Nations Unies

CCPR/C/102/D/1545/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

1er septembre 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1545/2007

Présentée par:

Ahmet Gunan (représenté par un conseil, Mme Nina Zotova)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

29 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 février 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 juillet 2011

Objet:

Condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Questions de procédure:

Néant

Questions de fond:

Droit à un recours utile; droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté et à la sécurité; droit à un procès équitable; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et droit de communiquer avec le conseil de son choix; droit à l’assistance d’un conseil; témoignage de l’accusé contrelui-même

Articles du Pacte:

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 3 b), d) et g))

Article du Protocole facultatif:

Néant

Le 25 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1545/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1545/2007 **

Présentée par:

Ahmet Gunan (représenté par un conseil,Mme Nina Zotova)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Kirghizistan

Date de la communication:

29 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1545/2007 présentée au Comité de droits de l’homme au nom d’Ahmet Gunan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 29 janvier 2007, est Ahmet Gunan, de nationalité turque, né en 1968. Quand il a adressé la communication, il était détenu dans le quartier des condamnés à mort du centre de détention provisoire no 1 de Bichkek. L’auteur affirme être victime d’une violation, par le Kirghizistan, des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2, des articles 6, 7 et 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 21 mai 1998, à Och (Kirghizistan), un individu non identifié a abandonné un sac contenant un engin explosif artisanal dans un minibus. La personne avait demandé au chauffeur de l’attendre mais n’avait pas réapparu au moment du départ, et le chauffeur avait remis le sac à une personne de confiance pour qu’elle le restitue à son propriétaire. Personne ne l’ayant réclamé, le sac a été confié à S., le gardien de la mosquée, qui a été chargé de le conserver jusqu’à ce que son propriétaire le réclame. Personne ne se manifestant, le gardien a emporté le sac chez lui. Le 1er juin 1998, l’engin artisanal contenu dans le sac a explosé accidentellement dans la cuisine du gardien; deux personnes ont été tuées et une troisième a été grièvement blessée.

2.2Le 30 mai 1998, vers 22 heures, un individu non identifié a abandonné dans un minibus un autre sac contenant un engin explosif artisanal, qui a explosé trente minutes plus tard, tuant 2 personnes et en blessant 11 autres. Des enquêtes pénales ont été ouvertes le 2 juin et le 31 mai 1998 sur ces deux explosions, respectivement, mais aucun suspect n’a été identifié.

2.3Le 12 juillet 1998, une voiture a été arrêtée par la police à Almaty (Kazakhstan), dans le cadre d’un contrôle de routine. L’auteur de la communication était l’un des quatre passagers. La fouille du véhicule a permis à la police de découvrir un sac en plastique contenant 1 grenade, 8 engins explosifs artisanaux, 7 détonateurs artisanaux, des détonateurs électriques, 1 batterie pour détonateur et 1 pistolet «Makarov». Des poursuites pénales ont été engagées au Kazakhstan contre l’auteur et les trois autres passagers pour acquisition, stockage et transport illégaux d’objets interdits. Le 11 février 1999, après avoir examiné l’affaire de l’auteur, le tribunal du district d’Auezovsk, à Almaty, l’a renvoyée au Bureau du Procureur pour complément d’enquête et élimination des vices de procédure qui avaient entaché l’enquête préliminaire.

2.4Entre-temps, l’enquête pénale menée par les autorités kirghizes sur les explosions a permis d’établir un lien entre l’un des suspects, un certain A., et l’auteur (qui avait été arrêté le 12 juillet 1998 au Kazakhstan). Le 25 novembre 1998, la police judiciaire de la région d’Och a conclu que l’auteur devait être arrêté parce qu’il était soupçonné d’actes terroristes, et le Procureur de la région d’Och a approuvé cette arrestation. Le 2 février 1999, en application de la Convention relative à l’entraide judiciaire et aux relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale (adoptée à Minsk le 22 janvier 1993), les autorités kirghizes ont présenté au Procureur général du Kazakhstan une demande d’extradition de l’auteur et des trois autres personnes qui avaient été arrêtées avec lui à Almaty. Le 14 mai 1999, l’auteur a été extradé du Kazakhstan au Kirghizistan et placé dans le centre de détention provisoire no 1 de Bichkek.

2.5Le lendemain, l’auteur a été conduit à la police de Pervomaï. Il affirme qu’il a été encagoulé avec un sac en plastique noir et qu’il a été soumis à différentes formes de mauvais traitements par des agents du Service de la sécurité nationale. Il a été frappé à coups de bâton sur tout le corps. Un policier lui a également donné des coups de matraque sur la plante des pieds pendant que deux de ses collègues lui tenaient les pieds. Après trois jours de ce traitement, l’auteur avait les pieds enflés et des douleurs du squelette au point de ne pas pouvoir marcher et il a dû être porté par deux hommes de sa cellule jusqu’au bureau de l’enquêteur. En outre, il ne pouvait pas mâcher car il avait la mâchoire démise. Incapable de supporter les tortures, l’auteur a signé, en l’absence d’un avocat, plusieurs dépositions dans lesquelles il reconnaissait sa culpabilité, avouant, entre autres, avoir participé à un camp d’entraînement militaire en Tchétchénie avec les autres coïnculpés. Bien qu’ils se soient tous rétractés à l’audience, affirmant que les aveux avaient été obtenus par la torture et montrant les marques des mauvais traitements sur leurs corps, les dépositions en question ont été utilisées à charge par les juges: le tribunal de première instance a conclu que l’auteur avait participé avec les autres coaccusés à un camp d’entraînement militaire en Tchétchénie et qu’ils avaient créé et dirigé une organisation criminelle spécialisée dans les actes de terrorisme. Après les interrogatoires, ils ont tous été ramenés au centre de détention provisoire no 1, dont les agents ont refusé d’accepter l’auteur dans l’établissement en raison de son état. Après de longues négociations, l’auteur leur a été finalement remis par les policiers de Pervomaï.

2.6À une date non précisée, l’auteur a été transféré à Och, où il a été de nouveau soumis à des tortures systématiques par les agents du Service de la sécurité nationale. L’enquêteur, un certain T., a frappé l’auteur en présence d’une avocate qu’il lui avait lui-même assignée pour assurer sa défense. À un moment donné, T. a visé l’auteur à la tête avec un pistolet en menaçant de l’abattre. Par peur, l’auteur n’a pas formé de plainte pour dénoncer spécifiquement les actes de torture qu’il avait endurés et n’a pas demandé à être examiné par un médecin au cours de l’enquête préliminaire. Le conseil commis d’office par le Service de la sécurité nationale n’a présenté aucune plainte non plus. Néanmoins, l’auteur fait valoir que lui-même et ses coaccusés ont montré publiquement les marques des mauvais traitements sur leurs corps durant la procédure de recours devant la chambre d’appel en matière pénale du tribunal régional d’Och le 3 août 2000, et qu’ils ont affirmé avoir été contraints à signer le procès-verbal de l’interrogatoire conduit en l’absence d’un avocat (pour plus de précisions, voir par. 2.7).

2.7Le 3 mai 2000, le tribunal municipal d’Och a reconnu l’auteur coupable du meurtre de quatre personnes, d’actes de terrorisme, d’appartenance à une organisation criminelle, et d’acquisition et de stockage illégaux d’armes et d’explosifs, et l’a condamné à vingt-deux ans d’emprisonnement. L’auteur et ses coaccusés ont plaidé non coupables. L’auteur n’a jamais reconnu sa responsabilité dans les explosions d’Och, assurant qu’il était innocent et qu’il ne s’était jamais rendu à Och ni ailleurs au Kirghizistan auparavant (comme le montrent ses documents de voyage). Le tribunal de première instance, de même que les juridictions supérieures, n’a produit aucune preuve contraire et a simplement conclu que l’auteur avait passé la frontière illégalement. D’après le compte rendu d’audience en première instance, l’auteur est revenu sur sa déposition dans laquelle il reconnaissait avoir participé à un camp d’entraînement militaire en Tchétchénie, affirmant qu’il avait fait cette déposition sous l’effet de pressions physiques et psychologiques et qu’aucun avocat n’assistait aux interrogatoires. Ce fait a été confirmé par son avocate, qui a indiqué que l’auteur n’avait fait aucune déposition concernant la Tchétchénie en sa présence. Interrogée à propos de la signature du procès-verbal d’interrogatoire, l’avocate a déclaré que cette signature était similaire à la sienne, mais elle a soutenu que l’auteur n’avait jamais fait de déposition concernant la Tchétchénie en sa présence. Le tribunal a considéré que les griefs de l’auteur qui se plaignait d’avoir subi des mauvais traitements et d’avoir été contraint à des aveux étaient dénués de fondement et n’étaient pas corroborés par des éléments du dossier, et a conclu que ces griefs avaient été formulés pour échapper à la responsabilité pénale.

2.8L’auteur a fait appel du jugement devant le tribunal régional d’Och. Le 3 août 2000, la chambre d’appel en matière pénale de cette juridiction a annulé la décision du tribunal de première instance et renvoyé l’affaire au tribunal municipal d’Och pour nouvel examen. La décision a été annulée aux motifs suivants: 1) appréciation incomplète des circonstances factuelles de l’espèce et des éléments de preuve par la juridiction de première instance; 2) absence de tout élément de preuve concernant l’appartenance de l’auteur et des autres coaccusés à l’organisation criminelle «Ozadlyk Sharki Turkestan» (Turkestan oriental libre) ou la simple existence de cette organisation; 3) interrogatoire de l’auteur en l’absence d’un avocat; absence d’enquête sur les allégations de l’auteur qui affirme qu’il a subi des mauvais traitements et que la déposition dans laquelle il reconnaissait sa culpabilité a été obtenue par des pressions physiques et psychologiques; absence de production par le Procureur de tout élément de preuve concret infirmant les arguments de l’auteur (et de ses coaccusés). Le 9 janvier 2001, à la suite de l’objection présentée par le Bureau du Procureur, la Cour suprême a annulé les décisions rendues par le tribunal municipal et le tribunal régional d’Och et l’affaire a été renvoyée une fois encore au tribunal municipal d’Och pour nouvel examen.

2.9Le 12 mars 2001, le tribunal municipal d’Och, siégeant à huis clos, a condamné l’auteur à la peine de mort. Le tribunal a établi un lien entre les explosions qui avaient eu lieu en mai 1998 à Och, au Kirghizistan, et la saisie d’explosifs au Kazakhstan le 12 juillet 1998, et il a fondé sa décision sur les motifs suivants: 1) la participation de l’auteur et de ses coaccusés à un camp d’entraînement militaire en Tchétchénie et leur appartenance supposée à l’organisation criminelle «Ozadlyk Sharki Turkestan» (Turkestan oriental libre); 2) l’analogie présumée entre les engins explosifs artisanaux découverts au cours de la fouille de la voiture au Kazakhstan et ceux utilisés dans les explosions d’Och, bien que deux analyses de la police scientifique aient établi des ressemblances, mais également des différences entre ces dispositifs; 3) la saisie, dans l’appartement loué par l’un des coaccusés à Almaty, de certains documents contenant des informations sur les méthodes de fabrication d’engins explosifs, même s’il a été établi que ces documents n’appartenaient pas à l’auteur; 4) l’existence d’une carte du Kirghizistan sur laquelle la ville d’Och était désignée comme une cible, dont l’auteur dit qu’elle a été fabriquée de toutes pièces. Le tribunal a déclaré que la culpabilité de l’auteur et celle des autres coaccusés étaient établies par les dépositions des victimes et les déclarations des témoins. Toutefois, l’auteur indique qu’aucune des victimes et aucun des témoins n’a déclaré qu’il le connaissait ou qu’il l’avait vu à un moment quelconque sur les lieux du crime ou dans la ville d’Och. La description donnée par les témoins de la personne vue dans le minibus (qui a abandonné le sac contenant des explosifs le 30 mai 1998, voir par. 2.2) ne correspondait pas à celle de l’auteur ni à celle des autres coaccusés. Le tribunal n’a pas tenu compte de ces incohérences et a conclu que l’organisation criminelle «Ozadlyk Sharki Turkestan» (Turkestan oriental libre), avec l’aide d’un individu non identifié, avait placé un engin explosif artisanal dans un minibus dans la ville d’Och le 21 mai 1998; ayant appris que la bombe n’avait pas explosé, la même organisation criminelle a placé une deuxième bombe dans un minibus le 30 mai 1998, avec l’aide de B. A.. L’auteur affirme que le jugement du tribunal s’appuyait uniquement sur des affirmations sans fondement et était influencé par l’opinion publique et la situation politique dans le pays.

2.10Le jugement a été confirmé par la chambre d’appel en matière pénale du tribunal régional d’Och le 18 mai 2001. L’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen de sa condamnation par une juridiction supérieure le 15 juin 2001. Le 18 septembre 2001, la Cour suprême a confirmé les décisions de justice antérieures et a rejeté la demande de l’auteur.

2.11L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et que la même question n’a pas été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que les droits qu’il tient de l’article 6 ont été violés du fait qu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable.

3.2L’auteur affirme qu’il est innocent et que son arrestation et sa détention constituent donc une violation du droit à la liberté et à la sécurité consacré par l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteur allègue également une violation des droits qu’il tient de l’article 7, du paragraphe 3 g) de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 10 du fait qu’il a été torturé et a été contraint à signer des dépositions par lesquelles il reconnaissait sa culpabilité. Les tribunaux et le procureur n’ont pas conduit d’enquête sur ses allégations de mauvais traitements et ont rejeté ses griefs pour défaut de fondement.

3.4L’auteur fait valoir que les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés, étant donné qu’il n’a pas eu droit à une procédure équitable de détermination du bien-fondé des accusations en matière pénale portées contre lui. Il affirme que l’examen de son affaire par les juridictions kirghizes était partial et que les tribunaux ont manqué d’impartialité et étaient soumis à des influences politiques. Les tribunaux n’ont pas démontré qu’il y avait un lien entre la saisie d’explosifs au Kazakhstan et les explosions qui ont eu lieu au Kirghizistan et ils ont fondé leurs conclusions exclusivement sur des affirmations dénuées de fondement. Ils n’ont pas établi les motifs que l’auteur aurait eus pour organiser des actes terroristes au Kirghizistan pas plus qu’ils n’ont apporté la preuve de son appartenance à une organisation criminelle ni même de l’existence d’une telle organisation. L’appréciation des faits et des éléments de preuve était entachée d’irrégularités et arbitraire et les incohérences dans les dépositions des témoins n’ont pas été prises en considération. Aucun élément digne de foi n’a été apporté à l’appui de sa culpabilité et il a été ainsi condamné à tort. L’auteur affirme que, conformément à l’article 16 du Code de procédure pénale du Kirghizistan, le moindre doute qui ne peut pas être levé à l’audience doit bénéficier à l’accusé.

3.5L’auteur affirme qu’il n’a pas été informé de ses droits au moment où il a été arrêté et qu’il n’a pas été assisté d’un conseil dès son arrestation. Il a été extradé au Kirghizistan le 14 mai 1999, a subi des interrogatoires soutenus en l’absence d’un avocat et a été torturé par des policiers et des enquêteurs. Une avocate lui a été assignée le 30 juillet 1999 seulement, après qu’il eut fait sous la pression des dépositions dans lesquelles il reconnaissait sa culpabilité. L’auteur affirme également qu’à différents stades de la procédure judiciaire il s’est heurté à des difficultés pour consulter les documents figurant dans le dossier, dont la plupart n’étaient pas traduits en turc (par exemple les comptes rendus d’audience). Il ne parlait ni le russe ni le kirghize et n’était donc pas en mesure de s’assurer que les comptes rendus d’audience et les autres documents judiciaires reflétaient correctement ses déclarations et les dépositions des témoins. Son avocate n’a pas pu obtenir copie des requêtes présentées par le Procureur régional d’Och et le Procureur général de la République kirghize, ce qui a privé l’auteur de la possibilité de présenter des objections par écrit à la Cour suprême. L’auteur soutient que les faits susmentionnés constituent une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

3.6Enfin, l’auteur fait valoir une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte du fait qu’il n’a pas disposé d’un recours utile.

Défaut de coopération de l’État partie

4.L’État partie a été invité à présenter ses observations sur la recevabilité ou sur le fond de la communication en février 2007 et des rappels lui ont été adressés en ce sens le 28 avril 2008, le 1er octobre 2009, le 1er septembre 2010 et le 4 février 2011. Le Comité note que ces informations n’ont toujours pas été reçues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et présenter par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’ils pourraient avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où celles-ci ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que, selon les informations données par l’auteur, ce dernier a porté ses griefs à l’attention des autorités qui ont examiné l’affaire pénale. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont également été remplies.

5.4Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire du paragraphe 3 de l’article 2, des articles 6, 7 et 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que la communication est recevable, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

6.2Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme qu’il a été torturé par des policiers et des enquêteurs durant ses interrogatoires et qu’il a été contraint à signer, en l’absence d’un avocat, des dépositions contre lui-même dans lesquelles il reconnaissait, entre autres, avoir participé à un camp d’entraînement militaire en Tchétchénie. L’auteur donne des informations détaillées concernant les actes de torture qu’il a subis. Il affirme qu’on lui a refusé, dans un premier temps, l’accès au centre de détention provisoire no 1 compte tenu de son état physique et que, au procès en première instance, il est revenu sur la déclaration qu’il avait faite sous l’effet de pressions physiques et psychologiques. Finalement, l’accusation et les juges n’ont pas tenu compte de sa plainte. À ce sujet, le Comité rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Bien que les griefs de l’auteur touchant aux actes de torture et aux aveux forcés soient mentionnés dans les décisions de tous les tribunaux qui ont examiné l’affaire pénale, ils ont en fin de compte été rejetés au motif qu’ils étaient infondés, qu’ils n’étaient pas corroborés par des éléments du dossier et qu’ils avaient été formulés pour échapper à la responsabilité pénale. Rien dans les décisions de justice n’indique que les griefs ont fait l’objet d’une enquête. Le Comité considère donc que les autorités compétentes de l’État partie n’ont pas accordé une attention appropriée et diligente aux griefs de torture que l’auteur a présentés dans le cadre des procédures pénales internes. Dans ces circonstances, et en l’absence de toute observation de l’État partie sur les griefs spécifiques de l’auteur, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion, le Comité n’examinera pas séparément le grief de l’auteur tiré du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.3L’auteur affirme qu’il a été extradé au Kirghizistan le 14 mai 1999 et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil jusqu’au 30 juillet 1999. Dès son arrestation, il a subi plusieurs interrogatoires en l’absence d’un avocat. De plus, la défense n’a pas pu obtenir copie des requêtes adressées par le Bureau du Procureur à la Cour suprême, ce qui a privé l’auteur du droit de soulever des objections concernant ces requêtes. Le Comité note que ces allégations sont confirmées par les éléments qui lui ont été communiqués par l’auteur. Il rappelle à ce propos que, le 3 août 2000, le tribunal régional d’Och a annulé la décision du tribunal de première instance au motif, entre autres, que les interrogatoires de l’auteur avaient été conduits en l’absence d’un avocat (voir par. 2.8). En l’absence de toute information de l’État partie qui contredirait les allégations précises de l’auteur et en l’absence de toute autre information utile dans le dossier, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. En conséquence, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés car les tribunaux, entre autres choses, n’ont pas dûment pris en considération les incohérences dans les dépositions des témoins et n’ont pas démontré qu’il y avait un lien entre la saisie d’explosifs au Kazakhstan et les explosions qui avaient eu lieu au Kirghizistan. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que c’est en général aux juridictions des États parties et non au Comité qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, à moins qu’il ne puisse être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits ou des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, il ressort des informations dont le Comité dispose, qui n’ont pas été contestées par l’État partie, que l’appréciation des éléments de preuve à charge par les juridictions nationales montre que celles-ci n’ont pas respecté les garanties d’un procès équitable énoncées au paragraphe 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité constate que le procès de l’auteur a été entaché d’irrégularités qui, prises dans leur ensemble, constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.5Enfin, l’auteur fait valoir une violation du droit à la vie, consacré par l’article 6 du Pacte, du fait qu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Étant donné qu’il a établi une violation de l’article 14, le Comité conclut que l’auteur est également victime d’une violation des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 6, lu conjointement avec l’article 14, du Pacte.

6.6Ayant conclu ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs de violation du paragraphe 3 de l’article 2 et de l’article 9 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’État partie a commis une violation de l’article 6 lu conjointement avec l’article 14, de l’article 7, et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, et notamment de mener une enquête impartiale, effective et approfondie au sujet des allégations de torture et de mauvais traitements et d’engager des poursuites pénales contre les responsables du traitement infligé à l’auteur, d’envisager de juger de nouveau l’auteur en respectant toutes les garanties prévues par le Pacte ou de le remettre en liberté, et de lui offrir une réparation complète, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de M. Rafael Rivas Posada

Le Comité a examiné la communication no 1545/2007 le 25 juillet 2011 et a constaté (par. 7 des constatations) que l’État partie avait commis une violation de «l’article 6 lu conjointement avec l’article 14, de l’article 7 et de l’article 14, et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques».

Je partage l’avis du Comité concernant la violation de l’article 14 du Pacte et des paragraphes 1 et 3 b), d) et g) de cet article car les informations communiquées par l’auteur ne laissent aucun doute à ce sujet. En revanche, j’estime qu’il n’y a pas eu violation directe de l’article 6 puisque l’auteur n’a pas été privé de la vie. Selon mon interprétation du paragraphe 1 de l’article 6, qui consacre le droit à la vie, on ne saurait conclure à une violation directe de cet article puisque l’auteur est en vie. Il est vrai que, dans plusieurs constatations et au paragraphe 59 de son Observation générale no 32, le Comité souligne que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les garanties d’un procès équitable, prévues à l’article 14 du Pacte, n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6. Toutefois, je ne rejoins pas le Comité dans ses conclusions, qui à mon sens ne respectent pas la formulation claire du paragraphe 1, aux termes duquel «nul ne peut être arbitrairement privé de la vie» et qui s’applique donc exclusivement aux cas de privation de la vie.

À l’issue de l’examen de la communication, le Comité aurait dû conclure à une violation du paragraphe 2 de l’article 6, qui porte précisément sur la nécessité de respecter les lois en vigueur quand le crime a été commis; autrement dit, les droits visés à l’article 14 ne doivent pas être violés. Je pense que la formulation correcte aurait dû être la suivante: «constate que l’État partie a commis une violation du paragraphe 2 de l’article 6 lu conjointement avec l’article 14, de l’article 7 et de l’article 14, paragraphes 1 et 3 b), d) et g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques». Le Comité aurait également pu dire, comme il l’a fait à d’autres occasions, qu’il y avait violation de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6.

Le Comité a fait preuve d’incohérence par rapport au paragraphe 6.5 de ses constatations, où il affirme: «Étant donné qu’il a établi une violation de l’article 14, le Comité conclut que l’auteur est également victime d’une violation des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 6 (souligné par moi), lu conjointement avec l’article 14, du Pacte.».

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Yuji Iwasawa et M. Cornelis Flinterman

En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité accorde le crédit voulu aux allégations de l’auteur et conclut qu’il y a eu une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte (par. 6.3). La présente opinion développe le raisonnement sur lequel repose cette conclusion. Le paragraphe 3 de l’article 14 dispose que toute personne a droit «b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix» et «d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix […]». Il y a eu une violation de ces dispositions parce que l’auteur a été extradé le 14 mai 1999 et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat avant le 30 juillet 1999, la défense n’a pas pu obtenir copie des requêtes adressées par le Bureau du Procureur à la Cour suprême et l’auteur a été privé du droit de soulever des objections concernant ces requêtes. L’article 14 garantit le droit de chacun de «communiquer avec son conseil» et exige que «l’accusé ait accès à un conseil dans le plus court délai» (Observation générale no 32, par. 34).

(Signé) Yuji Iwasawa

(Signé) Cornelis Flinterman

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah et M. Fabián Omar Salvioli

Nous ne partageons pas l’idée que le Comité des droits de l’homme doit attendre qu’une personne soit privée de la vie avant de pouvoir légitimement conclure que le droit à la vie inhérent à la personne n’a pas été protégé comme le prescrit l’article 6 du Pacte.

Il est évident qu’une fois que la vie est ôtée par un acte d’un État partie, qu’il s’agisse d’un acte relevant du pouvoir législatif, judiciaire ou exécutif, la personne qui a perdu la vie ne peut pas, physiquement ou de quelque autre manière, porter plainte, et encore moins se prévaloir de l’article 2 du Protocole facultatif pour présenter une communication au Comité. Les conséquences de la mort sont fondamentales et irréversibles. Assurément, le Comité a toujours estimé que les États parties ont pris pour engagement:

De garantir et de protéger, conformément à l’article 2 du Pacte, le droit à la vie inhérent à la personne, comme l’exige l’article 6 du Pacte;

De garantir que ce droit intrinsèque soit protégé par la loi. J’interprète, sans craindre de me tromper, les dispositions expresses des trois premières phrases du paragraphe 1 de l’article 6 comme imposant aux États parties l’obligation de garantir que ce droit inhérent à l’être humain soit effectivement protégé et d’assurer cette protection non seulement par la promulgation d’une loi mais aussi par l’application de cette loi.

C’est sans aucun doute pour les raisons qui viennent d’être exposées que le Comité a considéré, par exemple dans des cas où un individu risquait l’extradition par un État abolitionniste vers un autre État où l’infraction donnant lieu à l’extradition emporte la peine de mort (sans que l’assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée ait été demandée), que le droit inhérent à la vie, compte tenu du caractère irréversible d’une violation de ce droit, comportait le droit d’être protégé contre des risques d’atteinte à ce droit pouvant être démontrés. Il nous semble qu’a fortiori le non-respect par une autorité judiciaire des garanties fondamentales d’un procès équitable qui a pour conséquence l’imposition de la peine de mort constitue une violation du droit à la vie inhérent à l’accusé.

Pour les raisons exposées plus haut, le Comité aurait dû constater, conformément à sa jurisprudence constante, une violation distincte de l’article 6.

(Signé) Rajsoomer Lallah

(Signé) Fabián Omar Savioli

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]