Nations Unies

CCPR/C/102/D/1622/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

23 août 2011

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Décision

Communication no 1622/2007

Présentée par:

L. D. L. P. (représenté par un conseil, Luis Olay Pichel)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

23 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

26 juillet 2011

Objet:

Déplacement d’office de l’auteur pour inaptitude

Questions de procédure:

Bien-fondé des griefs; recevabilité ratione materiae

Questions de fond:

Droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi; droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille et son domicile; droit de ne pas être inquiété pour ses opinions; droit sans discrimination à une égale protection de la loi

Articles du Protocole facultatif:

2 et 3

Articles du Pacte:

2 (par. 3 a)), 8 (par. 3 a)), 12, 14, 15, 17, 18, 19 et 26

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1622/2007 **

Présentée par:

L. D. L. P. (représenté par un conseil, Luis Olay Pichel)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

23 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2011

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est José Antonio L. D. L. P., de nationalité espagnole, né le 26 mai 1961. Il affirme être victime de violations par l’Espagne des droits énoncés au paragraphe 3 a) de l’article 2 eu égard à l’article 14, au paragraphe 3 a) de l’article 8 et aux articles 12, 15, 17, 18, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 janvier 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. Luis Olay Pichel.

1.2Le 4 février 2008, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a accédé à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1.L’auteur est militaire de carrière. En juin 2002, il était affecté au régiment «Garellano» de Munguía (province de Biscaye) où il avait passé trois ans au grade de capitaine et trois autres à celui de commandant. Il assumait par ailleurs de hautes responsabilités, notamment en qualité de chef du Service de protection des documents confidentiels et de renseignement, de septembre 1999 à août 2000, et de Chef de la sécurité de la caserne de Munguía pendant le premier semestre de 2000. Il s’est acquitté de ses fonctions en donnant pleinement satisfaction aux trois colonels qui se sont succédé au commandement du régiment, ce qui lui a valu d’être décoré de la Cruz al Mérito Militar (Croix du mérite militaire) et de recevoir trois félicitations écrites, qui se sont ajoutées à celle qui figurait déjà dans ses états de service. Il était volontaire pour servir au Pays basque, l’un des lieux d’affectation les plus risqués et les plus pénibles, où la majorité des officiers effectuent des périodes de rotation obligatoire d’environ un an.

2.2Pendant la première année où il était sous le commandement du colonel G. A., l’auteur entretenait de bonnes relations avec lui et le colonel était manifestement satisfait de ses services. Plus tard, le colonel a radicalement changé de comportement vis-à-vis de l’auteur. Au cours du premier semestre de 2002, l’auteur a commencé à subir un harcèlement psychologique par le biais de différentes mesures, notamment deux mises aux arrêts de quatre jours. Une troisième mesure de mise aux arrêts, d’une durée d’un mois et cinq jours, a été prise à son encontre en 2003. De plus, le 10 juin 2002, une perquisition a été effectuée à son domicile sans autorisation judiciaire ni mandat d’une autorité militaire neutre. L’auteur affirme que ces mesures ont été prises en représailles du fait qu’il avait demandé des renseignements à ses subordonnés, dans l’exercice de son droit de défense, lorsque le colonel avait commencé à lui reprocher des faits qui ne correspondaient pas à la réalité. De fait du harcèlement subi, l’auteur est tombé malade et est resté en congé de maladie pendant vingt et un mois au total, jusqu’au 18 février 2004.

2.3Le 7 juin 2002, l’auteur a porté plainte contre le lieutenant-colonel B., qui avait commencé à participer au harcèlement, plainte qu’il a ensuite élargie au colonel G. A. au sujet d’un outrepassement supposé dans la fonction de commandement. Le 12 juin, l’auteur a porté plainte contre le colonel G. A. pour avoir ordonné la perquisition de son domicile sans autorisation judiciaire.

2.4Le 8 juillet 2002, le colonel G. A. a demandé que l’auteur soit relevé de son commandement à Munguía pour «inaptitude à s’acquitter des fonctions liées à son affectation». Entre-temps, l’auteur avait demandé son transfert, qui lui a finalement été accordé au régiment mixte RIMIX «Garellano» no 45 de Vitoria, le 19 juillet 2002. Néanmoins, il n’a pas pu intégrer ledit régiment du fait de sa maladie.

2.5Le 23 août 2002, l’auteur a demandé au Ministre de la défense de prendre des sanctions pour mettre fin au harcèlement infligé par le colonel G. A. après avoir découvert, entre autres, que ce dernier refusait de prendre en considération le certificat d’arrêt de travail qu’il lui avait présenté. Cette demande a donné lieu à une enquête à l’occasion de laquelle, pour la première fois, on a commencé à analyser les circonstances de l’arrêt de travail et de la maladie. Toutefois, l’enquête en question n’a pas commencé avant le 22 novembre 2002. En décembre 2002, le colonel G. A. a été accusé de «comportement déloyal» envers l’auteur et jugé en octobre 2005. Il a finalement été acquitté.

2.6Le 20 septembre 2002, l’auteur a été convoqué pour retirer dans une caserne des Asturies un document écrit par lequel il était invité à présenter ses griefs relatifs à la proposition de déplacement d’office. Lorsque son père, qui était habilité à le représenter légalement, s’est rendu sur place pour retirer le document en question, on a refusé de le lui remettre au motif qu’il s’agissait d’un document confidentiel. L’auteur a donc demandé à l’administration de le lui envoyer à son domicile, mais il ne lui est parvenu que de nombreux mois plus tard, alors que le déplacement d’office était déjà effectif. L’auteur affirme que le document ne contenait pas le rapport dans lequel le colonel proposait son déplacement d’office et qu’il lui a donc été difficile de préparer ses contre-arguments.

2.7À plusieurs reprises, le colonel G. A. a présenté diverses plaintes sans fondement contre l’auteur, l’accusant de différentes fautes graves et infractions. Elles ont toutes été classées sans suite, l’auteur n’ayant pas été jugé responsable.

2.8Dans une note en date du 8 novembre 2002, l’auteur a été informé de son déplacement d’office de l’unité de Vitoria. Il a appris par la même note que, étant donné que son unité était constituée d’un bataillon relevant du régiment placé sous le commandement du colonel G. A., les circonstances énoncées dans la proposition de déplacement d’office étaient encore réunies. L’auteur affirme que son déplacement d’office a été décidé sans qu’il ait eu les moyens de se défendre, sur la seule base du rapport établi par le colonel G. A et sans attendre la conclusion de l’enquête ouverte à la suite de la plainte déposée par l’auteur contre ledit rapport. L’auteur a tenté en vain à diverses reprises d’accéder au dossier administratif le concernant. Il affirme que son déplacement d’office constitue sans nul doute une mesure de représailles contre la plainte qu’il a déposée à l’encontre de son supérieur. De plus, l’aptitude professionnelle de l’auteur n’a à aucun moment été examinée, ce qui est contraire aux dispositions prévues par la loi.

2.9Le 11 décembre 2002, l’auteur a demandé à la Direction de la gestion du personnel de l’armée de terre d’annuler la décision de déplacement d’office. Le 21 décembre 2002, l’auteur a formé devant le Ministère de la défense un appel conservatoire, étant dans l’impossibilité d’interjeter un appel définitif puisqu’il n’avait pas encore reçu le dossier administratif relatif à la proposition de déplacement d’office. Le 18 janvier 2003, l’auteur a reçu une copie dudit dossier dans lequel figurait le rapport présentant la proposition de déplacement d’office. Le 4 février 2003, l’auteur a présenté un recours définitif auprès du Ministère de la défense.

2.10Le 25 février 2003 l’appel a été rejeté. Le rapport technique accompagnant la décision répond à la question de la notification soulevée par l’auteur lors de la procédure d’appel. Il y est dit que la mère de l’auteur a réceptionné la notification adressée à son domicile le 13 septembre 2002 et que la décision de déplacement d’office a été adoptée une fois écoulé le délai accordé à l’auteur pour formuler ses griefs. L’auteur affirme que le Ministère de la défense a, de façon déraisonnable, examiné uniquement l’appel conservatoire et ignoré le recours définitif présenté le 4 février 2003.

2.11En avril 2003, l’auteur a été affecté à un poste attribué sur nomination de nature similaire et de catégorie supérieure dans une unité plus qualifiée que celle dont l’auteur avait été relevé. L’auteur a fait appel de cette affectation pour incohérence, étant donné que la réglementation interdit toute affectation à un poste de nature similaire à celui occupé lors du déplacement d’office. L’auteur a obtenu gain de cause. Parallèlement, ses demandes d’affectation volontaire ont été rejetées, l’administration préférant déclarer les postes en question déjà pourvus.

2.12Le 29 octobre 2003, l’auteur a formé appel devant la chambre administrative de l’Audiencia Nacional. L’auteur dénonce: a) les défauts de procédure, notamment s’agissant de l’audience, qui l’ont privé des moyens de se défendre; b) l’insuffisance des éléments de preuve présentés pour étayer l’accusation d’inaptitude; c) un détournement de pouvoir de la part de l’administration, qui aurait appuyé le colonel G. A, pour relever l’auteur de ses fonctions. Le 28 septembre 2004, l’Audiencia Nacional a décidé de rejeter l’appel. Le tribunal a relevé que l’audience de l’intéressé était légalement obligatoire. En vertu de cette obligation, l’auteur a été cité à comparaître le 20 septembre 2002 pour recevoir la lettre émanant du régiment RIMIX «Garellano» no 45 en date du 3 septembre 2002, ayant trait aux allégations relatives à son déplacement d’office. La citation à comparaître a été adressée au domicile de l’auteur à Oviedo et réceptionnée le 13 septembre 2002 par la mère de l’auteur. Il s’agit d’un avis pleinement valide et conforme à la législation. Le 20 septembre 2002, le père de l’auteur s’est présenté à la convocation, muni d’un certificat médical concernant l’auteur, pour retirer la lettre au nom de celui-ci. Il s’est néanmoins heurté à un refus au motif qu’il n’était pas habilité à représenter son fils et que le document en question était classé confidentiel et devait donc être remis en main propre à l’auteur. D’après l’Audiencia Nacional, le caractère irrecevable de la représentation est incontestable étant donné que le justificatif présenté ne respectait pas les conditions requises par la loi et ne permettait pas de le déclarer digne de foi. La décision de déplacement d’office a été rendue dix jours après. L’auteur a interjeté appel de ladite décision en demandant, notamment, que lui soit adressé un compte rendu littéral et intégral du dossier administratif. L’administration ayant accédé à cette demande, elle a adressé à l’auteur le compte rendu demandé et accordé un nouveau délai de quinze jours, à réception du document, aux fins de la présentation d’un appel. Compte tenu de ce qui précède, l’Audiencia Nacional a estimé qu’on ne pouvait évoquer un déni de justice. Quant à l’insuffisance des éléments de preuve présentés à l’appui de l’accusation d’inaptitude, l’Audiencia Nacional a indiqué que le rapport du colonel G. A., en date du 8 juillet 2002, contenait un exposé des motifs de la proposition de déplacement d’office que le tribunal a jugé suffisants pour justifier la décision de déplacement d’office. Concernant l’allégation de détournement de pouvoir, le tribunal a conclu qu’elle était sans fondement.

2.13Le 2 novembre 2004, l’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le 6 juin 2006, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo, au motif que l’auteur n’avait pas comparu dûment représenté comme il y était tenu; que la décision de déplacement d’office constituait une réponse raisonnée, suffisante, motivée et fondée sur un élément de preuve documentaire; et qu’il n’y avait pas violation du principe de la légalité.

2.14Le 30 juin 2006, l’auteur a porté plainte devant le Conseil général du pouvoir judiciaire pour prévarication contre les trois magistrats de la chambre du Tribunal constitutionnel qui avait rejeté son recours en amparo. Le 20 septembre 2006, le Conseil a rejeté la plainte au motif pour défaut de compétence, étant donné que le Tribunal constitutionnel n’est pas soumis au régime disciplinaire de l’autorité judiciaire, qui relève de la compétence du Conseil. L’auteur estime avoir épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les faits décrits constituent une violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 eu égard à l’article 14 du Pacte, étant donné qu’aucun des recours formés n’a été utile et que la présomption d’innocence n’a pas été prise en considération.

3.2L’auteur explique qu’il existe dans l’armée deux catégories de postes, à savoir les postes pourvus par nomination et ceux pourvus par ancienneté. Dans le premier cas, tout militaire peut être relevé de ses fonctions, sans aucune explication, au simple motif d’une «perte de confiance» et être affecté à n’importe quel poste vacant, y compris un poste de la même catégorie. L’auteur a été déplacé d’office d’un poste qui ne relevait pas de la catégorie des postes pourvus par nomination, mais auquel il avait été affecté par ancienneté, seul critère de sélection des candidats. Un militaire occupant un poste «par ancienneté» ne perd jamais ladite ancienneté (sauf en cas de condamnation pénale entraînant la perte de rangs d’ancienneté). Un militaire peut être relevé de ses fonctions pour condition physique insuffisante ou perte des facultés professionnelles, mais jamais pour «inaptitude». La loi ne prévoit ce type de déplacement d’office que dans le cas des personnes qui ne font pas preuve d’un minimum d’efficacité dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui n’est pas le cas de l’auteur. De plus, un déplacement d’office pour inaptitude a pour effet de limiter considérablement le nombre de postes auxquels peut prétendre par la suite la personne visée. C’est pourquoi l’auteur a fini par effectuer des tâches administratives pour lesquelles il n’était pas formé.

3.3L’auteur affirme que les décisions judiciaires relatives aux allégations d’inaptitude à s’acquitter des tâches confiées ne sont pas suffisamment étayées, que la question de la légalité du déplacement d’office n’a pas été examinée à la lumière du contexte dans lequel il s’est produit et que les décisions en question sont sans fondement. Elles sont également arbitraires puisqu’elles ne tiennent pas compte du fait que le déplacement d’office a pris effet dans un lieu d’affectation (Vitoria) distinct de celui pour lequel il avait été demandé (Munguía). L’auteur se demande comment son inaptitude a pu être établie alors qu’il n’avait pas encore pris ses fonctions dans son nouveau lieu d’affectation, dans un nouveau bataillon et avec d’autres personnes. De plus, son nouveau lieu d’affectation à Vitoria était également placé sous le commandement du colonel G. A.

3.4L’auteur affirme qu’il y a eu des irrégularités dans les procédures administratives. Ainsi, la procédure d’audition de l’auteur n’a pas été respectée, le père de celui-ci n’ayant pas été autorisé à retirer les notifications en son nom, ce qui constitue une infraction à la législation applicable en la matière; le texte intégral des notifications ne lui a pas été adressé à domicile; les procédures prévues par la loi pour examiner l’inaptitude n’ont pas été ouvertes; le dossier administratif n’a pas été adressé directement à l’avocat de l’auteur pour qu’il prenne connaissance en temps utile des chefs d’accusation afin d’élaborer une demande de recours non pas conservatoire mais définitive; le Ministre de la défense s’est prononcé sur le recours conservatoire au lieu du définitif, que l’auteur a présenté en temps voulu après avoir enfin reçu le dossier administratif. Pour ce qui est des procédures judiciaires, l’auteur affirme que l’Audiencia Nacional n’a pas administré les preuves qu’il avait demandées, telles que l’examen des états de service des années précédentes qui ne faisaient apparaître aucun élément négatif. Sur le plan administratif comme sur le plan judiciaire, il n’a pas non plus été tenu compte des nombreux documents présentés par l’auteur pour attester de ses qualités professionnelles. Parmi ces nombreux documents, les instances susmentionnées n’ont retenu que le rapport du colonel G. A., comme s’il avait valeur de preuve irréfutable alors qu’il s’agit d’un simple élément d’information. Ces irrégularités ont gravement porté atteinte au droit de l’auteur à un recours utile et à une procédure offrant des garanties minimales d’objectivité, de justice et de respect des droits de la défense. Il affirme également qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisque seule l’Audiencia Nacional a examiné l’affaire et que l’auteur n’a pas eu la possibilité de faire appel devant un tribunal supérieur.

3.5Pour ce qui est de la décision du Tribunal constitutionnel, l’auteur relève des erreurs dans le jugement et conteste la qualification de «déplacement d’office à caractère disciplinaire». Il s’agit en réalité d’un dossier administratif, auquel ne s’applique pas la loi organique no 8/98 sur le régime disciplinaire des forces armées, ni aucune autre loi de même nature, mais exclusivement la loi no 17/99, qui définit notamment le régime applicable aux militaires de carrière.

3.6L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 a) de l’article 8 du Pacte, compte tenu du type de travail qu’il se voit actuellement contraint de faire. Il invoque également une violation de l’article 12 du Pacte pour avoir été privé de la liberté dont jouissent ses compagnons de choisir librement leur lieu de garnison ou d’affectation, puisque son déplacement d’office limite les lieux d’affectation auxquels il peut prétendre.

3.7En ce qui concerne la violation de l’article 15 du Pacte, l’auteur affirme que son déplacement d’office est une peine sévère, disproportionnée par rapport aux motifs invoqués. Il rappelle qu’il n’a pas eu la possibilité de se défendre et que le principe de contradiction n’a pas été respecté. Le déplacement d’office était uniquement fondé sur le rapport présenté par une personne contre laquelle l’auteur avait porté plainte et qui s’appuyait sur l’esprit corporatiste de l’armée.

3.8L’auteur invoque également une violation de l’article 17 du Pacte au titre de la perquisition effectuée à son domicile sur ordre du colonel G. A. sans l’autorisation des autorités compétentes. Ces faits ont infligé de graves souffrances à sa famille et n’ont jamais fait l’objet d’une enquête.

3.9En ce qui concerne l’article 18 du Pacte, l’auteur affirme avoir subi un préjudice pour avoir porté plainte contre le colonel G. A., alors qu’il n’a fait qu’accomplir son devoir et exercer ses droits. S’agissant de la violation de l’article 19 du Pacte, l’auteur déclare avoir subi des représailles après avoir déposé plainte contre le colonel G. A. Bien que les militaires aient des droits limités dans certains domaines, le dépôt de plainte en question constituait à la fois un devoir et un droit défini par la loi. Pour ce qui est de la violation de l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme que la plainte déposée contre son supérieur ne justifie pas un déplacement d’office pour inaptitude et que cette mesure est une sanction masquée.

3.10Enfin, l’auteur affirme qu’il doit être indemnisé pour les dommages subis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Dans une note verbale en date du 28 janvier 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, concluant que celle-ci devait être déclarée irrecevable.

4.2L’État partie affirme que le déplacement d’office n’entraîne pas dans l’absolu une sanction disciplinaire, ni n’affecte le statut de militaire de l’auteur, mais témoigne de la faculté de l’État partie à organiser son armée librement et de manière autonome et à relever d’un poste déterminé toute personne dont on estime qu’elle n’a pas les qualités nécessaires pour s’acquitter de ses fonctions. La révocation était dûment motivée, l’auteur ayant la possibilité de formuler des allégations et d’obtenir plusieurs fois la révision de la mesure prise, par le biais des procédures administrative, contentieuse administrative et constitutionnelle.

4.3L’État partie affirme que l’invocation des articles 8, 12, 15, 17, 18, 19 et 26 du Pacte est purement rhétorique. Pour ce qui est de la violation supposée de l’article 14, la communication n’a pas pour objet une affaire pénale, ce qui constitue une incompatibilité ratione materiae avec le Pacte. Comme l’affirme l’auteur lui-même, il ne s’agit pas d’une procédure disciplinaire, mais du simple exercice des facultés d’organisation de l’État partie, qui passe notamment par l’appréciation de l’inaptitude de l’auteur à s’acquitter des fonctions liées à un poste précis dans l’organisation militaire. Il s’agit d’une simple épuration ou évolution de la relation de suprématie particulière dans laquelle, de par son statut de militaire, l’auteur se trouve par rapport à l’État partie. Ce dernier n’est aucunement tenu par les dispositions du Pacte de maintenir un militaire à un poste s’il juge qu’il n’est pas apte à l’occuper. Il ne s’agit donc pas d’établir des droits ou obligations de caractère civil, mais de se prononcer sur l’évolution d’une relation de suprématie particulière dans le contexte de la relation de services d’un militaire de carrière qui conserve son statut.

4.4L’État partie affirme que la communication est sans fondement. L’auteur a eu plusieurs occasions de formuler des allégations et de contester la décision par laquelle il a été jugé inapte à s’acquitter des tâches qui lui avaient été confiées. Une procédure d’audience a bien été ouverte, mais l’auteur a tenté de s’en prévaloir par l’intermédiaire d’un tiers sans l’accréditer légalement à le représenter, un compte rendu littéral et intégral du dossier administratif a été adressé à l’auteur, un délai supplémentaire de quinze jours lui a été accordé pour interjeter appel et il a récemment eu accès à l’intégralité du dossier de recours contentieux administratif. L’auteur a pu former un recours contentieux administratif et a obtenu une décision motivée du Tribunal constitutionnel.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Les 13 mars et 7 octobre 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réaffirme notamment que la décision relative à son déplacement d’office n’est pas dûment motivée. De plus, elle n’est pas fidèle à la vérité, en ce sens qu’elle affirme que l’auteur et son représentant ont rejeté la notification. L’Audiencia Nacional n’a pas examiné l’affaire comme il convenait et a manqué à son devoir d’impartialité en n’exigeant pas de l’administration qu’elle présente une preuve déterminante: les états de services de l’auteur pendant plusieurs années. Le Tribunal constitutionnel a jugé le déplacement d’office assimilable à une sanction disciplinaire.

5.2L’auteur affirme que son cas relève de l’article 14 du Pacte, qui porte également sur la détermination des droits et obligations de caractère civil. La décision administrative a été adoptée dans le contexte de sanctions disciplinaires privatives de liberté infligées à l’auteur. De plus, la décision administrative de déplacement d’office pour inaptitude à s’acquitter des fonctions confiées dans le cadre d’un poste pourvu par ancienneté, signifie que l’auteur ne peut plus occuper de poste de nature similaire dans une quelconque unité du pays, prendre un commandement, ni travailler au service d’une unité de commandement ou d’un quartier général. En outre, les personnes qui se trouvent en pareille situation sont isolées, de même que les personnes visées par des sanctions graves, afin de procéder à une analyse minutieuse de leur aptitude à occuper un grade supérieur. Il s’agit bien d’une sanction masquée, ce qui permet d’établir une analogie avec le régime pénal ou disciplinaire. Cette sanction est donc encore plus sévère que la «perte d’affectation», sanction disciplinaire la plus grave qui interdit pendant deux ans à la personne visée de rejoindre une zone militaire. Il est légitime de pouvoir relever un militaire de son poste pour inaptitude si l’intéressé est informé des circonstances retenues, mais cela n’a pas été le cas dans la présente affaire.

5.3L’auteur réaffirme ses allégations initiales au sujet de la procédure administrative appliquée à son encontre et rejette les arguments de l’État partie. Il affirme que le pouvoir de représentation qu’il avait accordé à son père était parfaitement valable. Pour retirer le dossier relatif aux allégations ayant trait au déplacement d’office, il n’était pas nécessaire que le père de l’auteur présente tout autre document que ceux qu’il a fourni (émanant du notaire militaire et du médecin); la convocation aurait dû indiquer qu’il s’agissait de retirer un document confidentiel et préciser si le rapport du colonel y était joint ou non; les deux documents auraient pu être adressés au domicile autorisé. Il aurait notamment fallu offrir à l’auteur la possibilité de compléter le document jugé insuffisant ou lui donner une nouvelle chance de retirer le dossier; remettre le dossier administratif en temps utile; examiner le recours définitif; présenter à l’Audiencia Nacional l’ensemble des éléments de preuve retenus. De plus, la procédure d’audience n’a pas été respectée.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de la faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 2, paragraphe 3 a), et 14, selon lesquels les recours formés n’étaient pas utiles, les décisions judiciaires n’étaient pas suffisamment étayées, l’affaire n’a pas été examinée au fond, le droit qu’a l’auteur de se défendre n’avait pas été respecté et la décision n’avait pas été révisée par une instance judiciaire supérieure. Le Comité constate que ces plaintes font référence à l’évaluation des faits et des preuves par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité a examiné les documents produits par l’auteur, en particulier les jugements rendus par l’Audiencia Nacional et par le Tribunal constitutionnel et estime que les documents correspondants ne permettent pas d’établir que les procédures judiciaires en question ont été entachées de telles irrégularités. Il considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs de violation des articles 2, paragraphe 3 a), et 14, et que la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est des griefs de violation des articles 8, paragraphe 3 a), 12, 15, 17, 18, 19 et 26, ils ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et sont donc jugés irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais, et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]