Nations Unies

CCPR/C/105/D/1844/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 septembre 2012

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Communication no 1844/2008

Décision adoptée par le Comité à sa 105e session(9-27 juillet 2012)

Communication p résentée par:

B. K. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

30 avril 2008

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 17 décembre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

23 juillet 2012

Objet:

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure:

Abus du droit de présenter une communication

Questions de fond:

Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article du Pacte:

26

Article du Protocole facultatif:

3

Annexe

Décision du Comité des droits de l’hommeau titre du Protocole facultatif se rapportantau Pacte international relatif aux droits civilset politiques (105e session)

concernant la

Communication no 1844/2008 *

Présentée par:

B. K. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

30 avril 2008

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2012,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, en date du 30 avril 2008, est B. K., de nationalité américaine par naturalisation, résidant aux États-Unis d’Amérique et née le 9 novembre 1928 à Prague, en Tchécoslovaquie. Elle affirme être victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique qu’elle a quitté la Tchécoslovaquie en mai 1950 avec sa mère et qu’elle est arrivée en Nouvelle-Zélande, où son frère résidait à l’époque. Elle est partie aux États-Unis d’Amérique en 1954 et a acquis la nationalité américaine en 1960.

2.2L’auteur indique qu’après le départ de sa famille, la propriété familiale a été confisquée par l’État partie au motif que la famille avait quitté le pays sans autorisation.

2.3L’auteur indique que sa mère est décédée aux États-Unis le 12 février 1973 et qu’elle est sa seule héritière. Elle affirme que, par héritage, elle a droit aux deux tiers de chacun des trois biens suivants: un immeuble situé au numéro 8 de la rue Bozdechova, à Prague, un immeuble situé au numéro 4 de la rue Bozdechova ainsi qu’un immeuble situé au numéro 23 de la rue Nadrazni.

2.4L’auteur indique que son frère, K. S., qui vivait en Nouvelle-Zélande et n’a jamais perdu la nationalité tchèque, a reçu une somme de 5,5 millions de couronnes tchèques de l’État partie, soit un tiers de la valeur des biens familiaux.

2.5L’auteur fait valoir que le 17 août 1999, son action en réparation a été rejetée par le tribunal de district de Prague no 5 qui, dans sa décision, a déclaré qu’en vertu de la loi no 87/1991, l’auteur n’avait pas droit à une réparation parce qu’elle n’était pas tchèque lorsque la loi était entrée en vigueur.

2.6L’auteur indique aussi que par sa décision en date du 16 janvier 2002, le tribunal municipal de Prague a fait de son grief une affaire indépendante de la procédure engagée par K. S.

2.7L’auteur affirme qu’il n’existe pas de recours interne pour la restitution de son bien, et fait référence à l’arrêt 33/96-41 de la Cour constitutionnelle, confirmant la constitutionalité de la loi no 87/1991.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que la République tchèque a violé les droits qu’elle tient de l’article 26 du Pacte en appliquant la loi no 87/1991 qui fait de la nationalité tchèque une condition de la restitution de biens.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 21 mai 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait référence à la loi no 119/1990 sur la réhabilitation par voie judiciaire, et à la loi no 87/1991 sur la réhabilitationpar voie non judiciaire, qui sont les lois applicables. La disposition pertinente de la loi no 87/1991 énonce les conditions qu’une personne doit remplir pour pouvoir prétendre à une indemnisation si ses biens ont été transférés à l’État. Selon la loi, il faut pour cela avoir la nationalité de la République fédérative tchèque et slovaque.

4.2L’État partie affirme que la communication de l’auteur est irrecevable et sans fondement parce que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. L’État partie fait remarquer que l’auteur n’a pas fait appel de la décision du tribunal de district. Cette décision ne concerne que la plainte déposée par le frère de l’auteur et n’a pas de portée concernant l’affaire de l’auteur.

4.3L’État affirme aussi que la communication devrait être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de présenter une communication au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle le Protocole facultatif ne fixe pas de date limite pour le dépôt d’une communication et que le simple fait de ne pas avoir soumis rapidement une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Il fait remarquer que la dernière décision de la juridiction interne sur la question est devenue finale le 18 décembre 1999, fait valoir que l’auteur n’a donné aucune explication convaincante pour justifier le retard avec lequel elle a soumis sa communication et considère donc que la communication devrait être déclarée irrecevable.

4.4L’État partie affirme également que le Comité devrait déclarer la communication irrecevable ratione temporis étant donné que les biens de l’auteur ont été confisqués en 1957, longtemps avant que la République socialiste de Tchécoslovaquie ait ratifié le Protocole facultatif.

4.5Sur le fond, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui établit que les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires et qu’une différenciation fondée sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination. Il fait valoir que le texte de l’article 26 du Pacte ne suggère en rien que l’État partie est tenu de réparer une injustice remontant à l’époque du régime politique précédent et que le législateur a toute discrétion pour décider d’accorder ou non une indemnisation ou d’ordonner la restitution d’un bien. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas satisfait à la condition de nationalité exigée par la loi, et rappelle les arguments qu’il a avancés dans des affaires similaires et qui donnent des éclaircissements sur la logique et les raisons historiques qui sous-tendent la législation adoptée en matière de restitution. En conclusion, il affirme que le Comité devrait déclarer la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatifou, à défaut, la déclarer sans fondement au regard de l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 3 août 2009, l’auteur a fait part de ses commentaires concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. Elle fait valoir que si elle n’a reçu aucune indemnisation pour les biens démolis c’est uniquement en raison du caractère discriminatoire de la condition de nationalité exigée par la législation tchèque.

5.2Pour ce qui est de la présentation tardive de sa communication, l’auteur fait valoir que son avocat lui avait dit que la décision du tribunal municipal de Prague était finale et qu’il n’y avait pas de recours possible. Elle indique aussi qu’elle n’a pris connaissance de la possibilité de présenter une communication au Comité qu’après avoir vu une annonce à ce sujet au «bureau de la coordination tchèque» au Canada.

5.3Sur le fond, l’auteur réaffirme que la condition de nationalité prévue par la loi no87/1991 est discriminatoire et constitue une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’elle aurait pu contester la décision rendue par le tribunal de district no 5 de Prague le 17 août 1999. Toutefois, il rappelle que l’auteur d’une communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes si ceux-ci sont réputés inutiles. Il note que d’autres demandeurs ont contesté sans succès la constitutionnalité de cette loi, que les constatations qu’il a formulées précédemment dans des affaires analogues n’ont pas été suivies d’effet et que malgré ces constatations, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la constitutionnalité de la loi relative à la restitution de biens. Rappelant sa jurisprudence, le Comité conclut que tout autre recours de l’auteur aurait été inutile et qu’elle ne disposait d’aucun recours utile.

6.4Le Comité a noté en outre que l’État partie contestait la recevabilité de la communication ratione temporis. Il rappelle sa jurisprudence et considère que même si la confiscation s’est produite avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour la République tchèque la loi, qui exclut les demandes émanant de personnes n’ayant pas la nationalité tchèque, continue de produire ses effets depuis l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, ce qui pourrait entraîner une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte.

6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie, qui objecte que la communication constitue un abus du droit de plainte en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité note que la plus récente décision− et la seule qui ait été contestée par l’auteur − est celle du tribunal de district no 5 de Prague en date du 17 août 1999, par laquelle le tribunal a rejeté la plainte de l’auteur pour défaut manifeste de fondement. Le Comité note également que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, la décision du tribunal de district no 5 de Prague, en date du 16 janvier 2002, ne traite que du fond concernant la plainte analogue présentée par le frère de l’auteur, K. S. Cette même décision fait de l’affaire de Mme K. une affaire distincte, ce que l’auteur n’a pas contesté. Il s’est donc écoulé huit ans et deux cent cinquante-six jours avant que l’auteur ne soumette sa communication au Comité, le 30 avril 2008.

6.6En ce qui concerne la présente communication, le Comité suit sa jurisprudence qui établit qu’une communication peut constituer un abus lorsqu’elle est présentée après un délai exceptionnellement long, sans raisons suffisantes pour justifier ce retard. À ce sujet, le Comité constate que l’auteur lui a soumis sa communication huit ans et deux cent cinquante-six jours après la décision du tribunal de district no 5 de Prague. Il souligne qu’il appartient à l’auteur de faire preuve de diligence. Il prend note de l’argument avancé par l’auteur pour justifier le retard dans la présentation de sa communication et considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, elle n’a pas fourni d’explication valable pour le retard. Le Comité conclut donc que ce retard est déraisonnable et excessif au point de constituer un abus du droit de présenter une communication, et que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]