Nations Unies

CAT/C/45/D/339/2008

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

30 novembre 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-cinquième session

1er-19 novembre 2010

Décision

Communication no 339/2008

Présentée par:

Said Amini (représenté par un conseil, Jens Bruhn-Petersen)

Au nom de:

Said Amini

État partie:

Danemark

Date de la requête:

16 avril 2008 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

15 novembre 2010

Objet:

Expulsion du requérant du Danemark vers l’Iran

Questions de procédure:

Demande de mesures provisoires de protection; griefs non étayés

Questions de fond:

Risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:

3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (quarante-cinquième session)

concernant la

Communication no 339/2008

Présentée par:

Said Amini (représenté par un conseil, Jens Bruhn-Petersen)

Au nom de:

Said Amini

État partie:

Danemark

Date de la requête:

16 avril 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 15 novembre 2010,

Ayant achevé l’examen de la requête no 339/2008 présentée par M. Said Amini en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

1.1Le requérant est Said Amini, né en 1979, actuellement en attente d’expulsion du Danemark vers l’Iran, son pays d’origine. Il fait valoir que son expulsion vers l’Iran constituerait une violation par le Danemark de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a demandé à l’État partie, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant vers l’Iran tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Ghazvin en Iran. Il a la nationalité iranienne et est musulman chiite. Il a effectué onze années de scolarité puis deux années de service militaire. Après avoir achevé son service militaire, il a travaillé comme gérant dans l’une des boutiques tenues par sa famille. Il n’est pas marié et n’a pas d’enfant. Sa mère, son père et ses neuf frères et sœurs vivent tous en Iran.

2.2En juillet 2002, le requérant s’est engagé activement dans un groupe monarchiste appelé «Refrondom Komite» (Comité pour la réforme), sous-groupe du Parti royaliste. Ce groupe était composé de trois personnes, dont le requérant lui-même. L’une des trois était en contact avec un membre du groupe monarchiste «Hzbe-Mashrutekhanan Iran/Saltanat Talab» (le Parti royaliste d’Iran). Deux ou trois fois par semaine, le requérant et ses deux camarades du groupe distribuaient des tracts, écrivaient des slogans, collaient des affiches, etc.

2.3Le 22 décembre 2002, alors qu’ils distribuaient des tracts, les trois membres du groupe ont été cernés et arrêtés par des représentants des autorités habillés en civil. Le requérant a été isolé dans une cellule et torturé. Il a été menacé, frappé à coups de pied, passé à tabac et torturé à l’électricité; on lui a fait des incisions sur les mamelons, des objets lourds ont été suspendus à ses parties génitales et il a subi le supplice de l’eau. En raison de problèmes de santé provoqués par les tortures, le requérant a été transféré dans un hôpital à la mi-février 2003. Il a réussi à s’en échapper avec l’aide de son père, de son frère et du personnel de l’établissement.

2.4Le requérant a été emmené en voiture dans la ville de Makoo où il a séjourné chez un ami de son père pendant qu’on organisait sa fuite d’Iran. Entre le 16 et le 17 mai 2003, il est entré en Turquie illégalement depuis l’Iran. Il s’est alors rendu aux Pays-Bas, puis au Danemark où il est arrivé le 18 août 2003. Le 19 août 2003, il est entré en contact avec la police danoise et a demandé l’asile. Il a ensuite été arrêté et emprisonné jusqu’au 16 décembre 2003. Le 17 décembre 2003, le lendemain de sa remise en liberté, il s’est inscrit à la section danoise du Parti constitutionnel iranien (PCI). Il est depuis lors un membre actif du PCI Danemark. Le 18 décembre 2003, après sa remise en liberté, la Croix-Rouge danoise lui a fait passer un examen médical.

2.5Le 4 mars 2004, le requérant a été interrogé par le Service danois de l’immigration, qui lui a refusé l’asile le 17 mai 2004. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant la Commission pour les réfugiés. Le 27 septembre 2004, la Commission pour les réfugiés a rejeté la demande d’asile au motif que sa déclaration n’était pas digne de foi. Dans ses conclusions, la Commission a affirmé que l’explication du requérant n’était pas plausible compte tenu des documents d’information disponibles au sujet du niveau d’activité du mouvement monarchiste en Iran et que le requérant ne semblait pas être bien informé sur le plan politique.

2.6La Commission pour les réfugiés a rejeté une requête déposée par l’avocat du requérant, qui demandait que la procédure soit suspendue le temps que le requérant passe un examen médical. Le 30 décembre 2004, l’équipe médicale d’Amnesty International Danemark a conclu que les douleurs dont souffrait le requérant correspondaient aux violences qu’il avait décrites et ses symptômes mentaux, au diagnostic de troubles post-traumatiques, fréquents chez les victimes de torture.

2.7À la suite de l’examen médical effectué par Amnesty International, une demande de réouverture du dossier a été adressée à la Commission pour les réfugiés le 25 avril 2005. Elle a été rejetée le 24 janvier 2006.

2.8Du 19 au 29 juillet 2006, le requérant a observé une grève de la faim devant le Parlement danois, dont les médias danois se sont largement fait l’écho, et le 3 août 2006 la Commission pour les réfugiés a reporté une nouvelle fois la date de l’expulsion. Le 5 septembre 2006, le requérant a demandé une nouvelle fois la réouverture de son dossier. Cette demande a été rejetée le 22 décembre 2006 au motif que le requérant n’était pas exposé à un risque justifiant le réexamen de la décision.

2.9Le 22 janvier 2007, le requérant a demandé une dernière fois la réouverture de son dossier à la Commission pour les réfugiés. Cette requête était fondée uniquement sur le fait que la Commission n’avait pas accordé une importance décisive aux informations démontrant qu’il avait été soumis à la torture et sur le fait qu’elle n’avait donné aucune raison expliquant pourquoi ces informations n’avaient pas été prises en considération.

2.10Le 10 juillet 2007, la Commission pour les réfugiés a refusé une nouvelle fois de rouvrir le dossier. Elle a répété que les résultats de l’examen médical ne justifiaient pas la révision de la décision et que le requérant n’avait pas fait une déclaration digne de foi concernant ses activités politiques en Iran. La Commission a également déclaré que même si le requérant avait été soumis à la torture en Iran, rien ne donnait à penser que, s’il était renvoyé en Iran, il serait exposé à un risque de préjudice physique ou psychologique susceptible de justifier l’octroi de l’asile.

2.11Le requérant affirme qu’il est manifeste que des activités politiques sont menées en Iran par différents groupes, dont divers groupes monarchistes. Il reconnaît que les éléments figurant dans les documents d’information sont à certains égards contradictoires, mais il est de fait que dans plusieurs de ses décisions, la Commission danoise pour les réfugiés a reconnu de telles activités. Par exemple, par une décision du 9 octobre 2006, un Iranien s’est vu délivrer un permis de séjour parce que la Commission avait estimé qu’il risquait d’être persécuté en Iran à cause de ses activités, qui consistaient à distribuer des tracts pour le compte d’un petit groupe monarchiste.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran. Cette crainte est justifiée par le fait qu’il a été soumis à la torture dans le passé en raison de ses activités politiques, activités qu’il a reprises depuis le Danemark. Il répète qu’il s’est échappé de l’hôpital, et que la torture a été subie pendant son emprisonnement immédiatement avant qu’il ne fuie l’Iran. Cela indique bien que son dossier n’est pas clos pour les autorités iraniennes.

3.2D’après le requérant, dans l’évaluation du risque de torture auquel il est exposé, on ne saurait accorder une importance décisive à la question de savoir s’il semblait être bien informé sur le plan politique ou non.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans sa réponse du 22 juillet 2008, l’État partie a reconnu que le requérant avait épuisé les recours internes mais il a contesté la recevabilité de la requête, qu’il a qualifiée de manifestement dénuée de fondement. Il a déclaré qu’il n’y avait pas de motif sérieux de croire que si le requérant était renvoyé en Iran il risquerait d’être soumis à la torture. L’État partie s’appuyait pour cela, en tout premier lieu, sur les quatre décisions rendues par la Commission de recours pour les réfugiés.

4.2Concernant l’allégation de torture, l’État partie a souligné que la Commission de recours pour les réfugiés n’avait pas, à proprement parler, rejeté l’argument selon lequel le requérant avait subi les atteintes décrites dans le rapport établi par Amnesty International. Cela ne signifiait pas pour autant que le requérant courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran.

4.3Pour justifier sa crainte d’être soumis à la torture en Iran, le requérant avait évoqué le fait qu’il s’était échappé de l’hôpital où il avait été admis et le fait que la torture avait été subie pendant sa détention, immédiatement avant qu’il ne fuie l’Iran. L’État partie a fait observer que ces allégations n’avaient en aucune manière été étayées par le requérant.

4.4À propos de la décision rendue par la Commission de recours pour les réfugiés le 9 octobre 2006 visant un autre demandeur d’asile et mentionnée par le requérant, l’État partie a expliqué que la Commission prenait une décision concrète dans chaque cas de demande d’asile en s’appuyant sur les déclarations du requérant et les documents d’information relatifs au pays d’origine de celui-ci. Que la Commission puisse avoir accordé l’asile dans un autre cas, sans rapport avec celui du requérant, ne pouvait pas, en soi, justifier le réexamen du cas du requérant.

4.5Concernant les activités politiques que le requérant aurait menées en Iran pour le compte d’une organisation monarchiste, l’État partie a fait valoir que la Commission de recours pour les réfugiés avait examiné en détail les affirmations en question et avait conclu qu’elles ne paraissaient pas plausibles compte tenu des informations fournies par le Haut-Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés et d’autres sources à propos du niveau d’activité de l’organisation en question. L’État partie se référait également à la page 6 de la lettre initiale, où l’avocat du requérant indiquait que l’«on ne peut exclure la possibilité que [le requérant] ait exagéré l’ampleur de ses activités politiques…».

4.6Pour ce qui est des activités politiques que le requérant affirmait avoir eues après son arrivée au Danemark, l’État partie a objecté que le requérant n’avait pas démontré que la majorité de ces activités avaient un caractère fondamentalement politique. Par exemple, l’objectif de la grève de la faim à laquelle le requérant avait participé était d’appeler l’attention de la société sur la situation des demandeurs d’asile au Danemark; il n’était en aucune manière lié à la situation en Iran.

4.7En résumé, l’État partie estimait que le requérant n’avait pas suffisamment démontré qu’il avait participé, que ce soit en Iran ou au Danemark, à des activités politiques régulières ou à toute autre activité pertinente qui, à l’heure actuelle, constituerait un motif sérieux de croire que son renvoi en Iran l’exposerait personnellement à un risque réel et spécifique de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des commentaires du 6 octobre 2008, le requérant a souligné que la clef pour comprendre la manière dont les autorités danoises avaient traité son cas résidait dans la décision du Service de l’immigration danois en date du 17 mai 2004 et dans la décision de la Commission danoise pour les réfugiés en date du 27 septembre 2004. Dans ces deux décisions, la demande d’asile avait été rejetée et les déclarations du requérant faisant état de torture n’avaient pas été mentionnées du tout. Lorsqu’elle avait refusé, trois fois, de rouvrir le dossier, la Commission danoise pour les réfugiés n’avait pas examiné l’affaire mais avait simplement défendu sa décision initiale du 27 septembre 2004, dans laquelle la question de la torture n’avait pas été traitée.

5.2Le requérant a fait valoir qu’il avait fui son pays d’origine et qu’il n’était donc pas en mesure de produire d’autres preuves que les informations qu’il avait apportées oralement. L’État partie avait la possibilité de laisser le requérant passer un examen médical pour déceler des marques de torture mais il ne l’avait pas fait. Le requérant a ajouté que les autorités iraniennes étaient au courant de ses activités politiques à l’extérieur de l’Iran, y compris de l’article qu’il avait écrit dans un journal monarchiste allemand.

Décision sur la recevabilité

6.1À sa quarante-deuxième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la requête et s’est assuré que la même question n’avait pas été et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Sur la question des recours internes, le Comité a noté que l’État partie reconnaissait que les recours internes avaient été épuisés et il a donc considéré que la requête satisfaisait aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

6.2Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui faisait valoir que la requête devait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention au motif qu’elle n’était pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il a considéré toutefois que le requérant avait fait des efforts suffisants pour étayer, aux fins de la recevabilité, son grief de violation de l’article 3 de la Convention, compte tenu en particulier des informations au sujet des tortures qu’il avait subies (voir A.  A. C. c. Suède, communication no 227/2003) et du certificat médical qu’il avait produit à l’appui de ses déclarations. Le Comité a donc déclaré la communication recevable et a demandé à l’État partie de lui faire parvenir ses observations sur le fond. Le Comité demandait également des précisions sur les raisons pour lesquelles l’État partie n’avait pas voulu tenir compte de l’examen médical effectué par la Croix-Rouge danoise et de l’examen effectué par l’équipe médicale de la section danoise d’Amnesty International établissant la réalité des tortures. En particulier, il voulait savoir pourquoi l’État partie ne s’était intéressé qu’à la question de l’activité politique du requérant et non pas à celle des tortures qu’il disait avoir subies, compte tenu de la relation entre ses activités politiques et la torture.

6.3En conséquence le Comité contre la torture a déclaré la communication recevable et a demandé à l’État partie de lui soumettre ses observations sur le fond ainsi que des explications ou observations concernant la demande de renseignements précis mentionnée au paragraphe 6.2. Il ajoutait que ces observations seraient transmises au requérant.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une note du 14 septembre 2009, l’État partie a signalé qu’à la suite de la décision de recevabilité il avait demandé un nouvel avis à la Commission de recours pour les réfugiés. Le 25 août 2009, la Commission a fait les observations suivantes, sans revenir sur son appréciation. Elle signale que les propos du requérant qui affirmait avoir été torturé ont bien été pris en considération lors de l’évaluation de sa demande d’asile initiale et ensuite de l’examen de ses demandes de réouverture du dossier. La Commission avait fait figurer le rapport médical de la Croix-Rouge, en date du 18 décembre 2003, dans sa première appréciation, faite le 27 septembre 2004. Dans ses trois décisions (24 janvier 2006, 22 décembre 2006 et 10 juillet 2007) rejetant les demandes de réouverture du dossier sur la base des preuves médicales attestant la torture, la Commission a conclu que cet élément ne pouvait pas aboutir à une réévaluation de la crédibilité du requérant au sujet de ses activités politiques et de sa détention en Iran. Ainsi, même si l’on considérait comme un fait que le requérant avait été soumis à la torture dans le passé, la Commission estimait que des tortures subies dans le passé à elles seules ne suffisaient pas à justifier l’octroi de l’asile en vertu du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. La Commission appelle également l’attention sur la réponse du Gouvernement datée du 22 juillet 2008 dans laquelle il est dit que la Commission n’a pas à proprement parler rejeté la déclaration selon laquelle le requérant avait subi les atteintes décrites dans le rapport de l’équipe médicale d’Amnesty International. La Commission ajoute que la décision du 24 janvier 2006 a été rendue par écrit par tous les membres et non pas par le Président seul, ce qui garantit que les membres composant la Commission de l’époque ont procédé à une évaluation attentive de l’importance du rapport médical en question.

7.2En ce qui concerne le lien entre les activités politiques que le requérant dit avoir menées et la torture, la Commission objecte que si la torture peut être un élément prouvant l’existence de persécutions politiques, les conditions à remplir pour obtenir l’asile ne sont pas automatiquement réunies dans tous les cas où un demandeur d’asile a été soumis à la torture. Dans sa décision initiale du 27 septembre 2004, la Commission avait établi que les griefs du requérant concernant ses activités pour une organisation monarchiste semblaient improbables compte tenu des informations sur le niveau d’activité de cette organisation en Iran données par le HCR et d’autres sources, du caractère stéréotypé de la déclaration relative aux objectifs politiques de cette organisation et du fait que le requérant semblait mal informé sur les questions politiques. Les informations de base dont la Commission disposait quand elle a rendu sa décision donnent une impression, uniforme et non ambiguë, d’un mouvement monarchiste quasiment inexistant en Iran. Le requérant lui-même avait reconnu qu’il ne savait pas grand-chose du parti puisque c’était un mouvement clandestin. Il a déclaré que ce parti avait pour objectif de renverser le gouvernement religieux et de donner le pouvoir au peuple mais il ne savait pas très bien qui avait fondé le parti, quand celui-ci avait été fondé et s’il était possible qu’il ait été interdit par le gouvernement religieux. Il ne connaissait aucun des autres membres de l’organisation si ce n’est deux personnes avec lesquelles il avait participé aux activités qu’il disait avoir menées et il ne pouvait pas donner des détails sur les activités qui avaient eu lieu en Iran étant donné que l’organisation était secrète. Pour ces raisons notamment la Commission affirme que le requérant n’avait pas montré qu’il était probable qu’il intéresse les autorités iraniennes en raison des activités politiques de l’organisation monarchiste. La Commission se réfère au rapport médical d’Amnesty International et fait valoir que l’on ne peut pas conclure de ce rapport que les actes de torture allégués avaient été infligés en raison de la participation du requérant aux activités politiques qu’il avait décrites. Se référant à la jurisprudence du Comité qui considère que l’on ne peut attendre une précision complète de la part de personnes qui souffrent de troubles post-traumatiques, l’État partie fait valoir que les déclarations du requérant au sujet de ses activités politiques en Iran ne présentaient pas de contradictions ni d’incohérences.

7.3L’État partie fait valoir qu’il se fonde sur l’opinion de la Commission exposée plus haut. Pour ce qui est des informations de base à la disposition de la Commission, ces informations sont mises à jour régulièrement et il est jugé très important qu’elles soient le plus fiables possible. L’État partie donne l’adresse du site Web où ces informations peuvent être consultées, et il explique le fondement sur lequel ces informations sont utilisées, en joignant en annexe tous les renseignements donnés au requérant quand son cas a été examiné. Pour conclure, l’État partie fait valoir que les rapports médicaux ont bien été pris en considération par la Commission, que la question de savoir s’il existe un lien quelconque entre les tortures invoquées et les activités politiques que le requérant aurait eues en Iran a été minutieusement étudiée, que les autorités danoises n’ont pas été en mesure d’établir la véracité des déclarations du requérant au sujet de ses activités politiques, que les autorités n’ont pas été en mesure d’établir qu’il avait été torturé par les autorités iraniennes pour des raisons politiques ou d’autres raisons, et que même s’il était admis qu’il avait été torturé en Iran il n’avait pas suffisamment démontré qu’il avait mené des activités politiques suivies en Iran ou au Danemark pour établir qu’un renvoi vers l’Iran l’exposerait à un risque réel, spécifique et personnel d’être soumis à la torture; enfin, la Commission avait pu prendre connaissance d’informations de base exhaustives et suffisantes sur l’Iran quand elle avait examiné l’affaire.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie quant au fond

8.1Dans une note du 20 novembre 2009, le requérant relève que dans sa dernière réponse l’État partie ne donne aucun élément nouveau et, alors qu’il maintient que les déclarations relatives à la torture ont été prises en considération par les autorités dans l’évaluation de son cas, il reste que cette information n’est pas mentionnée dans la décision du Service danois de l’immigration ni dans celle de la Commission pour les réfugiés. De plus, dans les décisions de ne pas rouvrir l’affaire, la Commission n’a pas pris position sur les griefs de torture et a rejeté l’information sur ses activités politiques sans tenir compte des preuves objectives sur les tortures subies. Si elle avait accepté les preuves, il lui aurait fallu invoquer un motif différent pour justifier le refus d’accorder l’asile. Il aurait fallu en fait qu’elle traite du lien possible entre la torture et ses activités politiques. Dans sa dernière réponse, l’État partie indique que le requérant n’a pas fait de déclaration incohérente ou contradictoire concernant ses activités politiques en Iran. Ainsi le rejet de la demande d’asile est fondé sur l’argument selon lequel le requérant n’avait pas de connaissances particulières des questions politiques et les monarchistes iraniens d’aujourd’hui n’ont pas d’activités politiques en Iran.

8.2Pour ce qui est de la question de son absence de connaissances politiques, le requérant objecte qu’on ne lui a pas posé de questions à ce sujet quand il a été entendu par la Commission et que le travail qu’il faisait, c’est-à-dire du travail de propagande clandestine, était le seul genre de travail politique possible en Iran. En raison de la situation politique en Iran, il n’avait pas eu la possibilité de faire des études et son avocat considère qu’il est possible que ses connaissances politiques soient limitées mais cela ne signifie pas qu’il n’ait pas mené d’activités politiques. Pour ce qui est de savoir si les monarchistes ont des activités en Iran, le requérant avance que depuis la révolution de 1979, la Commission a toujours reconnu que les monarchistes menaient des activités limitées, par exemple la distribution de tracts et autres actes de propagande. En ce qui concerne le fait que les tortures ont été infligées six ans auparavant, le requérant fait valoir que le temps écoulé n’a aucune incidence sur le risque qu’il soit de nouveau soumis à la torture.

Délibérations du Comité

9.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

9.2Le Comité doit déterminer si en renvoyant le requérant en Iran le Danemark manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il est indiqué que le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé. Il n’est pas nécessaire que le risque soit hautement probable mais il doit être encouru personnellement et actuellement. Dans de précédentes décisions, le Comité a établi que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel».

9.5En ce qui concerne la charge de la preuve, le Comité rappelle aussi son Observation générale et ses décisions précédentes et réaffirme que c’est généralement au requérant qu’il appartient de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

9.6Pour évaluer le risque de torture dans le cas d’espèce, le Comité prend note de l’argument du requérant qui affirme qu’il existe un risque prévisible qu’il sera soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran en raison de la détention et des tortures qu’il dit avoir subies dans le passé du fait de ses activités politiques et de la reprise de ses activités politiques quand il est arrivé au Danemark. Il note que le requérant affirme que l’État partie n’a pas pris ses griefs de torture en considération et qu’il n’a jamais émis d’avis sur la véracité de la teneur des rapports médicaux qui prouveraient qu’il avait bien été torturé.

9.7Le Comité lui ayant demandé, dans sa décision concernant la recevabilité, des précisions sur les allégations de torture subie dans le passé, l’État partie a fait part d’une opinion consultative de la Commission de recours pour les réfugiés. La Commission disait qu’elle avait bien pris les allégations du requérant en considération, y compris les rapports médicaux en question et qu’elle avait fait état de ces rapports dans ses décisions du 27 septembre 2004, du 24 janvier 2006, du 22 décembre 2006 et du 10 juillet 2007. Bien que l’État partie ne se prononce pas sur la véracité de la teneur des rapports médicaux, il ne confirme pas les allégations de torture et ne les nie pas non plus. Par deux fois il affirme qu’il ne «rejette pas» ces allégations. Il conteste les allégations de l’auteur relatives à sa participation à des activités politiques et il est d’avis que même s’il reconnaissait que le requérant avait été torturé dans le passé, le requérant n’avait pas montré le lien entre ces faits et sa participation à des activités politiques.

9.8Le Comité estime qu’il est probable, au vu des rapports médicaux fournis par le requérant, qui attestent que les lésions qu’il présente correspondent à son récit, qu’il a été placé en détention et torturé comme il l’affirme. Le Comité note aussi que l’État partie ne conteste pas le grief de torture subie dans le passé mais fait valoir qu’il est peu probable qu’il ait été soumis à la torture en raison de sa participation au mouvement monarchiste, compte tenu de la très faible activité de ce mouvement en Iran. Pour ce qui est de la situation générale des droits de l’homme en Iran, le Comité est préoccupé par le fait qu’elle s’est dégradée depuis les élections de juin 2009, notamment par le rapport de six experts indépendants des Nations Unies rendu en juillet 2009, qui ont mis en cause le fondement en droit de l’arrestation de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme, de partisans de l’opposition et d’une multitude de manifestants, donnant à craindre que des individus qui exercent légitimement leur droit à la liberté d’expression, d’opinion et de réunion ne soient victimes de détention arbitraire. En particulier, le Comité est préoccupé par les informations qui indiquent que les monarchistes ont été récemment pris pour cible en Iran. À la lumière de ce qui précède, ainsi que de l’affirmation, corroborée, du requérant qui dit avoir été torturé dans le passé, le Comité est d’avis que des arguments suffisants ont été présentés pour lui permettre de conclure que le requérant courrait personnellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé en Iran.

9.9Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que le renvoi du requérant en Iran constituerait une violation des droits garantis à l’article 3 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à lui faire connaître, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la transmission de la présente décision, les mesures qu’il aura prises pour donner suite à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]