Nations Unies

CCPR/C/106/D/1548/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 décembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1548/2007

Constatations adoptées par le Comité à sa 106e session(15 octobre-2 novembre 2012)

Communication p résentée par:

Zoya Kholodova (représentée par un conseil)

Au nom de:

Dmitrii Kholodov, fils de l’auteur (décédé)

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

5 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 6 mars 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

1er novembre 2012

Objet:

Décès d’un journaliste lors d’une explosion; procès inéquitable

Questions de procédure:

Fondement des griefs

Questions de fond:

Droit à la vie; procès équitable; liberté d’expression

Article s du Pacte:

2, 6, 14 et 19

Article du Protocole facultatif:

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (106e session)

concernant la

Communication no1548/2007 *

Présentée par:

Zoya Kholodova (représentée par un conseil)

Au nom de:

Dmitrii Kholodov, fils de l’auteur (décédé)

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

5 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2012,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1548/2007 présentée au nom de Zoya Kholodova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Zoya Kholodova, de nationalité russe, née en 1937. Elle présente la communication en son propre nom et au nom de son fils, Dmitrii Kholodov, de nationalité russe, décédé en 1994. Elle dénonce une violation, par l’État partie, de ses droits au titre du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que des droits de son fils au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur est représentée par des conseils, K. Moskalenko et M. Rachkovskiy.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le fils de l’auteur, Dmitrii Kholodov, était journaliste au Moskovsky Komsomolets. Le 17 octobre 1994, une serviette a explosé dans les locaux du journal, provoquant sa mort. L’auteur affirme que l’explosion avait pour but d’empêcher son fils de continuer à rendre compte d’irrégularités, notamment d’actes de corruption, dans l’armée.

2.2Le 17 octobre 1994, le bureau du Procureur interdistricts de Presnensk a engagé une action pénale concernant l’explosion. Le 18 octobre 1994, compte tenu de la gravité particulière du crime, un procureur général adjoint de la Fédération de Russie a décidé de confier l’enquête au Bureau du Procureur général.

2.3L’enquête a permis d’identifier cinq militaires et un civil soupçonnés d’avoir organisé l’attentat, probablement sous les ordres d’officiers militaires de haut rang et à la demande directe du Ministre de la défense. Les enquêteurs ont conclu que les militaires avaient dérobé des explosifs dans leur unité et dissimulé un engin explosif dans la serviette qui avait ensuite été remise au fils de l’auteur avec l’indication qu’elle contenait des informations sensibles. Le fils de l’auteur avait été tué en ouvrant la serviette, dans son bureau, et d’autres personnes qui se trouvaient dans les locaux du journal avaient été blessées.

2.4L’affaire pénale a d’abord été examinée par le tribunal militaire régional de Moscou à compter de novembre 2000. Le tribunal a ordonné un certain nombre d’expertises médico-légales et a fait appel à des experts en explosifs, entre autres. Les résultats étaient différents de ceux qui avaient été obtenus pendant l’enquête préliminaire. En particulier, les conclusions les plus récentes faisaient état d’une quantité d’explosifs moindre et ne situaient pas l’épicentre de l’explosion au même endroit. L’auteur affirme que les experts qui ont procédé à la deuxième série d’expertises étaient divisés et que leurs conclusions différaient de celles des expertises réalisées au cours de l’enquête préliminaire. L’auteur affirme que les conclusions des premières expertises étaient plus appropriées.

2.5Le 26 juin 2002, le tribunal militaire régional de Moscou a acquitté les six accusés et a ordonné leur libération immédiate. Le parquet et l’auteur ont saisi le collège militaire de la Cour suprême de la Fédération de Russie. Le 27 mai 2003, la Cour suprême a annulé le jugement rendu le 26 juin 2002 par le tribunal militaire régional de Moscou et a renvoyé l’affaire devant le même tribunal pour qu’il l’examine dans une composition différente.

2.6Le deuxième procès s’est déroulé de juillet 2003 à juin 2004. D’après l’auteur, le tribunal a examiné les différentes conclusions des expertises ordonnées pendant le premier procès. L’auteur affirme qu’au cours du second procès, le procès-verbal du premier procès a été examiné, mais sans qu’il soit tenu compte des annotations qui y avaient été faites.

2.7Le 10 juin 2004, le tribunal militaire régional de Moscou a acquitté une nouvelle fois les personnes accusées d’avoir organisé l’explosion. Le parquet et l’auteur ont de nouveau saisi la Cour suprême, faisant valoir que le tribunal avait commencé le procès en l’absence de certaines parties, qu’il n’avait pas éclairci toutes les contradictions qui subsistaient dans plusieurs dépositions de témoins, qu’il avait omis d’interroger un témoin important et qu’il n’avait pas donné lecture des annotations inscrites sur le procès-verbal du premier procès lorsqu’il avait examiné celui-ci, admettant ainsi des éléments de preuve irrecevables.

2.8Le 14 mars 2005, le collège militaire de la Cour suprême a confirmé l’acquittement prononcé par le tribunal militaire régional de Moscou. L’auteur a formé un recours en contrôle juridictionnel auprès de l’Assemblée plénière de la Cour suprême. Celle-ci l’a rejeté le 25 avril 2005.

2.9L’auteur affirme que les procès étaient entachés d’un certain nombre d’irrégularités de procédure. Elle évoque les critiques que le Ministre de la défense a formulées publiquement au sujet des articles écrits par son fils et qui, selon elle, montrent que son fils a été victime d’actes commis par des officiers militaires de haut rang. Elle indique que les tribunaux n’ont pas tenu compte de la déposition d’un témoin qui avait déclaré au cours de l’enquête préliminaire avoir vu, peu avant le crime, une serviette contenant un engin explosif sur le bureau de l’un des militaires accusés du meurtre, et avoir vu également plusieurs des accusés quitter ensemble leur unité militaire le matin précédant l’explosion. L’enquêteur qui avait recueilli les premières dépositions du témoin en question n’a pas été cité à comparaître malgré les demandes de l’auteur en ce sens. L’auteur affirme en outre que les conclusions des tribunaux étaient contradictoires et qu’elles n’étaient pas étayées par les preuves examinées lors du procès. De surcroît, cinq des six accusés lors du premier procès étaient des militaires, mais l’affaire a quand même été examinée par un tribunal militaire, qui a rendu une décision entachée de parti pris.

2.10Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur affirme que la procédure pénale en l’espèce a été indûment retardée. À son avis, le procès était inéquitable car, alors qu’il avait conclu que l’explosion survenue dans les locaux du journal était due à l’activation d’un engin explosif, le tribunal de première instance a acquitté les accusés. L’auteur conteste en outre les conclusions de plusieurs experts et l’appréciation que le tribunal en a faite, et affirme que les tribunaux se sont appuyés sur des éléments qui n’étaient pas dignes de foi et qu’ils ont omis d’apprécier un certain nombre de points au regard du droit.

2.11L’auteur affirme que les recours internes ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que son fils a été tué alors qu’il exerçait ses fonctions de journaliste. Elle pense qu’il s’agissait d’un assassinat politique, et que des responsables de haut niveau avaient intérêt à ce qu’il ne soit pas élucidé. Ces responsables ont empêché que l’affaire soit examinée promptement et l’enquête préliminaire a duré six ans. D’après l’auteur, l’État partie est responsable de la privation arbitraire de la vie de son fils. Elle affirme que les autorités ont non seulement manqué à leur devoir de protéger efficacement la vie de son fils mais aussi qu’elles n’ont pas veillé à la réalisation d’une enquête efficace et impartiale sur son meurtre et n’ont pas poursuivi et puni les responsables, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, du fait que la procédure a été engagée le 17 octobre 1994 mais que la dernière décision de justice − celle de la Cour suprême − a été rendue le 14 mars 2005, soit presque neuf ans et demi plus tard. Elle soutient que le procès était entaché de parti pris car il s’est déroulé devant un tribunal militaire alors que cinq des accusés étaient des officiers militaires et qu’il s’agissait d’une affaire pénale. Elle considère que le meurtre d’un journaliste dans un État démocratique devrait faire l’objet d’une attention particulière de la part des autorités et donner lieu à une enquête approfondie et impartiale, faisant valoir que cela n’a pas été le cas en l’espèce. Elle impute aux tribunaux plusieurs irrégularités au regard de la loi de procédure pénale (voir par. 2.9 et 2.10 ci-dessus). L’auteur indique à ce sujet que le fait qu’aucun coupable n’a été identifié l’empêche de bénéficier d’une réparation pour la perte de son fils, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que son fils a été tué à cause de son travail de journaliste et parce qu’il avait publié des articles sur les problèmes qui existaient dans l’armée et signalé l’existence de pratiques de corruption parmi des officiers de haut rang. D’après elle, ce meurtre visait à protéger les représentants de l’armée et à empêcher son fils d’exercer son droit à la liberté d’expression, en particulier la liberté d’exprimer des opinions et de répandre des informations, ce qui constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 16 mai 2007, l’État partie explique que l’auteur met en cause l’efficacité de l’enquête sur la mort de son fils et de la procédure judiciaire engagée en l’espèce. L’État partie ajoute que, d’après l’auteur, les autorités chargées de faire appliquer la loi ont, soit omis, soit refusé de mener une enquête efficace sur les circonstances du décès de son fils et n’ont pas démasqué les responsables, tandis que les tribunaux ont de facto manqué à leur devoir d’administrer la justice.

4.2L’État partie explique que l’affaire pénale relative au meurtre de M. Kholodov a été examinée par les autorités judiciaires compétentes de la Fédération de Russie dans le strict respect de la loi. L’affaire a été examinée deux fois par des juridictions de première et de deuxième instance: le 26 juin 2002, le tribunal militaire régional de Moscou a acquitté les accusés, MM. Barkovsky, Kapuntsov, Mirzayants, Morozov, Popovskikh et Soroka, au motif que leur participation au meurtre de M. Kholodov n’avait pu être établie. Le 2 décembre 2002, l’auteur a contesté cette décision auprès de la Cour suprême, demandant à la Cour d’annuler le jugement et de renvoyer l’affaire devant le tribunal pour un nouvel examen. Le 27 mars 2003, la Cour suprême a annulé la décision du 26 juin 2002 et a renvoyé l’affaire devant le tribunal militaire régional de Moscou pour qu’il l’examine dans une autre composition.

4.3Le 10 juin 2004, le tribunal militaire régional de Moscou a acquitté une nouvelle fois les accusés. Le tribunal a transmis l’affaire pénale relative à l’attentat à la bombe dans les locaux du journal et au décès de M. Kholodov au Bureau du Procureur général, lui demandant de mener une enquête en vue d’identifier les responsables. Tous les documents et éléments de preuve relatifs à l’affaire ont été transmis au Bureau du Procureur général.

4.4Le 18 juin 2004, l’auteur s’est pourvue en cassation auprès de la Cour suprême de la Fédération de Russie, demandant l’annulation de la décision du tribunal militaire régional de Moscou en date du 10 juin 2004, et a formé un nouveau recours le 14 décembre 2004. Le 14 mars 2005, la Cour suprême l’a déboutée et a confirmé la décision du 10 juin 2004. Le 31 mars 2005, l’auteur a formé un recours en contrôle juridictionnel contre les deux décisions auprès de l’Assemblée plénière de la Cour suprême, affirmant qu’elles étaient contraires au Code de procédure pénale. Le 25 avril 2005, l’Assemblée plénière de la Cour suprême a rejeté le recours de l’auteur.

4.5L’État partie explique qu’à cette date, l’affaire pénale relative à l’attentat à la bombe et au décès du fils de l’auteur fait l’objet d’une enquête par le Bureau du Procureur général. L’État partie considère qu’il n’a pas été satisfait au critère de l’épuisement des recours internes, et que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie réfute l’allégation de l’auteur quant au fait que les autorités ne sont pas disposées à mener une enquête efficace sur l’affaire, la déclarant dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 juillet 2007, l’auteur fait observer que l’État partie n’a fourni aucune preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle l’affaire pénale a fait l’objet d’une enquête efficace. Pour elle, même si l’enquête aboutissait à l’identification des suspects et à l’établissement de leur culpabilité, elle resterait une victime, en raison de la longueur excessive de la procédure pénale. De plus, rien ne garantit qu’une telle décision ne soit pas annulée ultérieurement, ce qui occasionnerait des retards supplémentaires d’une ampleur indéterminée. L’auteur considère donc que dans ces circonstances, rien ne s’oppose à l’examen de la communication par le Comité.

5.2L’auteur relève également que les observations de l’État partie donnent à penser qu’elle est responsable du retard accumulé dans la procédure. Elle affirme qu’en réalité, outre ses propres griefs, la Cour suprême a examiné les pourvois en cassation formés par le Bureau du Procureur général, le bureau du Procureur de Moscou et le bureau du procureur militaire en chef contre l’acquittement prononcé par le tribunal militaire régional de Moscou. De plus, la Cour suprême a examiné à deux reprises des décisions de juridictions inférieures.

5.3L’auteur affirme par ailleurs que la position des autorités vis-à-vis de l’affaire pénale n’a pas de lien avec les circonstances qui ont entouré l’enquête. La procédure pénale a été engagée par le bureau du Procureur interdistricts de Presnensk le 17 octobre 1994, soit plus de douze ans avant que la communication ne soit soumise, et aucune décision de justice définitive n’a été rendue. Pendant dix ans, les enquêteurs ne se sont intéressés qu’à une seule version des événements, laquelle a été en fin de compte rejetée par les tribunaux, qui l’ont jugée inexacte.

5.4L’auteur fait observer que depuis l’ouverture de la procédure pénale jusqu’à la décision d’acquittement prononcée le 18 juin 2004, le Bureau du Procureur général a constamment insisté sur le fait que les accusés étaient responsables à la fois de l’explosion survenue dans les locaux du journal et du meurtre de son fils. Elle pense par ailleurs qu’un nouvel examen de l’affaire ne donnerait probablement aucun résultat positif en raison du temps écoulé.

5.5L’auteur explique en outre qu’à cette date, la nouvelle enquête est en cours au Bureau du Procureur général mais qu’aucun progrès n’a été porté à sa connaissance. Elle en conclut que les autorités ont de nouveau manqué à leur devoir et que l’enquête demeure inefficace. Les autorités ont également manqué à leur devoir de permettre à la victime d’avoir pleinement accès au dossier de l’enquête.

5.6L’auteur affirme enfin que l’État partie n’a en aucune manière réfuté ses allégations.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 29 décembre 2007, l’État partie réaffirme que, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité ne doit pas examiner une communication émanant d’un particulier sans avoir vérifié que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il indique qu’à cette date, l’enquête préliminaire sur le meurtre de M. Kholodov est en cours. Les enquêteurs font le nécessaire pour identifier les responsables et des mesures énergiques sont prises en vue d’élucider le crime. Les recours internes n’ont donc pas été épuisés.

6.2L’État partie relève que le 14 septembre 2006 la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête déposée par l’auteur.

6.3L’État partie fait observer par ailleurs que dans ses commentaires, l’auteur n’a pas précisé lesquels de ses droits avaient été violés par les autorités. Sur le fond, ses griefs ont trait uniquement à l’inefficacité et à la lenteur de l’enquête et de la procédure judiciaire. De l’avis de l’État partie, l’affirmation de l’auteur relative à la durée excessive de l’enquête ne correspond pas à la réalité. L’État partie souligne que l’enquête préliminaire et le procès ont été menés conformément à la loi de procédure pénale et fait observer que les retards avaient des raisons objectives et qu’ils ne signifient pas que les autorités ne souhaitent pas mener une enquête efficace sur les circonstances du crime.

6.4L’État partie ajoute que le Bureau du Procureur général est habilité en vertu de la loi de procédure pénale à demander l’annulation d’une décision d’acquittement s’il considère que celle-ci était illégale ou dénuée de fondement. Par conséquent, l’allégation de l’auteur, qui affirme que le dépôt d’une telle demande en l’espèce compromettrait le déroulement de l’enquête, est dénuée de fondement.

6.5L’État partie soutient également que l’allégation de l’auteur, qui affirme ne pas avoir accès au dossier de l’enquête en cours, est dénuée de fondement. Le Code de procédure pénale définit expressément la manière dont les parties lésées sont informées du contenu du dossier comme du résultat de l’enquête. En vertu de l’article 125 du Code, toute action ou omission de la part des responsables de l’enquête préliminaire peut faire l’objet d’un recours judiciaire. Aucun élément du dossier ne permet de conclure que l’auteur a saisi les tribunaux après le dernier renvoi de l’affaire au Bureau du Procureur général.

6.6L’État partie ajoute que les allégations relatives à l’acquittement éventuel des suspects sont purement hypothétiques et ne sauraient être prises en considération au moment de déterminer s’il y a eu un retard injustifiable en l’espèce. À la lumière de tous ces éléments l’État partie conclut que la longueur de l’enquête et de l’examen de l’affaire pénale ne peut être considérée comme déraisonnable. Il ajoute que l’enquête pénale demeure ouverte et qu’elle a été prolongée jusqu’au 15 décembre 2007 sous la supervision du Bureau du Procureur général.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1Le 14 mars 2008, l’auteur fait observer que la règle énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’est pas applicable lorsque la mise en œuvre des recours internes excède des délais raisonnables. Elle indique qu’à cette date, cela fait treize ans que les autorités affirment avoir pris des mesures énergiques pour élucider l’affaire pénale.

7.2Quant à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 14 septembre 2006, l’auteur affirme que la Cour a fondé cette décision d’irrecevabilité sur le motif que le meurtre de M. Kholodov avait eu lieu avant l’entrée en vigueur de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour l’État partie, et non sur le motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

7.3Concernant l’affirmation de l’État partie selon laquelle, dans sa communication, l’auteur n’a pas précisé lesquels de ses droits en vertu du Pacte avaient été violés, l’auteur explique que dans sa lettre initiale au Comité, elle a cité les articles précis sur lesquels elle a fondé son argumentation.

7.4Enfin, à propos des recours prévus à l’article 125 du Code de procédure pénale, l’auteur explique que compte tenu de la longueur des procédures pénales, de telles voies de recours seraient clairement inefficaces.

Renseignements supplémentaires fournis par l’État partie

8.1Le 2 août 2011, l’État partie, retraçant la chronologie de l’enquête et de la procédure judiciaire dans l’affaire pénale, indique que, le 30 octobre 2006, le dossier pénal a été renvoyé au Bureau du Procureur général pour une nouvelle enquête. Le 15 décembre 2008, il a été mis fin à l’enquête préliminaire car aucun suspect n’avait pu être identifié. Sur la recommandation de l’enquêteur, les services de recherches criminelles continuent de travailler en vue de l’identification des responsables.

8.2D’après l’État partie, l’analyse du dossier pénal, qui comprend 298 fichiers, permet de conclure que tous les actes d’enquête possibles ont été réalisés, de manière exhaustive. L’enquête pénale ne pourrait reprendre que sur la base de nouveaux éléments d’information. L’État partie relève en outre qu’en septembre 2007, l’auteur n’avait sollicité aucune information concernant l’enquête auprès de la direction de l’instruction du Comité d’instruction de la Fédération de Russie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Concernant la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’une nouvelle enquête était en cours au moment où elle a été présentée. Le Comité fait toutefois observer que l’enquête en question est désormais achevée. Dans ces conditions, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas, en l’espèce, d’examiner la communication.

9.4Le Comité considère que les allégations de l’auteur, qui soulèvent des questions au regard du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 19 du Pacte, ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et procède à l’examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

10.2Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur, qui affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas mené une enquête efficace et diligente sur les circonstances exactes de la mort de son fils ni traduit les responsables en justice, et que la procédure a été d’une longueur excessive. Le Comité constate qu’en l’espèce, les autorités ont ouvert une enquête le 17 octobre 1994, c’est-à-dire immédiatement après l’explosion, ce qui a permis d’arrêter, de poursuivre et de juger six suspects. En réponse à l’appel formé en mai 2003, après l’acquittement initial des six suspects à l’issue du procès qui s’est tenu de novembre 2000 à juin 2002, la Cour suprême a renvoyé l’affaire devant le même tribunal pour une nouvelle enquête et un nouveau procès. En juin 2004, après le second acquittement des suspects, la Cour suprême a examiné l’affaire une nouvelle fois et, en mars 2005, a finalement confirmé l’acquittement. Dans ces circonstances, et à la lumière des informations figurant dans le dossier, le Comité considère que la longueur de la procédure susmentionnée ne peut être qualifiée d’excessive et qu’elle n’est pas due à une prolongation injustifiée de la part des autorités, même si une nouvelle enquête a ensuite été ouverte par le Bureau du Procureur général.

10.3Le Comité a également pris note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les procès tenus en l’espèce étaient illégaux et les tribunaux partiaux car les juges étaient des militaires et que cinq des six accusés étaient des militaires en fonctions, et qu’il y avait en outre une relation hiérarchique entre les deux juges ayant présidé les deux procès de première instance. Le Comité constate que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations mais s’est borné à déclarer que le procès s’était déroulé dans le strict respect des dispositions de la loi de procédure pénale. Le Comité relève en outre l’allégation de l’auteur, qui affirme que les officiers militaires accusés d’avoir provoqué l’explosion et la mort du fils de l’auteur avaient agi en dehors du cadre de leurs fonctions officielles en tant que membres des forces armées, et que l’accusation a maintenu qu’ils avaient agi sous les ordres informels du Ministère de la défense, et non à titre officiel.

10.4Le Comité rappelle son Observation générale no 34 dans laquelle il déclare que les agressions contre des journalistes, en particulier, devraient faire sans délai l’objet d’enquêtes diligentes, que les responsables devraient être poursuivis, et que les victimes, ou les ayants droit si la victime est morte, devraient pouvoir bénéficier d’une réparation appropriée (par. 23). Le Comité rappelle également que dans son Observation générale no 31, il souligne que le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte (par. 18). Dans son Observation générale no 31, il indique en outre que ces obligations se rapportent notamment aux violations assimilées à des crimes au regard du droit national ou international, comme la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants analogues (art. 7), les exécutions sommaires et arbitraires (art. 6) et les disparitions forcées (art. 7 et 9 et, souvent, art. 6). Le Comité demeure préoccupé par le fait que le problème de l’impunité des auteurs de ces violations peut être un facteur important qui contribue à la répétition des violations.

10.5Dans ce contexte, le Comité considère que dans un État démocratique où l’état de droit doit prévaloir, les juridictions pénales militaires doivent avoir une compétence restreinte et exceptionnelle. À ce sujet, le Comité renvoie au principe 9 du projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires, aux termes duquel «en toutes circonstances, la compétence des juridictions militaires doit être écartée au profit de celle des juridictions ordinaires pour mener à bien les enquêtes sur les violations graves des droits de l’homme, telles que les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la torture, et poursuivre et juger les auteurs de ces crimes». Dans la présente affaire, cinq des six personnes jugées par le Tribunal militaire régional de Moscou faisaient effectivement partie du personnel militaire mais elles n’avaient manifestement et incontestablement pas agi dans le cadre de leurs fonctions officielles. L’État partie n’a rien fait pour expliquer autrement que par une simple citation de sa propre législation pourquoi la justice militaire était la juridiction appropriée pour juger les militaires accusés de ce crime grave. Il en résulte que le droit de l’auteur à une réparation pour elle-même et au nom de son fils a été sérieusement compromis. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits de l’auteur en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief de l’auteur tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

10.6Pour ce qui est des autres griefs de l’auteur, le Comité estime que les éléments dont il dispose ne lui permettent pas de conclure définitivement que l’explosion survenue dans les locaux du journal et qui a causé la mort du fils de l’auteur peut être imputée aux autorités de l’État partie qui auraient voulu l’empêcher de faire son travail de journaliste. En conséquence, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie a violé les droits de M. Kholodov en vertu du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 19 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a violé les droits de l’auteur en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective et de prendre toutes les mesures possibles pour veiller à ce que les responsables de la mort de son fils soient traduits en justice. L’État partie est tenu de prendre les mesures voulues pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]