C omité des droits de l ’ homme
102 e session
11-29 juillet 2011
Décision
Communication no 1814/2008
Présentée par: |
P. L. (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
12 mai 2008 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 octobre 2008 (non publiée sous forme de document) |
Date de la présente décision: |
26 juillet 2011 |
Objet: |
Liberté d’expression; procès équitable, discrimination, égalité devant la loi, recours utile |
Questions de procédure: |
Fondement des griefs |
Questions de fond: |
Restrictions injustifiées de la liberté de recevoir des informations de médias indépendants; accès à un tribunal indépendant; discrimination fondée sur des motifs politiques |
Articles du Pacte: |
2, 5, 14 (par. 1), 19 et 26 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
[Annexe]
Annexe
Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (102e session)
concernant la
Communication no 1814/2008 **
Présentée par: |
P. L. (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
12 mai 2008 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le … juillet 2001,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est P. L., de nationalité bélarussienne, né en 1961. Il se déclare victime de violations par le Bélarus des droits consacrés aux articles 2, 5, 14 (par. 1), 19 (par. 1 et 2) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur était un fidèle lecteur du journal Vitebsky Courrier M, périodique dûment enregistré auprès du Ministère bélarussien de l’information. Pendant un certain nombre d’années, son abonnement au journal, ainsi que la livraison, étaient gérés par l’intermédiaire de la société publique «Belpochta». Au début de 2006, l’auteur s’apprêtait à renouveler son abonnement dans un bureau de poste de Vitebsk, quand il a appris que le journal ne figurait plus dans le catalogue d’abonnements de «Belpochta». En conséquence, l’auteur est contraint d’acheter son périodique directement au bureau du journal.
2.2Selon l’auteur «Belpochta» n’a exclu de son catalogue que des journaux privés présentant des opinions différentes des positions de la presse progouvernementale. Il estime que cette mesure est fondée sur des motifs politiques et constitue une violation de son droit à recevoir des informations qui s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression.
2.3En octobre 2006, l’auteur a adressé à «Belpochta» une lettre dans laquelle il lui demandait de faire figurer Vitebsky Courrier M dans son catalogue d’abonnements pour l’année suivante. Le 3 novembre 2006, «Belpochta» lui a fait savoir que le journal en question ne faisait pas partie du catalogue de 2007, que «Belpochta» était libre de sélectionner les journaux qu’elle souhaitait proposer dans son catalogue et n’était nullement tenue par la loi d’y faire figurer tel ou tel journal. Le 6 décembre 2006, l’auteur a saisi de ce refus le tribunal de district de Leninsky de la ville de Vitebsk. Il a été débouté le 10 janvier 2007. L’auteur a été informé qu’il aurait dû saisir en premier lieu le Ministère de l’informatisation et des communications.
2.4Le 8 mars 2007, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district de Leninsky auprès du tribunal de la ville de Minsk. Le 30 juin 2007, le tribunal de la ville de Minsk a annulé la décision du tribunal de district, considérant que celui-ci n’était pas compétent pour se prononcer sur la question et a rejeté la plainte de l’auteur. Le 11 février 2008, l’auteur a intenté un recours auprès du Président du tribunal de la ville de Minsk contre les décisions du tribunal de district et du tribunal de la ville de Minsk, conformément à la procédure de réexamen par une instance supérieure. Sa demande a été rejetée le 10 mars 2008. Le 14 mars 2008, l’auteur a déposé auprès de la Cour suprême une motion de protestation demandant le réexamen de l’affaire par une instance supérieure et contestant les décisions des deux tribunaux. Le 25 avril 2008, la Cour suprême a rejeté sa demande. L’auteur affirme qu’au Bélarus les tribunaux ne sont pas indépendants.
2.5Dans l’intervalle, le 8 mars 2007, l’auteur a présenté au Ministère de l’informatisation et des communications une plainte dans laquelle il demandait que le journal soit inscrit dans le catalogue d’abonnements. Le 27 mars 2007, le Ministère a rejeté sa plainte, estimant que les décisions relatives à l’inclusion de périodiques dans le catalogue d’abonnements relevaient de la compétence de «Belpochta».
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que les faits susmentionnés démontrent que l’État partie a commis une violation des droits garantis aux articles 2, 5 (par. 1), 14 (par. 1), 19 (par. 1 et 2) et 26 du Pacte, étant donné que, selon lui, l’État partie a violé son droit à la liberté d’expression, en particulier son droit à recevoir des informations de médias privés − ce qui constitue une forme de discrimination − et que par la suite il ne lui a pas donné accès à un tribunal indépendant, n’a pas respecté le principe de l’égalité devant la loi et ne lui a pas accordé de recours utile.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans une note verbale du 4 décembre 2008, l’État partie a fait observer que, en application de la procédure de réexamen par une juridiction supérieure, l’auteur aurait pu également faire appel auprès du Président de la Cour suprême et du Procureur général, ce qu’il n’avait pas fait. En conséquence, selon l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes.
4.2L’État partie fait également observer qu’en substance, dans la plainte qu’il a présentée à «Belpochta» en octobre 2006, l’auteur a contesté la décision de cette dernière de ne pas inclure un périodique particulier dans son catalogue d’abonnements. Comme les représentants de la société l’ont indiqué dans leur réponse à l’auteur, «Belpochta» n’est pas tenue par la loi d’inclure tel ou tel journal dans son catalogue, le choix des périodiques à y faire figurer faisant partie de ses prérogatives. L’auteur a contesté cette décision qui, selon lui, constituait une violation de son droit à recevoir des informations. Le 10 janvier 2007, le tribunal du district de Leninsky l’a débouté. L’auteur a fait appel de cette décision, qu’il jugeait contraire au droit, auprès du tribunal de la ville de Minsk. Ce dernier a constaté qu’en fait, dans sa plainte, l’auteur remettait en question la décision de «Belpochta» de ne pas inclure le journal Vitebsky Courrier M dans son catalogue d’abonnements. Le tribunal de la ville de Minsk a annulé la décision du tribunal de district et rejeté l’affaire, qui ne relevait pas de sa compétence.
4.3En date du 14 mai 2009, l’État partie a renvoyé à ses observations précédentes, ajoutant que conformément à la loi relative aux organes de presse et autres organes d’information de masse, la diffusion des produits d’information de masse est laissée à la discrétion des organes en question et peut se faire directement ou par l’intermédiaire soit d’entités publiques, coopératives ou collectives, soit de personnes privées. Ainsi, la question de la fin du contrat de diffusion entre la rédaction de Vitebsky Courrier M et «Belpochta» ne relevait pas de la compétence des tribunaux. L’État partie ajoute que l’auteur a été informé par les tribunaux de son droit de présenter une plainte extrajudiciaire au Ministère de l’informatisation et des communications, mais ne s’est pas prévalu de cette possibilité.
4.4Le 21 septembre 2009, l’État partie a contesté les allégations de l’auteur relatives à l’indépendance du système judiciaire bélarussien. Il a expliqué que, conformément à la Constitution et au droit, les juges sont indépendants dans leur administration de la justice et qu’aucune ingérence dans leurs travaux n’est autorisée. De plus, les juges de la Cour suprême et de la Cour suprême chargée des affaires économiques sont nommés par le Président du Bélarus avec l’accord du Conseil de la République de l’Assemblée nationale, sur propositions des présidents de la Cour suprême et de la Cour suprême chargée des affaires économiques, respectivement.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une réponse du 24 avril 2009, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il constate tout d’abord que les appels interjetés dans le cadre de la procédure de réexamen par une instance supérieure, auprès de la Cour suprême et du Procureur général ne font pas partie des voies de recours internes qui doivent être épuisées aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, étant donné qu’ils ont un caractère discrétionnaire et portent sur des décisions de justice définitives et exécutoires. De plus, la législation nationale ne contient aucune disposition rendant obligatoire le recours à la procédure de réexamen par une instance supérieure.
5.2L’auteur ajoute que, le 8 mars 2007, il a présenté au Ministère de l’informatisation et des communications une plainte dans laquelle il lui demandait si «Belpochta» était subordonnée au Ministère. Il ressortait de la réponse reçue du Ministère, le 27 mars 2007, que «Belpochta» était une entité économique autonome et que la décision d’inclure ou non un journal dans son catalogue d’abonnements relevait strictement de sa compétence.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité a noté que l’auteur affirmait avoir épuisé tous les recours internes, allant jusqu’à saisir la Cour suprême du Bélarus. Pour ce qui est de l’argument de l’État partie faisant valoir que l’auteur aurait encore pu déposer auprès du Procureur général une motion de protestation demandant le réexamen de l’affaire par une instance supérieure, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que ces procédures ne font pas partie des recours internes qui doivent être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il considère donc que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.
6.3Le Comité note qu’en substance, l’auteur affirme que la décision discrétionnaire de «Belpochta» de ne pas maintenir le journal Vitebsky Courrier M dans son catalogue d’abonnements constituait une restriction injustifiée de sa liberté d’expression, et plus particulièrement de son droit de recevoir des informations, tels que protégés par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Comité constate en premier lieu que selon l’État partie, «Belpochta» est une entité autonome qui est habilitée à décider quels périodiques inclure dans son catalogue. Il constate également que ni les dispositions de la législation nationale ni celles du Pacte n’imposent aux États parties l’obligation de veiller à la diffusion de produits d’information écrite. Même si, dans certaines circonstances, le Comité considère que le fait de ne pas avoir accès aux services de distribution détenus ou contrôlés par l’État peut constituer une atteinte aux droits protégés par l’article 19, en l’espèce toutefois l’auteur n’a pas apporté assez d’informations pour que le Comité évalue l’ampleur de cette atteinte ou détermine si le déni d’accès est discriminatoire. Le Comité constate en outre que, quoi qu’il en soit, même si le journal en question ne figurait pas dans le catalogue d’abonnements de «Belpochta» et n’était pas expédié au domicile de l’auteur, celui-ci pouvait se le procurer par d’autres moyens. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4À la lumière de ces conclusions, le Comité n’examinera pas séparément les autres griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 2, 5, 14 et 26 du Pacte, vu qu’ils sont rattachés au grief principal de violation de l’article 19.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]