Nations Unies

CCPR/C/108/D/2149/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 septembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 2149/2012

Constatations adoptées par le Comité à sa 108e session(8-26 juillet 2013)

Communication p résentée par:

M. I. (représentée par un conseil, Eva Rimsten, de la Croix-Rouge suédoise)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Suède

Date de la communication:

7 mai 2012 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 mai 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 juillet 2013

Objet:

Expulsion d’une femme homosexuelle vers le Bangladesh

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond:

Risque de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans le pays d’origine; principe du non-refoulement

Article du Pacte:

7

Article du Protocole facultatif:

2

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (108e session)

concernant la

Communication no 2149/2012 *

Présentée par:

M. I. (représentée par un conseil, Eva Rimsten, de la Croix-Rouge suédoise)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Suède

Date de la communication:

7 mai 2012 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 2149/2012 présentée au nom de M. I. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est M. I., de nationalité bangladaise, née le 1er janvier 1985. Elle affirme que son expulsion par l’État partie vers le Bangladesh constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2Le 10 mai 2012 et le 18 janvier 2013, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires agissant au nom du Comité a décidé de ne pas demander de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, car à cette date les renseignements donnés par l’auteur concernant les faits n’étaient pas suffisants.

Rappel des faits exposés par l’auteur

2.1L’auteur vivait à Dacca, au Bangladesh, où vivent encore ses parents et ses frères et sœurs. Elle explique qu’elle est homosexuelle, que ses parents l’ont appris approximativement vers la fin 2002 ou au début 2003. Ils ont par la suite arrangé un mariage avec un Bengali qui résidait en Suède. Le mariage a été célébré le 3 janvier 2006 à Dacca, contre la volonté de l’auteur. Son mari est resté quelques jours au Bangladesh avant de retourner en Suède.

2.2En juin 2006, l’auteur est arrivée en Suède, après avoir reçu un permis de séjour temporaire. Lorsque son mari a appris qu’elle était lesbienne, il l’a renvoyée de force au Bangladesh, en juillet 2006. La même année, l’auteur a rencontré sa compagne et s’est installée avec elle. Ayant peu de revenus, les deux femmes ont demandé de l’aide à une association étudiante du nom de Satra Dal (Chhatra Dal). En échange l’auteur aidait à recruter de nouveaux membres. En avril 2008, la police a appris qu’elle était lesbienne, l’arrêtée et maintenue en détention pendant quatre à cinq jours. En détention elle a été violée et frappée. À la même période, le 14 avril 2008, sa compagne, Mme P. A., a été enlevée par l’organisation étudiante islamique nommée Shator Shivir (Chhatra Shibir) et l’auteur n’a plus eu de nouvelles d’elle depuis. L’auteur affirme avoir reçu des menaces de cette organisation et de la police. Elle était restée en contact avec une sœur et, de loin en loin, avec sa mère; son père ne veut plus entendre parler d’elle, estimant que son honneur était bafoué à cause du comportement de sa fille.

2.3Comme son permis de séjour suédois était valable jusqu’en mai 2008, l’auteur est retournée en Suède. Le 16 mai 2008, elle a déposé une demande d’asile auprès de l’Office suédois des migrations. Elle indiquait qu’elle avait fui le Bangladesh pour échapper aux exactions de la police et de l’organisation Shhatra Shibir. Elle affirmait qu’elle avait été détenue pendant quatre ou cinq jours et violée en raison de son orientation sexuelle et que sa compagne avait été enlevée par Shhatra Shibir. De plus, elle ajoutait qu’au Bangladesh les actes homosexuels étaient interdits par la loi et qu’aucune organisation ne pouvait défendre ouvertement les droits des homosexuels. Si elle était renvoyée au Bangladesh, elle risquait d’être soumise à la torture et à des traitements inhumains. Elle joignait un rapport médical, daté du 11 décembre 2008, qui attestait qu’elle souffrait d’une dépression et était sous traitement. Elle se sentait isolée, sans défense et en danger, et elle avait constamment peur.

2.4Le 14 janvier 2009, l’Office des migrations a rejeté la demande d’asile et ordonné le renvoi de l’auteur au Bangladesh. L’Office a fait observer que l’auteur n’avait pas apporté de preuves écrites pour étayer ses griefs et a conclu que ses allégations n’étaient pas crédibles. Il n’était pas convaincu que l’auteur risquait d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle. D’après lui, les menaces dont elle disait avoir fait l’objet de la part de ses parents, de la famille de son mari ou de membres du mouvement Shhatra Shibir étaient des actes criminels qui relevaient de la compétence des autorités bangladaises. De même, la détention de l’auteur et le viol commis par des policiers constituaient des actes répréhensibles qui auraient dû être signalés aux autorités. Les faits dont l’auteur se plaignait n’avaient jamais été dénoncés à la police ni à aucune autre autorité compétente et l’auteur n’avait pas montré que les autorités n’avaient pas la capacité ou la volonté d’enquêter sur ses allégations et d’assurer sa protection. L’Office constatait également que si les actes homosexuels étaient interdits par la loi bangladaise, on ne savait pas bien si la loi était réellement appliquée. Enfin, il faisait observer que l’auteur avait fui le Bangladesh sans rencontrer de difficultés et avec son passeport, ce qui montrait qu’elle n’était pas recherchée par les autorités bangladaises. En outre, il relevait qu’elle était arrivée pour la première fois dans l’État partie en 2006 mais n’avait demandé l’asile qu’en 2008. L’Office concluait donc qu’elle n’avait pas un besoin urgent de protection.

2.5L’auteur a fait appel de cette décision devant le tribunal suédois des migrations. Elle faisait valoir que l’Office des migrations, dans son appréciation, s’était surtout attaché aux informations indiquant que la loi qui interdit les actes homosexuels n’était pas appliquée. Il n’avait pas pris en considération l’ensemble des éléments du dossier et en particulier le mariage et le départ vers la Suède qui lui avaient été imposés dans le but de la faire changer d’orientation sexuelle, ainsi que les sévices qu’elle-même et sa compagne avaient subis au Bangladesh. Ayant été violée par des policiers, elle ne pouvait pas aller chercher de l’aide auprès de la police. En outre, l’Office des migrations ignorait comment les homosexuels étaient généralement traités dans la société bangladaise. L’auteur avait présenté deux rapports médicaux, datés du 28 mai et du 19 octobre 2009, dans lesquels il était indiqué qu’elle souffrait d’une dépression sévère liée à sa peur d’être renvoyée au Bangladesh et au fait que sa famille refusait d’accepter son orientation sexuelle. Malgré les médicaments, son état avait empiré et le risque de suicide était élevé.

2.6Le 22 décembre 2009, le tribunal des migrations a rejeté le recours de l’auteur. Il a conclu qu’elle n’avait pas fourni de documents pour étayer sa plainte et que la situation générale des homosexuels au Bangladesh ne suffisait pas à justifier la délivrance à l’auteur d’un permis de séjour en Suède. Il existait de surcroît des contradictions dans ses allégations et les informations qu’elle avait données étaient vagues et non crédibles. Les contradictions concernaient en particulier la manière dont le mari de l’auteur avait appris qu’elle était homosexuelle ainsi que la date à laquelle elle avait été contrainte de quitter le domicile de ses parents et les circonstances dans lesquelles cela s’était produit. Les renseignements qu’elle avait donnés au sujet des persécutions dont elle disait avoir été victime de la part de l’organisation Shhatra Shibir étaient vagues et insuffisantes. Pour ce qui était de la disparition de sa compagne, le tribunal a estimé que le récit de l’auteur qui affirmait que des voisins avaient vu des hommes barbus l’emmener ne suffisait pas à conclure qu’elle avait été enlevée par Shhatra Shibir. En outre, comme l’auteur n’avait pas porté plainte pour cet événement, on ne pouvait pas conclure qu’elle courait un danger du fait de la disparition de sa compagne. À propos des allégations d’arrestation, de violences physiques et de viol infligés par la police, le tribunal a estimé, comme l’avait fait l’Office des migrations, qu’il s’agissait d’actes criminels commis individuellement par des policiers et qu’il n’y avait pas de raison de penser que les autorités n’auraient pas enquêté sur ces faits et puni les auteurs. Le tribunal des migrations a conclu que l’auteur n’avait pas démontré qu’elle risquait d’être persécutée si elle était renvoyée au Bangladesh.

2.7L’auteur a déposé une demande d’autorisation de faire appel auprès de la Cour d’appel des migrations, qui l’a rejetée le 5 mai 2010.

2.8L’état psychologique de l’auteur s’est dégradé après qu’elle a appris la décision des services de l’immigration de la renvoyer. Elle a été hospitalisée à six reprises pour dépression profonde et un risque de suicide. Le 24 février 2011, l’auteur s’est adressée à l’Office des migrations en invoquant les articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers pour demander la non‑exécution de l’arrêté d’expulsion pour raisons médicales. Elle faisait valoir que lors des précédents entretiens avec l’Office, elle avait honte, en particulier en raison de la présence d’hommes, et qu’il y avait aussi eu des malentendus résultant de l’interprétation. Le 9 mars 2011, l’Office des migrations a rejeté sa demande. Il estimait que l’état de santé de l’auteur avait déjà été pris en considération à la fois par lui-même et par le tribunal des migrations. De plus, l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers s’applique aux cas de personnes dont l’état de santé est d’une gravité telle que leur renvoi est en principe impossible.

2.9En octobre 2011, l’auteur a soumis une deuxième demande à l’Office des migrations, faisant valoir de nouvelles circonstances à l’appui des allégations de risque de persécution ou de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi au Bangladesh. Elle présentait à titre de preuve une copie d’une déposition faite au poste de police de Cerani Gong, à Dacca, par le frère de la compagne de l’auteur au sujet de la disparition de celle-ci. Elle présentait également un article paru dans le journal Dainik Nowroj du 13 avril 2011, qui traite de l’homosexualité au Bangladesh. Le journaliste faisait référence à un article de 2008, qui évoquait la relation de l’auteur avec Mme P. A. Il signalait que l’article précédent avait reçu énormément d’écho dans le pays, au point que l’auteur et sa compagne avaient dû se cacher et personne ne savait où elles se trouvaient. Dans l’article de 2011 était cité l’avis d’un professeur de sociologie de l’Université de Dacca, qui déclarait que les relations comme celles que l’auteur entretenait avec sa compagne étaient le signe de l’influence négative de la culture occidentale dans la société bangladaise. L’auteur présentait en outre un nouveau rapport médical qui correspondait à son récit et confirmait qu’en raison de son orientation sexuelle, elle avait subi des violences physiques et psychologiques de la part de son mari, que des policiers l’avaient arrêtée, battue et violée, et que sa famille refusait tout contact avec elle. D’après ce rapport, l’auteur vivait dans une peur intense et avait besoin d’un traitement médical et d’un suivi car elle avait subi un profond traumatisme et souffrait d’une dépression sévère avec symptômes psychotiques. Enfin, l’auteur soumettait des rapports décrivant la situation des droits de l’homme au Bangladesh et les risques de persécution auxquels étaient exposés les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Le 15 février 2012, l’Office des migrations a rejeté la demande.

2.10L’auteur a présenté un recours contre la décision de l’Office des migrations devant le tribunal des migrations. Le 9 mars 2012, le tribunal a conclu qu’il n’existait pas de circonstances nouvelles justifiant un réexamen du dossier. L’auteur a alors déposé une demande d’autorisation de faire appel auprès de la Cour d’appel des migrations, qui l’a rejetée le 23 mars 2012.

2.11Les 10 et 15 janvier 2013, l’auteur a informé le Comité qu’au Bangladesh les lesbiennes étaient stigmatisées et souvent soumises à une pression familiale et sociale très forte pour accepter d’épouser un homme. Shhatra Shibir est une organisation islamique extrémiste dont l’objectif est d’instaurer un régime islamique au Bangladesh. Le fait qu’il existe peu d’informations au sujet des persécutions infligées par l’organisation Shhatra Shibir aux minorités sexuelles montre à quel point la situation des homosexuels est difficile au Bangladesh.

2.12L’auteur a fait valoir qu’elle résidait illégalement en Suède et que la police pouvait exécuter l’arrêté d’expulsion vers le Bangladesh à tout moment. De plus, l’Office des migrations l’avait informée qu’elle n’avait pas droit à une allocation journalière de subsistance ni à un logement. Sans cette aide, elle n’avait pas de ressources ni un lieu où habiter. L’auteur a également informé le Comité que l’Office des migrations avait refusé de la réinscrire comme bénéficiaire d’une allocation. Elle craignait d’être placée en rétention administrative dans l’attente de son expulsion.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas mesuré correctement le risque qu’elle encourt si elle est renvoyée au Bangladesh, notamment le risque de persécution ou de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui constitueraient une violation de l’article 7 du Pacte. Les autorités de l’État partie se sont excessivement intéressées au fait que la loi interdisant les actes homosexuels n’est pas appliquée et elles n’ont pas pris en considération l’ensemble des éléments de son dossier, notamment son état de santé mentale.

3.2Bien que la loi qui criminalise les relations homosexuelles ne soit pas appliquée systématiquement, son existence renforce un climat général d’homophobie et d’impunité pour ceux qui persécutent les LGBT. En outre, la loi est appliquée de façon officieuse, sans qu’il y ait de poursuites enregistrées contre des agents de l’État ou extérieurs à l’État.

3.3L’auteur fait valoir que les services de l’immigration n’ont pas tenu compte du fait qu’aux audiences elle avait besoin d’un interprète et que les contradictions qui apparaissaient dans ses déclarations au sujet de faits importants résultaient de malentendus ou d’erreurs d’interprétation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une réponse du 14 janvier 2013, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il a fait observer que le dossier présenté par l’auteur avait été examiné par les autorités compétentes conformément à la loi de 2005 relative aux étrangers entrée en vigueur le 31 mars 2006 et que tous les recours internes avaient été épuisés.

4.2La décision ordonnant l’expulsion de l’auteur vers le Bangladesh était devenue exécutoire le 2 juin 2010, date à laquelle la Cour d’appel des migrations avait rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel. Comme l’auteur refusait de quitter la Suède volontairement, le 4 novembre 2010 l’Office des migrations avait décidé de faire exécuter l’arrêté d’expulsion par la police.

4.3La communication est manifestement dénuée de fondement car les affirmations de l’auteur indiquant qu’elle risque d’être soumise à un traitement contraire aux dispositions du Pacte ne présentent pas le degré de preuve minimum requis aux fins de la recevabilité.

4.4Si le Comité devait conclure que la communication est recevable, il lui faudra déterminer si le renvoi forcé de l’auteur au Bangladesh constitue une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 7 du Pacte.

4.5Comme le Bangladesh est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, on peut supposer que le Comité connaît bien la situation générale des droits de l’homme dans le pays et aussi celle des LGBT. La lecture d’un certain nombre de rapports sur la situation actuelle au Bangladesh ne permet pas de conclure qu’il est généralement nécessaire de protéger les demandeurs d’asile originaires de ce pays. Si la situation des droits de l’homme des LGBT au Bangladesh peut certes donner matière à préoccupation, cela ne suffit pas en soi à établir que le renvoi forcé de l’auteur constituerait une violation de l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 7 du Pacte.

4.6Lorsqu’ils examinent une demande d’asile présentée au titre de la loi relative aux étrangers, les services suédois de l’immigration appliquent les mêmes critères que le Comité lorsqu’il examine une communication présentée au titre de l’article 7 du Pacte. L’organisme national qui étudie la demande d’asile est très bien placé pour évaluer les informations présentées par le demandeur ainsi que pour apprécier la crédibilité de ses griefs.

4.7En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui affirme courir personnellement un risque réel d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au Bangladesh par les autorités bangladaises ainsi que par l’organisation étudiante islamique Shhatra Shibir («Islami Chhatra Shibir») en raison de son orientation sexuelle, l’État partie rappelle que cet argument a été examiné de manière approfondie par l’Office des migrations ainsi que par les tribunaux des affaires de migrations. Avant de statuer sur la demande, l’Office a eu avec l’auteur un bref entretien préliminaire au sujet de la demande d’asile ainsi qu’un entretien plus long qui a duré environ une heure quarante minutes et s’est déroulé en présence du conseil désigné par l’auteur et d’un interprète, qu’elle a confirmé bien comprendre. De plus, l’auteur a eu la possibilité de faire des observations sur le procès-verbal de cet entretien et a aussi défendu sa cause par écrit auprès de l’Office des migrations et des tribunaux des migrations. Le tribunal des migrations a aussi tenu une audience à laquelle l’auteur a été entendue. De surcroît, même après que la décision d’expulsion est devenue exécutoire, l’Office des migrations a à deux reprises examiné de nouvelles circonstances invoquées par l’auteur en vertu du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers. La décision d’expulsion a fait l’objet d’un recours, mais les tribunaux ne l’ont pas annulée. En conséquence, il convient de considérer que l’Office des migrations et les tribunaux des migrations disposaient d’une solide base pour évaluer si l’auteur avait besoin d’une protection en Suède. Il n’y a pas de raison de conclure que les décisions des autorités chargées des migrations ont été incorrectes ou que le résultat des procédures nationales a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En fait, il faudrait accorder le crédit voulu à l’évaluation réalisée par les services de l’immigration de l’État partie.

4.8En ce qui concerne les griefs de persécutions, l’État partie objecte que le récit de l’auteur contient des contradictions et des ambiguïtés au sujet des faits qui se sont produits après son retour au Bangladesh en juillet 2006, dont beaucoup ont déjà été relevées dans la décision du tribunal des migrations en date du 22 décembre 2009. Lors du premier entretien devant l’Office des migrations, le 19 mai 2008, l’auteur a affirmé que ses parents au Bangladesh l’avaient mise à la porte en 2002‑2003, quand ils avaient appris qu’elle était homosexuelle. Or, lors de l’entretien du 8 décembre 2008 devant l’Office, elle a affirmé à plusieurs reprises que sa famille l’avait mise à la porte en 2006, c’est-à-dire sans doute peu après son retour au Bangladesh. En outre, elle a précisé qu’elle avait rencontré sa compagne à l’université en 2006 et qu’elles se considéraient comme un couple lorsqu’elle avait été mise à la porte par sa famille en 2006. De plus, son conseil a présenté au tribunal des migrations un document daté du 1er avril 2009 dans lequel l’auteur prétendait qu’elle avait été forcée de quitter la maison de ses parents à son retour au Bangladesh parce que son père, furieux, l’avait menacée et frappée. À l’audience du 9 décembre 2009 devant le tribunal des migrations, l’auteur a affirmé qu’elle avait été enfermée au domicile de ses parents pendant sept à huit mois après son retour au Bangladesh en 2006 et qu’elle avait été battue à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle soit finalement parvenue à s’échapper et à se rendre chez sa compagne, en février ou mars 2007. L’État partie souligne que l’auteur était assistée d’un conseil ainsi que d’un interprète pendant la majeure partie de la procédure d’asile et qu’avant les audiences, elle avait eu la possibilité de plaider sa cause par écrit tant auprès de l’Office des migrations que du tribunal des migrations.

4.9Tout au long de la procédure, l’auteur n’a donné que quelques informations succinctes sur les menaces qu’elle dit avoir subies de la part de l’organisation étudiante islamique Shhatra Shibir de même que sur les circonstances de l’enlèvement de sa compagne. L’auteur a affirmé qu’elle avait reçu des menaces verbales de Shhatra Shibirà quatre reprises et qu’elle était convaincue que des membres de l’organisation avaient enlevé sa compagne pendant qu’elle-même était en garde à vue. Cependant, l’auteur n’a pas précisé ni quand elle avait reçu ces menaces ni quelle forme elles avaient prises et quelle en était la teneur. De même, les allégations formulées au sujet des circonstances de l’enlèvement de sa compagne étaient vagues et ne reposaient que sur des informations de seconde main provenant d’autres étudiants, qui auraient vu des «hommes barbus» emmener sa compagne. L’État partie constate en outre que la fuite présumée de l’auteur du Bangladesh coïncide dans le temps avec la date à laquelle son permis de séjour temporaire dans l’État partie expirait. Par conséquent, au vu des contradictions et des imprécisions relevées sur les aspects essentiels du récit de l’auteur, il existe de sérieuses raisons de douter de la crédibilité de l’auteur en ce qui concerne son récit des faits survenus après son retour au Bangladesh en juillet 2006 et jusqu’en mai 2008.

4.10L’État partie estime que l’auteur ne court pas un risque réel d’être soumise à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte si elle est renvoyée au Bangladesh. Elle n’a présenté aucun document écrit pour prouver qu’elle avait été ou était encore recherchée ou accusée d’un crime par les autorités bangladaises. De plus, elle a pu quitter le Bangladesh en mai 2008 par l’aéroport international en présentant son propre passeport sans rencontrer de difficultés. Et selon ses propres dires, elle a été libérée quelques jours seulement après sa prétendue arrestation par la police bangladaise, alors que l’homosexualité est une infraction pénale au Bangladesh. Au vu de ce qui précède, rien ne permet de penser que les autorités bangladaises aient autorisé l’arrestation de l’auteur et le traitement qu’elle a subi. Il faut plutôt y voir des actes illicites commis isolément par des policiers. À ce propos, l’État partie fait observer que rien n’indique dans les rapports sur la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur que les autorités bangladaises rechercheraient activement ou persécuteraient systématiquement les homosexuelles.

4.11En ce qui concerne les menaces dont elle aurait fait l’objet de la part de Shhatra Shibir, l’auteur n’a donné aucune information concrète indiquant que des membres de cette organisation seraient à l’heure actuelle à sa recherche. En outre, plus de quatre ans se sont écoulés depuis que l’auteur aurait reçu des menaces de cette organisation. En conséquence, toute menace personnelle que l’auteur anticipe ne saurait être considérée comme fondée sur des éléments ne se limitant pas à des supputations ou des soupçons. De même, aucun élément concret ne permet de penser que la famille de son ex‑mari lui ferait subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Entre juillet 2006 et mai 2008, l’auteur a vécu à Dacca et la famille de son ex-mari n’a rien entrepris contre elle.

4.12En ce qui concerne les preuves écrites jointes par l’auteur à sa deuxième demande de réexamen de la demande de permis de séjour déposée auprès de l’Office des migrations, le 20 octobre 2011, ce qu’elle a appelé une déposition faite à la police bangladaise par le frère de sa compagne était une télécopie d’un document manuscrit et devait donc être considérée comme ayant une faible valeur de preuve. En outre, l’État partie informe le Comité qu’il a sollicité l’aide de son ambassade à Dacca au sujet de l’article qui d’après l’auteur aurait été publié dans le journal Dainik Nowroj afin de vérifier l’existence de cette publication et d’obtenir des renseignements notamment sur sa diffusion et son lectorat. L’ambassade de Suède à Dacca a répondu qu’elle ne connaissait pas ce journal et qu’en tout état de cause, ce n’était pas l’un des grands journaux du pays. De plus, l’ambassade n’a pas réussi à trouver des informations sur le journal. L’État partie estime que, indépendamment de ce qui précède, il serait étrange que le journal publie en avril 2011 un article relatant comment la relation de l’auteur avait attiré l’attention des médias trois ans auparavant, en janvier 2008. À supposer que cela soit le cas, il serait plus singulier encore que l’auteur n’ait pas eu connaissance de l’attention qu’aurait suscitée au niveau national le premier article en 2008. Par conséquent, l’État partie estime que la coupure de presse soumise a une très faible valeur probante.

4.13En conclusion, l’État partie fait valoir que le récit de l’auteur manque de crédibilité et contient un certain nombre de contradictions et de zones d’ombre concernant des faits essentiels. La communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayée. Par suite, l’exécution de l’arrêté d’expulsion concernant l’auteur ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte. Sur le fond, l’État partie affirme que la communication ne fait apparaître aucune violation du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 4 mars 2013, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Elle réaffirme que plusieurs sources d’information ont décrit les difficultés que rencontrent les LGBT au Bangladesh et la gravité de leur situation. En outre, les autorités bangladaises n’ont ni la volonté ni la capacité de protéger ces personnes car l’homosexualité est illégale dans le droit interne (art. 377 du Code pénal).

5.2L’auteur affirme que l’examen de son dossier par les services suédois de l’immigration conformément à la loi de 2005 relative aux étrangers ne peut pas être comparé à l’examen d’une communication dénonçant une violation de l’article 7 du Pacte. Bien qu’elle ait apporté de nouvelles preuves, le dossier n’a jamais été réexaminé par les autorités de l’État partie au regard des critères énoncés à l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers. Dans la réalité, la loi relative aux étrangers fait qu’il est presque impossible pour les demandeurs d’asile d’obtenir un réexamen de leur dossier. Dans son cas, l’Office des migrations a estimé, dans sa décision du 15 février 2012, que les nouveaux éléments de preuve présentés avaient peu de valeur probante. Il en résulte que toutes les preuves présentées n’ont pas été soumises à un examen minutieux comparable à un examen au regard des dispositions de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

5.3Il est indiqué dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié établi par le HCR (HCR/IP/4/Fre/REV.1) que la personne qui conduit l’entretien doit comprendre que la généralité ou l’imprécision des descriptions que donne un demandeur peuvent être dues à la «peur» de la part du requérant. De plus, on devrait aussi prendre en considération le fait que l’intéressé peut souffrir d’un traumatisme et peut ne plus se souvenir de tous les détails et circonstances. En ce qui concerne le récit qu’elle a fait aux autorités, il ressort clairement du procès-verbal du premier entretien avec les services de l’immigration, le 19 mai 2008, qu’il y a eu un malentendu entre elle et la personne qui conduisait l’entretien. Quand elle avait parlé des événements avec sa famille en 2002 ou 2003, elle avait voulu dire que c’est à cette époque que ses parents avaient appris son homosexualité, qu’ils avaient pensé qu’il serait difficile de lui trouver un mari au Bangladesh et avaient donc arrangé un mariage avec un homme qui vivait à l’étranger. Or, la personne qui conduisait l’entretien avait compris que c’est à cette époque qu’elle avait été mise à la porte de chez ses parents. De plus, son représentant légal n’était pas présent pendant le premier entretien, qui avait été très bref, et la personne qui l’interrogeait n’avait posé que peu de questions; le procès-verbal ne lui avait pas été lu à l’issue de l’entretien.

5.4En ce qui concerne la remarque de l’État partie qui objecte qu’elle avait modifié son récit à l’audience devant le tribunal des migrations, quand elle avait dit qu’elle avait été retenue prisonnière au domicile de ses parents, l’auteur répond que cette observation n’est pas fondée puisqu’elle a expliqué également devant l’Office des migrations qu’elle avait été retenue prisonnière par sa famille. Toutefois, en raison d’un malentendu entre elle-même et son interprète pendant l’entretien, cette déclaration n’a pas été rendue de la même façon à l’audience devant le tribunal des migrations. Lors du premier entretien devant l’Office des migrations elle a indiqué qu’elle n’était pas en bonne santé et lors du deuxième elle a déclaré souffrir de problèmes psychologiques et avoir consulté un médecin. Elle a également dit à la personne qui conduisait l’entretien qu’elle avait été violée par les policiers bangladais pendant sa détention. Les rapports médicaux datés du 11 décembre 2008 qu’elle avait présentés avant que l’Office des migrations prenne sa première décision montrent que sa dépression s’aggravait malgré le traitement médical. Plus tard, un rapport psychiatrique daté du 10 octobre 2009 attestait qu’elle souffrait de troubles de l’adaptation et d’une dépression majeure avec symptômes psychotiques. L’auteur rappelle que les victimes de la torture gardent souvent des flashback et des troubles de la mémoire, qui, comme il est expliqué dans les rapports médicaux, sont la cause des différences et des lacunes relevées dans les informations qu’elle a fournies. Néanmoins, pour l’essentiel son récit n’a jamais changé et il n’y a donc pas de raison de douter de sa crédibilité.

5.5En ce qui concerne l’organisation Shhatra Shibir, elle a été fondée en 1977 et est devenue l’une des trois plus grandes organisations étudiantes du Bangladesh. La première fois que l’auteur a été en contact avec cette organisation c’est par téléphone, alors qu’elle habitait encore chez ses parents. L’auteur a refusé de répondre aux questions de son interlocuteur, et celui-ci l’a alors menacée et lui a dit que si elle n’observait pas strictement les principes de la religion, il prendrait des mesures. Plus tard, quand elle a emménagé avec sa compagne, toutes deux ont été suivies par un membre de Shhatra Shibir et son dirigeant, M. J., les a menacées de leur jeter de l’acide au visage, de révéler leur orientation sexuelle à tout le voisinage et de les lapider à mort. Elles n’ont pas signalé l’incident à la police par crainte d’être arrêtées pour homosexualité. Une autre fois, elle a dit à Shhatra Shibir qu’elle allait se rendre à la police. Or peu de temps après elle a été arrêtée par la police et agressée sexuellement pendant qu’elle était en garde à vue. La police lui a dit qu’elle avait été arrêtée parce qu’elle était lesbienne. En ce qui concerne la disparition de sa compagne, l’auteur affirme qu’elle n’était pas présente au moment où sa compagne a été enlevée, raison pour laquelle elle ne pouvait que s’en remettre à des informations de seconde main. Cependant, un voisin lui a raconté que sa compagne avait été emmenée par des hommes barbus armés d’épées.

5.6L’auteur n’a pas été informée que l’État partie avait enquêté au sujet du journal Dainik  Nowroj et demandé l’assistance de son ambassade à Dacca, il lui est donc difficile de commenter la réponse de l’ambassade disant que ce journal n’existe pas. Toutefois, une simple recherche sur Internet confirme que ce journal existe et figure sur la liste des journaux distribués au Bangladesh. En outre, elle dit qu’il n’y a rien d’étrange à ce qu’elle n’ait pas su qu’un article les concernant, elle et sa compagne, était paru dans ce journal en 2008 parce qu’elle ne lisait pas les journaux à cette époque. C’est précisément cette année‑là qu’elle a quitté le Bangladesh pour retourner en Suède et, avant son départ, sa compagne avait disparu et elle-même avait été arrêtée par la police. Elle n’avait pas à l’époque une vie normale parce qu’elle était sous pression, traumatisée et terrifiée. C’est sa mère qui l’avait informée de la parution de l’article et qui l’avait accusée d’ajouter encore à la honte qui pesait sur sa famille en paraissant dans cette publication. Plus tard, un de ses amis avait osé lui envoyer une copie de l’article.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité relève que l’État partie a reconnu que tous les recours internes disponibles étaient épuisés. Il prend note également de l’argument de l’État partie qui objecte que le grief de violation de l’article 7 est insuffisamment étayé. Toutefois, le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité l’auteur a apporté suffisamment de détails et de preuves écrites pour étayer le grief tiré de l’article 7 du Pacte. Par conséquent, en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité note l’allégation de l’auteur qui affirme que son retour au Bangladesh l’exposerait au risque d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en raison de son orientation sexuelle. Avant sa dernière entrée dans l’État partie, sa famille l’avait forcée à épouser un Bangladais; elle avait été harcelée par l’organisation Shhatra Shibir et par la police bangladaise; elle avait été violée par des policiers quand elle était en garde à vue; sa compagne avait été enlevée par des membres de Shhatra Shibir et l’on est toujours sans nouvelles d’elle. Au Bangladesh, l’homosexualité est interdite par la loi et les LGBT ne sont pas protégés par les autorités, qui n’ont ni la volonté ni la capacité de leur assurer une protection. Bien que la loi interdisant l’homosexualité ne soit pas appliquée systématiquement, son existence renforce un climat général d’homophobie ainsi que l’impunité pour les agents de l’État ou extérieurs à l’État qui commettent des persécutions à l’égard des LGBT. En outre, l’homosexualité est durement stigmatisée dans la société bangladaise et les lesbiennes sont souvent l’objet d’actes d’intimidation et de mauvais traitements et forcées au mariage par leur famille. La santé mentale de l’auteur a gravement pâti de toutes les épreuves qu’elle a traversées. L’auteur ajoute qu’elle a apporté des preuves pertinentes auxquelles les autorités de l’État partie n’ont pas accordé l’attention voulue, en particulier une copie d’un article paru le 13 avril 2011 dans le journal Dainik  Nowrojdans lequel il était fait mention de sa relation sexuelle avec sa compagne, Mme P. A., qui avait déjà été exposée dans un article paru en 2008, lequel avait eu un grand retentissement dans le pays.

7.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui estime que l’auteur manque de crédibilité, que ses déclarations relatives aux persécutions qu’elle aurait subies de la part de la police et de l’organisation Shhatra Shibir étaient vagues et qu’elle n’avait apporté aucun document écrit pour étayer ses griefs dans le cadre de la procédure d’asile. De plus, l’État considère que l’arrestation de l’auteur et le viol dont elle dit avoir été victime relèvent d’une faute commise par des policiers, et que ses allégations indiquant qu’elle avait été menacée par Shhatra Shibir, qui était responsable de l’enlèvement de sa compagne, n’étaient pas étayées par des preuves concrètes. L’État partie fait aussi valoir que, même si l’homosexualité est une infraction pénale au Bangladesh et si la situation des droits de l’homme des LGBT est préoccupante, dans la pratique la loi n’est pas appliquée. De plus, les documents accompagnant la deuxième requête de l’auteur auprès de l’Office des migrations étaient considérés comme ayant une faible valeur probante car les autorités ne peuvent pas en vérifier l’authenticité.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il se réfère à l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque de préjudice irréparable comme un des traitements visés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité rappelle aussi que généralement c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque.

7.5Dans la présente communication, le Comité constate, à la lumière des éléments dont il est saisi, que l’orientation sexuelle de l’auteur et que le viol qu’elle dit avoir subi par des policiers pendant sa garde à vue ne sont pas contestés par l’État partie. Il note aussi que son orientation sexuelle est de notoriété publique et connue des autorités; que l’auteur souffre d’une dépression sévère avec un risque élevé de suicide, malgré le traitement suivi dans l’État partie; que l’article 377 du Code pénal bangladais interdit les actes homosexuels et que les homosexuels sont stigmatisés dans la société bangladaise. Le Comité estime que l’existence d’une telle loi est en soi de nature à augmenter la stigmatisation à l’égard des LGBT et empêche d’enquêter sur les actes de persécution visant ces personnes et de les réprimer. Il estime que lorsqu’elles se sont prononcées sur la demande d’asile de l’auteur, les autorités de l’État partie se sont essentiellement occupées des contradictions et des ambiguïtés relevées dans le récit donné par l’auteur de certains faits justifiant sa demande. Or, les contradictions et ambiguïtés en question ne sont pas de nature à faire douter de la réalité des risques qu’elle craint. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent les personnes appartenant à une minorité sexuelle dans le pays, telle qu’elle est décrite dans les rapports présentés par les parties, le Comité est d’avis que dans le cas particulier de l’auteur, l’État partie n’a pas pris dûment en considération les allégations de l’auteur concernant tout ce qu’elle a vécu au Bangladesh en raison de son orientation sexuelle, − en particulier les brutalités de la police − quand il a évalué les risques qu’elle courrait si elle était renvoyée dans son pays d’origine. Par conséquent, dans ces circonstances, le Comité considère que l’expulsion de l’auteur vers le Bangladesh constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que l’expulsion vers le Bangladesh constituerait, si elle était exécutée, une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’un réexamen complet de ses griefs relatifs au risque qu’elle soit soumise à un traitement contraire à l’article 7 si elle était renvoyée au Bangladesh, eu égard aux obligations de l’État partie en vertu du Pacte et aux présentes constatations du Comité. En attendant, l’État partie est prié de ne pas expulser l’auteur vers le Bangladesh tant que sa demande d’asile n’aura pas été réexaminée. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations, à les faire traduire dans la langue officielle et à les diffuser largement.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]