Nations Unies

CCPR/C/108/D/1881/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 septembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1881/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

Masih Shakeel (représenté par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

24 juin 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 25 juin 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

24 juillet 2013

Objet:

Expulsion vers le Pakistan

Questions de procédure:

Griefs non étayés; incompatibilité avec le Pacte; non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit à la liberté et à la sécurité; torture, traitements cruels et inhumains; droit à la vie; droit à un recours utile

Articles du Pacte:

2, 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1) et 14

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 1881/2009 *

Présentée par:

Masih Shakeel (représenté par un conseil,Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

24 juin 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1881/2009 présentée M. Masih Shakeel en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 24 juin 2009, est Masih Shakeel, un pasteur chrétien né en 1970 à Karachi, au Penjab (Pakistan). Sa demande d’asile a été rejetée par le Canada et au moment de la communication il était sur le point d’être expulsé vers le Pakistan. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Canada des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte. Il invoque aussi une violation de l’article 14 du Pacte lors de l’examen de sa demande d’asile. L’auteur est représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy.

1.2Le 25 juin 2009, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers le Pakistan tant que l’examen de la communication serait en cours. La demande du Comité a été acceptée.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un pasteur chrétien de Karachi (Pakistan), qui affirme avoir constamment fait l’objet de discriminations de la part des fondamentalistes musulmans en raison de sa foi chrétienne. Il a été forcé de quitter son emploi à l’Office des eaux de Karachi à cause de cette discrimination. Parce qu’il lui était très difficile de retrouver un emploi, il a commencé à aller plus régulièrement à l’église et, en 2001, une mission d’évangélisation lui a été confiée. En tant qu’évangéliste, il a souvent été harcelé par des intégristes musulmans. La haine contre les chrétiens s’est encore accrue après l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2001, au point que plusieurs églises ont été incendiées et des fidèles chrétiens assassinés. Fin 2003, l’auteur a rencontré un homme d’affaires de bonne renommée, A. M., qui voulait se convertir au christianisme. A. M. est devenu ami avec l’auteur et a commencé à lui rendre visite chez lui, mais lorsqu’il a commencé à devenir proche de l’épouse de l’auteur, celui-ci lui a demandé de ne plus venir. A. M. a néanmoins maintenu ses visites en l’absence de l’auteur, et a commencé à l’accuser de «travailler contre les musulmans» pour attirer l’attention des maulvis locaux (érudits religieux musulmans). Le 4 février 2004, en rentrant chez lui, l’auteur a été battu par des inconnus qui ont menacé de le brûler vif s’il s’en prenait à A. M. Il a demandé l’aide de la police, en vain.

2.2Le 15 avril 2004, la femme et la fille de l’auteur ont été enlevées par des inconnus. L’auteur a signalé l’incident à la police, mais rien n’a été consigné par écrit. Le 20 avril 2004, il a reçu un message délivré au nom de A. M. lui disant que sa femme et sa fille étaient à Kandahar, en Afghanistan, et qu’il lui faudrait se rendre dans ce pays pour les revoir. L’auteur a accepté, mais le 24 avril 2004, il a été enlevé par trois hommes qui l’ont conduit à la frontière afghane et lui ont ordonné de dire au garde-frontière qu’il était là pour creuser des tranchées. L’auteur a été envoyé dans un camp près de la frontière, mais a par la suite été expulsé vers le Pakistan bien qu’il ait tenté d’expliquer que sa femme était probablement à Kandahar.

2.3L’auteur est retourné au Pakistan, mais pas à Karachi. Il s’est installé dans une colonie chrétienne à Quetta, puis à Hyderabad. Il est resté en contact avec son frère, qui lui a conseillé de ne pas retourner à Karachi parce qu’il y était recherché. L’auteur a ensuite déménagé à Sri Lanka pour des raisons de sécurité, mais a appris par son frère que A. M. lui avait proposé un accord pour que sa femme et sa fille puissent le retrouver, ce qui l’a incité à revenir à Karachi, où il n’a toutefois pas retrouvé sa famille. L’auteur est ensuite allé vivre à Kashmir Colony avec des amis chrétiens.

2.4Le 6 octobre 2004, des maulvis fondamentalistes ont accroché sur la porte de la maison de l’auteur à Karachi une note qui l’accusait de brûler le Coran et incitait le public à le tuer. L’auteur a reçu cette note de son frère, qui en a aussi remis une copie à la police. Au lieu de l’aider, la police lui a conseillé d’«apprendre à vivre avec la majorité» au Pakistan. L’auteur est reparti à Sri Lanka, où il a demandé la protection du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ce qui lui a été refusé. Il a continué à vivre à Sri Lanka, hébergé par une église apostolique qui lui a confié diverses tâches d’aide aux victimes du tsunami.

2.5Le 15 février 2005, une fatwa a été émise contre l’auteur, dans laquelle celui-ci était accusé de blasphème contre l’islam; on pouvait y lire: «Le pasteur Shakeel et toute sa famille sont coupables» et «il faut tous les tuer». Le 4 juin 2005, un premier rapport d’information a été déposé contre lui en son absence, par le même plaignant qui avait signé la fatwa du 15 février 2005. Il y est indiqué que le 4 juin 2005 (le jour du dépôt de la plainte) l’auteur se trouvait parmi un groupe de chrétiens qui, armés de grands morceaux de bois, de barres d’acier et de pierres, avaient proféré des critiques contre l’islam en marchant devant la mosquée (Jam’a Masjid Hanfiya Trust, Manzoor Colony), contre laquelle ils avaient lancé des pierres. L’auteur est cité parmi d’autres suspects, mais il est présenté comme étant le leader du groupe et accusé de prêcher la foi chrétienne. À la fin du rapport, la police de Karachi indique explicitement que les actes signalés constituent une infraction au titre du Code pénal pakistanais, notamment de l’article 295 (loi sur le blasphème).

2.6L’auteur a décidé de se rendre au Canada. Il a réussi à obtenir un visa grâce à l’Église et est arrivé à Montréal le 6 septembre 2006 avec un visa de visiteur. Du Canada, il est resté en contact avec son frère, qui a continué à lui conseiller de ne jamais retourner au Pakistan et de renoncer à retrouver sa femme et sa fille, parce que cela serait trop dangereux pour lui.

2.7En février 2007, l’auteur a demandé le statut de réfugié à Montréal. Le 16 mai 2008, la Section de la protection des réfugiés de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a entendu ses arguments. Le 8 juillet 2008, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rendu une décision dans laquelle elle expliquait que l’auteur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne ayant besoin de protection. Elle a relevé plusieurs contradictions dans les allégations de l’auteur, et a refusé de croire que son épouse et sa fille aient été enlevées et qu’il ait fui à Sri Lanka pour échapper aux persécutions. Elle n’a ainsi accordé aucune valeur probante aux pièces qu’il avait produites pour démontrer que de fausses accusations et une fatwa avaient été prononcées contre lui. La Commission a également examiné la situation des droits de l’homme au Pakistan et en a conclu que les actes de violence contre les chrétiens étaient isolés et qu’il y avait seulement une simple possibilité que l’auteur subisse des persécutions en raison de sa religion en cas d’expulsion. Le 26 novembre 2008, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire présentée par l’auteur.

2.8Le 6 février 2009, l’auteur a sollicité un examen des risques avant renvoi pour les mêmes motifs que sa demande d’asile initiale, en présentant de nouvelles pièces, dont une lettre et une plainte à la police de son frère, qui affirmait avoir été battu par des inconnus qui cherchaient l’auteur. Plus tard, le 3 avril 2009, l’auteur a présenté une photo de son frère décédé, qui avait succombé à une hémorragie interne après l’agression qu’il avait subie. Le 16 mars 2009, la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par l’auteur a été rejetée et, de ce fait, l’arrêté d’expulsion est devenu exécutoire. L’agent chargé de l’examen des risques a rejeté la plupart des éléments de preuve soumis parce qu’il n’était pas sûr qu’ils aient été disponibles avant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Au sujet de la déclaration faite à la police par le frère de l’auteur à la suite de son agression par des inconnus, il a conclu que la police «n’était pas un témoin des faits allégués» et n’a donc pas considéré que cette déclaration apportait la preuve d’une menace contre l’auteur ni même contre son frère, estimant qu’elle était présentée pour les besoins de la cause.

2.9Le 4 juin 2009, l’auteur a demandé à la Cour fédérale l’autorisation de soumettre à un contrôle judiciaire la décision rendue sur sa demande d’examen des risques avant renvoi. Le 17 juin 2009, en attendant le résultat de cette demande d’autorisation, il a demandé à la Cour fédérale un sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion pris contre lui. La Cour a rejeté sa demande le 22 juin 2009. Tout en reconnaissant que le frère de l’auteur avait été battu à mort par des inconnus et que l’auteur avait manifesté des tendances suicidaires et était terrorisé à l’idée de retourner au Pakistan, elle a jugé que ces éléments ne suffisaient pas à établir un dossier sérieux, vu qu’il incombait à l’auteur de convaincre la Cour qu’il avait des motifs sérieux de contester la légalité de la décision rendue sur sa demande d’examen des risques avant renvoi, ce qu’il n’était pas parvenu à faire. Le 22 septembre 2009, la Cour fédérale a refusé à l’auteur l’autorisation de former un recours contre la décision négative du 16 mars 2009 rendue après l’examen des risques avant renvoi.

2.10Le 18 mars 2009, l’auteur a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire, sur laquelle il n’a pas encore été statué. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours à sa disposition qui auraient pour effet d’empêcher son expulsion vers le Pakistan.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion du Canada vers le Pakistan l’exposerait à une mort presque certaine. Il courrait un risque réel de détention arbitraire, de torture et d’exécution extrajudiciaire. Par le passé, l’auteur a été menacé par des musulmans radicaux liés à des extrémistes sunnites, eux-mêmes liés à Sipa-E-Sahaba, l’une des organisations les plus dangereuses au Pakistan, notoirement déterminée à massacrer les chrétiens. Selon lui, les autorités pakistanaises n’ont aucun contrôle sur ce mouvement. L’auteur invoque également l’ampleur du terrorisme sectaire au Pakistan en général et l’absence de protection que l’on peut attendre de l’État.

3.2En ce qui concerne la situation du pays, l’auteur renvoie à plusieurs rapports internationaux non gouvernementaux contenant des analyses de la loi sur le blasphème, dont un rapport de l’organisation International Crisis Group, qui souligne que, depuis 1991, les cas de blasphème sont automatiquement passibles de la peine de mort, même si cette peine n’a jamais été exécutée. Le rapport indique également que la loi sur le blasphème reste une «arme mortelle dans les mains d’extrémistes religieux et l’instrument le plus pratique pour les mollahs» pour persécuter leurs adversaires, en particulier les membres de la communauté chrétienne, ainsi que les libéraux. L’auteur cite en outre la Commission des droits de l’homme du Pakistan, qui a signalé que les tribunaux de première instance condamnent invariablement l’accusé dans les affaires de blasphème concernant des minorités, que les groupes religieux exercent sur la police des pressions afin qu’elle engage des poursuites au titre de la loi sur le blasphème, et que, en octobre 1997, un juge de la Haute Cour de Lahore qui avait acquitté un adolescent accusé de blasphème a été abattu au tribunal.

3.3Vu les circonstances qui ont été décrites, l’auteur affirme que les fatwas et le premier rapport d’information déposé contre lui en vertu de la loi sur le blasphème constituent une preuve irréfutable que sa vie serait en danger s’il était renvoyé au Pakistan. S’il est arrêté en raison des fausses accusations portées contre lui, il sera exposé à un risque réel de torture par la police pakistanaise, et son droit à la vie sera menacé. Il a essayé à plusieurs reprises de demander l’aide de la police, notamment après avoir été battu, après que sa femme et sa fille ont été enlevées et après que sa vie a été menacée, toujours en vain. Il participait à la plupart des événements religieux de son église, et est également bien connu de la communauté chrétienne pakistanaise à Montréal. Par conséquent, il n’existe aucune possibilité viable pour lui de se cacher au Pakistan. Il répète qu’en tant que membre de la communauté chrétienne minoritaire, le danger auquel il est exposé en cas de retour est réel, et que l’arrêté d’expulsion le visant équivaut à une condamnation à mort.

3.4L’auteur soutient en outre que s’il était renvoyé au Pakistan, sa santé mentale serait menacée. Il soumet plusieurs rapports médicaux qui établissent qu’il souffre de dépression, de fatigue mentale et d’anxiété résultant de multiples causes, dont la disparition de sa femme et de sa fille, les craintes pour sa vie en cas de retour, ainsi que la profonde douleur et le sentiment de culpabilité que lui cause la mort de son frère. Ces rapports font état également de son idéation suicidaire, causée par la mort de son frère et sa crainte d’être renvoyé de force au Pakistan. Depuis que la date de son expulsion vers le Pakistan a été fixée, ses symptômes suicidaires se sont aggravés, ce qui, selon les médecins, indique une profonde souffrance et donne à penser qu’il est en danger, qu’il a besoin de soins psychologiques intensifs et, avant tout, de la protection du Gouvernement canadien afin d’être autorisé à vivre dans un pays où il se sent en sécurité. En conclusion, l’auteur avance que son expulsion par l’État partie vers le Pakistan constituerait une violation des droits qui lui sont reconnus aux articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte.

3.5L’auteur conteste également les procédures d’octroi du statut de réfugié et du droit d’asile au regard des articles 2 et 14 du Pacte, notant que son cas illustre l’absence de tout recours interne valable dans l’État partie. Bien qu’elle ait reconnu que le frère de l’auteur avait été victime d’une mort violente et que l’auteur était suicidaire, la Cour fédérale a néanmoins rejeté la demande de ce dernier visant à surseoir à exécution de la mesure d’expulsion. Selon l’auteur, la procédure actuelle d’examen des risques avant renvoi et l’examen des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas conforme à l’obligation de l’État partie de fournir aux individus un recours utile. L’évaluation des risques est effectuée par des agents de l’immigration dont les compétences en matière de droits de l’homme et de questions juridiques en général laissent à désirer et manquent d’impartialité. Les décisions sont prises dans une logique «de maîtrise de l’immigration», avec une pression considérable pour augmenter le nombre d’expulsions. L’auteur note en outre que la demande de sursis à exécution de l’expulsion déposée en son nom a été plaidée le 22 juin 2009 et rejetée le même jour au motif que la Cour ne pouvait pas prendre en compte le risque de préjudice irréparable fondé sur les mêmes allégations que celles qui avaient été présentées antérieurement à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou à l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi. L’auteur estime que cela montre l’inutilité de la procédure de requête devant la Cour fédérale visant à obtenir le sursis à exécution d’une expulsion. Il ajoute que lorsqu’il existe des preuves solides et non contestées d’un risque pour la vie et d’un risque de torture, l’accès à un recours juridictionnel utile doit être garanti. Il soutient que, en omettant de lui offrir un tel recours, l’État partie a enfreint les articles 2 et 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations sur la recevabilité et sur le fond communiquées le 21 décembre 2009, l’État partie note que l’auteur a fondé sa communication sur précisément le même récit et les mêmes moyens de preuve et éléments de fait que ceux dont un tribunal interne compétent et un agent chargé de l’examen des risques avant renvoi ont considéré qu’ils n’étaient pas crédibles et ne permettaient pas de conclure à l’existence, à l’avenir, d’un risque personnel et réel de torture ou de traitements cruels ou inhumains.

4.2L’État partie prétend que les griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 sont irrecevables parce qu’ils ne sont pas étayés et que les recours internes n’ont pas été épuisés. En particulier, l’auteur a présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire, qui est un recours disponible et efficace, et sur laquelle il n’a pas encore été statué. Dans le cas où sa demande serait accordée, l’auteur recevrait le statut de résident permanent. Dans le cas où elle serait rejetée, les raisons du refus lui seraient communiquées et il pourrait solliciter l’autorisation de demander un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. Par conséquent, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte pour non‑épuisement des recours internes.

4.3L’État partie fait valoir en outre que l’auteur n’a pas étayé, même par un commencement de preuve, les griefs qu’il soulève au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Ses affirmations ne sont ni crédibles ni corroborées par des preuves objectives. L’État partie avance que plusieurs éléments de preuve apportés par l’auteur sont tellement incompatibles avec ses déclarations que cela jette un doute sur sa crédibilité. Il note que la fatwa, rédigée en ourdou, porte un cachet de signature en anglais et un pied de page dactylographié en anglais avec une faute d’orthographe («Calony» au lieu de «Colony»). L’État partie estime douteux qu’un document officiel d’un groupe musulman fondamentaliste porte de telles mentions en anglais, mal orthographiées de surcroît. Il met aussi en doute un certain nombre d’allégations que formule l’auteur, dont le passage à tabac mortel qu’aurait subi son frère, son divorce, le but de son voyage à Sri Lanka et l’identité des auteurs éventuels de l’agression contre son frère, décrits une fois comme des «policiers» dans une lettre accompagnant une photo de son frère mort dans un cercueil, mais aussi comme des «inconnus» (dans le rapport fait à la police par le frère) ou des «hooligans» (dans une lettre du frère adressée à l’auteur).

4.4L’État partie relève également une contradiction au sujet de l’acte de divorce daté du 26 octobre 2007, qui décrit les raisons pour lesquelles l’auteur demande le divorce, à savoir qu’il ne pouvait plus maintenir une relation conjugale normale avec sa femme. Selon l’État partie, cette explication du divorce est incompatible avec l’allégation de l’auteur selon laquelle son épouse aurait été «enlevée». En outre, l’acte de divorce présenté par l’auteur a été signé par lui à Karachi en octobre 2007, soit plusieurs mois après le dépôt de sa demande d’asile au Canada (en février 2007). Le retour volontaire de l’auteur au Pakistan pour obtenir le divorce indique qu’il n’y craint pas la persécution, la torture ou la mort, comme il le prétend. De plus, l’auteur n’a pas expliqué la contradiction entre son affirmation selon laquelle son épouse et sa fille auraient été «kidnappées» en avril 2004 et le fait qu’il ait reconnu, au cours de la procédure de demande d’asile, qu’il avait assisté à une cérémonie religieuse concernant sa fille en juin 2004.

4.5L’État partie estime qu’il n’y a rien de nouveau qui laisse penser que l’auteur courrait personnellement un risque de torture ou de mauvais traitements au Pakistan. Il rappelle qu’il n’incombe pas au Comité de réexaminer l’appréciation des faits et moyens de preuve faite par les tribunaux internes à moins qu’il ne soit manifeste que cette appréciation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. En ce qui concerne la situation au Pakistan, l’État partie est d’avis que l’auteur ne court pas personnellement un risque dans la mesure où il n’a présenté aucune preuve démontrant que les chrétiens ou les pasteurs chrétiens sont particulièrement exposés au risque de torture ou de mort au Pakistan. Les actes de violence contre les chrétiens sont isolés et ne sont ni systématiques ni systémiques. Un rapport du Département d’État des États-Unis indique que la plupart des allégations de blasphème sont faites par des musulmans sunnites contre d’autres musulmans sunnites. Même s’il y a eu plusieurs cas d’allégations de blasphème contre des chrétiens, la même source indique que les accusés ont obtenu une mise en liberté sous caution, et qu’au moins l’un d’eux a été acquitté, ce qui indique que la protection judiciaire existe pour les chrétiens accusés. Depuis 2005, une loi impose aux officiers supérieurs de la police l’obligation d’examiner les accusations de blasphème et d’éliminer les fausses accusations. Le rapport américain confirme que toutes les minorités religieuses du Pakistan − les ahmadis, les chiites, les hindous et les chrétiens − sont la cible de discriminations et de violences sporadiques. Même si des atteintes aux droits de l’homme commises contre certaines personnes, y compris des chrétiens, sont toujours signalées au Pakistan, cela ne suffit pas en soi pour que le renvoi de l’auteur dans ce pays constitue une violation du Pacte.

4.6L’État partie fait valoir en outre que les allégations de l’auteur concernent des actions commises par des acteurs privés au Pakistan et non par des autorités de l’État, et que l’auteur n’a pas réussi à établir que le Pakistan ne peut pas ou ne veut pas le protéger. En conclusion, l’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque en cas de renvoi et, même en admettant qu’il serait en danger à Karachi, il pourrait toujours se réfugier ailleurs sur le territoire.

4.7En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 2, à savoir que l’accès à un recours utile lui aurait été refusé, l’État partie soutient que ces allégations sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. L’auteur dénonce les procédures d’examen des risques avant renvoi et de recours fondé sur des considérations d’ordre humanitaire, ainsi que le processus de réexamen par la Cour fédérale, au regard de l’article 2 du Pacte, qui ne peut être invoqué isolément.

4.8Au sujet des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, l’État partie soutient qu’ils sont incompatibles avec les dispositions du Pacte en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. L’État partie considère que l’article 9 du Pacte n’est pas d’application extraterritoriale et n’interdit pas à un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où celui-ci prétend courir le risque d’être arbitrairement arrêté ou détenu.

4.9Au sujet des griefs tirés de l’article 14 du Pacte, qui mettent en cause la procédure de détermination du statut de réfugié et la procédure applicable aux demandeurs déboutés, l’État partie est d’avis que la question ne relève pas de la compétence du Comité, et devrait être déclarée irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, dans la mesure où les procédures d’immigration ne sont pas une procédure civile au sens de l’article 14 tel qu’interprété par le Comité. En tout état de cause, l’État partie réfute les affirmations de l’auteur, qu’il considère comme dénuées de tout fondement en fait ou en droit. En ce qui concerne la décision sur l’examen des risques avant renvoi, l’État partie se réfère à plusieurs décisions de la Cour fédérale, notamment l’affaire Say c. Canada (Solliciteur général), dans lesquelles l’indépendance des agents chargés de statuer sur les demandes d’examen des risques avant renvoi a été étudiée en détail et confirmée sur la base de nombreux éléments de preuve et arguments. Depuis 2004, et donc au moment où la demande d’examen des risques avant renvoi a été présentée par l’auteur en 2009, cet examen relève de l’autorité du Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, ce qui renforce encore l’indépendance des agents concernés.

4.10Si le Comité devait considérer que les allégations sont recevables, en tout ou en partie, l’État partie lui demande de conclure qu’elles sont dénuées de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre en date du 10 avril 2012, l’auteur a contesté les observations de l’État partie. Il fait valoir que celui-ci se contente de réitérer les conclusions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et celles de l’examen des risques avant renvoi, par lesquelles ses allégations ont été rejetées au seul motif d’incohérences présumées. L’auteur réaffirme qu’il s’est vu refuser l’accès à un recours utile, et souligne que les procédures existant dans l’État partie ne sont pas conçues pour corriger les erreurs et qu’il existe une réticence extrême à reconnaître toute erreur qui aurait pu survenir dans une procédure de demande d’asile. Les agents chargés de l’examen des risques avant renvoi sont des fonctionnaires des services de l’immigration peu gradés, qui travaillent dans un tel climat de scepticisme qu’ils confirment en général que les demandeurs d’asile déboutés ne courent aucun danger, quels que soient les nouveaux éléments de preuve produits ou la situation dans le pays concerné. L’auteur ajoute que cette affaire met en évidence le fait qu’il n’y a pas de véritable accès à un recours utile dans le système d’appel de la procédure d’asile, le contrôle judiciaire prévu étant très limité. La Cour fédérale a relevé à un tel niveau le seuil à partir duquel la délivrance d’une ordonnance de sursis à exécution de l’expulsion peut être justifiée que cela permet des violations flagrantes des obligations de l’État partie. La Cour n’accepte pas de nouveaux éléments de preuve au stade du contrôle judiciaire, même si ceux-ci sont convaincants. La procédure de l’examen des risques avant renvoi est extrêmement restrictive à l’égard des nouveaux éléments de preuve, comme il ressort de la formulation de l’article 113 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

5.2L’auteur se réfère à un rapport du Comité d’aide aux réfugiés, d’Amnesty International et du Centre de justice et foi, remis au Comité de l’immigration du Parlement canadien. Ce rapport ainsi que des observations orales présentées au Parlement démontrent clairement qu’au lieu du critère de «risque sérieux» prévu par le droit international, les tribunaux de l’État partie imposent aux demandeurs de démontrer «au-delà de tout doute raisonnable» le risque qu’ils prétendent courir. Le seuil à partir duquel la Cour fédérale accepte de réexaminer les décisions sur l’examen des risques avant renvoi est très élevé. La Cour n’intervient en effet que si elle juge la décision «manifestement déraisonnable», ce qui constitue le seuil de révision le plus élevé en droit administratif. Ainsi, il peut arriver souvent qu’un juge, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, ne parvienne pas à la même conclusion que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi, mais n’intervienne pas pour autant parce que la première conclusion n’était pas «manifestement déraisonnable». Selon le rapport cité plus haut par l’auteur, les agents chargés de l’examen des risques avant renvoi n’ont donc pas à prendre la «bonne» décision, ils doivent simplement éviter de rendre des décisions «manifestement erronées». L’auteur affirme que cette situation est contraire aux obligations de l’État partie découlant de l’article 2 du Pacte, en particulier lorsqu’il est question du droit à la vie ou du droit de ne pas être soumis à la torture. En l’espèce, le risque encouru par l’auteur n’a pas été dûment pris en considération par les autorités de l’État partie.

5.3S’il reconnaît qu’il a déposé à la mi-mars 2009 une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui est encore à l’examen, l’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que cette demande ne le protège pas d’une expulsion vers le Pakistan. En outre, de nombreuses preuves médicales présentées à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont déjà été soumises avec sa demande d’examen des risques avant renvoi sans pour autant avoir été prises en considération, ce qui signifie que la nouvelle demande a très peu de chances d’aboutir.

5.4L’auteur conteste qu’un certain nombre de ses allégations et des éléments de preuve qu’il a soumis soient incohérents ou sujets à caution, comme l’avance l’État partie. Il n’y a aucune raison de douter de la solidité des preuves présentées. En ce qui concerne la fatwa, dont l’authenticité a été contestée par l’État partie, l’auteur fait remarquer que des erreurs mineures en anglais sont fréquentes au Pakistan, même dans les documents officiels. Il reconnaît une erreur dans l’une des lettres accompagnant la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par son avocat, dans laquelle il est dit que son frère a été attaqué par des «policiers», mais fait observer que cela ne contredit pas, ni ne diminue, la valeur probante de ces éléments de preuve vu que son frère a déclaré que la police n’avait pas enregistré le nom de ses agresseurs. L’auteur ajoute que la question de savoir si sa femme l’a quitté ou a été enlevée ne semble pas tout à fait pertinente en l’espèce. En ce qui concerne l’acte de divorce, que l’État partie invoque expressément en raison de dates contradictoires, l’auteur répond que la procédure de divorce a été organisée par son frère alors qu’il était déjà au Canada. L’auteur n’avait qu’à signer tous les documents et les envoyer à son frère, qui a effectué la procédure au Pakistan en son nom. Tout ce dont il a fait état au sujet de la perte de sa femme et de sa fille est très douloureux pour lui, et donc difficile à évoquer.

5.5En ce qui concerne la possibilité de trouver refuge à l’intérieur du territoire pakistanais, l’auteur fait valoir que les fondamentalistes islamistes se trouvent «partout au Pakistan», et qu’un pasteur chrétien ne pourrait vivre vraiment en sécurité nulle part dans le pays. Il existe en droit une présomption selon laquelle, si la persécution émane de l’État ou d’agents de l’État, l’idée d’une solution de refuge à l’intérieur du pays concerné devrait être écartée. L’auteur rappelle qu’un rapport de police a été établi contre lui en vertu de la loi sur le blasphème. Le plaignant dans cette affaire est le mollah qui a émis la fatwa contre lui; il s’agit d’un fondamentaliste radical bien connu. Par conséquent, l’auteur serait arrêté et probablement torturé n’importe où au Pakistan. Prétendre, comme l’État partie le fait, qu’il aurait la possibilité de se réfugier à l’intérieur du pays ne peut pas, au vu des circonstances, être considéré comme un argument sérieux et raisonnable.

5.6L’auteur ajoute que la preuve objective qu’il existe un danger pour les dirigeants chrétiens est extrêmement solide et bien étayée. En tout état de cause, ce danger s’est aggravé depuis qu’il a quitté le Pakistan. L’auteur joint un grand nombre de documents, parmi lesquels des coupures de presse, faisant état notamment de l’assassinat, à Faisalabad, de deux frères chrétiens, dont un pasteur, qui ont été arrêtés et accusés de blasphème, puis abattus devant un tribunal; du cas d’une mère chrétienne de cinq enfants condamnée à mort pour «blasphème contre l’islam» et dont la tête a été mise à prix; de l’assassinat du Gouverneur du Penjab, Salman Taseer, à Islamabad, abattu par un de ses gardes du corps en raison de son opposition à la loi pakistanaise sur le blasphème; et d’attaques armées par les Talibans contre des chrétiens à Karachi. Sur la base des preuves présentées, l’auteur soutient que les autorités pakistanaises n’offrent manifestement pas de protection aux personnes persécutées en raison de leur foi, comme celles qui sont accusées de blasphème.

5.7L’auteur réaffirme qu’il existe des preuves très solides du risque personnel auquel il est exposé compte tenu de son profil et de son passé, ce qui le conduit à affirmer qu’il y aurait violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte s’il était renvoyé au Pakistan. Le Pakistan n’a manifestement pas la volonté, ou la capacité, de protéger les chrétiens. Le danger est encore plus grand pour un pasteur et un évangéliste. Il n’est pas contesté que l’auteur soit un pasteur chrétien. Cela a été confirmé par plusieurs lettres provenant de différentes sources à Sri Lanka, au Canada et au Pakistan. Les personnes accusées de blasphème sont souvent lynchées en prison, et non seulement la police ne leur apporte aucune protection en pareil cas, mais elle aide en fait ceux qui veulent porter plainte pour blasphème.

5.8L’auteur se réfère aux expertises médicales et psychologiques indépendantes qu’il a produites, rappelant qu’il est suivi pour un traitement à long terme par un assistant social et un médecin, ainsi que par l’un des principaux organismes qui traitent les patients souffrant de stress post-traumatique. Il a également décrit son désespoir et son état suicidaire après le décès de son frère, et a présenté des photos de celui-ci mort, dans le cadre de sa demande de sursis à exécution de l’expulsion.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 18 avril 2013, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteur. Tout d’abord, il informe le Comité que l’auteur reste au Canada uniquement en application de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, qui a été exaucée. L’État partie réaffirme que la plainte est à la fois irrecevable et dépourvue de fondement, et qu’un certain nombre d’incohérences ont été identifiées, qui mettent en cause la crédibilité de l’auteur. À cet égard, il fait observer que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le fait que sa femme l’ait quitté ou ait été enlevée est un élément pertinent pour le dossier, l’enlèvement corroborant ses allégations de persécution et de risque, alors que la rupture du mariage laisse simplement penser qu’il avait un motif personnel de quitter le Pakistan, sans lien avec un risque de subir un préjudice. L’État partie réaffirme qu’un certain nombre d’incohérences et de contradictions ont été identifiées dans son récit concernant l’enlèvement allégué, élément qui est d’une importance considérable dans l’appréciation de ses allégations. En outre, comme l’auteur allègue que les fatwas prétendument prononcées contre lui l’ont été à l’instigation du «ravisseur de sa femme», savoir s’il y a effectivement eu enlèvement est très pertinent pour établir l’existence de ces fatwas.

6.2L’État partie rappelle que l’auteur, dans ses dernières observations, affirme que le divorce a été organisé par son frère, qu’il a signé les documents au Canada et les a renvoyés au Pakistan. Toutefois, selon l’État partie, la signature du document par l’auteur est censée avoir été observée par deux témoins, l’auteur est censé avoir été identifié par un avocat au vu de sa carte d’identité, et le document est «légalisé» par un juge de paix. Si la dernière version des faits présentée par l’auteur est véridique, cela signifie qu’il a falsifié un document juridique en prétendant l’avoir signé à Karachi alors qu’en réalité il l’a signé au Canada, et que des témoins ont participé à cette fraude. Soit l’auteur était à Karachi à ce moment-là, soit l’acte de divorce est la preuve de son manque de crédibilité. L’État partie conclut que de telles incohérences concernant l’aspect central de son récit portent gravement atteinte à la solidité globale de son dossier.

6.3L’État partie rejette les déclarations que fait l’auteur, en invoquant les articles 2 et 14 du Pacte, au sujet de certains aspects du système canadien de détermination du statut de réfugié. Il précise que, contrairement aux affirmations de l’intéressé, les critères applicables à une demande de sursis à exécution d’une expulsion devant la Cour fédérale sont utilisés depuis la décision rendue par cette juridiction en 1988 en l’affaire Toth c. Canada (Ministre de l ’ emploi et de l ’ immigration), dans laquelle ont été définis les critères suivants: existence d’une question sérieuse à trancher, existence d’un risque de préjudice irréparable en cas d’expulsion du requérant, et balance des inconvénients en faveur du requérant. Ces critères ont été appliqués à l’auteur dans l’examen de sa demande de sursis à exécution de l’expulsion en juin 2009, à l’issue duquel la Cour a conclu que l’auteur n’avait pas soulevé de question sérieuse à trancher quant à la légalité de la décision sur l’examen des risques avant renvoi, après avoir également examiné les nouveaux éléments de preuve pour déterminer s’il existait un risque de préjudice irréparable et si la balance des inconvénients favorisait le requérant. L’État partie rejette en outre l’argument de l’auteur selon lequel, pour obtenir une protection par l’examen des risques avant renvoi, les allégations doivent être démontrées «au-delà de tout doute raisonnable». Il explique que dans le cadre de l’évaluation des risques, que celle-ci soit faite par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi, le niveau de preuve exigé pour obtenir une protection au titre de la Convention relative au statut des réfugiés est une «possibilité raisonnable» de risque, et que le niveau de preuve exigé pour obtenir une protection contre un risque de torture, un risque pour la vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inhabituels repose sur la «balance des probabilités». L’État partie rappelle en outre que le rôle du Comité n’est pas d’examiner le système canadien d’immigration et de protection des réfugiés dans l’abstrait. Il fait valoir que, pour autant que l’une quelconque des allégations de l’auteur concernant les lacunes du système ait eu une incidence directe sur l’appréciation de sa demande de protection, ce qui est contesté, elle aurait dû être soulevée devant la Cour fédérale. L’État partie rappelle en outre que l’auteur a demandé la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire en mars 2009 et qu’à ce jour, cette demande n’a pas encore fait l’objet d’une décision.

6.4En ce qui concerne la situation des droits de l’homme au Pakistan, l’État partie fait valoir qu’il ressort du rapport du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde pour l’année 2011 que, si la violence et les violations des droits de l’homme à caractère religieux demeurent des problèmes graves au Pakistan, on constate néanmoins des signes d’amélioration concernant la loi sur le blasphème et la tolérance religieuse. Récemment, il a été signalé que de hauts responsables du Gouvernement pakistanais, notamment le Ministre de l’intérieur, avaient pris la défense d’une jeune fille chrétienne accusée de blasphème. La police pakistanaise et le Gouvernement ont assuré la protection de la jeune fille et de sa famille dans les mois qui ont suivi les accusations. En novembre 2012, la Haute Cour d’Islamabad a rejeté les accusations portées contre la jeune fille, faute de preuves, puis a engagé des poursuites contre son accusateur pour fabrication de preuves. Selon l’État partie, ces événements indiquent que le Gouvernement pakistanais au plus haut niveau, ainsi que la police et les tribunaux, sont de plus en plus sensibles à l’utilisation abusive des allégations de blasphème. Il rappelle également que la loi sur le blasphème est appliquée à toutes les autres minorités religieuses au Pakistan, ainsi qu’aux musulmans majoritaires, et ne peut donc pas être considérée comme constituant une discrimination à l’égard des chrétiens en particulier.

6.5L’État partie réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7 du Pacte sont manifestement dépourvus de fondement, que ses allégations de violation des articles 2, 9 et 14 sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et qu’il n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les nouvelles allégations soulevées dans sa réponse. Subsidiairement, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication totalement dénuée de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle les procédures de détermination du statut de réfugié et d’octroi de l’asile sont contraires à l’article 14 du Pacte, dans la mesure où les agents des services de l’immigration manquent de compétence et d’impartialité, le Comité note que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, que, dans son cas, les décisions rendues au sujet de sa demande d’asile et dans le cadre des procédures de réexamen connexes n’émanaient pas de tribunaux compétents, indépendants et impartiaux. Dans ces conditions, le Comité n’a pas à déterminer si les procédures liées à l’expulsion de l’auteur entraient dans le champ d’application de l’article 14 (détermination des droits et obligations de caractère civil). Cette partie de la communication, en conséquence, est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il a déposé le 18 mars 2009 une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, sur laquelle il n’a pas encore été statué. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’auteur d’une communication doit faire usage de tous les recours judiciaires disponibles pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours semblent être utiles en l’espèce et lui soient ouverts de facto. Dans le cas présent, le Comité observe que, quatre ans après le dépôt de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, celle-ci reste sans réponse, et estime que ce retard n’est pas raisonnable. Il relève en outre que cette demande ne protège pas l’auteur d’une expulsion vers le Pakistan, et qu’on ne saurait donc dire qu’elle constitue pour lui un recours utile. En conséquence, le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication de l’auteur.

7.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas étayé les griefs qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte. Compte tenu des nombreux éléments de preuve fournis, à la fois sur la situation générale du pays et sur la situation personnelle de l’auteur, le Comité considère que celui-ci a suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, que son retour forcé au Pakistan l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires aux articles 6 et 7 du Pacte. Par conséquent, le Comité déclare que cette partie de la communication est recevable, dans la mesure où elle semble soulever au regard de ces dispositions des questions qui doivent être examinées au fond.

7.6Concernant les griefs soulevés par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel cette disposition n’est pas d’application extraterritoriale et n’interdit pas à un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où celui-ci prétend courir le risque d’être arbitrairement arrêté ou détenu. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur, qui affirme qu’en raison de la fatwa prononcée contre lui et du premier rapport d’information déposé auprès de la police, il courrait le risque de faire l’objet d’une détention arbitraire à son retour. Le Comité considère que, dans le contexte de la présente communication, cette question ne peut pas être dissociée de celles soulevées au titre des articles 6 et 7 du Pacte.

7.7Le Comité déclare par conséquent que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 et de l’article 9du Pacte, et il procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité rappelle que l’État partie est tenu, en vertu de l’article 2 du Pacte, de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, y compris en ce qui concerne l’application des procédures d’expulsion des étrangers.

8.3Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur, qui affirme courir un risque réel d’être soumis à un traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte s’il devait être renvoyé de force au Pakistan, où l’État ne lui assurerait aucune protection. Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel les demandes présentées par l’auteur aux autorités internes ont été rejetées au motif que l’auteur manquait de crédibilité, cette conclusion étant motivée par les incohérences dans ses déclarations et l’absence de preuves crédibles à l’appui de ses griefs. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la loi sur le blasphème s’applique à toutes les minorités religieuses au Pakistan, ainsi qu’à la majorité musulmane, et selon lequel l’auteur n’a pas réussi à démontrer de façon convaincante qu’il ne pouvait pas obtenir la protection des autorités pakistanaises.

8.4Tout en respectant l’appréciation qu’ont faite les autorités d’immigration des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité doit déterminer si l’expulsion de l’auteur vers le Pakistan exposerait celui-ci à un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle à cet égard son Observation générale no 31, dans laquelle il mentionne l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, que ce soit dans le pays vers lequel la personne doit être expulsée ou tout pays vers lequel elle peut être renvoyée par la suite.

8.5Le Comité estime dans ces conditions, et en dépit des incohérences mises en évidence par l’État partie, qu’il n’a pas été prêté une attention suffisante aux allégations de l’auteur concernant le risque réel auquel celui-ci serait exposé en cas d’expulsion vers son pays d’origine. Il relève que l’État partie juge non crédibles les déclarations de l’auteur, mais en se limitant à exprimer des doutes sur leur véracité, sans les étayer. Pour ce qui est de la fatwa, l’État partie a omis de vérifier sérieusement son authenticité et ne lui a accordé aucun poids pour la seule raison qu’y figuraient un cachet de signature et un pied de page en anglais, mal orthographié de surcroît. L’État partie n’a pas effectué d’expertise officielle, ni d’enquête approfondie sur l’auteur de la fatwa, sur son profil ou son autorité à rendre une telle décision. Il était d’autant plus important de faire ces recherches que l’auteur de la fatwa était aussi celui du premier rapport d’information déposé auprès de la police de Karachi le 4 juin 2005 pour des actes considérés par la police comme des infractions au Code pénal pakistanais (loi sur le blasphème) et passibles de la peine de mort. Le Comité note également que l’État partie n’a fait aucun commentaire sur la décision de la Cour fédérale en date du 22 juin 2009, dans laquelle cette juridiction déclare admettre que le frère de l’auteur a été battu à mort par des inconnus. En outre, l’État partie n’a pas tenu compte des rapports médicaux présentés par l’auteur, et non contestés, dans lesquels il est dit que le renvoi de l’intéressé au Pakistan mettrait en danger sa santé mentale.

8.6Le Comité considère en conséquence, dans les circonstances d’espèce, que l’expulsion de l’auteur constituerait une violation des articles 6, paragraphe 1, et 7 du Pacte.

8.7Compte tenu de ses conclusions sur les articles 6, paragraphe 1, et 7 du Pacte, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs de l’auteur tirés de l’article 9.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclut que le renvoi de l’auteur vers le Pakistan constituerait une violation des droits que l’intéressé tient des articles 6, paragraphe 1, et 7 du Pacte.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris en procédant à un réexamen complet de son grief concernant le risque de traitement contraire aux articles 6, paragraphe 1, et 7 du Pacte en cas d’expulsion vers le Pakistan, eu égard aux obligations de l’État partie en vertu du Pacte. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendices

Opinion individuelle (dissidente) de M. Yuval Shany, rejoint par M. Cornelis Flinterman, M. Walter Kälin, Sir Nigel Rodley, Mme Anja Seibert-Fohr et M. Konstantine Vardzelashvili

1.Nous ne pouvons souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle la décision de l’État partie de renvoyer l’auteur au Pakistan constitue une violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, pour les raisons exposées ci-après.

2.Conformément à sa jurisprudence constante, le Comité devrait respecter les appréciations faites par les autorités nationales chargées des questions d’immigration aux fins de déterminer, sur la base des faits, si une personne donnée serait exposée à un risque réel de subir des violations graves des droits de l’homme si elle était expulsée, car «il appartient généralement aux autorités des États parties au Pacte d’apprécier les faits dans ces affaires». Cette approche repose sur l’acceptation par le Comité du fait que les autorités nationales sont les mieux placées pour parvenir à des conclusions factuelles, étant donné qu’elles ont directement accès aux témoignages oraux et aux autres éléments apportés dans le cadre des procédures judiciaires au niveau national. Cette approche repose également sur le point de vue selon lequel le Comité n’est pas une juridiction de quatrième instance appelée à réexaminer les faits et les éléments de preuve de novo.

3.C’est pourquoi le Comité a considéré par le passé que les décisions des autorités nationales chargées des questions d’immigration étaient contraires au Pacte si l’auteur de la communication était en mesure de relever de graves irrégularités dans la procédure ayant conduit auxdites décisions, ou si la décision finale revêtait un caractère manifestement abusif ou arbitraire parce qu’il n’avait pas été dûment tenu compte, dans les procédures internes, des droits spécifiques que l’auteur tirait du Pacte, ou des éléments de preuve disponibles. Le Comité a ainsi conclu à une violation du Pacte lorsque les autorités nationales avaient omis de prendre en considération un facteur de risque important. Il a également conclu à une violation lorsque l’auteur avait pu démontrer, au moyen d’éléments de preuve non contestés, qu’il aurait couru un risque réel et personnel de préjudice irréparable s’il avait été expulsé.

4.Tous les facteurs de risque sur lesquels la majorité du Comité fonde ses conclusions en l’espèce − la fatwa visant l’auteur, la mort violente du frère, et la plainte déposée contre l’auteur auprès de la police locale pour violation de la loi pakistanaise sur le blasphème − ont été dûment appréciés par la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié et par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi, ainsi que par les juridictions canadiennes qui ont réexaminé leurs décisions. Au vu de toutes les informations dont elles disposaient, les autorités canadiennes ont conclu que la description que l’auteur faisait des événements le concernant qui se seraient produits au Pakistan avant son départ manquait de crédibilité et que, d’une façon générale, les pasteurs chrétiens au Pakistan n’étaient pas exposés, à l’heure actuelle, à un risque réel de préjudice physique.

5.Nous ne sommes pas convaincus par l’avis de la majorité, selon lequel la décision des autorités canadiennes est entachée d’un vice de procédure grave, comme le fait d’avoir omis de prendre en considération un facteur de risque important, ou qu’elle revêt un caractère manifestement abusif ou arbitraire.

6.L’auteur a pu saisir diverses instances administratives et judiciaires au Canada, lesquelles ont entendu et examiné sans réserve sa plainte − à savoir qu’il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan −, et il n’a pas démontré l’existence dans la procédure de vices qui justifieraient que nous en rejetions le résultat. En outre, la version des événements qu’il a donnée aux autorités canadiennes contenait plusieurs contradictions graves − en particulier au sujet de l’enlèvement de sa femme et de sa fille. Par conséquent, nous ne pouvons considérer comme manifestement abusif ou arbitraire le scepticisme des autorités canadiennes à l’égard d’aspects factuels essentiels de la plainte de l’auteur, qui affirme que sa situation personnelle l’expose à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan.

7.De même, nous ne voyons aucune raison, en présence des éléments de preuve dont nous disposons, de contester l’appréciation des risques factuels faite par les autorités canadiennes, dont la conclusion est que, d’une façon générale, les pasteurs chrétiens au Pakistan ne sont pas exposés, à l’heure actuelle, à un risque réel de préjudice physique. Étant donné que les facteurs de risques factuels, tant spécifiques que généraux, invoqués par l’auteur ont été minutieusement examinés puis écartés par les autorités judiciaires de l’État partie, nous ne pouvons conclure, au vu des éléments de preuve dont nous disposons, que l’auteur a démontré qu’il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan.

8.Au vu de ces considérations, nous sommes d’avis que l’auteur n’a pas étayé son grief selon lequel la décision de l’État partie de l’expulser vers le Pakistan serait contraire aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, et nous ne constatons par conséquent aucune violation du Pacte par le Canada.

[Fait en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (dissidente) de M. Yuji Iwasawa

1.Le Comité a depuis longtemps pour pratique constante, dans les affaires d’expulsion, de rappeler sa jurisprudence selon laquelle «il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice». Depuis 2011, le Comité emploie la formule suivante: les États partie ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, et précise que «généralement c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque». Cette dernière formule, bien qu’elle diffère quelque peu de la première, procède de la même idée sous-jacente. Ainsi qu’il est expliqué dans l’opinion individuelle de M. Yuval Shany et d’autres membres du Comité, l’approche du Comité qui consiste à faire ainsi preuve de retenue dans l’examen des décisions repose sur l’acceptation du fait que les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier les faits et les éléments de preuve, et sur le point de vue selon lequel le Comité n’est pas une juridiction de quatrième instance appelée à réexaminer les faits et les éléments de preuve de novo. Le Comité considère les décisions des autorités nationales comme étant contraires au Pacte si l’appréciation a été manifestement abusive ou s’il y a eu de graves irrégularités dans les procédures.

2.En ce qui concerne la présente communication, je ne puis conclure que les éléments dont dispose le Comité démontrent que l’appréciation des faits et des éléments de preuve qu’ont faite les autorités de l’État partie était manifestement abusive. Les autorités nationales ont relevé dans les allégations de l’auteur plusieurs incohérences qui mettaient en doute sa crédibilité, notamment au sujet de l’enlèvement dont son épouse et sa fille avaient, selon lui, été victimes. La majorité du Comité attache une grande importance au fait que l’homme ayant émis la fatwa était aussi celui qui avait déposé le premier rapport d’information contre l’auteur. Cependant, l’auteur a affirmé que la fatwa avait été émise à l’instigation du «ravisseur de sa femme», et il n’était pas abusif de la part des autorités nationales de considérer que le fait qu’il y ait eu ou non enlèvement était pertinent pour établir l’existence de la fatwa.

[Fait en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]