Nations Unies

CCPR/C/102/D/1586/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale*

25 août 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

102 e session

11-29 juillet 2011

Constatations

Communication no 1586/2007

Présentée par:

Adolf Lange (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 août 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

13 juillet 2011

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter une communication; irrecevabilité ratione temporis

Questions de fond:

Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte:

26

Articles du Protocole facultatif:

1er et 3

Le 13 juillet 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1586/2007.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)

concernant la

Communication no 1586/2007 **

Présentée par:

Adolf Lange (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

29 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1586/2007 présentée au nom de M. Adolf Lange, sa femme et ses deux enfants en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 29 janvier 2007, est M. Adolf Lange, naturalisé américain et résidant aux États-Unis d’Amérique, né le 1er mai 1939 à Pilsen, en Tchécoslovaquie. Il se déclare victime de violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur s’est enfui de Tchécoslovaquie le 10 août 1968, et il a obtenu la nationalité américaine le 6 août 1980, perdant ainsi sa nationalité tchécoslovaque. Lorsqu’il en a fait la demande, il a été réintégré dans la nationalité tchèque le 16 mai 2003. L’auteur était censé hériter de la moitié de la villa no 601 et de la moitié d’un appartement de l’immeuble no 70 à Pilsen.

2.2L’auteur s’est vu refuser son héritage sur la base de la loi tchèque no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Le 9 septembre 1998, le tribunal de district de Pilsen a rejeté la demande de restitution en se fondant sur la loi no 87/1991, en vertu de laquelle les requérants doivent avoir la nationalité tchèque. Le 30 mai 2000, le tribunal régional de Pilsen a rejeté le recours de l’auteur. Le 8 février 2001, la Cour constitutionnelle a fait de même, en se fondant aussi sur ladite loi.

2.3L’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme; le 3 octobre 2002, siégeant en formation à trois juges, celle-ci a rejeté sa requête jugée irrecevable.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que la République tchèque a violé les droits consacrés à l’article 26 du Pacte en appliquant la loi no 87/1991, en vertu de laquelle il faut avoir la nationalité tchèque pour prétendre à une restitution de biens.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 1er février 2008, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond, et précisé les faits présentés par l’auteur. Le 7 juin 1980, celui-ci a perdu sa nationalité tchécoslovaque, dans laquelle il a ensuite été réintégré le 20 février 2003.

4.2Le 27 octobre 1995, l’auteur a saisi le tribunal de district de Pilsen d’une demande en restitution de biens. Le propriétaire initial des biens était le grand-père de l’auteur, lequel a été condamné en 1950 à voir ses biens confisqués, notamment. Il est décédé en 1951 et a ensuite été réhabilité en 1990. Jusqu’en 1992, les biens étaient utilisés et gérés par deux organismes agissant au nom de l’État. Conformément à la loi no 87/1991, les biens ont été confiés aux enfants du frère de l’auteur, lesquels ont ensuite transféré le titre de propriété à un tiers. Le 9 septembre 1998, le tribunal de district a rejeté l’action de l’auteur, au motif que celui-ci n’avait pas établi son lien de parenté avec le propriétaire initial des biens ni démontré, par conséquent, qu’il pouvait en hériter, conformément aux dispositions de la loi no 87/1991. À l’appui de son recours, l’auteur a fourni des documents qui établissaient qu’il était parent du propriétaire initial, et il a également fait valoir qu’il n’avait jamais perdu la nationalité tchécoslovaque. Le 30 mai 2000, le tribunal régional a confirmé la décision rendue en première instance, et constaté que l’auteur n’avait pas étayé son affirmation selon laquelle il avait toujours eu la nationalité tchécoslovaque. Le 8 février 2001, la Cour constitutionnelle a estimé que l’auteur ne répondait pas aux conditions énoncées dans la loi relative à la restitution. Le 24 septembre 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête de l’auteur comme étant manifestement infondée.

4.3L’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour abus du droit de présenter une communication au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle le Protocole facultatif ne fixe pas de délai précis et un simple retard dans la présentation d’une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte. L’État partie indique toutefois que l’auteur a présenté sa communication le 29 janvier 2007, soit plus de six ans après la dernière décision de la juridiction nationale en date du 8 février 2001, et près de quatre ans et demi après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, du 24 septembre 2002. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a fourni aucune explication valable pour ce retard et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable. Il indique en outre qu’il partage l’avis exprimé par un membre du Comité dans son opinion dissidente concernant des communications similaires contre la République tchèque, selon laquelle, en l’absence de définition explicite de la notion d’abus du droit de présenter une communication dans le Protocole facultatif, le Comité est appelé à définir lui-même les délais dans lesquels les communications doivent être soumises.

4.4L’État partie précise également que les biens du grand-père de l’auteur ont été confisqués en 1950, soit bien avant que la Tchécoslovaquie n’ait ratifié le Protocole facultatif. La communication devrait donc être déclarée irrecevable ratione temporis.

4.5Sur le fond, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant l’article 26, selon laquelle une différence de traitement fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à une discrimination interdite au sens de l’article 26 du Pacte. Il affirme que l’auteur ne satisfaisait pas à la prescription légale relative à la nationalité, raison pour laquelle sa demande de restitution de biens ne pouvait s’appuyer sur la législation en vigueur. L’État partie rappelle en outre ses observations antérieures dans des cas similaires.

Commentaires de l’auteur

5.1Le 6 mars 2008, l’auteur a présenté ses commentaires à propos des observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond. En ce qui concerne la perte par l’auteur de la nationalité tchécoslovaque en raison du traité de naturalisation du 16 juillet 1928 entre la République tchécoslovaque et les États-Unis d’Amérique, l’auteur fait valoir que l’État partie a utilisé ce traité à mauvais escient, celui-ci ayant été prévu uniquement pour la perte temporaire de nationalité et pour la protection des jeunes européens qui arrivaient aux États-Unis d’Amérique aux XIXe et XXe siècles.

5.2S’agissant de la présentation tardive de sa communication, l’auteur soutient que les décisions tant de la Cour constitutionnelle que de la Cour européenne des droits de l’homme indiquaient qu’elles étaient définitives et non susceptibles de recours. Cependant, l’État partie ne publiant aucune décision du Comité des droits de l’homme, ce n’est que plus tard qu’il a eu connaissance de cette possibilité. Il affirme que la soumission tardive de sa communication n’est nullement due à de la négligence de sa part, mais au fait que l’État partie omet intentionnellement de rendre publique la jurisprudence du Comité des droits de l’homme.

5.3En ce qui concerne le fond, l’auteur affirme que ses droits en matière de succession, tels que consacrés dans le Pacte, ont été violés du fait de la condition de nationalité, qu’il est impossible de satisfaire. Il soutient que la législation en vigueur est inconstitutionnelle.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication doit être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de présenter une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du retard avec lequel elle a été présentée au Comité. L’État partie fait valoir que l’auteur a attendu près de quatre ans et demi après la décision d’irrecevabilité de la Cour européenne des droits de l’homme (et plus de six ans après l’épuisement des recours internes) avant de soumettre sa communication au Comité. L’auteur justifie quant à lui ce retard par un manque d’information et le fait que l’État partie omet intentionnellement de diffuser l’information. Le Comité fait observer que conformément à l’article 96 c) de son règlement intérieur, qui s’appliquera aux communications reçues après le 1er janvier 2012, il doit s’assurer que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Néanmoins, en attendant, conformément à sa jurisprudence actuelle, le Comitéconsidère que, dans le cas d’espèce, le fait d’avoir attendu six ans et un mois après l’épuisement des recours internes, et quatre ans et cinq mois après la décision rendue par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui estime que le Comité est empêché ratione temporis d’examiner la violation alléguée. Il relève que, bien que la confiscation des biens du grand-père de l’auteur ait eu lieu en 1950, soit avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour l’État partie, la nouvelle loi, qui exclut de la procédure de restitution les personnes qui n’ont pas la nationalité tchèque, produit des effets qui persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, ce qui pourrait entraîner une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte. Le Comité déclare par conséquent que la communication est recevable, en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 26 du Pacte.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application, à l’auteur, de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie extrajudiciaire a constitué une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de cet article.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans nombre d’affaires de restitution de biens en République tchèque, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26, considérant qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils obtiennent la nationalité tchèque à titre de condition pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, une indemnisation appropriée. Étant donné que, à l’origine, le droit de propriété des auteurs sur les biens en question n’était pas fondé sur la nationalité, le Comité a estimé que la condition de nationalité était déraisonnable. Dans l’affaire Des Fours Walderode, il a fait observer en outre que l’établissement dans la loi d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établissait une distinction arbitraire et par conséquent discriminatoire entre des individus qui étaient tous également victimes des confiscations antérieures, et constituait une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication, et conclut que le fait d’exiger de celui-ci qu’il remplisse la condition de nationalité prévue par la loi no 87/1991 constitue une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’État partie devrait revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]