Nations Unies

CCPR/C/108/D/2202/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2013

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l’homme

Communication no 2202/2012

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

Rafael Rodríguez Castañeda (représenté par Graciela Rodríguez Manzo)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Mexique

Date de la communication:

25 octobre 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 31 octobre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

18 juillet 2013

Objet:

Accès aux bulletins de vote des élections présidentielles

Questions de procédure:

Autre instance internationale d’enquêteou de règlement

Questions de fond:

Droit d’accès à l’information

Articles du Pacte:

2 (par. 1, 2 et 3 a) et c)), 14 (par. 1) et 19 (par. 2)

Article s du Protocole facultatif:

3 et 5 (par. 2 a))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 2202/2012 *

Présentée par:

Rafael Rodríguez Castañeda (représenté par Graciela Rodríguez Manzo)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Mexique

Date de la communication:

25 octobre 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2202/2012 présentée au nom de M. Rafael Rodríguez Castañeda en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Rafael Rodríguez Castañeda, de nationalité mexicaine, né le 11 juin 1944. Il se déclare victime de violations par le Mexique des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 et des paragraphes 2 et 3 a) et b) de l’article 2, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 et le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. L’auteur est représenté par Mme Graciela Rodríguez Manzo.

1.2Le 31 octobre 2012, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité des droits de l’homme et conformément à l’article 92 du règlement intérieur, a demandé à l’État partie de suspendre la destruction des bulletins de vote pour l’élection du 2 juillet 2006 tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 14 novembre 2012, le Conseil général de l’Institut fédéral électoral a décidé de suspendre la destruction des bulletins de vote de l’élection du 2 juillet 2006, donnant suite à la demande de mesures provisoires du Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Des élections présidentielles ont eu lieu dans l’État partie le 2 juillet 2006. Selon le décompte initial des voix, le candidat qui a été finalement reconnu vainqueur a obtenu 15 000 284 voix, soit 35,89 % des suffrages exprimés, alors que le candidat arrivé en seconde position a obtenu 14 756 350 voix, soit l’équivalent de 35,31 % des voix. Divers partis politiques ayant contesté les résultats du scrutin auprès des conseils de circonscription de l’Institut fédéral électoral, il a été procédé à un recomptage partiel des voix, à la suite de l’intervention du Tribunal électoral du pouvoir judiciaire fédéral, organe spécialisé statuant en dernière instance en matière électorale, qui a déclaré que les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages avaient obtenu 35,89 % et 35,33 % des voix, sur un total de 41 557 430 voix. Selon l’auteur, à la suite de l’intervention du Tribunal électoral, la différence entre les deux candidats, qui était initialement de 243 934 voix, a finalement été ramenée à 233 831 voix. De même, le nombre de bulletins nuls après le recomptage des voix est passé de 904 604 à 900 373 voix. Malgré ce recomptage des voix, certain secteur de la société a continué à contester les résultats du scrutin et le nombre de suffrages exprimés en raison de divers incidents survenus dans les heures ayant suivi la clôture du scrutin, par exemple la non-diffusion des résultats du comptage rapide et les écarts observés dans les chiffres du programme de résultats électoraux préliminaires de l’Institut fédéral électoral en ce qui concerne le nombre de suffrages exprimés pour les élections présidentielles et sénatoriales.

2.2C’est dans ce contexte que le 28 juillet 2006, immédiatement après que le Tribunal électoral a rendu son avis sur la validité du scrutin présidentiel, l’auteur, journaliste à la revue Proceso, a demandé à l’Unité de liaison de l’Institut fédéral électoral en matière de transparence et d’accès à l’information d’avoir accès, en vertu de la loi fédérale sur la transparence et l’accès à l’information publique de l’État, aux bulletins de vote inutilisés, aux bulletins valables et aux bulletins nuls dans tous les bureaux de vote mis en place pendant les opérations de vote du 2 juillet 2006. À cet effet, l’auteur a demandé à avoir accès aux bureaux des 300 circonscriptions électorales du pays pour compter de nouveau les bulletins de vote de l’élection présidentielle.

2.3Le 1er septembre 2006, la Direction exécutive d’organisation des élections a fait savoir au Comité d’information de l’Institut fédéral électoral qu’il n’était pas possible pour l’auteur d’avoir accès aux bulletins de vote du fait que le processus électoral n’était pas terminé et était en cours de vérification par le Tribunal électoral. En outre, les paquets de bulletins de vote ne pouvaient être ouverts conformément au paragraphe 4 de l’article 234 du Code fédéral des institutions et procédures électorales en vigueur à la date en question, sauf décision contraire du Tribunal électoral prise en vertu des exceptions prévues à l’article 247 dudit Code, toutes ces normes étant d’ordre public et s’imposant à tous, selon l’article premier du Code. En ce qui concerne la validité du scrutin présidentiel, la Direction exécutive a estimé que l’Institut fédéral électoral n’avait pas compétence pour répondre à cette partie de la demande de l’auteur étant donné qu’il appartenait au Tribunal électoral de statuer sur ce point ainsi que sur les contestations relatives aux résultats.

2.4Le 5 septembre 2006, le Comité d’information de l’Institut fédéral électoral a rejeté la demande de l’auteur qui souhaitait consulter les bulletins de vote. Néanmoins, pour respecter le droit d’accès à l’information électorale, il a ordonné que les divers documents établis par l’Institut concernant l’élection présidentielle de 2006 soient mis à la disposition de l’auteur. Le Comité d’information a déclaré être dans l’impossibilité de donner suite à la demande de l’auteur parce que les lois électorales ne comportaient aucune disposition concernant l’accès du public aux bulletins de vote et que, au contraire, conformément aux articles 234 et 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales en vigueur à la date considérée, il fallait garantir l’inviolabilité des documents requis et les détruire une fois que le Tribunal électoral aurait statué sur toutes les contestations concernant le processus électoral et proclamé le vainqueur. Ces règles étaient fondées sur le caractère secret du vote, d’où le fait que l’accès à ces documents ne pouvait être autorisé que dans des cas exceptionnels et exclusivement pour que les autorités du Tribunal électoral puissent vérifier les contestations éventuelles. D’un autre côté, le Comité d’information a indiqué que, conformément à la loi fédérale sur la transparence et l’accès à l’information publique gouvernementale et au règlement de l’Institut fédéral électoral en matière de transparence et d’accès à l’information publique, les bulletins de vote n’étaient pas des documents publics mais étaient seulement l’expression matérielle du choix électoral des électeurs. Pour ce qui est de l’accès à l’information relative aux opérations de vote, il devrait être suffisant de mettre à la disposition de l’intéressé les procès-verbaux publiés par les autorités de l’Institut fédéral électoral à l’issue du scrutin, dans lesquels sont consignés, entre autres choses, le contenu des bulletins figurant dans l’urne et leur nombre total. Ces procès-verbaux sont établis et signés par les membres du bureau de vote concerné, et sont avalisés par les représentants des partis politiques participant à l’élection.

2.5Le 20 septembre 2006, l’auteur a présenté un recours en amparo devant le tribunal de district en matière administrative du District fédéral (Juzgado  4°) contre la décision de la Direction exécutive d’organisation électorale du 1er septembre 2006, contre la décision du Comité d’information rejetant sa demande d’accès aux bulletins de vote et contre les dispositions du paragraphe 2 de l’article 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales, selon lesquelles, après l’achèvement du processus électoral, il devait être procédé à la destruction des enveloppes contenant le matériel électoral, dont les bulletins de vote. L’auteur affirmait que le rejet de sa demande était une violation du droit à l’information, garanti notamment par la Constitution du Mexique et par l’article 19 du Pacte. En vertu de ce droit, la règle générale devait être la publicité de l’information détenue par les autorités et l’accès à cette information, sans autres restrictions que celles prévues par la loi pour répondre à un impératif d’intérêt public dans une société démocratique. Une fois le processus électoral terminé, les bulletins de vote étaient des documents qui ne devaient pas être soustraits à la connaissance du public étant donné qu’ils n’étaient pas définis expressément comme étant une information protégée ou confidentielle. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales, l’auteur affirmait que cette disposition était inconstitutionnelle et contraire au droit à l’information du fait que la destruction du matériel électoral créait l’impossibilité d’exercer effectivement le droit de rechercher et de recevoir des informations détenues par des organismes publics, sans que cette restriction puisse être justifiée par des considérations liées à la sécurité publique, à l’ordre public, à la moralité, la santé ou la paix publiques. Enfin, il indiquait que le fait de pouvoir consulter les procès-verbaux électoraux ne justifiait pas le refus de donner accès aux bulletins de vote et ne respectait pas pleinement son droit d’accès à l’information, étant donné qu’il s’agissait pour l’auteur d’obtenir une information distincte qui lui permettrait de vérifier si le contenu des bulletins de vote avait été consigné avec exactitude et de détecter les anomalies éventuelles dans la rédaction des procès-verbaux, l’objectif était simplement d’introduire de la transparence dans l’administration publique et d’évaluer la manière dont les autorités électorales s’étaient acquittées de leur mandat.

2.6Le 21 septembre 2006, le tribunal de district (Juzgado  4°) a rejeté le recours en amparo au motif que par ce moyen l’auteur cherchait à contester des actes contre lesquels le recours en amparo était inapproprié et qu’il convenait d’utiliser les moyens de contestation établis par la loi électorale.

2.7Le 5 octobre 2006, l’auteur a formé un recours en révision contre la décision du tribunal de district (Juzgado  4°) devant le premier tribunal collégial administratif du premier circuit (1°  Tribunal Colegiado) en faisant valoir que l’objet de son recours n’était pas de contester des résolutions ou d’invalider des décisions prises en matière électorale par l’Institut fédéral électoral mais de protéger son droit fondamental d’avoir accès à l’information en possession de l’État.

2.8Le 31 octobre 2006, le premier tribunal collégial (1°  Tribunal Colegiado) a demandé à la Cour suprême de justice d’examiner le recours en révision présenté par l’auteur, demande acceptée par la Cour.

2.9Le 11 mars 2008, la Cour suprême de justice a rejeté le recours en amparo et a confirmé la décision du tribunal de district (Juzgado  4°) de ne pas y faire droit. La Cour suprême a indiqué que l’article 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales sur lequel était fondée la décision de l’Institut fédéral électoral dans laquelle ce dernier a rejeté la demande de consultation des bulletins de vote présentée par l’auteur, était une règle électorale étant donné qu’il avait pour objet de réglementer un aspect du processus électoral. Cette règle fixait la destination finale des enveloppes contenant les bulletins de vote valables et des bulletins nuls ainsi que les bulletins restants inutilisés, et disposait que ces bulletins devaient être détruits une fois le processus électoral achevé. De même, l’acte de refus de l’accès aux enveloppes contenant les bulletins de vote par application de cette règle avait un caractère électoral. Par conséquent, la demande de l’auteur n’était pas recevable puis que les règles, actes ou décisions dont la teneur est purement électorale ne pouvaient faire l’objet d’un recours en amparo.

2.10Le 24 avril 2008, l’auteur a présenté une plainte et une demande de mesures provisoires à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, en invoquant une violation des droits d’accès à l’information reconnus à l’article 13, paragraphes 1 et 2 de la Convention américaine des droits de l’homme (Pacte de San José) et du droit à un recours utile (art. 25, par. 1), tous les deux en relation avec le droit aux garanties judiciaires (art. 8, par. 1) et avec les obligations générales fixées dans la Convention (art. 1, par. 1 et 2). Le 2 juillet 2008, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a demandé à l’État partie de prendre des mesures urgentes afin de suspendre la destruction des bulletins de vote des élections présidentielles du 2 juillet 2006.

2.11Le 2 novembre 2011, la Commission a déclaré irrecevable la plainte de l’auteur au motif que les faits exposés ne constituaient pas une violation des droits garantis par le Pacte de San José. La Commission a considéré que les procès-verbaux du scrutin et du comptage des voix établis dans chaque bureau de vote, mis à la disposition de l’auteur, rendaient compte d’une manière méthodique de l’information figurant dans les bulletins de vote. Vu que selon sa jurisprudence l’accès à l’information comprend aussi bien l’accès aux données traitées que l’accès à l’information à l’état brut, la Commission a conclu que l’information fournie par l’État partie répondait ou pouvait répondre au besoin d’accès à l’information de l’auteur et que ce dernier n’avait pas apporté les éléments propres à démontrer pourquoi cette information ne lui aurait pas été utile.

2.12Le 3 octobre 2012, le Conseil général de l’Institut fédéral électoral a pris la Décision générale CG no 660/2012, autorisant la destruction des bulletins de vote des élections présidentielles de 2006 entre le 12 et le 26 novembre 2012.

2.13L’auteur affirme qu’avec l’arrêt de la Cour suprême de justice du 11 mars 2008 tous les recours internes utiles ont été épuisés. De plus, bien qu’il ait soumis antérieurement une plainte à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, quand il a présenté sa communication au Comité, aucune plainte ne se trouvait en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. À ce sujet, l’auteur fait valoir que la version du texte du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif en espagnol diffère du texte dans les autres langues, puisqu’il dispose que le Comité «n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement» («no ha sido sometido»en espagnol), mais que cette disposition doit être alignée sur la version anglaise du texte qui est celle qui prévaut qui fait foi dans la jurisprudence du Comité et qui est la plus favorable à la personne. Par conséquent, cette disposition doit s’entendre au sens où le Comité «n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement». En outre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme n’a pas examiné sa plainte sur le fond puisqu’elle l’a déclarée irrecevable en vertu de l’alinéa b de l’article 47 de la Convention américaine au motif qu’elle ne disposait pas d’éléments pouvant constituer une violation possible des droits protégés par la Convention. Par conséquent, la communication répond aux critères de recevabilité énoncés au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime de violations par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe2 de l’article19 et des paragraphes2 et 3a) et b) de l’article2, lus conjointement avec le paragraphe1 de l’article14 et le paragraphe1 de l’article2 du Pacte.

3.2En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 19, l’auteur affirme que le refus opposé par l’Institut fédéral électoral à sa demande d’accéder, une fois terminé le scrutin présidentiel de 2006, aux bulletins inutilisés, valables et nuls se trouvant dans tous les bureaux de vote installés pour lesdites élections était une violation du droit de rechercher, recevoir et répandre des informations. En agissant de cette manière, on lui a dénié le droit de savoir ce qui s’était passé au cours de ces élections et, ce faisant, le droit de contestation, d’analyse et de vérification sur le point de savoir si l’Institut fédéral électoral s’est correctement acquitté de ses fonctions publiques. En règle générale, toute information détenue par un organisme public est publique et l’accès à cette information ne peut être restreint que temporairement et pour des raisons exceptionnelles. Par conséquent, l’État partie est dans l’obligation de fournir l’information présentant un intérêt public sur l’une quelconque de ses activités, sauf dans le cas où des restrictions autorisées par le Pacte lui-même ont été introduites.

3.3Le refus de l’Institut fédéral électoral de faire droit à sa demande a constitué une restriction excessive du droit d’accès à l’information détenue par l’État, sans justification raisonnable ou proportionnée, étant donné que l’objectif visé ne mettait en danger ni la sécurité nationale, ni l’ordre public, ni les droits d’autrui. Par conséquent, l’État partie ne peut invoquer aucun des motifs prévus au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte pour justifier cette décision. Les restrictions imposées doivent avoir un objectif autorisé et être nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire qu’elles doivent avoir pour but de répondre à l’intérêt public. Il en découle que, lorsqu’une restriction est imposée, celle-ci doit être proportionnée à l’intérêt auquel elle répond, permettre d’atteindre l’objectif légitime qui est visé et entraver le moins possible l’exercice effectif du droit en question.

3.4La décision de la Cour suprême de justice, qui a rejeté l’appel et a confirmé le jugement du tribunal de district (Juzgado  4°), a constitué une violation du droit à un recours juridictionnel utile, énoncé au paragraphe 3 a) et b) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, étant donné qu’elle a empêché arbitrairement l’auteur de bénéficier de la protection judiciaire de ses droits et du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. La Cour suprême de justice a porté atteinte au principe de légalité en s’écartant de ses précédents et en considérant l’objet de la demande de l’auteur comme une question électorale. La règle régissant la destruction des bulletins de vote des élections présidentielles, énoncée à l’article 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales, ne devait pas être considérée comme ayant un caractère électoral étant donné que, conformément à l’article 170 du même Code, le processus électoral s’achevait avec l’intervention du Tribunal électoral qui proclamait la validité de l’élection et annonçait le vainqueur. De surcroît, dans le cadre d’un recours en amparo, ce que l’on entend par question électorale doit s’interpréter au sens strict.

3.5L’auteur affirme que le recours en amparo était le seul moyen approprié pour protéger son droit d’accès à l’information. Conformément à la législation en vigueur à l’époque, le recours en transparence devant l’Institut fédéral électoral par lequel il pouvait chercher à obtenir l’annulation de la décision de lui refuser l’accès aux bulletins de vote, n’était ni approprié ni utile du fait qu’il ne permettait pas de contester la constitutionnalité de l’article 254 du Code fédéral des institutions et procédures électorales. De même, la procédure à suivre pour obtenir la protection des droits politiques et électoraux devant les autorités judiciaires chargées des élections n’était pas appropriée du fait que la demande d’informations adressée par l’auteur à l’Institut fédéral électoral ne visait pas une finalité électorale et que, dans le cadre de cette procédure, il n’était pas possible de demander la suspension de la destruction des bulletins de vote.

3.6Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas pris les mesures voulues pour harmoniser les dispositions de son droit interne et pour donner effet aux droits reconnus dans le Pacte. Au contraire, l’article 302 du nouveau Code fédéral des institutions et procédures électorales de 2008 maintient la règle qui ordonne la destruction des bulletins de vote après l’achèvement du processus électoral, au lieu d’ordonner que ces bulletins soient conservés dans des archives ouvertes à toute personne intéressée, afin de garantir le droit d’accès à l’information de caractère public.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 12 novembre 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication et a demandé au Comité de la déclarer irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 ou, à défaut, de l’article 3 du Protocole facultatif. Il ajoute que le fait de présenter ses observations ne doit pas être compris ou interprété comme indiquant une acceptation de la compétence du Comité en ce qui concerne les questions de recevabilité et de fond de la communication.

4.2L’État partie objecte que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné que la même question avait déjà été soumise par l’auteur à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, la Commission interaméricaine des droits de l’homme. La Commission est un organe international, public, quasi judiciaire et indépendant, qui entre dans la catégorie des procédures internationales d’enquête ou de règlement mentionnées au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.3Même si le Comité a reconnu qu’il existait des divergences entre les textes anglais, français et espagnol du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Protocole facultatif n’établit aucune hiérarchie, préférence ou préséance entre les textes qui, comme il est indiqué au paragraphe 1 de l’article 14, font tous également foi. Conformément à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, un texte doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. De surcroît, selon le paragraphe 3 de l’article 33 de la Convention de Vienne, la version authentique en espagnol et son contenu sont présumés avoir le même sens que les autres versions. Dans ce contexte, l’espagnol étant la langue officielle de l’État partie, ce dernier a adhéré au Protocole facultatif sur la base du texte espagnol, et a contracté des obligations selon les termes de ce texte. Par conséquent, l’État partie n’est nullement tenu par les textes authentiques du Protocole facultatif existant dans d’autres langues.

4.4L’allégation de l’auteur, qui affirme que le texte espagnol du Protocole facultatif «doit être aligné» sur la version anglaise n’est pas fondée en droit des traités. En outre, l’État partie affirme que l’interprétation retenue par le Comité en ce qui concerne le texte espagnol du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à sa quatrième session, à laquelle il a décidé que le terme «sometido» dans la version espagnole devait s’interpréter à la lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité doit s’assurer que la même question «n’est pas déjà en cours d’examen» devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, était unilatérale et n’était nullement opposable aux États parties au Protocole facultatif. L’État partie ajoute que ce point n’a pas été traité lors des réunions des États parties ni à aucune autre occasion, et que l’on ne saurait par conséquent supposer ou déduire que les États parties ont donné leur accord ou leur acquiescement, explicite ou implicite, à l’interprétation adoptée par le Comité. Par conséquent, le texte authentique en langue espagnole est la version valable du Protocole facultatif pour l’État partie et pour tous les États qui l’ont ratifié dans cette langue.

4.5En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie n’a pas émis de réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5, pour exclure la compétence du Comité dans les cas où la même question a été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement parce qu’il s’était fondé sur le texte espagnol, texte avec lequel il était d’accord et en vertu duquel il a contracté des obligations. Il aurait été absurde pour l’État partie d’émettre une réserve pour obtenir une interprétation qui était déjà établie clairement par le texte même du Protocole facultatif.

4.6L’État partie est en désaccord avec l’auteur lorsque celui-ci affirme que c’est la règle la plus favorable qui doit s’appliquer, étant donné que la question ne porte pas sur l’application de deux normes différentes, mais sur le point de savoir s’il faut appliquer le texte également authentique en espagnol d’un traité international. L’État partie souligne en outre qu’avant de décider de rejeter la plainte de l’auteur, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a examiné non seulement les questions de procédure mais également le fond de la plainte, et n’a constaté aucun élément constitutif d’une violation des droits de l’auteur.

4.7En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie indique que la plainte adressée par l’auteur à la Commission interaméricaine des droits de l’homme portait sur les mêmes faits et les mêmes controverses juridiques que la communication présentée au Comité. La Commission a apprécié quant au fond les griefs relatifs au droit à l’information et a conclu que les éléments d’information contenus dans les procès-verbaux des élections de 2006, mis à la disposition de l’auteur, respectaient le droit d’accès à l’information de ce dernier. À ce sujet, l’État partie réitère les arguments qu’il avait présentés devant la Commission, et souligne en particulier que, lors des élections de 2006, le droit d’accès à l’information de l’auteur et des citoyens en général a été garanti par le système d’information sur les résultats des élections. Le contenu des bulletins de vote est consigné dans les procès-verbaux des opérations de vote qui rendent compte des résultats du vote et sont établis par des citoyens choisis au hasard. Tous les procès-verbaux des élections de 2006, par bureau de vote et au niveau de chaque circonscription, sont publics et accessibles. Ils rendent compte de la volonté des électeurs en consignant le nombre de voix exprimées en faveur de chaque candidat, le nombre de bulletins nuls et le nombre de bulletins inutilisés. En outre, le dépouillement du scrutin se déroule en présence des représentants des partis politiques et, le cas échéant, d’observateurs électoraux.

4.8La publicité et la transparence des résultats des élections sont garanties par les règles fixées à cet effet dans le Code fédéral des institutions et procédures électorales. Le public peut prendre connaissance des résultats des élections avant même que les résultats n’acquièrent un caractère définitif. Après l’achèvement du dépouillement du scrutin et du comptage des voix, les résultats sont transcrits dans des avis qui sont affichés dans les bureaux de vote, dans les Conseils de district et les Conseils locaux et sont consignés dans les procès-verbaux de dépouillement du scrutin et de décompte des voix.

4.9Les bulletins de vote ne sont pas accessibles au public et le Code fédéral des institutions et procédures électorales dispose qu’ils doivent être détruits après la fin du processus électoral. Les lois électorales d’autres États de la région établissent des procédures spécifiques pour la destruction des bulletins de vote. On ne peut pas considérer que la destruction des bulletins de vote porte atteinte au droit d’accès à l’information: c’est une mesure rationnelle dans la mesure où elle reflète le caractère définitif du processus électoral et permet de supprimer les frais de gestion et de conservation des bulletins en question.

4.10Bien que ni le Protocole facultatif ni le Pacte ne fixent de délai pour la présentation des communications, en l’espèce il s’est écoulé six ans entre l’épuisement du dernier recours juridictionnel interne et le moment où l’auteur a présenté sa communication, sans donner aucune explication pour justifier ce retard, ce qui constitue un abus du droit de présenter des communications et un motif d’irrecevabilité conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. De surcroît, si l’on considère que le droit qui aurait été violé est en substance identique dans la Convention américaine des droits de l’homme et dans le Pacte, il est évident qu’en présentant la communication au Comité l’auteur ne visait pas l’application d’une règle offrant une plus grande protection, mais visait plutôt à faire du Comité un organe de révision de décisions sur le fond rendues par le système interaméricain de protection des droits de l’homme. L’objectif du Protocole facultatif n’est pas de faire du Comité un organe de révision des décisions rendues par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement, ni de reproduire une procédure lorsque l’examen d’une affaire est fondé sur des dispositions au contenu quasiment identique.

4.11En ce qui concerne la demande de mesures provisoires adressée par le Comité le 31 octobre 2012, l’État partie considère que le Comité a outrepassé les limites de sa compétence en faisant une telle demande dans la mesure où, d’une part, il ne s’agissait pas d’une affaire où la vie, l’intégrité physique ou la sécurité d’une personne était menacée et où, d’autre part, le Comité n’a pas indiqué les critères ou les paramètres objectifs qui lui ont permis de déterminer qu’un préjudice irréparable au droit de l’auteur était imminent, et n’a pas davantage apporté d’éléments montrant l’existence d’une situation grave ou urgente.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1En date du 21 janvier 2013, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne la recevabilité de la communication, il semble que, de l’avis de l’État partie, il n’y a pas de motifs d’irrecevabilité autres que ceux qui relèvent de l’article 3 et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.2En ce qui concerne le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur affirme que les arguments de l’État partie touchant la portée et l’interprétation du texte authentique en espagnol ne peuvent pas être défendus au regard de la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’État partie cite l’article 33 de la Convention, mais il ne semble pas accepter que, lorsque le texte d’un traité fait foi dans plusieurs langues, tous les textes sont présumés avoir le même sens à moins que n’apparaisse une différence qui ne puisse être résolue en application des règles établies aux articles 31 et 39 de la Convention.

5.3Les différences entre les textes authentiques, dont le texte espagnol, doivent être éliminées en conciliant les textes compte tenu de l’objet et du but du Pacte et du Protocole facultatif, à la lumière des principes de la bonne foi, de l’effet utile et pro persona. Étant donné que le Protocole facultatif établit une procédure qui constitue en elle-même un moyen, parmi d’autres, pour que les personnes disposent d’un recours utile afin de faire valoir leurs droits, ces différences doivent être résolues en favorisant la recevabilité des communications qui visent à protéger les personnes et leurs droits.

5.4L’auteur maintient que sa position concernant le paragraphe2a) de l’article5 du Protocole facultatif concorde avec l’interprétation de la portée de cette règle qui prévaut, c’est-à-dire que la seule cause acceptable d’irrecevabilité d’une communication est le fait que la question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, à moins qu’une déclaration ou une réserve n’ait été formulée en temps voulu. Par exemple, plusieurs États parties d’autres régions, notamment deux dont la langue officielle est l’espagnol, ont formulé des réserves ou déclarations concernant cette disposition.

5.5La pratique suivie ultérieurement dans l’application du Protocole facultatif confirme l’interprétation exposée plus haut, comme en témoignent en particulier l’acceptation de la jurisprudence du Comité dans le cas des communications qui soulève des questions déjà traitées par une autre instance internationale, ainsi que l’acceptation de la règle énoncée à l’alinéa e de l’article 96 du Règlement intérieur du Comité. Il appartient au Comité de déterminer sa propre compétence.

5.6Au sujet des observations de l’État partie sur l’article3 du Protocole facultatif, l’auteur répond qu’aux fins de la recevabilité d’une communication l’important n’est pas que la question ait déjà été soumise à l’examen d’une autre instance internationale puisque le Comité est habilité à connaître de ces affaires en vertu des règles qui régissent sa compétence. De plus, la présentation de la communication ne constitue pas un abus de droit au sens de l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité, puisque les recours internes ont été épuisés le 11mars 2008 seulement, avec l’arrêt de la Cour suprême de justice refusant de faire droit au recours en amparo. De surcroît, la procédure internationale devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est achevée le 2novembre 2011 seulement.

5.7L’argument de l’État partie qui fait valoir que la communication est irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif parce que la même question a déjà été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au titre de dispositions identiques en substance n’est pas un motif d’irrecevabilité prévu par le Protocole facultatif. La similitude que peuvent avoir les droits énoncés dans divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ne saurait être un obstacle pour empêcher les personnes qui s’estiment victimes de violations de leurs droits de chercher à obtenir réparation. Au contraire, conformément au principe pro persona, aucune disposition d’un instrument international relatif aux droits de l’homme ne peut pas servir de prétexte pour réduire les normes de protection plus favorables appliquées par une autre instance, ce qui vaut pour les procédures en place pour protéger les droits.

5.8La Commission interaméricaine des droits de l’homme n’a pas rendu de décision sur le fond de la plainte mais s’est limitée à faire une analyse sommaire pour conclure à son irrecevabilité, sans que cela préjuge le fond de la plainte.

5.9Pour ce qui est du fond, l’auteur réaffirme ses griefs et maintient que ceux-ci n’ont pas été réfutés par l’État partie.

5.10La distinction établie entre l’information traitée et l’information à l’état brut, par la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour examiner s’il y avait eu violation du droit d’accès à l’information, n’est pas pertinente puisque l’article 6, paragraphe A, section I, de la Constitution du Mexique dispose comme règle générale que toute information en possession d’une autorité quelconque est considérée comme publique, sans faire de distinction entre l’information consistant en données traitées et l’information consistant en données brutes.

5.11De plus, on ne peut pas exiger de l’auteur qu’il apporte des preuves montrant pourquoi l’accès à l’information traitée dans les procès-verbaux électoraux était insuffisant ou sans utilité étant donné que, conformément à l’article 6, paragraphe A, section III, de la Constitution, il n’est pas nécessaire de prouver un intérêt quelconque ou de justifier l’utilisation qui allait être faite de l’information publique à laquelle l’auteur demandait à avoir accès.

5.12Il est inutile de spéculer sur la question de savoir si la possibilité de consulter les résultats des élections ou les procès-verbaux électoraux respecte ou pourrait respecter le droit d’avoir accès à l’information que l’auteur avait demandé par intérêt de journaliste, étant donné que les résultats en question et les bulletins de vote sont des documents distincts. En particulier, cette position ne peut pas être défendue vu le risque supposé d’une altération possible de l’information à l’état brut, comme l’a fait valoir la Commission interaméricaine des droits de l’homme. La destruction des bulletins de vote porte atteinte au droit d’avoir accès à l’information garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Conformément à l’Observation générale no 34 du Comité, sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression (CCPR/C/GC/34), le droit d’accès à l’information couvre toutes les formes de documents, quelles que soient la forme sous laquelle ces documents sont stockés, leur source et leur date de production. De plus, la Constitution du Mexique reconnaît que le devoir de préserver les documents en possession des autorités est un fondement de ce droit, qu’il s’agisse de données à l’état brut ou traitées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que la même question a été soumise par l’auteur à la Commission interaméricaine des droits de l’homme, laquelle a déclaré sa plainte irrecevable faute d’éléments montrant une présomption de violation des droits protégés par la Convention américaine des droits de l’homme.

6.3Le Comité estime que le texte en espagnol du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, qui dispose que le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que «el mismo asunto no ha sido sometido» (c’est-à-dire «la même question n’a pas été soumise») à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, peut donner lieu à une interprétation du sens de cet alinéa différente en espagnole et dans les autres langues. Le Comité considère que cette différence doit être résolue conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l’article 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, en adoptant le sens qui concilie le mieux les textes authentiques, compte tenu de l’objet et du but du traité. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle les termes «ha sido sometido», dans la version espagnole, doivent être interprétés à la lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité doit s’assurer que la même question «n’est pas déjà en cours d’examen» par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il considère que cette interprétation concilie le sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 des textes qui, comme il est indiqué au paragraphe 1 de l’article 14 du Protocole facultatif, font également foi. Par conséquent, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce que la communication soit déclarée recevable conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui affirme que, avec l’arrêt rendu par la Cour suprême de justice le 11 mars 2008 déclarant irrecevable son recours en amparo, tous les recours internes ont été épuisés. En l’absence d’observations de l’État partie à ce sujet, le Comité considère qu’aucun obstacle ne s’oppose à la recevabilité de la présente communication, au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article3 du Protocole facultatif car elle constitue un abus du droit de présenter une communication du fait qu’elle a été soumise près de sixans après épuisement du dernier recours interne, et qu’elle vise à faire du Comité un organe de révision d’une décision rendue par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Le Comité note que la Commission interaméricaine a déclaré irrecevable la plainte de l’auteur le 2 novembre 2011 et que, plus tard, le25octobre 2012, l’auteur a présenté sa communication au Comité. En conséquence, comme lacommunication a été présentée dans un délai inférieur à trois ans après l’achèvement de l’autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, le Comité considère, conformément à l’article 96 c) de son règlement intérieur, que la date de présentation de la communication au regard de l’épuisement des recours internes et de la décision rendue par un autre organe international ne représente pas un abus du droit de présenter une communication.

6.6Le Comité note que d’après l’auteur le refus par l’Institut fédéral électoral de donner suite à sa demande de consulter les bulletins inutilisés, valables et nuls dans tous les bureaux de vote mis en place pour les élections présidentielles de 2006, ainsi que les dispositions législatives qui prévoient la destruction des bulletins après l’achèvement du processus électoral, constituent une violation de son droit d’accéder à l’information énoncé au paragraphe2 de l’article19 du Pacte, ce refus n’est pas justifié en vertu du paragraphe3 de l’article19 du Pacte, et, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, l’accès aux procès-verbaux électoraux ne pouvait remplacer l’information demandée. Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé le grief tiré de l’article19 du Pacte, aux fins de la recevabilité.

6.7En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14, le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que l’arrêt par lequel la Cour suprême de justice a rejeté son recours constituait une violation du droit à un recours utile. Le Comité considère que ce grief n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend également note de l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 2, parce que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire en sorte que sa législation nationale, qui prévoit la destruction des bulletins de vote après la fin du scrutin au lieu d’ordonner que ceux-ci soient conservés dans des archives accessibles à tous, protège le droit d’accès à l’information publique. Le Comité rappelle sa jurisprudence à ce sujet, selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que les griefs de l’auteur à cet égard sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui fait valoir que le droit d’accès à l’information était garanti à l’auteur par la mise à disposition des procès-verbaux du scrutin, que tous ces documents reflètent la volonté des électeurs, que la diffusion publique et la transparence des résultats des élections sont garanties par les dispositions pertinentes du Code fédéral des institutions et procédures électorales puisque, dès que le dépouillement du scrutin et le comptage des voix sont terminés, les résultats des élections sont publiés dans des avis et également consignés dans les procès-verbaux électoraux. L’État partie indique toutefois que les bulletins de vote proprement dits ne sont pas mis à la disposition du public, que la loi prévoit leur destruction une fois que le processus électoral est achevé, que la destruction des bulletins de vote ne peut pas être considérée comme une atteinte au droit d’accès à l’information et qu’il s’agit d’une mesure rationnelle qui reflète le caractère définitif des élections et supprime les frais de gestion et de conservation des bulletins de vote.

7.3Le Comité note également le grief de l’auteur pour qui l’État partie a violé le droit de rechercher des informations consacré au paragraphe2 de l’article19 du car le fait de lui refuser l’accès aux bulletins de vote valables, inutilisés et nuls provenant de tous les bureaux de vote mis en place pour les élections présidentielles de 2006 a constitué de la part de l’État partie une restriction excessive de ce droit, vu l’absence de motifs raisonnables ou suffisamment sérieux justifiant cette restriction, étant donné que toutes les informations détenues par un organisme public, quel qu’il soit, sont publiques et que l’accès à ces informations ne peut être limité qu’à titre provisoire et exceptionnel. En l’espèce, l’objet de la demande de l’auteur ne constituait pas une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public ou les droits d’autrui. Par conséquent, ce droit ne pouvait pas être restreint en vertu du paragraphe3 de l’article19 du Pacte. En outre, l’auteur estime que les personnes qui demandent à avoir accès à des informations publiques n’ont pas à expliquer les raisons de leur intérêt ni à justifier l’usage qu’elles ont l’intention de faire de ces informations.

7.4Le Comité rappelle que le droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics englobe les dossiers détenus par un organisme public, quelles que soient la forme sous laquelle l’information est stockée, la source et la date de production (CCPR/C/GC/34, par. 18) et que les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à cette information (ibid., par. 19).

7.5Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que toute restriction à la liberté d’expression doit satisfaire à l’ensemble des conditions suivantes, énoncées au paragraphe3 de l’article19 du Pacte: elle doit être fixée par la loi, répondre à un des buts énumérés aux alinéas a et b du paragraphe3 et être nécessaire pour atteindre un de ces buts.

7.6Le Comité relève que l’auteur fait valoir qu’il a demandé l’accès aux bulletins de vote afin d’évaluer l’exactitude avec laquelle le contenu des bulletins de vote avait été consigné dans les procès-verbaux des bureaux de vote et de détecter d’éventuelles anomalies au cours du processus, dans la seule intention d’assurer la transparence de l’administration publique et d’évaluer la manière dont les autorités électorales s’acquittent de leur mandat. Le Comité note aussi que le Comité d’information de l’Institut fédéral électoral a rejeté la demande de l’auteur qui souhaitait avoir accès aux bulletins de vote. L’Institut a toutefois mis à sa disposition les procès-verbaux des opérations de vote établis par des citoyens choisis au hasard dans chaque bureau de vote des 300 circonscriptions électorales du pays. Selon la législation mexicaine, ces relevés indiquent le nombre de voix obtenues par chaque candidat, le nombre de bulletins nuls et le nombre de bulletins inutilisés. La loi veut que le dépouillement du scrutin ait lieu en présence de représentants des partis politiques, ainsi que d’observateurs électoraux accrédités, dans certains cas, et les résultats provenant de chaque bureau de vote peuvent être contestés et soumis au réexamen d’autorités supérieures, ce qui s’est effectivement produit lors des élections présidentielles de 2006, où les résultats initiaux ont été en partie réexaminés par le Tribunal électoral.

7.7Étant donné l’existence d’un dispositif prévu par la loi pour vérifier le comptage des voix, dispositif qui a été utilisé lors des élections en question, le fait que l’auteur a eu à sa disposition les procès-verbaux des opérations de vote établis par des citoyens choisis au hasard dans chaque bureau de vote des 300 circonscriptions électorales du pays, la nature de l’information et la nécessité de préserver son intégrité et la complexité de la tâche pour donner à l’auteur accès aux informations demandées, le Comité constate que le refus de lui accorder l’accès à l’information qu’il demandait, sous la forme des bulletins de vote proprement dits, visait à garantir l’intégrité du processus électoral dans une société démocratique. Cette mesure constituait une restriction imposée par l’État partie qui était proportionnée, nécessaire pour protéger l’ordre public conformément à la loi et pour donner effet aux droits des électeurs énoncés à l’article 25 du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité considère par conséquent que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

I.Opinion individuelle (concordante) de M. Gerald L. Neuman

Je suis entièrement d’accord avec les constatations du Comité dans la communication no 2202/2012, mais j’y joins la présente opinion individuelle pour ajouter quelques observations au sujet de l’éclairage que le Comité, par son analyse, apporte à mon avis sur le droit d’obtenir communication d’informations détenues par des organismes publics.

Il est communément accepté que l’élément central du droit à la liberté d’expression garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte est le droit de communiquer qui existe entre quiconque est disposé à parler et quiconque est disposé à écouter. Le Comité interprète aussi le paragraphe 2 de l’article 19, notamment à la lumière de l’article 25, comme incluant un droit subsidiaire d’accès à l’information détenue par des organismes publics qui préféreraient ne pas la divulguer (CCPR/C/GC/34, par. 18). Ce droit ne découle pas de la simple application des termes «droit ... de recevoir ... des informations» qui, au paragraphe 2, expriment le droit, plus strictement protégé, de recevoir des communications données volontairement.

Dans ses constatations en l’espèce, le Comité se réfère, entre autres facteurs, à la complexité de la tâche qu’il aurait fallu accomplir pour communiquer les informations, très volumineuses, demandées par l’auteur et aux problèmes découlant de la nécessité de préserver l’intégrité des bulletins de vote, l’auteur ayant demandé à voir les originaux et non des copies. De tels facteurs sont souvent pertinents pour évaluer le caractère raisonnable et la proportionnalité des restrictions à l’accès à l’information.

Dans la présente affaire, un autre facteur entre en ligne de compte: l’intégrité du processus électoral et le désordre qui s’ensuivrait si chaque citoyen était autorisé à recompter les bulletins de vote à titre privé. Conjuguées aux autres facteurs, ces considérations l’emportent sur le droit de l’auteur d’obtenir communication d’informations. Mais le Comité ne dit assurément pas que l’article 19 autoriserait un État partie à censurer des critiques portant sur la conduite d’un processus électoral, qui seraient fondées sur des informations déjà communiquées.

(Signé) Gerald L. Neuman

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

II.Opinion individuelle de M. Yuval Shany

Je suis d’accord avec le Comité sur le fait que, compte tenu des circonstances de l’affaire, le refus de l’État partie d’accéder à la demande de l’auteur de la communication qui voulait avoir accès à tous les bulletins de vote n’a pas constitué une atteinte au Pacte en raison d’une part de l’ampleur exceptionnelle de la demande et d’autre part de la crainte légitime que la réalisation d’une telle demande ne fasse peser un fardeau excessif sur l’État et ne compromette sa capacité d’établir le résultat définitif des élections.

Toutefois, j’ai des réserves sur les termes employés par le Comité au paragraphe 7.7 de ses constatations, qui donnent à penser que «l’existence d’un dispositif prévu par la loi pour vérifier le comptage des voix … qui a été utilisé lors des élections en question» a été un élément important dans la conclusion qu’aucune violation des dispositions du Pacte n’a été commise. Cela peut laisser entendre, selon moi à tort, que la liberté de rechercher et de recevoir des informations d’ordre public dépend généralement de la capacité d’un individu de prouver que son exercice de cette liberté a une utilité sociale, ou que cette liberté ne s’applique pas aux informations de nature électorale détenues par des organismes publics s’il y a d’autres mécanismes chargés de surveiller les élections.

Le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte protège «la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce». Le Comité a précisé dans son Observation générale no 34 que cette liberté s’appliquait aux «dossiers détenus par un organisme public, [quelle que soit] la forme sous laquelle [l’information] est stockée» (CCPR/C/GC/34, par. 18). Il n’y a pas lieu de douter que les bulletins de vote sont généralement visés par le paragraphe 2 de l’article 19. Les bulletins de vote constituent une forme particulière d’informations détenues par un organisme public, contenant des renseignements importants sur les préférences des électeurs, exprimées lors du scrutin. En sus des procès-verbaux des opérations de vote et des résultats communiqués par les bureaux de vote, l’accès aux informations obtenues par la consultation des bulletins de vote aurait permis à l’auteur d’évaluer la manière dont les organes électoraux fédéraux du Mexique (dont le fonctionnement favorise la mise en œuvre de l’article 25 du Pacte) s’étaient acquittés de leur tâche.

La demande présentée par l’auteur pour obtenir les bulletins de vote constitue donc une manifestation de l’exercice de sa liberté de rechercher et de recevoir des informations au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, laquelle, comme d’autres formes d’exercice de la liberté d’expression, n’a pas besoin d’être justifiée prima facie ni motivée pour pouvoir être exercée (sous réserve des éventuelles restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 9). De surcroît, il semblerait que dans les circonstances de l’espèce, les informations demandées auraient pu procurer à l’auteur des informations précieuses sur le plan social concernant la prestation des autorités électorales fédérales et les différentes garanties d’équité qu’elles offraient. Ainsi, la liberté de rechercher et de répandre des informations sur les résultats électoraux est généralement protégée par l’article 19 du Pacte. Qui plus est, compte tenu de l’importance qu’il y a à encourager un débat public éclairé sur les dispositifs par lesquels les élections sont conduites et surveillées, l’État partie aurait dû accorder un degré de protection élevé à la liberté de l’auteur d’obtenir communication des bulletins de vote.

Néanmoins, comme les autres droits consacrés par le Pacte, la liberté de rechercher et de recevoir des informations au titre du paragraphe 2 de l’article 19 n’est pas absolue, même lorsqu’elle vise à promouvoir d’importants intérêts publics. En effet, conformément au paragraphe 3 de l’article 19, cette liberté peut être soumise à certaines restrictions, fixées par la loi, qui seraient nécessaires: a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Ces restrictions peuvent consister aussi à imposer le paiement de frais, qui ne doivent pas être de nature à constituer un obstacle déraisonnable à l’accès à l’information (voir CCPR/C/GC/34, en particulier par. 19), et doivent toujours être nécessaires et proportionnées à leur objectif.

Compte tenu des particularités de l’affaire, je conviens avec les autres membres du Comité qu’en raison de l’ampleur de la demande présentée par l’auteur, qui voulait examiner tous les bulletins de vote, il était particulièrement difficile à l’État partie d’y accéder, par un moyen qui soit réalisable sur le plan logistique tout en garantissant la confidentialité du processus électoral. Du fait des importants problèmes pratiques que pose la nécessité de donner accès aux bulletins de vote sans porter préjudice à l’intégrité du processus (par exemple sous la supervision de l’État) et de l’intérêt légitime de l’État partie à établir les résultats définitifs du scrutin dans un délai relativement court, la restriction imposée à la liberté de l’auteur de pouvoir consulter tous les bulletins de vote est raisonnable et proportionnée et donc compatible avec l’exception relative à l’ordre public prévue au paragraphe 3 de l’article 19. Par conséquent, je suis moi aussi d’avis qu’aucune violation de l’article 19 du Pacte n’a été commise dans les circonstances de l’espèce.

(Signé) Yuval Shany

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]