte de garanties analogues à celle qui est énoncée au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. De plus, l’article 144 du Code de procédure pénale ne garantit nullement le droit de toute personne arrêtée ou détenue dans le cadre d’une affaire pénale d’être traduite devant un juge dans le plus court délai, comme le prescrit le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

5.5 Concernant la violation alléguée des droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur maintient que par sa décision du 31 mai 2007, le tribunal du district Lénine de Brest a commis un déni de justice et l’a privée de la possibilité de faire valoir ses droits devant un tribunal compétent, indépendant et impartial. Elle ajoute que l’appareil judiciaire de l’État partie n’est ni indépendant ni impartial et qu’il est soumis au contrôle du pouvoir exécutif, de sorte que toute plainte portant sur des actions ou omissions de ses représentants est vaine.

5.6Enfin, en ce qui concerne le fait qu’elle n’a demandé à aucun moment aux autorités nationales d’être déférée à un juge dans le plus court délai, l’auteur souligne que quoi qu’il en soit, il reste qu’en tant que personne détenue dans le cadre d’une procédure pénale, elle n’a pas été présentée à un juge dans le plus court délai, contrairement à ce qui est prévu par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Concernant la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas utilisé la procédure prévue à l’article 144 du Code de procédure pénale pour contester sa détention du 20 au 30 avril 2002. Il note toutefois aussi que sur le fond, la plainte déposée par l’auteur porte non pas sur le droit d’introduire un recours devant un tribunal en vertu du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte mais sur le droit d’être traduit devant un juge dans le plus court délai suivant l’arrestation et sans avoir à le demander, qui est prévu par le paragraphe 3 de l’article 9; il relève que l’auteur a fait connaître aux autorités ses arguments sur la question en saisissant le Comité de sécurité de l’État, les autorités douanières, le tribunal du district Lénine de Brest et le tribunal régional de Brest (voir plus haut par. 2.3 à 2.6). De plus, le Comité note que l’État partie n’a donné aucun renseignement de nature à démontrer l’efficacité du dépôt d’une plainte auprès du procureur en cas de non‑présentation d’une personne arrêtée à un juge dans le plus court délai suivant son arrestation. À ce sujet, le Comité note que l’État partie n’a toujours pas contesté les autres affaires citées par l’auteur dans lesquelles des particuliers avaient déposé en vain une plainte auprès du procureur pour dénoncer les mêmes faits. Le Comité n’est donc pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.4En ce qui concerne les griefs de violation des droits garantis par l’article 2 et par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité considère qu’ils ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence de tout nouvel élément d’information pertinent versé au dossier, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que le grief tiré du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il déclare donc ce grief recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur affirme que ses droits ont été violés du fait que du 20 au 30 avril 2002, soit depuis le moment de son arrestation effective jusqu’à sa remise en liberté, elle n’a jamais été présentée à un juge alors qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, tout individu détenu doit être traduit devant un juge dans le plus court délai.

7.3Le Comité rappelle que la détention avant jugement doit être exceptionnelle et aussi brève que possible. Pour que cette limite soit respectée, l’article 9 exige que la détention fasse l’objet d’un contrôle judiciaire dans le plus court délai. L’exercice de ce contrôle dans le plus court délai est une garantie importante contre le risque de mauvais traitements. Ce contrôle juridictionnel doit être automatique et ne peut pas être subordonné à une demande préalable du détenu. La période considérée pour évaluer la célérité commence àcourir au moment de l’arrestation et non au moment où la personne arrive dans un lieu de détention.

7.4Même si le sens des mots «dans le plus court délai» utilisés au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte doit être apprécié au cas par cas, le Comité rappelle que d’après son Observation générale no 8 (1982) sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et sa jurisprudence, ce délai ne doit pas dépasser quelques jours. Il rappelle en outre qu’il a recommandé à de nombreuses reprises dans le cadre de l’examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte, que la durée pendant laquelle une personne est gardée à vue avant d’être déférée à un juge ne devait pas dépasser quarante-huit heures. Tout délai plus long n’est compatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte que s’il est dûment justifié.

7.5Le Comité note que dans la présente affaire, l’État partie n’a pas donné la moindre explication justifiant la nécessité de garder l’auteur retenue du 20 au 30 avril 2002 sans la déférer devant un juge et qu’il s’est limité à faire valoir qu’elle n’avait pas présenté de demande en ce sens. Le Comité rappelle que l’absence de demande de la personne détenue ne constitue pas un motif valable pour retarder sa présentation à un juge. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que la détention de l’auteur était incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à rembourser tous frais de justice qu’elle a engagés et à lui accorder une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. À cette fin l’État partie devrait revoir sa législation, en particulier son Code de procédure pénale, de façon à garantir sa conformité avec les prescriptions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations dans le pays et à les diffuser largement en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]