Nations Unies

CCPR/C/100/D/1748/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

30 novembre 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Centième session

11-29 octobre 2010

Décision

Communication no 1748/2008

Présentée par:

Josef Bergauer et consorts (représentés par un conseil, Thomas Gertner)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

5 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 janvier 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

28 octobre 2010

Objet:

Discrimination en ce qui concerne la restitution de biens et absence de recours utile

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter des communications; irrecevabilité ratione temporis, ratione materiae; non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Égalité devant la loi; égale protection de la loi sans discrimination; recours utile

Articles du Pacte:

26, 2 (par. 3)

Article s du Protocole facultatif:

3, 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (centième session)

concernant la

Communication no 1748/2008

Présentée par:

Josef Bergauer et consorts (représentés par un conseil, Thomas Gertner)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

5 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réunile 28 octobre 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, datée du 5 octobre 2007, sont Josef Bergauer (né en 1928); Brunhilde Biehal (née en 1931); Friedebert Volk (né en 1935); Gerald Glasauer (né en 1969); Ernst Proksch (né en 1940); Johann Liebl (né en 1937); Gerhard Mucha (né en 1927); Gerolf Fritsche (né en 1940); Ilse Wiesner (née en 1920); Otto Höfner (né en 1930); Walter Frey (né en 1945); Herwig Dittrich (né en 1929); Berthold Theimer (né en 1930); Rosa Saller (née en 1927); Franz Penka (né en 1926); Adolf Linhard (né en 1941); Herlinde Lindner (née en 1928); Aloisia Leier (née en 1932); Walter Larisch (né en 1930); Karl Hausner (né en 1929); Erich Klimesch (né en 1927); Walther Staffa (né en 1917); Rüdiger Stöhr (né en 1941); Walter Titze (né en 1942); Edmund Liepold (né en 1927); Rotraut Wilsch-Binsteiner (née en 1931); Karl Röttel (né en 1939); Johann Pöchmann (né en 1934); Jutta Ammer (née en 1940); Erika Titze (née en 1933); Wolfgang Kromer (né en 1936); Roland Kauler (né en 1928); Johann Beschta (né en 1933); Kurt Peschke (né en 1931); Wenzel Pöhnl (né en 1932); Marianne Scharf (née en 1930); Herbert Vonach (né en 1931); Heinrich Brditschka (né en 1930); Elisabeth Ruckenbauer (née en 1929); Wenzel Valta (né en 1936); Ferdinand Hausmann (né en 1923); Peter Bönisch (né en 1971); Karl Peter Spörl (né en 1932); Franz Rudolf Drachsler (né en 1924); Elisabeth Teicher (née en 1932); Inge Walleczek (née en 1942); Günther Karl Johann Hofmann (né en 1932). Ils se déclarent victimes d’une violation par la République tchèque de l’article 26 et des paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. Thomas Gertner.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs, ou leurs prédécesseurs en droit, sont des Allemands des Sudètes qui ont été expulsés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et dont les biens ont été confisqués par les autorités de l’ancienne Tchécoslovaquie sans que leur soit versée la moindre indemnisation. Les auteurs indiquent que sur les 3 477 000 Allemands qui vivaient dans la région des Sudètes, 3 000 400 ont été expulsés de l’ancienne Tchécoslovaquie, et 249 900 sont morts; ils affirment qu’ils ont été punis collectivement sans procès et expulsés en raison de leur origine ethnique. Encore aujourd’hui, les Allemands des Sudètes se sentent victimes de discrimination de la part de la République tchèque, qui refuse de leur accorder une indemnisation adéquate comme le prescrit le droit international. Les auteurs soulignent que les Allemands des Sudètes ont été traités différemment des victimes de la persécution communiste de nationalité tchèque ou slovaque, qui ont obtenu une réparation et la restitution de leurs biens alors qu’elles avaient subi des injustices moins graves que celles dont eux-mêmes ont été victimes.

2.2Les auteurs passent en revue plusieurs décrets de 1945 et 1946, qui sont toujours en vigueur et établissent des droits «pétrifiés», en vertu desquels les biens des Allemands des Sudètes ont été confisqués et les citoyens tchécoslovaques d’origine allemande ou hongroise ont été déchus de la citoyenneté tchécoslovaque:

a)Le décret présidentiel no 5/1945, du 19 mai 1945, ordonnant la confiscation des biens privés et commerciaux des Allemands et des Hongrois et l’administration de ces biens par l’État;

b)Le décret constitutionnel du Président no 33, du 2 août 1945, décret Benes, en vertu duquel les citoyens tchécoslovaques de nationalité allemande ou hongroise ont été déchus de la citoyenneté tchécoslovaque, qu’ils aient acquis la nationalité allemande ou hongroise de façon non volontaire ou qu’ils aient «déclaré cette nationalité». Les auteurs ou leurs prédécesseurs en droit avaient tous «déclaré» leur nationalité et n’ont donc pas eu la moindre chance de récupérer la citoyenneté tchèque ou slovaque;

c)Le décret présidentiel no 108, du 25 octobre 1945, ordonnant la confiscation des biens des personnes de nationalité allemande ou hongroise, à l’exception de «celles qui font la preuve de leur loyauté envers la République tchécoslovaque, qui n’ont commis aucune infraction à l’encontre des nations tchèque ou slovaque et qui ont pris une part active à la lutte pour la libération du pays ou ont été victimes du nazisme ou de la terreur fasciste»;

d)La loi no 115, du 8 mai 1946, en vertu de laquelle tous les actes de violence ou autres infractions pénales ont été rétroactivement déclarés légaux, lorsqu’ils pouvaient être présumés avoir été commis «dans le cadre de la lutte pour libérer les Tchèques et les Slovaques ou à titre de représailles justifiées pour les actes des occupants et de leurs complices».

2.3Étant donné que tous les prédécesseurs en droit des auteurs avaient perdu leur citoyenneté, ils ne pouvaient pas invoquer la loi no 87/1991 du 21 janvier 1991 relative à la réparation par voie non judiciaire ni la loi no 229/1991 du 21 mai 1991 relative à la restitution des biens agricoles pour demander la restitution de leurs biens. En outre, ces deux lois portaient uniquement sur la restitution des biens qui avaient été confisqués sous le régime communiste entre 1948 et 1991. Le 15 avril 1992, l’État partie a adopté la loi no 243/1992, qui autorise la restitution des biens agricoles ayant appartenu aux minorités allemandes et hongroises à condition que les intéressés aient la citoyenneté tchécoslovaque et qu’ils n’aient commis aucune infraction à l’encontre de l’État tchécoslovaque. Cependant, cette loi ne s’applique pas aux auteurs puisque, comme leurs prédécesseurs en droit, ils avaient perdu leur citoyenneté en application du décret présidentiel Benes no 33/1945. En outre, la loi no 30/1996 portant modification de la loi no 243/1992 relative à la restitution des biens agricoles a ajouté une nouvelle condition, c’est-à-dire la possession ininterrompue de la nationalité tchécoslovaque.

2.4Le 13 décembre 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête présentée par les auteurs (et d’autres requérants). Elle a considéré que l’allégation des auteurs relative à l’absence de recours internes était dénuée de fondement et qu’elle ne pouvait pas préjuger l’issue d’une action devant les tribunaux tchèques si les requérants en avaient engagé une. Toutefois, même si les requérants avaient épuisé les recours internes, la communication serait de toute façon irrecevable car ils n’avaient aucuns «biens existants» au sens de l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme quand la Convention européenne des droits de l’homme est entrée en vigueur ni quand ils ont déposé leur requête. Le fait que les biens aient été confisqués en application de décrets qui continuaient à faire partie de l’ordre juridique interne ne modifiait pas cet état de choses. En outre, la Cour a considéré qu’en l’absence d’une obligation générale de restituer les biens qui avaient été saisis avant la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme, la République tchèque n’était pas tenue de restituer leurs biens aux requérants, et que cet aspect de la requête était par conséquent incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. En tout état de cause, la Cour européenne des droits de l’homme a noté que la jurisprudence des tribunaux tchèques montrait que la restitution de leurs biens pouvait être accordée même à des personnes qui avaient été expropriées en violation des décrets présidentiels, ce qui assurait une forme de réparation. Les allégations de génocide ont été déclarées irrecevables ratione temporis. Quant aux griefs de discrimination, la Cour européenne des droits de l’homme a fait valoir que l’article 14 de la Convention ne consacrait pas un droit autonome et a déclaré cette partie de la requête également irrecevable.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie commet une violation continue de l’article 26 du Pacte en maintenant dans l’ordre juridique interne les lois discriminatoires adoptées de 1945 à 1948 et le décret relatif à la confiscation. En n’adoptant pas de loi sur la restitution des biens qui leur soit applicable, l’État partie empêche les Allemands des Sudètes d’exercer leur droit de demander la restitution de leurs biens et des mesures de réparation, droit dont peuvent en revanche se prévaloir les personnes dont les biens ont été confisqués sous le régime communiste. Les auteurs font valoir que les tribunaux tchèques n’appliquent le droit international que dans la limite des instruments internationaux ratifiés par la République tchèque alors que, selon eux, toute personne doit pouvoir se prévaloir des règles du jus cogens (telles que les articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité de l’État). Les auteurs se déclarent également victimes d’une violation du droit à l’égalité devant la loi puisqu’il n’existe pas de loi qui leur permettrait d’intenter une action en restitution devant les tribunaux nationaux.

3.2Les auteurs font en outre valoir qu’ils ont été punis collectivement pour les crimes commis par l’Allemagne nazie contre la Tchécoslovaquie et qu’ils avaient été expulsés de leur région en raison de leur origine ethnique. Les mesures prises contre les Sudètes constituent des «faits composites» au sens de l’article 15 des articles de la CDI, et ont des effets continus dès lors qu’ils étaient déjà interdits par le jus cogens quand le premier acte a été commis. Tel est indubitablement le cas des crimes contre l’humanité qui ont été commis envers les Sudètes.

3.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes exigé par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs affirment que vu la jurisprudence sans équivoque de la Cour constitutionnelle et en l’absence d’une loi sur la restitution applicable aux Sudètes, il aurait été vain d’engager une action en réparation et en restitution devant les tribunaux tchèques, raison pour laquelle ils y ont renoncé. Le 8 mars 1995, dans l’affaire Dreithaler, la Cour constitutionnelle a conclu que le décret no 108 du 25 octobre 1945 relatif à la confiscation (voir par. 2.2), en vertu duquel les auteurs avaient perdu leurs biens, faisait partie de l’ordre juridique tchèque et n’enfreignait aucun principe constitutionnel. Les auteurs estiment donc qu’il ne servirait à rien de demander le réexamen de la question. Dans un autre arrêt daté du 1er novembre 2005 (affaire du Comte Kinský), la Cour constitutionnelle a conclu qu’il n’était pas possible d’examiner la légalité du décret no 108/1945 relatif à la confiscation.

3.4Les auteurs indiquent également qu’ils n’ont pas pu faire valoir de violation d’une norme supérieure de droit telle que les articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite auprès des tribunaux nationaux étant donné que la Constitution ne reconnaît que les instruments qui ont été ratifiés, de sorte que les plaintes fondées sur les règles du jus cogens sont exclues. Les auteurs font valoir qu’ils ne disposent d’aucun recours utile contre la discrimination qu’ils ont subie, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre du 3 juillet 2008, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il souligne que les auteurs ne donnent aucun détail au sujet de leurs biens, hormis la commune où ils étaient sis. En ce qui concerne la relation des faits historiques par les auteurs, elle comporte des affirmations que l’État partie dément. L’État partie renvoie aux conclusions de la Commission germano-tchèque d’historiens et indique que, contrairement à ce qu’affirment les auteurs, l’expulsion des Allemands des Sudètes avait fait 30 000 victimes au plus.

4.2L’État partie se réfère aux accords internationaux et aux textes de loi pertinents ainsi qu’à la pratique. Il cite l’accord de Berlin adopté à la Conférence de Potsdam le 1er août 1945, en particulier son article XIII, qui régit le transfert des populations allemandes de la Tchécoslovaquie vers l’Allemagne. Il renvoie également à la déclaration germano-tchèque du 21 janvier 1997 sur les relations entre les deux pays et leur développement futur, document qu’il qualifie de politique, qui affirme que les injustices du passé appartiennent au passé mais ne crée aucune obligation juridique. L’État partie joint en outre le texte officiel des décrets et lois ci-après:

a)Décret présidentiel no 5/1945 relatif à l’invalidation de certaines transactions immobilières réalisées pendant la période d’oppression et à l’administration par l’État des biens et avoirs des Allemands, des Hongrois, des traîtres et des collaborateurs et de certaines organisations et institutions;

b)Décret présidentiel no 12/1945 (non cité par les auteurs) relatif à la confiscation et à l’attribution accélérée des biens agricoles des Allemands, des Hongrois, des traîtres et des ennemis des nations tchèque et slovaque;

c)Décret présidentiel no 108/1945 relatif à la confiscation des biens ennemis et à la création du Fonds national de reconstruction;

d)Décret présidentiel constitutionnel no 33/1945 sur le retrait de la citoyenneté tchécoslovaque des personnes ayant la nationalité allemande ou hongroise;

e)Loi no 194/1949 relative à l’acquisition et à la perte de la nationalité tchécoslovaque;

f)Loi no 34/1953 relative à l’acquisition par certaines catégories de personnes de la nationalité tchécoslovaque.

4.3L’État partie cite aussi les lois qui visent à atténuer les effets des injustices concernant des biens commises sous le régime communiste entre 1948 et 1989, telles que la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire et la loi no 229/1991 relative à la propriété foncière et aux biens agricoles, qui prévoit que les citoyens tchèques qui ont été expropriés en application du décret présidentiel no 5/1945 et de la loi no 128/1946 relative à l’invalidation de certaines transactions immobilières réalisées pendant la période d’oppression et aux réclamations nées de cette invalidation et d’autres violations du droit de propriété, peuvent être admis au bénéfice de ces lois si leurs demandes résultant des persécutions politiques n’ont pas été réglées après le 25 février 1948.

4.4En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir que celle-ci devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. Il considère que la communication est irrecevable ratione temporis également étant donné que les événements se sont produits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, soit longtemps avant la ratification par la Tchécoslovaquie du Pacte et du Protocole facultatif, le 23 décembre 1975 et le 12 mars 1991. En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment être victimes d’une violation continue, l’État partie fait valoir que la confiscation est un acte instantané et que le fait que les effets de l’expropriation de 1945 puissent encore être invoqués devant un tribunal aujourd’hui ne change rien à la nature de la confiscation initiale. Il souligne en outre que la législation relative à la confiscation était issue d’un accord international que les Alliés avaient adopté à la Conférence de Potsdam et était considérée comme un droit des Alliés à titre de rétorsion pour les crimes commis par l’Allemagne envers le peuple tchécoslovaque. L’État partie ajoute que, même si les événements de 1945 pouvaient être examinés à la lumière des articles sur la responsabilité de l’État, l’élément d’illicéité ferait défaut. Il conclut que seule la partie de la communication portant sur la discrimination qui résulterait des lois de restitution adoptées après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, le 12 mars 1991, devrait être examinée.

4.5L’État partie estime en outre que le Comité devrait déclarer la communication incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte, étant donné que la plainte des auteurs a trait au droit à la propriété, qui n’est pas protégé par le Pacte.

4.6Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie objecte que les auteurs n’en ont exercé aucun. Les tribunaux nationaux n’ont donc pas pu examiner leurs griefs de discrimination ni apprécier les faits et les preuves se rapportant à la confiscation de leurs biens. L’État partie souligne que les conclusions de la Cour constitutionnelle dans l’affaire Dreithaler datent de 1995 et que des modifications ont été apportées à la Constitution depuis lors; les auteurs devraient donc porter leurs griefs devant les tribunaux nationaux. L’État partie reconnaît n’avoir connaissance d’aucune affaire dans laquelle des Allemands des Sudètes ont obtenu la restitution de biens qui avaient été confisqués avant 1945, mais il fait valoir qu’il ne saurait affirmer que les tribunaux nationaux auraient refusé d’étendre l’application des lois de restitution à des faits antérieurs à 1945 puisque les auteurs ne les ont pas saisis de la question. L’État partie poursuit en citant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Bergauer et 89 autres c. République tchèque, dans lequel la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable pour non-épuisement des recours internes au motif qu’elle ne pouvait pas préjuger l’issue d’une action qui n’avait pas été engagée devant les tribunaux tchèques. Se référant aux décrets présidentiels nos 5/1945, 12/1945, et 108/1945 et au décret constitutionnel no 33/1945, l’État partie affirme que les intéressés avaient des recours à leur disposition, y compris judiciaires.

4.7L’État partie fait valoir en outre que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications car le Pacte ne protège pas le droit à la propriété, pas plus qu’il ne prévoit un droit à réparation pour des injustices passées. De plus, les délais prescrits par les lois de restitution ont expiré le 1er avril 1995 pour la loi no 87/1991, le 31 décembre 1996 pour la loi no 229/1991 et le 15 juillet 1996 pour la loi no 243/1992. Or, les auteurs n’ont saisi le Comité qu’en octobre 2007, soit plus de dix ans après l’expiration du dernier délai, sans donner d’explication raisonnable pour justifier un tel retard. L’État partie fait valoir en outre que la description faussée que les auteurs ont donnée des faits historiques de manière à les tourner à leur avantage constitue également un abus du droit de présenter une communication.

4.8L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dans des affaires d’indemnisation pour des biens saisis avant 1948 et fait valoir que toute distinction ou différenciation ne constitue pas une discrimination au sens des articles 2 et 26 du Pacte. L’État partie souligne qu’il y a une différence fondamentale entre le cas des personnes dont les biens ont été confisqués parce qu’elles étaient considérées comme des ennemis de guerre et les confiscations de biens qui ont eu lieu sous le régime communiste. Il insiste en outre sur le fait que la confiscation des biens ennemis était prévue par des accords internationaux, en particulier l’Accord de Potsdam, tandis que la confiscation des biens opérée sous le régime communiste était prévue par la loi interne. Dans ce contexte, l’État partie renvoie à l’Article 107 de la Charte des Nations Unies, d’où il découle qu’il est interdit d’abroger unilatéralement avec effet rétroactif les mesures décidées dans le cadre de l’Accord de Potsdam, y compris la saisie des biens ennemis. L’État partie fait valoir en outre que la communication dont le Comité est saisi est très différente d’autres affaires dans lesquelles le Comité a conclu que le critère de nationalité imposé pour la restitution de biens saisis sous le régime communiste constituait une violation de l’article 26, dans la mesure où le législateur a classé différentes situations, considérant que certaines étaient caractérisées par des injustices héritées du passé communiste qu’il fallait atténuer autant que possible.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 4 novembre 2008, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie; ils font valoir que l’État partie a reconnu, dans la déclaration germano-tchèque du 21 janvier 1997 sur les relations entre les deux pays et leur développement futur, que de grandes souffrances et injustices avaient été infligées à des innocents du fait de leur expulsion au lendemain de la guerre, comme les Allemands des Sudètes qui avaient été forcés de quitter ce qui était à l’époque la Tchécoslovaquie, expropriés et déchus de leur citoyenneté et victimes de réinstallation forcée. Pourtant, l’État partie persiste à dire qu’il considère que la persécution collective de cette époque était légitime. Les auteurs réaffirment qu’ils ont été punis en étant privés de leur citoyenneté, en étant expulsés et soumis à des violences, y compris des assassinats, en raison de leur origine ethnique. Ils estiment que, en violation de l’article 26 du Pacte, ils ont été victimes d’une épuration ethnique et rendus collectivement responsables de tous les crimes commis par les autorités de l’Allemagne national-socialiste.

5.2Les auteurs expliquent que leur but en soumettant cette communication est d’inciter l’État partie à adopter une loi de restitution dont les Allemands des Sudètes et leurs ayants droit pourront se prévaloir devant les tribunaux nationaux pour demander la restitution de leurs biens. L’État partie n’a pris aucune mesure d’ordre judiciaire, politique ou social pour assurer une réparation aux Sudètes. Au contraire, le 24 avril 2008, le Parlement a voté une résolution qui confirme que les décrets présidentiels adoptés après la guerre (décrets Benes) sont «incontestables, sacrosaints et ne peuvent pas être changés». En l’absence d’une loi applicable à leur situation, les auteurs ne peuvent pas épuiser les recours internes. Ils affirment que le droit à réparation ne peut pas reposer sur l’article 26 du Pacte, mais doit être prévu par un texte de loi.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis, les auteurs objectent que l’épuration ethnique n’est pas un acte instantané mais un processus continu. Ils estiment en outre que le fait que l’État partie ne leur permet pas de récupérer leurs biens au titre de l’article 35 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État et du jus cogens est un élément de la discrimination dont ils font l’objet. Se référant à l’affaire Gratzinger c. République tchèque (communication no 1463/2006), les auteurs font valoir qu’ils sont l’objet d’une discrimination étant donné qu’ils n’ont pas obtenu réparation bien qu’étant victimes de crimes contre l’humanité, alors que les victimes du régime communiste, qui avaient été condamnées par défaut, et dont les biens qu’ils avaient délibérément abandonnés avaient été saisis, ont obtenu réparation.

5.4Les auteurs apportent un complément d’information et des précisions concernant les faits historiques et affirment que l’expulsion des Allemands des Sudètes a commencé le 15 mai 1945, soit des mois avant la Conférence de Potsdam. Ils font valoir en outre que l’Accord de Potsdam ne peut pas être qualifié d’instrument international puisqu’il n’a jamais été publié dans le Recueil des Traités des Nations Unies.

Réponses complémentaires des parties

6.Dans une note du 21 mai 2009, l’État partie formule des observations complémentaires et réaffirme qu’il ne considère pas le transfert des Allemands des Sudètes après la guerre comme un crime contre l’humanité. Il estime en outre inapproprié de comparer la situation des Allemands des Sudètes avec celle des victimes du régime communiste étant donné que les biens des premiers étaient considérés par les Alliés comme des biens ennemis qui pouvaient par conséquent être utilisés à titre de réparation.

7.Dans des notes du 29 juin et du 24 novembre 2009, les auteurs réitèrent leurs précédentes observations et soulignent que les Allemands des Sudètes ont été punis collectivement pour toutes les atrocités commises par le IIIe Reich sur le territoire tchécoslovaque, et que ce fait n’a jamais été reconnu par l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note que certains aspects de la même affaire ont déjà été examinés par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré la requête irrecevable en date du 13 décembre 2005. Le Comité constate que la présente affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et il conclut par conséquent que les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis conformément à l’article premier du Protocole facultatif parce que les événements se sont produits longtemps avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif et que la confiscation est un acte instantané. Il relève toutefois que les auteurs affirment être victimes d’une violation continue. Concernant l’application ratione temporis du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif pour l’État partie, le Comité rappelle que le Pacte est entré en vigueur le 23 décembre 1975 et le Protocole facultatif le 12 mars 1991. Il fait observer que le Pacte ne peut pas être appliqué rétroactivement. Le Comité constate que les biens des auteurs ont été confisqués en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il constate en outre qu’il s’agissait d’un acte instantané n’ayant pas d’effets continus. En conséquence, le Comité considère que, conformément à l’article premier du Protocole facultatif, il est empêché ratione temporis d’examiner les violations alléguées qui sont antérieures à l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l’État partie.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]