Nations Unies

CCPR/C/109/D/2014/2010

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 novembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2014/2010

Décision adoptée par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication p résentée par:

Darius Jusinskas (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Lituanie

Date de la communication:

2 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 décembre 2010 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

28 octobre 2013

Objet:

Concours d’accès à la fonction publique

Questions de procédure:

Incompatibilité avec les dispositions du Pacte; griefs non étayés

Questions de fond:

Recours utile; accès aux tribunaux; accès, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique

Articles du Pacte:

2 (par. 2 et 3), 14 (par. 1) et 25 (al. c)

Articles du Protocole facultatif:

2 et 3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’hommeen vertu du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civilset politiques (109e session)

concernant la

Communication no 2014/2010 *

Présentée par:

Darius Jusinskas (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Lituanie

Date de la communication:

2 avril 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2013,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est M. Darius Jusinskas, de nationalité lituanienne, né le 1er janvier 1979. Il affirme être victime d’une violation par la Lituanie des droits qui lui sont reconnus en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25, lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 22 février 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial sur les nouvelles communications et mesures intérimaires, a décidé de séparer l’examen de la recevabilité de celle du fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 2006, l’auteur a présenté sa candidature à un poste de fonctionnaire au Département du patrimoine culturel du Ministère de la culture. Conformément à la Procédure d ’ admission dans la fonction publique, les candidats devaient passer un examen écrit et oral. L’auteur a obtenu la note maximale à l’examen écrit (10 sur 10) et a eu 8,6 à l’oral. Un autre candidat a été retenu pour le poste.

2.2Le 24 avril 2006, l’auteur a déposé une plainte auprès du tribunal administratif régional de Vilnius contre la décision qu’avait prise la Commission d’admission de choisir un autre candidat que lui. Il contestait le résultat de la procédure de sélection et demandait à être reconnu comme le candidat admis et à être indemnisé pour la rémunération non perçue et pour le préjudice moral subi. Étant donné que les règles de la Procédure d ’ admission dans la fonction publique, approuvées par la résolution gouvernementale no 966, n’imposaient pas l’enregistrement des examens oraux, l’auteur a affirmé qu’il n’avait pas les moyens de prouver qu’il avait été évalué de façon injuste à l’oral. En outre, il a demandé au tribunal de saisir la Cour constitutionnelle pour qu’elle examine si la Procédure d ’ admission et le Tableau d ’ inventaire de la Procédure d ’ organisation des concours d ’ accès à la fonction publique limitent le droit à la défense en n’imposant pas l’obligation d’enregistrer les examens oraux. L’auteur a fait valoir que l’accès à la justice devait être non seulement formel mais aussi réel, c’est-à-dire que l’on devait pouvoir prouver et contester devant les tribunaux la violation de ses droits ou de ses intérêts légitimes.

2.3Le 2 novembre 2006, le tribunal administratif régional de Vilnius a débouté l’auteur de sa plainte, déclarant qu’il n’avait pas été prouvé que l’évaluation de son examen oral par la Commission d’admission était injuste. Étant donné qu’il n’y avait pas d’acte illicite, aucune indemnisation ne pouvait être accordée. Le tribunal a également rejeté la demande de l’auteur concernant la saisie de la Cour constitutionnelle. L’auteur a fait appel de la décision du tribunal auprès du Tribunal administratif suprême.

2.4Le 1er juin 2007, le Tribunal administratif suprême a suspendu son examen de l’affaire et saisi la Cour constitutionnelle pour qu’elle se prononce sur la constitutionnalité de la Procédure d ’ admission et du Tableau d ’ inventaire, qui ne prévoyaient pas l’obligation d’enregistrer les examens oraux. Le Tribunal administratif suprême a souligné que l’absence d’une telle obligation pouvait limiter le droit à une défense en justice de fait et mettre en question le respect du principe de transparence énoncé au paragraphe 1 de l’article 3 de la loi sur la fonction publique.

2.5Le 22 janvier 2008, la Cour constitutionnelle a considéré que la Procédure d ’ admission et le Tableau d ’ inventaire, dans la mesure où ils n’imposaient pas l’obligation d’enregistrer les questions posées par les membres de la Commission d’admission pendant l’examen oral ni les réponses données par les candidats, étaient en contradiction avec les dispositions du paragraphe 1 de l’article 30 (droit d’accéder aux tribunaux) et du paragraphe 1 de l’article 33 (droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques) ainsi qu’avec les principes de transparence de la fonction publique inscrits dans la Constitution. La Cour a déclaré que la décision de recaler un candidat devait être justifiée par des motifs clairs et accessibles aux institutions et aux tribunaux appelés à régler les différends. Le 2 avril 2008, suite à ce jugement, l’obligation d’enregistrer les examens oraux a été introduite dans la législation de l’État partie.

2.6Le 13 mars 2008, le Tribunal administratif suprême a rejeté le recours de l’auteur, déclarant qu’en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle du 22 janvier 2008, rien ne prouvait que la Commission d’admission eût agi d’une manière partiale ou injuste. Le Tribunal a également rejeté la demande d’indemnisation de l’auteur pour préjudice moral. Les décisions du Tribunal administratif suprême sont définitives et sans appel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la Lituanie a violé les droits qui lui sont reconnus en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.2L’auteur soutient que la procédure administrative qu’il a engagée relève de la notion de «droits et obligations de caractère civil» («suit at law»). Se référant à l’Observation générale no 32 du Comité ainsi qu’à sa jurisprudence, l’auteur fait valoir que si la cessation d’emploi d’un fonctionnaire relève de la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, il devrait en être de même pour l’admission à un poste de fonctionnaire. Faute de règlement imposant l’enregistrement des examens oraux qu’il faut passer pour accéder à un poste de fonctionnaire d’État, l’auteur n’a eu aucun moyen de prouver au Tribunal que les évaluations de la Commission d’admission étaient injustes. Son droit d’accès aux tribunaux était donc seulement formel et non pas réel, d’où une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre que le Tribunal administratif suprême n’a pas motivé le rejet de sa demande d’indemnisation pour préjudice moral, se bornant à déclarer que rien ne permettait de dire que l’auteur avait subi un préjudice moral.

3.4Le Tribunal administratif suprême a jugé que les évaluations de l’examen oral de l’auteur étaient justes et n’a pas mis en doute l’équité de la Commission d’admission. Mais il a omis de considérer qu’il n’était pas possible de produire de preuves. Aussi sa décision était-elle clairement arbitraire et, manifestement, était entachée d’erreur et constituait un déni de justice.

3.5L’auteur affirme d’autre part que la législation interne n’imposant pas l’obligation d’enregistrer le déroulement de l’examen oral et vu l’absence, dans la pratique, de mécanisme de contrôle juridictionnel effectif pour la procédure d’admission dans la fonction publique, les droits qui lui sont reconnus en vertu de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ont été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 7 février 2011, l’État partie a soumis ses observations concernant la recevabilité de la communication et demandé au Comité de séparer l’examen de la recevabilité de celle du fond de la communication, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité. Il a également demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif, les allégations de l’auteur étant incompatibles avec les dispositions du Pacte et insuffisamment étayées.

4.2S’agissant des faits énoncés dans la communication, l’État partie fait observer que, le 27 mars 2009, l’auteur a demandé la réouverture du dossier devant le Tribunal administratif suprême en vertu du paragraphe 2 de l’article 153 de la loi sur la procédure administrative. Le 27 mars 2009, le Tribunal administratif suprême a débouté l’auteur de sa demande, considérant que les raisons qu’il avait données ne justifiaient pas la réouverture du dossier.

4.3En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, l’État partie déclare que les conditions d’accès au poste de fonctionnaire n’étaient pas discriminatoires et étaient identiques pour tous les candidats. L’auteur ne s’était pas plaint que les critères de sélection aient été déraisonnables ou la procédure d’admission discriminatoire, et n’avait présenté aucun argument ni élément de preuve à cet égard. Tous les candidats ont suivi la même procédure de sélection dans les mêmes conditions, c’est‑à‑dire que tous ont passé un examen écrit et un examen oral, et aucun des examens oraux n’a été enregistré. De même, le caractère raisonnable des critères de sélection n’a pas été contesté. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’alinéa c de l’article 25 ne confère pas à tout citoyen le droit à un emploi garanti dans la fonction publique mais seulement une chance d’y accéder dans des conditions générales d’égalité. S’agissant de l’allégation de l’auteur qui prétend que l’absence de règle imposant l’obligation d’enregistrer la partie orale de l’examen l’a empêché de prouver devant les tribunaux que les résultats du concours avaient été injustes, l’État partie déclare que cette allégation est sans rapport avec le droit protégé à l’alinéa c de l’article 25. L’allégation de l’auteur selon laquelle la procédure d’admission serait d’une manière ou d’une autre discriminatoire au sens du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte n’est donc pas étayée. Dans ces circonstances, les allégations de l’auteur outrepassent le champ d’application de cette disposition et sont donc incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4L’auteur n’a pas donné d’arguments pouvant justifier une inversion des résultats du concours en sa faveur. Ses allégations sont de simples affirmations d’auto-évaluation subjective, ne comportant pas le moindre élément objectif prouvant que son examen oral a été sous-évalué. En outre, l’auteur a pu faire appel auprès de deux tribunaux administratifs. Les deux instances ont apprécié sa demande et les pièces justificatives et n’ont pas considéré que la Commission d’admission avait agi d’une façon arbitraire ou pris une décision injuste. Le simple fait que les décisions des tribunaux n’étaient pas favorables à l’auteur ne prouve pas que ces décisions judiciaires soient infondées ou arbitraires. L’auteur ne peut donc pas affirmer qu’il n’a pas disposé d’un recours utile conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Aussi ce grief devrait-il être déclaré irrecevable, car insuffisamment étayé.

4.5Quant au grief de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que, d’après la jurisprudence du Comité, ni la procédure de nomination des agents de l’État, ni les règlements administratifs y relatifs, tels que ceux visés par la présente communication, ne relèvent de la détermination de droits et d’obligations de caractère civil, au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ce grief devrait donc être déclaré irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.6Si le Comité en jugeait autrement, le grief en question n’étant pas étayé, il devrait être déclaré irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. L’enregistrement du déroulement de l’examen oral n’était certes pas une obligation réglementaire, mais l’auteur aurait pu produire d’autres éléments de preuve, comme des témoignages ou des documents écrits. Et même si la loi avait imposé l’enregistrement de l’examen oral, l’enregistrement n’aurait été pour le Tribunal qu’un élément parmi d’autres à examiner et apprécier mais pas nécessairement l’élément déterminant. Les juridictions nationales ont soigneusement examiné tous les griefs et éléments présentés par l’auteur et toutes les circonstances de l’affaire. En examinant la requête de l’auteur, le Tribunal administratif suprême a tenu compte du jugement de la Cour constitutionnelle. Or il a conclu qu’aucun élément du dossier ne pouvait faire douter de l’impartialité des membres de la Commission d’admission ou faire suspecter une évaluation arbitraire des candidats. Compte tenu de ces considérations, il a jugé que les conclusions de la Cour constitutionnelle n’avaient pas d’influence essentielle dans l’affaire et qu’il n’y avait pas de relation de cause à effet entre ces conclusions et le préjudice que l’auteur dit avoir subi.

4.7L’auteur n’a présenté aucun argument quant au caractère arbitraire et injuste présumé de la décision du Tribunal administratif suprême en date du 13 mars 2008. De plus, ces allégations ont été présentées par l’auteur dans sa demande de réouverture du dossier et soigneusement examinées, puis rejetées, par le Tribunal administratif suprême dans sa décision du 27 mars 2009. Dans toutes ses requêtes ainsi que dans sa communication au Comité, l’auteur a répété les mêmes allégations. Il n’a toutefois pas présenté d’arguments objectifs à leur appui. En conséquence, l’État partie soutient que l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 n’est pas étayée et devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 3 mars, le 29 avril et le 3 octobre 2011, l’auteur a présenté des observations et affirmé que sa communication faisait également état d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 14 et l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

5.2L’auteur réitère ses griefs et déclare qu’une règle imposant l’obligation d’enregistrer les examens oraux était nécessaire pour donner effet aux droits reconnus au paragraphe 3 de l’article 2, au paragraphe 1 de l’article 14 et à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

5.3La Cour constitutionnelle a estimé que la Procédure d ’ admission dans la fonction publique était en contradiction avec le paragraphe 1 de l’article 30 et le paragraphe 1 de l’article 109 de la Constitution. Elle a en outre jugé que l’obligation d’assurer des conditions d’égalité pour l’admission dans la fonction publique supposait une évaluation objective et impartiale de ceux qui intégraient cette fonction et que l’absence d’enregistrement de l’examen oral portait atteinte au droit d’accéder dans des conditions d’égalité à la fonction publique. L’auteur a affirmé que, puisque dans son cas un tel enregistrement n’était pas disponible, le tribunal administratif régional de Vilnius n’était pas en mesure de statuer sur sa plainte contestant la décision de la Commission d’admission. Faute d’enregistrement de l’examen oral, l’auteur n’a pas pu produire la moindre preuve pour contester l’équité de l’évaluation. L’absence d’enregistrement ne lui a pas permis de prouver le caractère injuste de l’examen oral (probatio diabolica) et a aussi empêché le tribunal de le vérifier. Pratiquement, donc, l’auteur ne disposait d’aucun recours utile pour protéger les droits qui lui sont reconnus au paragraphe 3 de l’article 2, au paragraphe 1 de l’article 14 et à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

5.4S’agissant de ses griefs au titre du paragraphe 3 de l’article 2, lu séparément et conjointement avec l’article 25, l’auteur fait observer que rien ne prouvait que le candidat retenu fût plus qualifié que lui. Or il ne disposait d’aucun moyen, dans la pratique, pour contester cela. Il ne disposait donc d’aucun recours utile pour contester en justice l’équité de l’examen oral. En outre, en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle, le Tribunal administratif suprême a rejeté sa requête de façon arbitraire, considérant, sans autre explication, qu’il n’avait pas produit d’élément prouvant le caractère injuste de l’évaluation, ce qui constituait une erreur manifeste et un déni de justice. L’auteur a soutenu qu’il avait été sous-évalué à l’oral et que le candidat retenu avait été surévalué. Il avait donc fait l’objet d’un traitement inégal par rapport à une personne moins qualifiée que lui. L’auteur a également affirmé que son grief était suffisamment étayé et que l’on pouvait considérer que la charge de la preuve incombait à l’État partie, qui devait donner une explication satisfaisante et convaincante. L’auteur contestait − et jugeait trop faibles − les notes 9, 8 et 7 que certains membres de la Commission d’admission lui avaient attribuées. Mais le Tribunal administratif suprême ne pouvait pas vérifier l’équité de l’évaluation.

5.5L’auteur a répété que sa communication relevait des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Puisque la loi lui permettait de saisir la justice pour contester les résultats de l’examen, on devait supposer que les droits et la protection prévus dans ces dispositions s’appliquaient à son cas. En outre, il ne s’était pas limité dans sa requête à contester le résultat de l’examen d’accès à la fonction publique, mais avait également demandé réparation pour préjudice moral. À cet égard, l’auteur soutient que le droit à réparation en cas d’actes illégaux relève clairement de la notion de «contestations sur [les] droits et obligations de caractère civil» («suit at law») au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Dès lors qu’un organe judiciaire est chargé de se prononcer sur une décision administrative relative à l’admission dans la fonction publique, il doit respecter les garanties d’un procès équitable consacrées au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteur réaffirme également que, dans la pratique, aucun autre élément de preuve ne pouvait être produit, contrairement à ce qu’a laissé entendre l’État partie. La possibilité de produire des documents écrits était purement théorique et l’État partie lui-même n’a pas précisé quel type de documents l’auteur aurait pu présenter. De même, l’auteur ne pouvait pas faire citer de témoins car seuls le candidat et les membres de la Commission se trouvaient dans la salle d’examen. Pour qu’un procès soit équitable, il faut aussi que le Tribunal motive son jugement. Or le Tribunal administratif suprême a rejeté sa demande de réparation pour préjudice moral sans avancer la moindre raison. Il n’a en outre pas tenu compte, en prenant sa décision, du rapport entre les conclusions de la Cour constitutionnelle et la demande de l’auteur, ni donné d’explication satisfaisante concernant le rejet de cette demande. En conséquence, sa décision était arbitraire, était manifestement entachée d’erreur et constituait un déni de justice.

5.6En ce qui concerne les griefs au titre du paragraphe 2 de l’article 2 − lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 14 et l’alinéa c de l’article 25 du Pacte − l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour adopter des règles qui donnent effet aux droits reconnus dans le Pacte.

5.7S’agissant du grief alléguant d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 − lu séparément et conjointement avec l’alinéa c de l’article 25 − l’auteur affirme qu’il n’a pas disposé d’un recours utile puisque le Tribunal administratif suprême a lui-même reconnu qu’il ne pouvait pas vérifier l’équité de l’évaluation et que la Cour constitutionnelle a déclaré que la Procédure d ’ admission qui était applicable au moment où l’auteur a passé le concours était en contradiction avec le paragraphe 1 de l’article 30 de la Constitution concernant le droit d’accès aux tribunaux.

5.8Le 8 octobre 2012, l’auteur a informé le Comité que lors de l’examen d’une autre affaire, dans laquelle il contestait le résultat de l’examen oral du concours d’accès au poste de spécialiste en chef du département des affaires juridiques et du personnel de l’Inspection territoriale d’État pour la planification et la construction du Ministère de l’environnement, le 20 septembre 2012, le Tribunal administratif suprême lui avait accordé 1 000 litai à titre d’indemnisation pour préjudice moral en vertu de l’article 6.250 2) du Code civil, en particulier à cause de la longueur considérable de la procédure administrative. En outre, le Tribunal administratif suprême avait déclaré que l’absence d’enregistrement de l’examen oral devait être «considérée comme une violation du droit de l’auteur de faire appel devant une instance administrative du résultat de l’examen oral» et «pouvait aussi être considérée comme une certaine violation du droit [de l’auteur] à une défense en justice effective». De ce fait, le Tribunal a avalisé les allégations présentées par l’auteur dans sa communication au Comité.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.1Le 23 janvier 2013, l’État partie a fait part de nouvelles observations sur la recevabilité de la communication. S’agissant de l’allégation de l’auteur au titre de l’alinéa c de l’article 25, l’État partie a maintenu que le droit reconnu dans cet article était toujours lié à l’interdiction de la discrimination pour l’un quelconque des motifs visés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Or l’auteur n’a produit aucun élément prouvant une discrimination. De plus, l’article 25 c) ne confère pas à tout citoyen le droit à un emploi garanti dans la fonction publique mais seulement une chance d’y accéder dans des conditions générales d’égalité. Les allégations de l’auteur sont fondées uniquement sur son opinion personnelle selon laquelle il aurait dû être nommé au poste de fonctionnaire à la place du candidat effectivement retenu. L’État partie a rappelé la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Les allégations de l’auteur selon lesquelles l’absence d’enregistrement de la partie orale du concours l’a empêché de prouver devant les tribunaux que les résultats du concours étaient injustes n’ont rien à voir avec le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique, au sens de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte. Cette partie de la communication de l’auteur est donc incompatible avec les dispositions du Pacte et doit donc être déclarée irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.2S’agissant de la décision du Tribunal administratif suprême du 20 septembre 2012, elle se fondait sur des circonstances différentes. Si l’auteur considère qu’elle n’est pas conforme à la jurisprudence du Tribunal et a un rapport avec l’appréciation des faits donnant lieu à la présente communication, il peut demander la réouverture du dossier en invoquant l’un des motifs visés au paragraphe 2 de l’article 153 de la loi sur la procédure administrative, comme la nécessité d’assurer l’uniformité de la jurisprudence des tribunaux administratifs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui fait valoir a) que, lors du concours d’admission à un poste de fonctionnaire au Département du patrimoine culturel, la Commission d’évaluation a sous-évalué son examen oral et surévalué celui du candidat retenu, et b) que, bien que la loi prévoie la possibilité de contester ce résultat et qu’il ait formé un recours devant les tribunaux administratifs, il n’a eu concrètement aucun accès aux tribunaux puisque ces derniers n’ont pas pu vérifier l’équité de l’évaluation faite par la Commission d’admission faute d’une règle, dans la Procédure d ’ admission dans la fonction publique, imposant l’enregistrement des examens oraux. En outre, dans sa décision du 13 mars 2008, le Tribunal administratif suprême n’a pas tenu compte du rapport entre l’appel de l’auteur et la décision de la Cour constitutionnelle du 22 janvier 2008, qui a considéré que la Procédure d ’ admission et le Tableau d ’ inventaire, dans la mesure où ils n’imposaient pas l’obligation d’enregistrer les examens oraux, étaient en contradiction avec le droit d’accéder aux tribunaux et le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique, consacrés dans la Constitution de l’État partie, puisque les motifs de la décision de recaler un candidat doivent être clairs et accessibles aux institutions et aux tribunaux appelés à régler les différends. En conséquence, en déboutant l’auteur de son appel, le Tribunal administratif suprême a agi d’une façon constituant une erreur manifeste et un déni de justice.

7.4Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels: a) ni la procédure de nomination des agents de l’État ni les règlements administratifs y relatifs ne relèvent de la détermination de droits et d’obligations de caractère civil, au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte; b) les critères de sélection de la personne compétente pour le poste et la procédure d’admission elle-même (le concours) n’étaient pas discriminatoires et leur caractère raisonnable n’était pas contesté par l’auteur; c) l’auteur n’a produit aucun élément prouvant directement ou indirectement que son examen oral avait été sous-évalué au bénéfice de l’autre candidat; et d) les griefs de l’auteur ainsi que les documents et les pièces qu’il a présentés aux tribunaux ont été soigneusement examinés par le tribunal administratif régional de Vilnius et par le Tribunal administratif suprême, qui n’ont constaté aucun élément de partialité de la part de la Commission d’admission ou d’iniquité dans les évaluations des candidats. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’alinéa c de l’article 25 du Pacte ne confère pas à tout citoyen le droit à un emploi garanti dans la fonction publique mais seulement une chance d’y accéder dans des conditions générales d’égalité. Compte tenu de ces considérations, le simple fait que les décisions des tribunaux n’étaient pas favorables à l’auteur ne prouve pas que ces décisions soient infondées ou arbitraires.

7.5Le Comité fait observer que les allégations faites au titre du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25 − lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 − portent principalement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le tribunal administratif régional de Vilnius et le Tribunal administratif suprême. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité a examiné les documents produits par les parties, y compris la décision de la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la Procédure d ’ admission et du Tableau d ’ inventaire. Nonobstant l’avis de la Cour constitutionnelle déclarant inconstitutionnels la Procédure d ’ admission et le Tableau d ’ inventaire tels qu’ils ont été appliqués à l’auteur, le Comité n’est pas en mesure, à partir des éléments dont il dispose, de conclure que les tribunaux administratifs, en statuant sur l’affaire de l’auteur, ont agi de façon arbitraire ou que leur décision a été manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25 − lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 − et que ces allégations sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend également note du grief formulé au titre du paragraphe 2 de l’article 2, selon lequel l’État partie n’a pas adopté en temps voulu de mesures pour faire en sorte que la Procédure d ’ admission dans la fonction publique impose l’obligation d’enregistrer les examens oraux des candidats. Le Comité rappelle sa jurisprudence à ce sujet, selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité estime donc que les prétentions de l’auteur à cet égard sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]