Nations Unies

CCPR/C/108/D/2136/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 octobre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 2136/2012

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

M. M. M. et consorts (représentés par un conseil, Ben Saul)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

20 février 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 mars 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

25 juillet 2013

Objet:

Détention de personnes dans des centres des services de l’immigration pendant une durée indéterminée

Questions de procédure:

Épuisement des voies de recours internes, irrecevabilité ratione materiae, défaut de fondement

Questions de fond:

Droit à la liberté, droit à la protection contre les traitements inhumains

Articles du Pacte:

7, 10 (par. 1) et 9 (par. 1, 2 et 4)

Article s du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 2136/2012 *

Présentée par:

M. M. M. et consorts (représentés par un conseil, Ben Saul)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Australie

Date de la communication:

20 février 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2136/2012 présentée au nom de M. M. M. et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont neuf personnes détenues en Australie dans des centres pour immigrants. Deux d’entre elles (M. M. M. M., né en 1983, et M. R. R., né en 1974) sont des ressortissants du Myanmar d’origine rohingya. Six auteurs (M. K. P., né en 1975, M. I. M. F., né en 1978, M. N. V., né en 1978, M. M. S., né en 1974, Mme M. J., née en 1971, et R. J., né en 2007) sont des Sri‑Lankais d’origine tamoule. Un auteur (M. A. A. K. B. B. A., né en 1993) est un Koweïtien d’origine bédouine. Les auteurs avancent que les droits qu’ils tiennent des articles 7 et/ou 10 (par. 1) ainsi que de l’article 9 (par. 1, 2 et 4) ont été violés. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits soumis par les auteurs

2.1Les auteurs ont pénétré les eaux territoriales australiennes dans diverses embarcations entre octobre 2009 et décembre 2010 dans le but de demander une protection en qualité de réfugiés en Australie. Ils ont d’abord débarqué à Christmas Island, en territoire australien. Ils ne détenaient pas de visa d’entrée en Australie valide, et ils ont été emmenés dans des centres de détention pour immigrants en application de l’article 189 3) de la loi sur les migrations de 1958, selon lequel les autorités australiennes sont tenues de placer en détention tout «non-ressortissant en situation irrégulière» se trouvant dans un «territoire extérieur exclu de la zone de migration». L’article 189 régit la détention des personnes entrées en Australie sans autorisation en vertu de la législation relative aux migrations. Au moment où la communication a été présentée, quatre des auteurs étaient détenus au centre de détention pour immigrants de Scherger, quatre au Foyer pour immigrants de Villawood et un au centre de logement de transit pour immigrants de Melbourne.

2.2Les auteurs ont été considérés à première vue par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté comme des réfugiés dont le retour dans leur pays d’origine les mettrait en danger. Malgré cela, ils se sont vu refuser des visas qui leur auraient permis de rester dans l’État partie après que l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité (ASIO) (l’Agence du renseignement) eut déclaré qu’ils ne remplissaient pas les critères de sécurité voulus. Aucun des auteurs n’a reçu d’explication sur le fondement de cette évaluation, ni de la part du Ministère, ni de la part de l’Agence. Aucun des éléments de preuve retenus aux fins de l’évaluation ne leur a été révélé.

2.3Les auteurs se trouvent dans l’impossibilité de contester sur le fond les conclusions de l’évaluation des risques qu’ils présentent pour la sécurité. En particulier, selon l’article 36 de la loi de 1979 relative à l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité, les non‑ressortissants qui ne détiennent pas de visa permanent valide ou de visa spécial ne peuvent saisir le Tribunal des recours administratifs. En outre, vu que les auteurs sont arrivés sur un territoire exclu de la zone de migration, ils n’ont pas la possibilité de demander un examen au fond auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Ce Tribunal est compétent uniquement pour examiner les décisions de refus de protection. Enfin, les avis négatifs éventuellement rendus par l’Agence du renseignement après une évaluation des risques pour la sécurité interviennent une fois achevée la procédure relative aux arrivées sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration. Il n’existe donc aucune possibilité de faire examiner sur le fond au stade du traitement des demandes d’asile les évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par un avis négatif.

2.4Le seul recours dont les auteurs disposent est un réexamen, devant les juridictions fédérales pour «erreur juridictionnelle» (erreur de droit), laquelle peut inclure le déni de procédure équitable. Cependant, ce réexamen ne constitue pas un réexamen au fond des éléments de fait et de preuve ayant motivé la décision de l’Agence du renseignement. En outre, dans les affaires où intervient l’Agence du renseignement, les juridictions fédérales admettent que les garanties d’une procédure équitable dont devraient bénéficier les intéressés puissent être considérablement restreintes. Dans la mesure où les fondements des conclusions des évaluations de l’Agence du renseignement n’ont pas été divulgués, les auteurs n’ont aucun moyen de déterminer s’il y a eu erreur juridictionnelle.

2.5Un visa leur ayant été refusé, tous les auteurs sont maintenus en détention dans l’attente de leur expulsion, au titre de l’article 198 de la loi sur les migrations. Or ils ne retourneront pas dans leur pays de nationalité de leur plein gré et l’État partie ne les a pas informés de son intention de les renvoyer dans leur pays d’origine. L’Australie ne les a pas non plus informés qu’un quelconque État tiers ait décidé de les accepter, ni que des négociations aient été entamées ou soient prévues dans cette perspective.

2.6Les auteurs affirment qu’ils ne peuvent se prévaloir d’aucune voie de recours interne, faute de base légale qui permettrait de contester la nécessité de la détention sur le fond. Leurs conditions de détention étant conformes à la loi australienne, aucun élément du droit interne ne permet de dénoncer un traitement inhumain ou dégradant qui découlerait de l’application de cette loi valide, dès lors qu’il n’y a pas eu dépassement des pouvoirs conférés par la loi.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs avancent que leur détention constitue une violation des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 9 du Pacte. Elle est également contraire à l’article 7 et/ou au paragraphe 1 de l’article 10.

Article 9, paragraphe 1

3.2La détention des auteurs arbitraire ou illégale au regard du paragraphe 1 de l’article 9 comprend deux phases distinctes: la première se situe avant la décision de l’Australie de leur refuser la protection due aux réfugiés et la seconde commence après ce refus et se poursuit jusqu’à l’expulsion des auteurs du territoire australien.

3.3L’État partie n’a pas fourni, pour chaque auteur, de motif légitime expliquant pourquoi il avait été arrêté à son arrivée aux fins de déterminer s’il risquait de disparaître ou de ne pas coopérer ou s’il présentait à première vue une menace pour la sécurité de l’État. Tous les auteurs ont été automatiquement mis en détention parce qu’ils étaient des «non‑ressortissants en situation irrégulière» se trouvant dans un «territoire extérieur exclu de la zone de migration». Le cadre législatif ne permet pas une appréciation individuelle sur le fond de la nécessité de la détention. Les auteurs n’ont jamais eu connaissance d’un exposé des motifs, ni eu accès à des informations ou éléments de preuve pertinents expliquant pourquoi ils étaient soupçonnés de présenter des risques pour la sécurité qui justifiaient leur placement en détention dans l’attente de nouvelles investigations et de la décision définitive. De plus, l’État partie n’a pas mis en place une procédure pour faire connaître ces renseignements aux auteurs.

3.4La nécessité de détenir chaque auteur pris individuellement n’ayant pas été étayée, il est possible d’en déduire que la détention vise d’autres objectifs: la prévention d’un risque généralisé de disparition que ne présente pas personnellement chacun des auteurs; une volonté plus générale de sanctionner ou de prévenir des entrées illégales; ou le simple avantage d’avoir les intéressés à disposition en permanence. Or aucun de ces objectifs ne constitue un motif légitime de détention.

3.5Quant à la phase qui a suivi la décision de refus, la simple affirmation par le pouvoir exécutif qu’une personne présente un risque pour la sécurité suffisant à justifier sa détention ne saurait répondre aux critères de l’article 9. Du fait de la non-divulgation des éléments retenus aux fins de l’évaluation des risques pour la sécurité, il est impossible de déterminer si la détention était justifiée. Ce caractère secret constitue également un déni de procédure équitable. On ne peut que supposer que les évaluations ont trait au comportement présumé des auteurs avant leur entrée en Australie. Cependant, si l’État partie dispose de preuves solides lui permettant de soupçonner l’un quelconque des auteurs d’avoir commis une infraction dans le contexte du conflit armé à Sri Lanka, ou d’être associé à une organisation telle que les Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul, de telles infractions pourraient donner lieu à des poursuites en vertu du droit australien. En outre, aucune activité antérieure des auteurs à Sri Lanka ne saurait aisément confirmer qu’ils présentent pour la communauté australienne un risque réel. De plus, la source des informations les concernant n’est peut-être pas fiable, en particulier si les autorités australiennes se sont appuyées sur des renseignements fournis par le Gouvernement de Sri Lanka.

3.6L’État partie n’a recouru à aucune mesure autre que la détention, et n’a pas démontré que des mesures non privatives de liberté seraient inadaptées ou ne répondraient pas aux préoccupations en matière de sécurité. En outre, la loi australienne ne prévoit aucun mécanisme juridiquement contraignant de réexamen périodique des motifs de la détention; elle n’établit pas non plus la durée maximale de la détention. Celle-ci se poursuit simplement jusqu’à ce que l’intéressé reçoive un visa ou soit expulsé du territoire. Dans des affaires similaires, la Cour suprême australienne a confirmé la légalité de la détention d’immigrants pendant une durée indéterminée.

3.7L’Australie n’a ni prouvé ni démontré que les auteurs présentaient un risque si grave qu’il justifiait leur expulsion afin de protéger la communauté ni qu’aucune mesure moins lourde aurait permis d’assurer cette protection. Si l’Australie entend expulser les auteurs vers un pays tiers, elle devra également démontrer que le pays en question est sûr et qu’il n’y a pas de risque de «refoulement en chaîne» jusqu’au pays d’origine.

3.8La durée de la détention des auteurs n’est pas subordonnée à un examen régulier par l’État partie qui permettrait de vérifier, pour chaque auteur, si les motifs à l’origine du placement en détention subsistent. Il n’existe pas de mécanisme juridiquement contraignant de réexamen périodique des motifs de la détention et la loi n’établit pas de durée maximale.

3.9L’évaluation des risques pour la sécurité à laquelle l’Australie a procédé constitue un motif supplémentaire, unilatéral, d’exclusion de réfugiés qui n’est pas conforme à la Convention relative au statut des réfugiés et va au-delà de ce que celle-ci permet. Les réfugiés ne peuvent être privés de protection que s’ils sont soupçonnés d’un crime grave conformément à l’article 1F ou présentent un risque au sens du paragraphe 2 de l’article 33, mais non parce qu’ils relèvent du sens large donné à la notion de «sécurité» par le droit australien. Leur détention ne saurait être justifiée par le droit international des réfugiés dès lors que le statut de réfugié leur a été accordé et que ni l’article 1F ni le paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés ne leur sont applicables.

Article 9, paragraphe 2

3.10Aucun des auteurs n’a été informé par les autorités des raisons de fond qui justifieraient sa détention. Les intéressés ont seulement appris qu’ils étaient détenus en tant que «personnes arrivées sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration» et «non-ressortissants en situation irrégulière» passibles de détention conformément à la loi sur les migrations.

Article 9, paragraphe 4

3.11La loi australienne ne prévoit aucun recours contre la détention des auteurs et aucun tribunal n’est compétent pour en évaluer la nécessité, y compris au regard d’éléments de risque propres à chacun des auteurs. La loi sur les migrations dispose que les personnes arrivées sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration sont obligatoirement détenues et ne prévoit pas d’appréciation individuelle de la nécessité d’une telle détention lorsque des motifs légitimes sont invoqués. Aucune base légale ne permet donc de contester la nécessité de la détention sur le fond. Les seules procédures dont les auteurs disposent (l’examen des demandes du statut de réfugié et le réexamen indépendant au fond) se limitent à l’examen de leur demande d’asile.

3.12Les juridictions australiennes ne peuvent effectuer qu’un réexamen purement formel visant à déterminer si les auteurs sont arrivés sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration, s’ils ont reçu ou non un visa ou s’ils sont retenus dans l’attente de leur expulsion vers un autre pays. Bien qu’elles puissent réexaminer une décision administrative lorsqu’un des rares motifs d’«erreur juridictionnelle» prévus par la loi est invoqué, notamment le déni de procédure équitable, un tel réexamen n’englobe pas la nécessité de la détention sur le fond.

3.13Dans la mesure où les raisons ayant amené les autorités à considérer qu’ils présentaient un risque pour la sécurité n’ont pas été divulguées, les auteurs ne peuvent tenter de déceler d’éventuelles erreurs de droit commises par l’Agence du renseignement. En outre, les juridictions ont reconnu qu’elles n’ont pas les connaissances nécessaires pour évaluer des informations relatives à la sécurité et que l’examen des preuves qu’elles effectuent dans ces cas-là est largement formel et inefficace. Même si les auteurs pouvaient entamer une procédure de réexamen judiciaire, l’Agence du renseignement aurait la possibilité d’invoquer «l’immunité d’intérêt public» pour les empêcher de contester devant les tribunaux des preuves ayant étayé un avis négatif en matière de sécurité, comme elle l’a fait en d’autres occasions devant la Cour fédérale dans des affaires d’évaluations des risques pour la sécurité où elle avait rendu un avis négatif à propos de non-ressortissants.

Article 7 et/ou article 10, paragraphe 1

3.14La conjugaison des facteurs que représentent le caractère arbitraire de la détention, sa durée prolongée ou indéterminée et les conditions difficiles qui prévalent dans les centres où ont été placés les auteurs est à l’origine de préjudices psychologiques graves et irréversibles, contraires à l’article 7 et/ou au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Les conditions difficiles de détention incluent l’inadéquation des soins de santé mentale et physique, l’exposition à l’instabilité et à la violence, à un traitement juridique punitif, le risque d’un emploi excessif de la force par les autorités et le fait d’être témoin du suicide ou de l’automutilation d’autres détenus ou de craindre de tels événements. Aucun recours interne, pas même un recours constitutionnel, n’est disponible à cet égard.

3.15Différentes institutions, parmi lesquelles la Commission australienne des droits de l’homme et divers organismes médicaux, ont exprimé leur vive préoccupation à l’égard de la santé mentale des personnes placées dans les centres de détention d’immigrants. En 2010, l’une des études les plus importantes, portant sur plus de 700 détenus, a permis d’établir une «relation claire» entre la durée de la détention et le taux de maladies mentales, celui-ci étant particulièrement élevé chez les personnes détenues depuis plus de deux ans. Une autre étude de 2010 a montré que les difficultés psychologiques persistaient après la remise en liberté et consistaient notamment en un sentiment d’insécurité et d’injustice, des troubles relationnels, de profondes modifications de l’image de soi, la dépression et la démotivation, des troubles de la concentration et de la mémoire et une anxiété constante. Les taux de dépression, d’anxiété et de stress post-traumatique étaient élevés et les intéressés faisaient souvent état d’une mauvaise qualité de vie.

3.16Les effets de la détention sur la santé mentale des auteurs sont exacerbés par les conditions matérielles qui prévalent dans les centres en question, comme l’atteste le grand nombre de cas d’automutilation. À tire d’exemple, en 2010-2011, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a signalé 1 100 cas de menaces ou d’actes d’automutilation.

3.17La Commission australienne des droits de l’homme s’est par exemple inquiétée des conditions très contraignantes qui prévalent au centre de détention pour immigrants de Villawood, entouré de grillages électriques et où la surveillance est très stricte. Le centre de détention pour immigrants de Christmas Island est lui-même comparé à une prison. La Commission a également dit craindre que les autorités ne fassent un usage excessif de la force dans les centres de détention et s’est inquiétée de l’inadéquation des services de santé mentale et physique. La Commission a reçu des plaintes selon lesquelles des détenus s’étaient vu imposer des moyens de contrainte pénibles, comme le port de menottes alors qu’ils se rendaient à des consultations médicales depuis Villawood ou le fait que les moyens de contrainte ne soient pas retirés même lorsqu’ils allaient aux toilettes. Les centres médicaux n’étaient pas dotés d’effectifs suffisants, ce qui avait une incidence sur la qualité et la rapidité des soins de santé. À Villawood, le taux de prescription de médicaments psychotropes, notamment d’antipsychotiques et d’antidépresseurs utilisés contre l’insomnie, était élevé. Dans ce centre, les mesures prises pour prévenir les cas d’automutilation ou y faire face étaient insuffisantes.

3.18Les tensions, les manifestations et les actes de violence sont des symptômes de la vive frustration et du désarroi qu’éprouvent de nombreux détenus. En avril 2011, par exemple, des manifestations ont eu lieu à Villawood et quelques détenus ont occupé le toit d’un bâtiment pendant plusieurs jours.

Réparation demandée

3.19Concernant les griefs tirés de l’article 9, l’État partie devrait reconnaître les violations du Pacte, libérer immédiatement les auteurs, leur présenter des excuses et leur offrir une réparation adéquate, y compris pour leur détresse morale et leur souffrance psychologique. Si l’État partie juge nécessaire de maintenir certains auteurs en détention, il devrait fournir une appréciation individuelle de cette nécessité et, dans ce cadre, envisager des mesures moins intrusives que la détention, donner aux auteurs un minimum d’informations quant aux raisons qui justifient leur détention sur le fond et ne pas se borner à une notification purement formelle de leur classement dans telle ou telle catégorie prévue par la loi, établir une procédure d’examen périodique indépendant de la nécessité du maintien en détention et prévoir un examen judiciaire effectif de la nécessité de la détention.

3.20Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 7 et/ou du paragraphe 1 de l’article 10, l’État partie devrait reconnaître que les conditions de détention imposées aux auteurs sont inhumaines ou dégradantes, leur présenter des excuses à ce sujet et leur verser une indemnisation adéquate pour le traitement inhumain qui leur a été infligé, y compris pour la détresse et les souffrances psychologiques qu’ils ont éprouvées.

3.21À titre de garanties de non-répétition, la loi australienne devrait être modifiée de la manière suivante: la détention ne devrait plus être obligatoire; une évaluation individuelle de la nécessité de la détention devrait être exigée; les détenus devraient être informés des raisons de fond qui justifient leur détention; un examen périodique indépendant de la nécessité de la détention devrait être effectué; des mesures non privatives de liberté devraient être envisagées; un examen judiciaire effectif, sur le fond, de la détention et des avis négatifs issus d’évaluations des risques pour la sécurité devrait être prévu.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 5 décembre 2012, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication et a affirmé que tous les griefs étaient irrecevables. Il a déclaré que le 15 octobre 2012 le Gouvernement avait annoncé qu’il désignerait un organisme indépendant chargé d’examiner les évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par des avis négatifs à propos de demandeurs d’asile à l’égard desquels l’État a des obligations de protection et qui sont placés dans les centres de détention pour immigrants. Cet organisme étudiera tous les documents utilisés par l’Agence du renseignement (y compris tout élément nouveau que l’individu concerné communiquerait à l’Agence) et présentera ses conclusions au Procureur général, au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté et à l’Inspecteur général des renseignements et de la sécurité. Il examinera tous les douze mois les évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par un avis négatif. Les auteurs de la communication auront accès aux mécanismes de réexamen initial et périodique, ce qui leur permettra de prendre part à un processus décisionnel ouvert et responsable en matière d’évaluation des risques pour la sécurité.

4.2Puisque le statut de réfugié a été reconnu aux auteurs, ceux-ci ont droit à une protection en vertu du droit international et ne peuvent être renvoyés vers leur pays d’origine. Le Gouvernement australien recherche des solutions à leur proposer, notamment la réinstallation dans un pays tiers ou un retour en toute sécurité dans leur pays d’origine, lorsqu’ils n’y seront plus exposés à aucun risque ou que des garanties effectives et fiables auront été obtenues. Il n’est cependant pas souhaitable que les personnes pour lesquelles l’évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif vivent dans la communauté australienne tandis que les autorités recherchent une solution.

Non-épuisement des recours internes

4.3Les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes au regard des articles 7, 9 (par. 1 et 4) et 10 (par. 1).

4.4Premièrement, l’auteur mineur R. J. réside dans un centre de détention d’immigrants avec sa mère, M. J., qui a fait l’objet d’une évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif. Le 21 août 2012, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a décidé d’autoriser R. J. à déposer une demande de visa de protection, ce que celui-ci a fait le 1er novembre 2012. La demande est en cours d’examen. Si R. J. obtient un visa, il aura le statut de non‑ressortissant en situation régulière et pourra donc être remis en liberté. Il pourra alors être placé chez des proches ou bénéficier d’autres arrangements si sa mère souhaite qu’il vive dans la communauté. Si la demande de visa de protection de R. J. était rejetée, cette décision pourrait faire l’objet d’un examen au fond et d’un contrôle juridictionnel.

4.5Deuxièmement, tous les auteurs avaient la possibilité de demander l’examen judiciaire de l’évaluation des risques pour la sécurité les concernant, qui s’était soldée par un avis négatif, et de leur placement dans des centres de détention pour immigrants, auprès de la Cour fédérale ou de la Cour suprême australienne et, dans le cadre d’une telle procédure, de demander des informations sur le fondement de l’évaluation des risques pour la sécurité. Les auteurs ne s’en sont pas prévalus. A. K. B. B. A a saisi la Cour fédérale en faisant valoir que le Gouvernement était tenu de prévenir tout préjudice en lui imposant une forme de détention moins restrictive, voire une forme de détention qui lui permette de résider dans la communauté. Le 4 juin 2012, la Cour a considéré qu’une telle obligation n’incombait pas au Gouvernement et que l’auteur n’avait pas démontré que l’une quelconque des autres formes de détention qu’il avait proposées améliorerait concrètement sa santé mentale. L’auteur a formé auprès de la Cour fédérale plénière un recours qui demeure pendant.

4.6Dans Al-Kateb v. Godwin   (2004), la Cour suprême a considéré, à une étroite majorité, qu’une personne dont la demande de visa de protection avait été rejetée et qui ne pouvait être expulsée pouvait être placée en détention pour une durée indéterminée en vertu de la loi sur les migrations. Cette conclusion est actuellement contestée devant la Cour suprême dans Plaintiff S138/2012 v.  Director-General of Security and Ors . Le plaignant S138 a saisi la Cour suprême en mai 2012, contestant l’avis négatif issu de l’évaluation des risques le concernant et la légalité de sa détention. La Cour suprême va examiner plusieurs questions, dont:

a)La question de savoir si le maintien en détention du plaignant S138 est légal et conforme à la loi sur les migrations. À ce titre, la Cour a été priée de vérifier s’il était légal de maintenir l’intéressé en détention en vue de l’expulser vers un pays tiers sûr alors qu’il n’existait aucune possibilité immédiate de procéder à une telle expulsion;

b)La question de savoir si la détention du plaignant était contraire à la Constitution. Le plaignant fait valoir qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs énoncé dans la Constitution, une détention de longue durée ne peut être légale que si elle est ordonnée par une juridiction.

4.7Cette affaire présente un intérêt dans le cadre de la présente communication car, si le plaignant S138 obtient gain de cause devant la Cour suprême, cela ouvrirait un recours utile contre les violations des articles 7, 9 (par. 1 et 4) et 10 (par. 1) alléguées par les auteurs. Une décision favorable au plaignant S138 pourrait aboutir à la libération des auteurs qui se trouvent sous le coup de l’arrêt susmentionné.

4.8Dans une affaire récente (Plaintiff M47/2012 v.  Director General of Security and Ors), la Cour suprême a examiné les raisons que l’Agence du renseignement avait données au plaignant M47 pour justifier l’avis négatif émis à l’issue de l’évaluation des risques le concernant. La Cour a estimé que le refus d’accorder au plaignant M47 un visa de protection était contraire à la loi car un règlement empêchant l’octroi d’un visa de protection à un réfugié soumis à une évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif n’était pas valable. Par conséquent, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté devrait réexaminer la demande de visa de protection du plaignant. La Cour a estimé que le maintien en détention du plaignant aux fins de l’examen de sa demande de visa de protection était légale.

4.9L’État partie conteste l’argument des auteurs selon lequel il est inutile d’engager une procédure d’examen judiciaire dans la mesure où les tribunaux australiens ne peuvent effectuer un tel examen qu’en invoquant l’«erreur juridictionnelle» et ne sont pas compétents pour examiner la nécessité de la détention sur le fond. L’État partie maintient qu’il est possible de mettre en cause devant la Cour suprême la légalité de la détention dans la situation des auteurs.

Irrecevabilité ratione materiae

4.10Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie conteste la recevabilité des griefs formulés dans la communication qui sont tirés de la Convention relative au statut des réfugiés. Ces griefs sont irrecevables ratione materiae car ils sont incompatiblesavec lesdispositions du Pacte.

4.11Les griefs tirés du paragraphe 2 de l’article 9 sont également irrecevables ratione materiae, les auteurs n’ayant pas été «arrêtés». Le terme «arrestation» devrait être entendu comme désignant l’acte consistant à appréhender une personne à la suite de la commission ou de la commission présumée d’une infraction pénale pour la placer en détention. Le sens ordinaire du mot «arrestation» ne s’étend pas au placement d’un demandeur d’asile en détention administrative dans le but d’effectuer des contrôles de santé, de sécurité et d’identité.

Défaut de fondement

4.12Les griefs tirés de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Les auteurs ont formulé des doléances générales sur les conditions de détention. Ils n’ont cependant pas apporté de preuve indiquant que le traitement en détention de l’un quelconque d’entre eux ait été plus humiliant ou dégradant que la détention elle-même eu égard à leur situation particulière.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partieconcernant la recevabilité

5.1Le 23 février 2013, les auteurs ont présenté des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

5.2Les auteurs rejettent les arguments de l’État partie relatifs à l’épuisement des voies de recours internes. Ils ont droit à un examen judiciaire de la détention et de l’évaluation des risques pour la sécurité qui s’est soldée par un avis négatif, mais un tel examen est en pratique inefficace ou de portée trop étroite pour protéger les droits consacrés par le Pacte. Pour ce qui est de l’examen de la détention, les tribunaux peuvent vérifier si un détenu est arrivé sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration mais ne sont pas compétents pour examiner la nécessité de la détention sur le fond. En outre, dans l’affaire Al-Kateb, qui constitue un précédent contraignant, la Cour suprême a établi que la détention d’immigrants pour une période indéterminée était conforme au droit interne. Quant à l’évaluation des risques pour la sécurité qui s’est soldée par un avis négatif, pour pouvoir engager une procédure d’examen judiciaire, un auteur doit d’abord identifier, dans la décision administrative, une erreur de droit pouvant constituer un motif de réexamen. Comme les raisons ou les preuves utilisées lors de l’évaluation des risques pour la sécurité les concernant ne leur ont pas été données, les auteurs sont dans l’impossibilité d’identifier des erreurs de droit. Or le fait de saisir un tribunal sans fondement est considéré comme un abus de procédure.

5.3En ce qui concerne l’affaire du plaignant M47 mentionnée par l’État Partie, la décision de la Cour suprême n’est pas applicable aux auteurs de la présente communication, qui sont arrivés illégalement sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration. Dans l’affaire mentionnée, le plaignant M47 est un réfugié qui est entré légalement en Australie et a demandé un visa de protection. En outre, la Cour suprême a confirmé la légalité de la détention du plaignant dans l’attente d’une nouvelle évaluation des risques pour la sécurité.

5.4Certains éléments pratiques font également obstacle à l’examen judiciaire: la procédure est onéreuse pour des réfugiés en détention qui n’ont aucun revenu et n’ont pas droit à l’aide juridictionnelle. Dans quelques rares cas, des réfugiés détenus qui avaient fait l’objet d’une évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif ont demandé un examen judiciaire parce qu’ils avaient été en mesure d’identifier de possibles erreurs de droit. Il n’est pas obligatoire de révéler un minimum d’informations à une personne visée par une décision de l’Agence du renseignement.

5.5Le critère de l’épuisement des recours internes ne saurait signifier que les auteurs sont tenus de contester la jurisprudence récente et définitive de la Cour suprême australienne (en l’occurrence, l’arrêt Al-Kateb). Une telle exigence ferait qu’il serait impossible à l’auteur d’une quelconque communication d’épuiser les recours internes car l’État visé pourrait simplement exiger que l’auteur commence par contester les précédents établis de la plus haute juridiction de l’État.

5.6Quant à la procédure en cours dans le cas de l’auteur mineur, la délivrance d’un visa de protection permettrait à celui-ci d’être remis en liberté mais ne compenserait pas le caractère illégal de son placement en détention entre son arrivée en Australie et l’obtention du visa, et ne constituerait pas une réparation pour cette période de détention illégale. Comme cela a déjà été indiqué, il n’existe pas de base légale qui permettrait de contester la légalité de la détention en cours, parce qu’une politique de détention obligatoire est systématiquement appliquée et que les tribunaux ne peuvent se prononcer que sur la question purement formelle de savoir si une personne est entrée en Australie sans visa. La voie administrative invoquée par l’Australie ne constituerait pas en elle-même une voie de recours utile contre la violation du Pacte.

5.7Pour ce qui est de la contestation par l’État partie de la recevabilité des allégations de violation de la Convention relative au statut des réfugiés, les auteurs expliquent qu’ils ne demandent pas au Comité de constater des violations distinctes ou directes de cette convention. Ils lui demandent d’interpréter le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte au regard du droit des réfugiés qui, dans cette communication en particulier, devrait être considéré comme la lex specialis.

5.8Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel le paragraphe 2 de l’article 9 vise uniquement les cas d’arrestation en matière pénale, les auteurs avancent que cette disposition s’inscrit dans le cadre de l’objectif général de l’article 9, qui est la protection contre l’arrestation et la détention arbitraires, et non pas seulement l’arrestation ou la détention du chef d’une infraction pénale. Cela n’aurait guère de sens d’exiger d’un État qu’il motive uniquement l’arrestation de délinquants présumés et de lui laisser toute latitude pour effectuer des placements en détention administrative sans explication ni notification préalable.

5.9Les auteurs ont présenté des informations suffisantes aux fins de la recevabilité des griefs qu’ils tirent des articles 7 et 10 et ils peuvent en communiquer d’autres. Lorsque certaines sources examinent des conditions de détention qui s’appliquent de manière identique ou comparable à tous les détenus, le Comité peut raisonnablement en déduire que ces conditions objectivement décrites doivent nécessairement produire des effets sur l’ensemble d’un groupe de détenus. Si les conditions, les installations et les services sont inadéquats, ils le sont nécessairement pour tous les détenus. Chaque auteur est prêt à présenter une déclaration dans laquelle il décrirait son expérience de la détention et les effets que celle-ci a sur lui. D’autres rapports psychiatriques concernant plusieurs auteurs peuvent également être communiqués sur demande.

5.10Quant à la nomination d’un organisme indépendant chargé d’examiner les évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par un avis négatif, les auteurs considèrent cette mesure comme une amélioration qui, cependant, demeure insuffisante du point de vue procédural. Premièrement, les conclusions de cet organe ne seront pas contraignantes et constitueront de simples recommandations adressées à l’Agence du renseignement. Deuxièmement, il n’est toujours pas prévu de divulguer un minimum d’informations dans chaque cas, ce qui limite la capacité des réfugiés à réagir avec efficacité. Dans un cas donné, l’Agence du renseignement a toujours la possibilité de décider qu’il est impossible de révéler les raisons de fond à l’intéressé, ce qui impliquera que l’organe d’examen ne pourra pas le faire non plus. Donc, les réfugiés peuvent encore se voir privés de toute information quant aux allégations formulées à leur encontre avant que la décision les concernant ne soit rendue, et ce, en toute légalité.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 5 décembre 2012, l’État partie a soutenu que les griefs soulevés par les auteurs étaient dépourvus de fondement, et ce pour les raisons suivantes.

Article 9, paragraphe 1

6.2Les auteurs sont des non-ressortissants en situation irrégulière détenus conformément aux articles 189 et 199 de la loi sur les migrations. Leur détention est donc légale. La Cour suprême australienne a considéré que les dispositions pertinentes de la loi étaient conformes à la Constitution. Les demandeurs d’asile sont placés dans des centres de détention pour immigrants lorsqu’ils relèvent de l’une des catégories suivantes: a) personnes arrivées sans autorisation qui présentent un risque pour la communauté lié à la santé, l’identité ou la sécurité; b) non-ressortissants en situation irrégulière qui présentent des risques inacceptables pour la communauté; et c) non-ressortissants en situation irrégulière qui refusent de manière répétée de se conformer aux conditions définies par leur visa.

6.3La durée et les conditions de la détention, y compris l’adéquation du logement et des services fournis, font l’objet de contrôles réguliers. La durée de la détention ne correspond pas à des délais préétablis mais dépend de l’évaluation, pour chaque individu, des risques qu’il présente pour la sécurité de la communauté. Ces évaluations sont effectuées par des organismes publics le plus rapidement possible. Le critère déterminant n’est pas la durée de la détention mais la question de savoir si la détention est justifiée.

6.4L’Agence du renseignement a examiné le cas de chaque auteur adulte individuellement et a décidé, conformément à l’article 4 de la loi relative à l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité, que la délivrance d’un visa permanent constituerait un risque pour l’une ou plusieurs des raisons suivantes:

Cela constituerait une menace pour la sécurité de l’Australie et des Australiens, notamment une menace de violence à motivation politique; cela favoriserait les violences communautaires ou constituerait une menace pour l’intégrité territoriale et l’intégrité des frontières de l’Australie;

Cela reviendrait à offrir aux organisations auxquelles les intéressés pourraient appartenir un refuge d’où ils pourraient organiser des attaques contre leur gouvernement, que ce soit en Australie ou à l’étranger;

Cela pourrait revenir à offrir à des personnes ou des organisations terroristes un refuge qui leur permettrait de se livrer à des activités terroristes ou de financer de telles activités en Australie.

6.5La communication du détail des informations confidentielles qui sous-tendent les évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par un avis négatif mettrait en cause le mécanisme d’évaluation des risques pour la sécurité et compromettrait la sécurité de l’Australie. Cela exposerait également les sources de l’Agence du renseignement et entamerait les capacités de celle-ci à remplir ses missions.

6.6La détention des auteurs adultes est une mesure proportionnée au risque pour la sécurité qui a été constaté pour chacun d’eux. Pour ce qui est de l’auteur mineur, R. J., son intérêt a été pris en considération dans toutes les décisions relatives à ses placements en détention dans des centres pour immigrants, conformément aux obligations de l’État partie en vertu du Pacte. Comme indiqué ci-dessus, l’intéressé a été autorisé à déposer une demande de visa de protection. Des installations et services appropriés, favorables à son bien-être, ont été mis à sa disposition. En particulier, il vit dans une résidence pour immigrants conçue pour offrir un environnement confortable où les enfants peuvent poursuivre leur développement tout en vivant avec leur famille en détention. Il est libre de participer à des sorties et d’autres activités organisées, ce qui lui permet de vivre avec peu de restrictions et de manière aussi compatible que possible avec son statut de non-ressortissant mineur en situation irrégulière.

6.7La légalité des décisions rendues au titre de la loi relative à l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité peut faire l’objet d’un examen judiciaire. En outre, l’Inspecteur général des renseignements et de la sécurité peut enquêter sur la légalité, la régularité, l’efficacité et l’adéquation des évaluations des risques pour la sécurité que peuvent présenter des non-ressortissants effectuées par l’Agence du renseignement.

Article 9, paragraphe 2

6.8Pour le cas où le Comité conclurait que les auteurs ont été «arrêtés» au sens du paragraphe 2 de l’article 9, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition. Conformément à la pratique habituelle, tous les auteurs, à leur arrivée à Christmas Island, ont reçu une explication détaillée des raisons de leur mise en détention dans une notification rédigée en anglais. Le texte de la notification a été lu par un fonctionnaire, des interprètes étant présents pour le traduire vers les langues concernées.

Article 9, paragraphe 4

6.9Comme il a été indiqué plus haut, les auteurs peuvent demander l’examen judiciaire de la légalité de leur détention et un tribunal peut ordonner leur libération si la détention n’est pas conforme à la loi. Dans Al- Kateb v. Godwin  , la Cour suprême australienne a considéré que la détention administrative d’immigrants pendant une période indéterminée relevait de la compétence du Parlement lorsque son objectif était de permettre le traitement des demandes de résidence en Australie émanant de non-ressortissants et de procéder au renvoi de ceux qui n’étaient pas en droit de rester sur le territoire australien, même s’il n’était pas raisonnablement possible de prévoir quand ce renvoi aurait lieu. La Cour suprême a considéré que la disposition de la loi sur les migrations en vertu de laquelle les «non-ressortissants en situation irrégulière» devaient être renvoyés «dans les meilleurs délais raisonnablement possibles» n’impliquait pas de durée maximale de détention.

6.10L’État partie réfute l’allégation des auteurs quant au fait que la loi interdit expressément toute action en justice ayant trait au statut d’une personne arrivée sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration ou à la légalité de sa détention. Bien qu’il interdise l’ouverture de certaines actions judiciaires aux personnes arrivées sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration, l’article 494AA de la loi sur les migrations indique expressément qu’il est sans préjudice de la compétence de la Cour suprême en matière de constitutionnalité.

6.11L’examen judiciaire des évaluations des risques pour la sécurité s’étant soldées par un avis négatif offre aux tribunaux une importante occasion d’examiner la question de la divulgation, par l’Agence du renseignement, d’informations aux intéressés. Dans le cadre de cet examen, une partie peut demander la communication de toute information, sous réserve que celle-ci soit pertinente et que l’Agence n’ait pas obtenu l’immunité d’intérêt public.

Article 7 et article 10, paragraphe 1

6.12Pour le cas où le Comité estimerait que les auteurs ont fourni suffisamment d’informations pour permettre l’examen au fond des griefs qu’ils tirent de ces dispositions, l’État partie affirme que leurs allégations sont dénuées de fondement. Premièrement, le système de détention d’immigrants et le traitement réservé aux auteurs en détention ne sont pas à l’origine de souffrances physiques ou psychologiques si graves qu’elles constitueraient un traitement contraire à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Deuxièmement, le système de détention obligatoire des immigrants arrivés sur le territoire sans autorisation n’est pas arbitraire en soi et la détention de chaque auteur pris individuellement ne l’est pas non plus dans la mesure où elle est raisonnable, nécessaire, proportionnée, appropriée et justifiable dans toutes les circonstances. Troisièmement, le fait que la détention se prolonge n’est pas en soi un motif suffisant pour l’assimiler à un traitement contraire aux articles en question.

6.13L’État partie rejette les arguments selon lesquels les conditions de détention constitueraient un traitement inhumain ou dégradant. Les auteurs sont hébergés dans des conditions considérées comme les plus adaptées à leur situation. Six auteurs vivent dans des foyers des services de l’immigration, deux auteurs dans des logements de transit relevant des mêmes services et un auteur dans un centre de détention pour immigrants. Ces installations sont gérées par Serco, une société privée qui est tenue de veiller à ce que les personnes détenues soient traitées équitablement, avec dignité et respect. Les actes et le comportement du personnel de Serco sont régis par un code de conduite. Cette société a adopté des politiques et procédures qui mettent l’accent sur le bien-être des personnes détenues.

6.14Toutes les personnes placées dans des centres de détention pour immigrants bénéficient d’un examen périodique des conditions de détention. De tels examens ont eu lieu pour chacun des auteurs. La détention d’immigrants fait également l’objet d’une surveillance régulière par des organismes externes et indépendants comme la Commission australienne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Conseil du Ministre sur les demandeurs d’asile et la détention.

6.15L’État partie reconnaît que les immigrants placés en détention, en particulier ceux qui sont arrivés par la mer sans autorisation et qui ont subi des tortures et des traumatismes ou qui présentent des antécédents de troubles mentaux, peuvent voir leur santé mentale se détériorer et être tentés par l’automutilation ou le suicide. Des éléments tels que le rejet d’une demande de visa et l’incertitude liée au statut d’immigrant et à la durée de la détention peuvent constituer des facteurs de stress supplémentaires. C’est pourquoi ces personnes ont accès à des services de santé et de soutien psychologique adaptés à leur situation et bénéficient d’examens réguliers par des professionnels de la santé.

6.16L’état psychologique de tout immigrant placé en détention est vérifié dans les soixante-douze heures afin que tout symptôme de troubles mentaux et toute séquelle de torture ou autre traumatisme puissent être décelés. Des examens médicaux réguliers permettent en outre de surveiller l’apparition de problèmes de santé physique ou mentale. Indépendamment de ces évaluations périodiques, lorsque l’état psychologique d’un détenu est signalé comme préoccupant, l’intéressé est rapidement confié à un médecin.

6.17Tous les centres de détention d’immigrants, y compris ceux dans lesquels les auteurs résident, sont dotés de services de santé primaires d’une qualité généralement comparable à celle des services dont disposent les Australiens et qui tiennent compte de la diversité, voire de la complexité des besoins des personnes qui y résident. Lorsqu’un traitement médical spécialisé n’est pas disponible sur place, il est fait appel à des spécialistes extérieurs.

6.18En août 2010, le Gouvernement a adopté trois mesures relatives à la santé mentale des personnes placées dans des centres de détention pour immigrants: le dépistage des troubles mentaux chez les immigrants en détention, le repérage et l’accompagnement des immigrants détenus qui ont subi des actes de torture ou d’autres traumatismes et le programme de soutien psychologique pour la prévention des actes d’automutilation dans les centres de détention pour immigrants.

6.19Plusieurs des auteurs ont bénéficié d’un traitement et d’une aide adaptés à leur état physique et psychologique. M. M. M., N. V., A. A. K. B. B. A. et I. M. F. ont, notamment, été régulièrement examinés par l’équipe de santé mentale et vers le programme de soutien psychologique chaque fois que des actes d’automutilation étaient à craindre. R. R., A. A. K. B. B. A. et K. P. consultent régulièrement l’équipe de santé mentale et bénéficient d’un accompagnement pour gérer leur syndrome de stress post-traumatique, entre autres mesures. M. J. est elle aussi suivie par l’équipe de santé mentale, ainsi que R. J., qui présente un début de trouble dépressif.

6.20Contrairement à ce qu’affirment les auteurs, les conditions matérielles de détention sont adaptées et constamment améliorées, et les personnes détenues ont suffisamment de possibilités de loisirs. Il est arrivé que des troubles ou des incidents violents surviennent mais l’entreprise Serco a mis en place des procédures détaillées pour y faire face. Les auteurs n’ont fait état d’aucun événement de ce type dont ils auraient été directement témoins. Serco n’a recours à la contrainte qu’en dernier ressort et le degré de force pouvant être employé est strictement limité.

6.21En l’absence d’allégations précises concernant chacun d’entre eux, le Comité ne saurait conclure que les auteurs ont été personnellement soumis à des traitements contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10.

Réparation

6.22Vu qu’il n’y a pas eu violation des droits que les auteurs tiennent du Pacte, aucune des réparations qu’ils demandent ne devrait être recommandée par le Comité. Il serait inapproprié que le Comité recommande la libération des auteurs adultes, compte tenu des risques qu’ils représentent pour la sécurité nationale, d’après l’évaluation qui a été faite, et vu qu’un examinateur indépendant a été récemment désigné. Pour le cas où le Comité conclurait que l’Australie n’a pas respecté certains droits, l’État partie lui demande de recommander d’autres formes de réparation que la remise en liberté.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 23 février 2013, les auteurs ont formulé les commentaires ci-dessous sur les observations de l’État partie concernant le fond.

Article 9, paragraphe 1

7.2Les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel leur détention serait légale. La légalité au sens du paragraphe 1 de l’article 9 ne doit pas être interprétée seulement au regard du droit interne mais plutôt au regard du droit qui s’applique à une juridiction donnée, ce qui comprend tant le droit interne que le droit international, Pacte compris. La détention pour des motifs de sécurité est illégale au regard du paragraphe 1 de l’article 9 parce que les procédures de réexamen prévues par la législation nationale sont manifestement insuffisantes. En effet, les intéressés n’ont pas le droit de connaître les motivations d’une décision ni même celui d’obtenir un minimum d’informations quant aux éléments de preuve utilisés, ce qui leur permettrait d’exercer effectivement un éventuel droit de recours; la décision initiale n’est pas prise par un organe indépendant mais par l’Agence du renseignement, qui agit à la fois comme un enquêteur secret, un juge et un jury; aucun réexamen régulier par celui qui a pris la décision initiale n’est obligatoire; il n’existe pas de mécanisme d’examen contraignant quant au fond et pratiquement aucun mécanisme d’examen judiciaire effectif, vu qu’il est impossible d’exiger la divulgation de ne serait-ce qu’un résumé des arguments relatifs à la sécurité invoqués contre les intéressés.

7.3Les auteurs soutiennent que la détention obligatoire à l’arrivée est arbitraire. Cela est d’autant plus vrai que la durée de la détention entre leur arrivée et la notification de l’évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif a été très longue (entre treize mois et deux ans). L’État partie n’a pas justifié la nécessité d’un si long délai.

7.4L’État partie n’a pas cherché à démontrer qu’il avait envisagé d’autres solutions que la détention dans chaque cas particulier ni à expliquer pourquoi telle ou telle mesure non privative de liberté n’était pas adaptée au degré de risque que chaque personne présentait. Il n’a fourni aucune preuve des démarches qu’il aurait entreprises en vue de la réinstallation des auteurs dans un pays tiers et, en particulier, il n’a pas indiqué combien de pays avaient été sollicités pour chacun d’eux, combien avaient refusé de les accueillir et à quelle fréquence de telles demandes étaient déposées.

7.5Quant à l’inexistence ou l’inefficacité d’un examen judiciaire de la détention, les auteurs arguent que l’Inspecteur général des renseignements et de la sécurité ne détient qu’un pouvoir de recommandation et ne saurait dès lors offrir une voie de recours utile s’appuyant sur un droit juridiquement opposable de faire annuler une évaluation des risques pour la sécurité s’étant soldée par un avis négatif.

7.6Concernant la détention de l’auteur mineur, celui-ci affirme qu’il est dans son meilleur intérêt à la fois de ne pas vivre en détention et de ne pas être séparé de sa mère. L’Australie a la possibilité de prendre cela en considération en autorisant sa mère à vivre avec lui dans la communauté et en préservant ainsi l’unité et la vie quotidienne de la famille conformément aux articles 17 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 du Pacte, que l’auteur invoque ici. L’auteur affirme que sa détention est arbitraire car elle ne découle d’aucune nécessité, et qu’elle est disproportionnée. L’Australie ne prétend pas qu’il présente un risque pour la sécurité, qu’il pourrait entrer dans la clandestinité ou qu’il représente une quelconque autre menace pour le pays. Toute menace pour la sécurité nationale que sa mère pourrait représenter (que celle-ci ne reconnaît pas) peut être contrée par diverses mesures qui pourraient lui être imposées si elle vit au sein de la communauté: surveillance, obligation de se présenter régulièrement aux autorités, versement d’une caution ou port d’un bracelet GPS.

Article 9, paragraphe 2

7.7La notification de détention reçue par les auteurs à leur arrivée n’explique pas pourquoi chacun d’eux est individuellement considéré comme présentant un risque et par conséquent comme devant être placé en détention, que ce soit pour des raisons liées à l’identité, la sécurité ou la santé ou un risque de disparition. De la même manière, les lettres du Ministère de l’immigration et de la citoyenneté informant les auteurs de l’évaluation faite par l’Agence du renseignement ne précisent pas les raisons de sécurité qui justifieraient la détention. L’État partie n’a fourni aucune preuve attestant que chacun des auteurs a effectivement reçu une notification écrite de détention à son arrivée en Australie ni que chaque auteur se trouvant à Christmas Island a été informé dans une langue qu’il comprend. L’État partie invoque l’existence d’une pratique ou d’une politique en ce sens, sans démontrer qu’elle a été appliquée dans le cas des auteurs.

Article 9, paragraphe 4

7.8Pour le cas où le Comité considérerait que la détention des auteurs est illégale au regard du paragraphe 1 de l’article 9, parce qu’elle n’est ni nécessaire ni proportionnée, il devrait aussi constater la violation du paragraphe 4 de l’article 9 dans la mesure où les juridictions australiennes ne sont pas compétentes pour vérifier la nécessité d’une détention. En ce qui concerne le réexamen effectué par la Cour suprême, celle-ci ne statue que sur une centaine de dossiers par an, en sa qualité de plus haute juridiction de l’État et de juge de la constitutionnalité. Il n’est pas réaliste de laisser entendre que les auteurs pourraient demander un examen judiciaire alors que le nombre d’affaires inscrites au rôle de la Cour suprême est très faible, que de nombreux milliers de personnes arrivées sur un territoire extérieur exclu de la zone de migration sont détenues chaque année et que la compétence d’autres cours fédérales est exclue. En outre, la préparation d’un dossier en vue de saisir la Cour suprême demande des ressources importantes ainsi qu’une représentation en justice, ce dont les auteurs ne disposent tout simplement pas.

7.9Quant à l’examen judiciaire des évaluations des risques pour la sécurité, lorsque l’Agence du renseignement est d’avis que la divulgation d’informations mettrait en danger la sécurité nationale, les tribunaux n’annulent pas les évaluations. Il y a eu plusieurs autres cas de ce type intéressant la sécurité, mais les tribunaux n’ont pas ordonné la divulgation d’informations que l’Agence avait qualifiées de «sensibles».

Article 7 et article 10, paragraphe 1

7.10Un certain nombre d’institutions australiennes indépendantes critiquent régulièrement les conditions de vie dans tous les centres de détention d’immigrants ainsi que leur effet sur la santé mentale des intéressés. Par exemple, depuis l’enregistrement de la communication, le Médiateur du Commonwealth, qui est habilité à examiner périodiquement les cas de détention prolongée, a déclaré qu’une détention prolongée contribuait à la détérioration de l’état psychologique et qu’elle était incompatible avec un traitement efficace des troubles mentaux. Il a également critiqué la qualité des services de santé mentale fournis en détention. La détérioration continue de l’état psychologique des détenus montre que les mesures de santé prises par l’Australie ne suffisent pas à garantir la sécurité des détenus vu que la détention prolongée est elle-même à l’origine d’un préjudice pour lequel il n’y a pas de traitement médical.

7.11Les auteurs ont fourni une copie d’une lettre du Directeur du Centre de psychiatrie développementale et de psychologie datée du 12 août 2012, dans laquelle il est indiqué que les traitements dispensés dans les centres de détention sont insuffisants et ne permettront pas de remédier à l’état des détenus. Ces centres ne sont pas des établissements psychiatriques et ne sont pas conçus, ni dotés du personnel nécessaire, pour gérer des maladies et troubles mentaux sévères. Seul le système de santé mentale public permet une prise en charge appropriée.

7.12Les éléments suivants sont pertinents aux fins de déterminer si la détention des auteurs est inhumaine ou dégradante: a) les auteurs sont des réfugiés ayant droit à une protection spéciale, pour lesquels la détention devrait être une mesure de dernier recours d’une durée aussi brève que possible; b) la plupart des auteurs ont été traumatisés par leur fuite lors du conflit de 2009 au nord de Sri Lanka ou immédiatement après; c) certains d’entre eux se sont vu diagnostiquer des maladies mentales qui ne peuvent être convenablement soignées tant qu’ils restent en détention; d) l’un des auteurs est un enfant particulièrement vulnérable.

7.13Si le Comité ne constate pas de violation de l’article 7 faute de preuve, il pourrait tout de même constater une violation du paragraphe 1 de l’article 10 dans la mesure où les auteurs, en tant que groupe, ont subi des mauvais traitements dans le cadre d’une détention de durée indéterminée dans des conditions physiques et sanitaires difficiles.

Réparation

7.14Les auteurs contestent la position de l’État partie sur ce point et réitèrent leurs demandes initiales.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.1Le 27 juin 2013, l’État partie a indiqué que les auteurs M. J. et son fils R. J. avaient récemment obtenu des visas de protection, avaient quitté le centre de détention pour immigrants et vivaient désormais dans la communauté australienne. Le 21 août 2012, le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté avait décidé de lever l’interdiction de demander un visa et de permettre à R. J. de déposer une demande de visa de protection. Celui-ci avait obtenu un tel visa le 8 février 2013. Toutefois, avec l’accord de sa mère, il était resté en détention avec elle. Concernant M. J., une nouvelle évaluation des risques pour la sécurité fondée sur de nouvelles informations pertinentes avait récemment abouti à un avis positif. En conséquence, elle avait été libérée et résidait désormais dans la communauté australienne avec son fils.

8.2Comme le démontre ce cas, l’Agence du renseignement ne rend un avis négatif à propos de personnes à l’égard desquelles l’État a manifestement des obligations de protection que lorsque la délivrance d’un visa serait incompatible avec la sécurité de l’Australie. Tout avis négatif est fondé sur les informations disponibles à ce moment-là, et de nouvelles évaluations des risques pour la sécurité peuvent être et sont effectuées lorsque de nouveaux éléments pertinents sont découverts.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité relève que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés dans la mesure où les auteurs n’ont pas demandé l’examen judiciaire de la décision de placement en détention les concernant et des fondements de l’évaluation des risques qu’ils présentaient pour la sécurité. L’État partie ajoute à cet égard que le précédent constitué par la conclusion de la Cour suprême dans Al ‑Kateb v. Godwin  , selon laquelle la détention pour une durée indéterminée d’un plaignant qui ne pouvait être expulsé était conforme à la loi sur les migrations, est actuellement contesté devant la Cour elle-même par un plaignant se trouvant dans la même situation que les auteurs de la présente communication et que la requête est encore pendante. Le Comité considère toutefois que l’État partie n’a pas démontré que les auteurs disposaient d’un recours utile pour contester leur détention. L’éventualité que la Cour suprême de l’État partie annule un jour sa décision précédente concernant la légalité de la détention pour une durée indéterminée ne suffit pas à dire qu’il existe actuellement un recours utile. L’État partie n’a pas démontré que les juridictions nationales avaient compétence pour rendre des décisions individuelles concernant les motifs qui justifient la détention de chaque auteur. En outre, le Comité note que dans la décision du 5 octobre 2012 de la Cour suprême dans l’affaire M47, la Cour a confirmé le maintien en détention obligatoire du réfugié, ce qui montre que même quant le requérant obtient gain de cause, cela ne met pas nécessairement fin à la détention arbitraire. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie n’a pas démontré l’existence d’autres recours utiles et que la communication est recevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.4Concernant les auteurs M. J.et R. J., le Comité prend note de l’information communiquée le 27 juin 2013 par l’État partie, lequel a indiqué qu’ils avaient récemment obtenu des visas de protection et avaient été libérés (par. 8.1 ci-dessus). La conclusion du Comité ci-dessus ne s’applique, par conséquent, qu’à la période qui a précédé leur libération.

9.5Le Comité relève également l’argument de l’État partie selon lequel le grief que les auteurs tirent du paragraphe 2 de l’article 9 devrait être déclaré irrecevable ratione materiae au motif que cette disposition vise uniquement l’arrestation du chef d’infractions pénales. Le Comité considère toutefois que le terme «arrestation», dans le contexte de cette disposition, désigne le commencement d’une privation de liberté, qu’il s’agisse d’une procédure pénale ou administrative, et que les intéressés ont le droit d’être informés des raisons de leur arrestation. Le Comité estime par conséquent que ce grief n’est pas irrecevable ratione materiae ni pour tout autre motif et qu’il devrait être examiné au fond.

9.6Quant aux griefs soulevés au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare recevables.

9.7En conséquence, le Comité considère que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard des articles 7, 9 (par. 1, 2 et 4) et 10 (par. 1).

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

Griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 9

10.2Les auteurs affirment que leur détention obligatoire à leur arrivée ainsi que son caractère continu et sa durée indéterminée, pour des motifs de sécurité, sont illégaux et arbitraires et constituent par conséquent une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Ils avancent que leur détention est une mesure disproportionnée par rapport aux risques qu’ils présenteraient pour la sécurité et que les procédures internes d’examen de la détention sont manifestement inadéquates. L’État partie fait valoir que les auteurs adultes sont des non-ressortissants en situation irrégulière détenus en application de la loi sur les migrations et de la loi relative à l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité, que leur détention est par conséquent légale et constitutionnelle, ainsi que la Cour suprême l’a déjà déclaré, et qu’il s’agit aussi d’une mesure proportionnée aux risques que les auteurs présentent pour la sécurité d’après les autorités.

10.3Le Comité rappelle que l’adjectif «arbitraire» n’est pas synonyme de «contraire à la loi» mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. La détention pendant une procédure aux fins du contrôle de l’immigration n’est pas arbitraire en soi mais doit être justifiée, raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu des circonstances, et la mesure doit être réévaluée si elle est maintenue. Les demandeurs d’asile qui entrent illégalement sur le territoire d’un État partie peuvent être placés en rétention pendant une brève période initiale, le temps de vérifier leur entrée, d’enregistrer leurs griefs et de déterminer leur identité si elle est douteuse. Les maintenir en détention pendant que leur demande est examinée serait arbitraire en l’absence de raisons particulières propres à l’individu, comme un risque de fuite, d’atteinte à autrui ou d’acte contre la sécurité nationale. Il convient d’étudier les éléments utiles au cas par cas et de ne pas fonder la décision sur une règle obligatoire applicable à une vaste catégorie de personnes; il convient également d’envisager des moyens moins intrusifs d’obtenir le même résultat, comme l’obligation de se présenter à la police, le versement d’une caution ou d’autres moyens d’empêcher le demandeur de passer dans la clandestinité; il faut en outre que la décision fasse l’objet d’un réexamen périodique et d’un contrôle juridictionnel. La décision doit également prendre en considération les besoins des enfants et l’état de santé mentale de l’étranger placé en détention. Les intéressés ne doivent pas rester retenus indéfiniment aux fins du contrôle de l’immigration si l’État partie n’est pas en mesure de procéder à leur expulsion.

10.4Le Comité observe que les auteurs sont maintenus en détention auprès des services de l’immigration depuis 2009 ou 2010, qu’ils l’ont été en premier lieu à titre de mesure obligatoire à leur arrivée puis à la suite des évaluations des risques qu’ils présentaient pour la sécurité par l’Agence du renseignement. Quelle qu’ait pu être la justification de la détention initiale, par exemple la vérification de l’identité, l’État partie n’a pas, de l’avis du Comité, démontré, pour chaque cas, que la détention continue pour une durée indéterminée était légitime. Il n’a pas démontré non plus que d’autres mesures moins intrusives ne pouvaient répondre à la nécessité de protéger la sécurité nationale contre les risques que les auteurs adultes étaient censés présenter. En outre, les auteurs sont maintenus en détention sans être informé du risque spécifique associé à chacun d’eux et des mesures prises par les autorités australiennes pour trouver des solutions qui leur permettent de recouvrer leur liberté. Ils ne bénéficient pas non plus de garanties juridiques qui leur permettraient de contester leur détention de durée indéterminée. Pour toutes ces raisons, le Comité conclut que la détention des auteurs M. M. M., R. R., K. P., I. M. F., N. V., M. S. et A. A. K. B. B. A. est arbitraire et contraire au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Cette conclusion s’applique également aux auteurs M. J. et son fils mineur R. J., pour la période qui a précédé leur libération.

Griefs tirés du paragraphe 2 de l’article 9

10.5Les auteurs affirment que les autorités ne les ont pas informés individuellement des raisons de fond justifiant leur détention, ni à leur arrivée ni après l’évaluation effectuée par l’Agence du renseignement. L’État partie soutient que, à leur arrivée, tous les auteurs ont reçu une notification de détention leur expliquant qu’ils étaient soupçonnés d’être des non-ressortissants en situation irrégulière et que, par la suite, chacun d’eux a été informé, dans une lettre, de l’évaluation par l’Agence des risques qu’il présentait pour la sécurité. Le Comité fait observer que conformément au paragraphe 2 de l’article 9, toute personne arrêtée doit être informée, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation, et que cette disposition ne vise pas uniquement les arrestations en lien avec des accusations pénales. Le Comité considère que, pour ce qui concerne la détention initiale, l’information fournie aux auteurs suffit à répondre aux exigences du paragraphe 2 de l’article 9. En outre, l’avis négatif qu’ils ont ensuite reçu à l’issue de l’évaluation des risques pour la sécurité représente une phase postérieure du traitement de leur cas par les services de l’immigration et n’équivaut pas à une nouvelle arrestation au sens du paragraphe 2 de l’article 9 mais doit plutôt être examiné au regard du paragraphe 1 du même article. Par conséquent, le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte.

Griefs tirés du paragraphe 4 de l’article 9

10.6Quant à l’affirmation des auteurs selon laquelle leur détention ne peut pas être mise en cause en vertu du droit australien et aucun tribunal n’est compétent pour en apprécier la nécessité sur le fond, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui indique que les auteurs peuvent demander auprès de la Cour suprême l’examen judiciaire de la légalité de leur détention et de l’évaluation des risques qu’ils présentent pour la sécurité. Compte tenu du précédent constitué par la conclusion de la Cour suprême dans Al ‑Kateb v. Godwin (2004), qui confirme la légalité de la détention d’immigrants pendant une durée indéterminée, et de l’absence de précédents pertinents dans la réponse présentée par l’État partie qui démontreraient l’efficacité d’une requête auprès de la Cour suprême dans des cas semblables plus récents, le Comité n’est pas convaincu que la Cour soit habilitée à examiner la justification de la détention des auteurs sur le fond. Le Comité relève en outre que dans l’arrêt qu’elle a rendu le 5 octobre 2012 dans l’affaire M47, la Cour suprême a confirmé le maintien en détention obligatoire d’un réfugié, ce qui montre que même quand le requérant obtient gain de cause, cela ne met pas nécessairement fin à la détention. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que l’examen judiciaire de la légalité de la détention au sens du paragraphe 4 de l’article 9 ne doit pas consister uniquement à vérifier si la détention est compatible avec le droit national mais doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si sa détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. Le Comité considère dès lors que les faits de l’espèce font apparaître une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

Griefs tirés de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10

10.7Le Comité prend note des griefs que les auteurs tirent de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 ainsi que des informations fournies par l’État partie, à cet égard, y compris sur les soins de santé et le soutien psychologique proposés aux immigrants détenus. Le Comité considère toutefois que ces services n’allègent en rien le poids des allégations relatives à l’incidence négative sur la santé mentale des détenus d’une détention prolongée et de durée indéterminée, dont les motifs n’ont même pas été communiqués aux intéressés, allégations qui n’ont pas été contestées et qui sont confirmées par les rapports médicaux concernant certains des auteurs. Le Comité considère que la conjugaison des facteurs que représentent le caractère arbitraire de la détention des auteurs, sa durée prolongée ou indéterminée, le refus de leur fournir des informations et de leur accorder des droits procéduraux, et les conditions difficiles dont leur détention est assortie, est à l’origine de préjudices psychologiques graves et constitue un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Compte tenu de cette constatation, le Comité n’examinera pas les mêmes griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits des auteurs au titre des articles 7 et 9 (par. 1 et 4) du Pacte.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à tous les auteurs une réparation effective, consistant notamment en la libération dans des conditions appropriées de ceux qui sont encore détenus, une aide à la réadaptation et une indemnisation adéquate. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. À cet égard, il devrait revoir sa législation sur les migrations en vue de la mettre en conformité avec les articles 7 et 9 (par. 1 et 4) du Pacte.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley

Je renvoie à mon opinion distincte dans l’affaire C. c. Australie. Je considère que la constatation de violation du paragraphe 4 de l’article 9 est redondante et superflue, puisque l’absence de garanties juridiques permettant de contester la détention fait partie intégrante, voire est au cœur même, de la constatation de violation du paragraphe 1 de l’article 9 ci‑dessus. En outre, je ne suis toujours pas convaincu que la protection du paragraphe 4 de l’article 9, lequel prévoit la possibilité de contester la légalité d’une détention, puisse aller au-delà de la possibilité d’introduire un recours en vertu du droit national. Ce qui n’est pas légal au regard du droit international est précisément visé au paragraphe 1 de l’article 9.

[Fait en anglais, sera publié ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]