Nations Unies

CCPR/C/109/D/1910/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1910/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication présentée par:

Svetlana Zhuk (représentée par un conseil, Raman Kisliak)

Au nom de:

Andrei Zhuk (fils de l’auteur)

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

27 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécialen application des articles 92 et 97du Règlement intérieur, communiquéeà l’État partie le 30 octobre 2009(non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

30 octobre 2013

Objet:

Imposition de la peine de mort à l’issued’un procès inéquitable

Questions de procédure:

Défaut de coopération de l’État partie et non‑respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité; abus du droit de soumettre une communication; fondement insuffisant des griefs; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond:

Privation arbitraire de la vie; torture et mauvais traitements; privation arbitraire de la liberté; droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge; droit à un procès équitable mené par un tribunal indépendant et impartial; droit à la présomption d’innocence; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec son conseil;

droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable; mesures provisoires pour éviter des dommages irréparables à la victime présumée; manquement à des obligations au titre du Protocole facultatif

Articles du Pacte:

6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3), 14 (par. 1, 2 et 3 b), d) et g))

Articles du Protocole facultatif:

1, 2, 3 et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1910/2009 *

Présentée par:

Svetlana Zhuk (représentée par un conseil, Raman Kisliak)

Au nom de:

Andrei Zhuk (fils de l’auteur)

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

27 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1910/2009 présentée par Svetlana Zhuk au nom de son fils, Andrei Zhuk, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Svetlana Zhuk. Elle présente la communication au nom de son fils, Andrei Zhuk, ressortissant bélarussien né en 1983 qui, au moment de la soumission de la communication, était détenu dans le quartier des condamnés à mort à Minsk après avoir été condamné, le 17 juillet 2009, à la peine capitale par la chambre pénale du tribunal régional de Minsk. L’auteur affirme que son fils est victime de violations, par le Bélarus, des droits garantis aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2 et 3 b), d) et g)) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil, Raman Kisliak.

1.2Lorsque la communication a été enregistrée, le 30 octobre 2009, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Zhuk tant que la communication le concernant serait à l’examen. Le Comité a renouvelé cette demande le 7 décembre 2009.

1.3Le 23 mars 2010, le Comité a été informé que le fils de l’auteur avait été exécuté malgré la demande de mesures provisoires. Le même jour, il a demandé à l’État partie d’apporter sans tarder des éclaircissements à ce sujet, attirant son attention sur le fait que le non-respect par les États parties d’une telle demande constituait une violation de l’obligation qui leur est faite de coopérer de bonne foi au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Aucune réponse n’a été reçue dans le délai imparti. Le 30 mars 2010, le Comité a publié un communiqué de presse dans lequel il déplorait l’exécution.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que le 1er mars 2009, vers 20 heures, son fils a été arrêté dans un bar-café de Soligorsk par des agents du Ministère de l’intérieur car il était soupçonné d’avoir agressé et tué, le 27 février 2009, un homme et une femme qui transportaient de l’argent destiné à payer les salaires des employés de la société pour laquelle ils travaillaient. Au moment de l’arrestation, le fils de l’auteur était sous l’emprise de stupéfiants. Le même jour, à 21 h 30, il a été conduit au Département des affaires intérieures du district, où il a immédiatement demandé à consulter un avocat. Il n’a été autorisé à voir un avocat que pendant cinq minutes (de 22 h 2 à 22 h 7) au début du premier interrogatoire, qui a duré jusqu’à 0 h 37, le 2 mars 2009. L’auteur affirme que son fils n’était pas en mesure de comprendre la gravité de la procédure et qu’il a été maltraité et forcé à avouer que l’arme du crime lui appartenait, ainsi qu’à prendre part à la reconstitution du crime et à s’accuser lui-même. Elle affirme également qu’il a été privé de l’assistance d’un conseil pendant ces différents actes, bien qu’il ait demandé l’assistance d’un avocat.

2.2Le fils de l’auteur a été arrêté le 1ermars 2009, mais ce n’est que le 10mars 2009 qu’un procureur a ordonné son placement en détention provisoire. Le procureur a ordonné ce placement sans même s’être entretenu avec lui. Ce n’est que le 6juin 2009, soit trois mois et cinq jours après son arrestation, que M.Zhuk a été traduit devant un juge pour que celui-ci réexamine la mesure de placement en détention. L’auteur affirme que ces faits constituent une violation du Code de procédure pénale ainsi que des droits de son fils garantis au paragraphe3 de l’article9 du Pacte, et elle renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité.

2.3Le 17 juillet 2009, la chambre pénale du tribunal régional de Minsk a reconnu le fils de l’auteur coupable en vertu des articles 139 (par.1, 12 et 15), 205 (2epartie), 207 (3epartie), 294 (3epartie) et 328 (1repartie) du Code pénal, et l’a condamné à la peine capitale et à la confiscation de ses biens. L’auteur fait valoir que le droit de son fils à la présomption d’innocence a été violé car, pendant toute la durée du procès en première instance, il a été menotté et placé dans une cage dans la salle du tribunal. L’auteur estime ainsi que son fils a été traité comme un criminel dangereux avant même que le verdict ne soit rendu. En outre, des médias publics, notamment ONT, la principale chaîne de télévision, l’ont qualifié de «criminel» dès le début de l’enquête. L’auteur fait référence en particulier à un entretien accordé le 2mars 2009 par le Ministre de l’intérieur, M.Naumov, dans lequel celui-ci a qualifié son fils et ses coaccusés de «criminels» avant qu’ils ne soient condamnés.

2.4L’auteur fait également valoir que le tribunal de première instance, influencé par les médias et de hauts responsables publics, qui avaient déjà déclaré son fils coupable, avait un préjugé défavorable contre celui-ci. Elle affirme que le ministère public accusait son fils d’avoir eu l’intention de commettre un vol à main armée mais que le tribunal l’a condamné pour meurtre avec préméditation, ce qui constitue une infraction plus grave et une accusation contre laquelle il n’a pas eu la possibilité de préparer une défense.

2.5Le 21 octobre 2009, un avocat qui représentait le fils de l’auteur devant la chambre pénale de la Cour suprême a demandé au centre de détention avant jugement (SIZO) no 1 du Ministère de l’intérieur de lui fournir une copie du dossier médical de son client depuis son transfert à la prison no 8, à Zhodino. Le 26 octobre 2009, l’avocat a reçu une copie du dossier médical, qui révélait que des lésions corporelles (hématomes de couleur bleu foncé) avaient été constatées sur le corps du fils de l’auteur lors d’un examen médical pratiqué le 16 mars 2009. L’avocat a présenté le certificat médical à la Cour de cassation, ainsi qu’une plainte faisant état de mauvais traitements infligés au fils de l’auteur le 1er mars 2009 alors qu’il était en détention provisoire. L’auteur indique que cette plainte soulevait la question des violations des droits que son fils tenait des articles 7 et 14 (par. 3 g)) du Pacte. La Cour suprême a rejeté la plainte.

2.6Le 27 octobre 2009, la chambre pénale de la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation du fils de l’auteur et a confirmé sa condamnation à la peine capitale. L’auteur indique que dans le pourvoi son fils avait soulevé la question de la violation des droits qu’il tenait des articles 6, 9 (par. 3) et 14 du Pacte. L’auteur fait valoir que tous les recours internes ont ainsi été épuisés.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que son fils a été victime de violations par l’État partie des droits consacrés aux articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2 et 3 b), d) et g)) du Pacte étant donné qu’il a été arrêté arbitrairement, soumis à de mauvais traitements après son arrestation et condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur les mesures provisoires

4.1Dans une note du 1erdécembre 2009, l’État partie indique qu’il considère comme inacceptable l’examen de la communication de l’auteur par le Comité car il n’existe pas de fondement juridique à l’engagement d’une procédure devant le Comité au regard des articles2 et 5(par. 2 b)) du Protocole facultatif, le fils de l’auteur n’ayant pas épuisé les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas soumis de demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême. L’État partie affirme que la requête de l’auteur constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article3 du Protocole facultatif car son fils n’a pas déposé une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême.

4.2L’État partie soutient en outre que les allégations de violations des droits du fils de l’auteur ne sont pas étayées par des preuves et ne correspondent pas à la réalité. Il affirme que la culpabilité du fils de l’auteur a été établie de manière incontestable, en application des dispositions de la loi pénale et du Code de procédure pénale. Il fait valoir que les griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte sont infondés puisque cet article autorise la peine de mort, avec la restriction qu’une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. L’État partie souligne que sa législation restreint davantage l’application de la peine de mort que ne le fait le Pacte puisque cette peine ne peut être imposée que pour le crime le plus grave, à savoir le meurtre avec circonstances aggravantes, et qu’elle ne peut pas être prononcée contre une femme, un mineur ou un homme de plus de 65 ans. Il affirme que lorsque le tribunal a condamné le fils de l’auteur, il a tenu compte de la personnalité de celui-ci, ainsi que de la cruauté des meurtres et des autres crimes dangereux commis par l’intéressé.

4.3L’État partie indique également que toute condamnation à mort fait l’objet d’un examen supplémentaire par la Commission présidentielle des grâces, ainsi que par le Président lui-même.

4.4Le 21avril 2010, en réponse au communiqué de presse publié par le Comité le 30mars 2010, l’État partie a affirmé que le Comité avait rendu publiques des informations sur l’affaire en violation du paragraphe3 de l’article5 du Protocole facultatif. L’État partie affirme qu’il n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et du Protocole facultatif car la peine capitale n’est pas interdite par le droit international et il n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif visant l’abolition de la peine de mort. Il affirme en outre que s’il a reconnu la compétence du Comité au titre de l’article premier du Protocole facultatif, «les tentatives [du Comité] de faire passer ses règles de procédure pour des obligations internationales souscrites par les États parties […] sont totalement inadmissibles». Il réaffirme qu’il n’a pas commis de violation du Protocole facultatif puisque l’article premier de cet instrument dispose que les États qui y sont parties reconnaissent que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant directement de particuliers qui affirment être victimes d’une violation, mais pas d’un tiers, et qu’il a coopéré avec le Comité dans un esprit de bonne volonté et lui a fourni tous les renseignements relatifs à l’affaire. Il fait en outre valoir que sa législation interne fait obligation aux tribunaux d’exécuter immédiatement les décisions passées en force de chose jugée et que le Protocole facultatif ne comporte pas de disposition obligeant les États parties à surseoir à l’exécution de la peine de mort jusqu’à ce que le Comité ait achevé l’examen de la plainte de la personne condamnée. L’État partie soutient que la position du Comité selon laquelle les exécutions devraient être suspendues en de tels cas n’a pas force obligatoire et a «valeur de recommandation». Il souligne que cette question pourrait être résolue en modifiant le Protocole facultatif. L’État partie précise également qu’il ne prononce et n’exécute la peine capitale que très rarement et que la question est actuellement débattue par le Parlement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 11 juillet 2012, l’auteur affirme que ni la demande de grâce présidentielle ni la procédure de contrôle juridictionnel par la Cour suprême du Bélarus ne peuvent être considérées comme des recours internes utiles au sens du Protocole facultatif. En ce qui concerne la grâce présidentielle, l’auteur fait valoir que celle‑ci ne constitue pas un recours interne utile qui doit être épuisé avant la soumission d’une communication au Comité des droits de l’homme car elle constitue une mesure de caractère humanitaire et non une voie de recours judiciaire. L’auteur fait en outre valoir que selon la jurisprudence bien établie du Comité, la procédure de contrôle juridictionnel ne constitue pas un recours interne utile qui doit être épuisé en vertu du Protocole facultatif et ajoute qu’un recours formé dans le cadre de cette procédure ne débouche pas automatiquement sur un examen au fond. De fait, un agent public, généralement le président d’un tribunal, examine la question de manière unilatérale, et il peut rejeter la demande. L’auteur soutient qu’un tel examen unilatéral, qui ne donne pas lieu à une audience publique, ne saurait permettre de considérer la procédure de contrôle juridictionnel comme un recours.

5.2L’auteur affirme également que bien que la législation prévoie la possibilité de faire une demande de contrôle juridictionnel et une demande de grâce présidentielle, elle n’édicte pas de règle concernant la longueur de ces procédures et ne prévoit pas non plus de mécanisme pour informer le demandeur du résultat de sa demande. En pratique, dans les affaires de condamnation à la peine de mort, la personne concernée n’est informée du rejet de sa demande que quelques minutes avant son exécution. L’avocat et la famille des condamnés qui font une telle demande ne sont pas informés non plus de son issue. L’auteur affirme qu’au Bélarus la peine de mort est administrée de manière secrète et que ni le condamné ni son avocat ou sa famille ne sont informés au préalable de la date de l’exécution. Aussi, un condamné à mort n’a pas de réelle possibilité de soumettre une communication au Comité après que ses demandes de contrôle juridictionnel et de grâce présidentielle ont été rejetées.

5.3L’auteur indique que son fils a fait une demande de grâce présidentielle le 13 novembre 2009. Elle pense que cette demande a fort probablement été rejetée et décrit en détail ses nombreuses tentatives infructueuses pour obtenir, à partir du 19 mars 2010, des informations sur l’endroit où se trouvait son fils et pour savoir s’il avait été exécuté. Elle indique que le Ministère de l’intérieur a fait état de l’exécution de son fils dans un communiqué de presse en date du 2 avril 2010.

5.4L’auteur affirme que l’État partie n’a formulé que des observations in abstracto et qu’il n’a pas contesté le fond de la majorité de ses griefs. Quant à l’argument de l’État partie selon lequel le grief de violation de l’article 6 du Pacte est infondé, l’auteur rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès dans lequel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une privation arbitraire de la vie. L’auteur fait observer que l’État partie ne conteste pas les griefs tirés des articles 9 (par. 3), 7 et 14 du Pacte.

5.5L’auteur fournit aussi des copies d’entretiens avec l’ancien responsable du centre de détention provisoire no 1 (SIZO-1), qui décrit en détail le déroulement des exécutions capitales, ainsi qu’avec le Ministre de l’intérieur, qui déclare notamment que la législation interne prime les «normes importées d’ailleurs», et avec un ancien juge du tribunal régional de Minsk qui a pris part à l’examen de l’affaire de son fils et qui décrit la sujétion de la justice aux ordres émanant de la présidence.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demande de mesures provisoires du Comité

6.1Le Comité prend note des observations de l’État partie, qui objecte qu’il n’existe pas de fondement juridique pour examiner la présente communication, celle-ci ayant été enregistrée en violation des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif puisque que la victime présumée ne l’a pas présentée elle-même et n’a pas épuisé les recours internes, qu’il n’est nullement tenu de reconnaître le Règlement intérieur du Comité et l’interprétation des dispositions du Protocole facultatif donnée par le Comité et qu’il n’est nullement tenu de respecter la demande de mesures provisoires formulée par le Comité.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties ont accepté de reconnaître. Le Comité fait en outre observer que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui affirment être victimes de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé. Un État partie contrevient aux obligations découlant de l’article premier du Protocole facultatif s’il adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.

6.3En l’espèce, le Comité fait observer que lorsque l’auteur lui a soumis la communication le 27octobre 2009, elle l’a informé qu’à ce moment-là son fils se trouvait dans le quartier des condamnés à mort. Le 30octobre 2009, le Comité a transmis à l’État partie une demande le priant de ne pas procéder à l’exécution du fils de l’auteur tant que son cas serait à l’examen. Le Comité a renouvelé cette demande de mesures provisoires le 7décembre 2009. Le 23mars 2010, le Comité a été informé du fait que le fils de l’auteur avait été exécuté malgré la demande de mesures provisoires. Le Comité souligne qu’il n’est pas contesté que l’exécution en question a eu lieu bien qu’une demande de mesures provisoires de protection en bonne et due forme ait été adressée à l’État partie puis renouvelée.

6.4Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations concernant le respect par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur fait valoir que son fils a été privé de ses droits au titre de plusieurs articles du Pacte. Ayant été notifié de la communication et de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, l’État partie a contrevenu aux obligations qui lui incombaient en vertu du Protocole facultatif en exécutant la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen de la communication à bonne fin.

6.5Le Comité rappelle en outre que l’adoption de mesures provisoires conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime de la violation présumée. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de M. Zhuk, compromet la protection des droits consacrés par le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.

6.6Le Comité note l’observation de l’État partie selon laquelle le Comité a rendu publiques des informations sur l’affaire en violation du paragraphe 3 de l’article 5 du Protocole facultatif par son communiqué de presse du 30 mars 2010, dans lequel il déplore que la victime ait été exécutée malgré la demande de mesures provisoires. Le Comité note que la règle en question dispose que le Comité tient ses séances à huis clos lorsqu’il examine les communications. Elle n’empêche pas le Comité de rendre publiques des informations concernant le défaut de coopération des États parties dans l’application du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été soumise par un tiers et non par la victime présumée elle-même. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur prévoit qu’une communication doit normalement être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. Dans le cas présent, le Comité fait observer que la victime présumée se trouvait détenue dans le quartier des condamnés à mort au moment où la communication a été soumise en son nom par sa mère et un conseil, et que ceux‑ci ont présenté une lettre d’autorisation dûment signée et une procuration par laquelle l’intéressé autorisait le conseil à le représenter devant le Comité. Le Comité n’est donc pas empêché par l’article premier du Protocole facultatif d’examiner cette communication.

7.4L’État partie soutient qu’en soumettant une communication au Comité avant que son fils ait soumis une demande de contrôle juridictionnel à la Cour suprême, l’auteur a abusé de son droit de soumettre une communication. Vu les circonstances de la présente affaire et l’exécution ultérieure de la victime, le Comité ne voit pas en quoi la communication constitue un abus du droit de soumettre une communication. Le Comité fait en outre observer que cet argument concerne plutôt les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie n’ayant pas avancé de raison valable pour expliquer en quoi la présente communication constituerait un abus du droit de présenter une communication, le Comité considère que celle-ci n’est pas irrecevable pour ce motif.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel M.Zhuk n’avait pas épuisé tous les recours internes au moment où la communication a été soumise, puisqu’il n’avait pas déposé de demande de contrôle juridictionnel. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le contrôle juridictionnel d’un État partie est une procédure discrétionnaire et de ce fait ne constitue pas un recours utile au sens du paragraphe2b) de l’article5 du Protocole facultatif. Le Comité n’est donc pas empêché par les dispositions du paragraphe2b) de l’article5 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

7.6Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des articles 6 (par. 1 et 2), 7, 9 (par. 3) et 14 (par. 1, 2 et 3 b), d) et g)) du Pacte concernant son fils sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité prend note des griefs tirés des articles 7 et 14 (par. 3 g)) du Pacte par l’auteur, qui affirme que M. Zhuk a été soumis à des pressions physiques et psychologiques visant à lui faire avouer sa culpabilité et que ses aveux ont servi de fondement à sa condamnation. Le Comité constate que ces griefs n’ont pas été réfutés par l’État partie. À ce sujet, le Comité rappelle que, dès lors qu’une plainte concernant des mauvais traitements prohibés par l’article 7 a été déposée, celle-ci doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part des autorités de l’État partie. Il rappelle en outre que la garantie énoncée au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé visant à obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le Comité constate que malgré l’existence d’un certificat médical prouvant que le fils de l’auteur présentait des lésions corporelles, soumis par les avocats de la défense pendant la procédure de recours en cassation, l’État partie n’a fourni aucun renseignement indiquant qu’il avait enquêté sur les allégations de mauvais traitements. Dans ces circonstances, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que M. Zhuk tenait de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3En ce qui concerne le grief de l’auteur faisant valoir que M.Zhuk a été arrêté le 1ermars 2009 mais n’a été traduit pour la première fois devant un juge que le 6juin 2009, soit trois mois et cinq jours après son arrestation, le Comité constate que l’État partie n’y a pas répondu. Le sens de l’expression «dans le plus court délai» utilisée au paragraphe3 de l’article9 du Pacte doit certes être apprécié au cas par cas, mais le Comité rappelle son Observation générale no8 (1992) sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ainsi que sa jurisprudence, conformément auxquelles les délais ne devraient pas être supérieurs à quelques jours. Le Comité rappelle en outre qu’il y a recommandé à maintes occasions, lors de l’examen de rapports soumis par des États parties au titre de l’article 40 du Pacte, que la durée de détention d’une personne par la police avant sa présentation à un juge ne devait pas dépasser quarante-huit heure. Une période plus longue nécessiterait une justification spéciale compatible avec les paragraphes 3 de l’article 9 du Pacte. Aussi, le Comité considère que la période de plus de trois mois qui s’est écoulée avant que M.Zhuk ne soit présenté à un juge est incompatible avec l’exigence de célérité énoncée au paragraphe3 de l’article9 du Pacte et qu’il constitue donc une violation des droits que M.Zhuk tenait de cette disposition.

8.4Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté puisque plusieurs agents de l’État ont évoqué publiquement la culpabilité de son fils avant sa condamnation par le tribunal et que les médias ont diffusé dans l’opinion des éléments de l’instruction avant l’examen de l’affaire par le tribunal. M.Zhuk a en outre été maintenu dans une cage métallique tout au long du procès et des photos de lui derrière les barreaux dans la salle d’audience ont paru dans la presse locale. Le Comité constate que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. À cet égard, il rappelle sa jurisprudence telle que consignée dans son Observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, aux termes de laquelle «du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe». Dans la même Observation générale, le Comité se réfère au devoir qu’ont toutes les autorités publiques de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès, par exemple de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé; il déclare en outre que les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux, et que les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. Compte tenu des informations dont il est saisi, et en l’absence de toute réponse de la part de l’État partie, le Comité considère que le droit à la présomption d’innocence de M. Zhuk, garanti par le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, a été violé.

8.5Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles son fils n’a été autorisé à s’entretenir avec un avocat que pendant cinqminutes, a été privé de l’assistance d’un avocat aux premiers stades de l’enquête et a été forcé à participer à des actes d’instruction sans bénéficier de l’assistance d’un avocat alors qu’il en avait fait la demande, en violation du Code de procédure pénale. Le Comité constate que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. Il rappelle que le paragraphe3b) de l’article14 du Pacte dispose que l’accusé doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et pouvoir communiquer avec le conseil de son choix. Cette disposition est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le Comité rappelle en outre que le paragraphe 3d) de l’article14 garantit le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale de se défendre elle-même ou de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix et, si elle n’a pas de défenseur, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, de se voir attribuer d’office un défenseur. En l’absence d’observations de l’État partie sur les faits présentés par l’auteur, le Comité conclut que le refus de permettre à M.Zhuk d’être représenté par le défenseur de son choix aux premiers stades, décisifs, de la phase préalable au procès constitue une violation des droits qu’il tenait des paragraphes 3b) et d) de l’article14 du Pacte.

8.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles les droits que son fils tenait du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés. Le Comité constate que ces allégations n’ont pas été réfutées par l’État partie. Ayant conclu que l’État partie n’a pas respecté les garanties d’une procédure régulière prévues aux paragraphes 2 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité est d’avis que le procès de M. Zhuk a été entaché d’irrégularités qui, considérées dans leur ensemble, équivalent à une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.7L’auteur dénonce en outre une violation du droit de M. Zhuk à la vie au titre de l’article 6 du Pacte, puisqu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. Le Comité relève que l’État partie a fait valoir, en se référant au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, que M. Zhuk avait été condamné à mort en application d’un jugement rendu par un tribunal, conformément à la Constitution, au Code pénal et au Code de procédure pénale du Bélarus, et que la sentence de mort prononcée n’était pas contraire aux instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie. À ce sujet, le Comité rappelle son Observation générale no6 (1982) sur le droit à la vie, dans laquelle il a souligné que la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte, ce qui implique que «les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure». Dans le même contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence, réaffirmant que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Étant donné qu’il a établi une violation des paragraphes 1, 2 et 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité conclut que M. Zhuk a été condamné de manière définitive à la peine de mort et exécuté sans que les prescriptions de l’article 14 aient été respectées, et qu’il en est résulté une violation de son droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe4 de l’article5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M.Zhuk au titre des articles6, 7, 9 (par. 3) et 14 (par.1, 2 et 3b), d) et g)) du Pacte. L’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’accorder une réparation adéquate à l’auteur, consistant notamment à rembourser les frais de justice qu’elle a gagés. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir, et, compte tenu des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, de coopérer de bonne foi avec le Comité, en particulier en se conformant à ses demandes de mesures provisoires.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement sur son territoire en biélorusse et en russe.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]