Nations Unies

CAT/C/CYP/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 juin 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales sur le quatrième rapport de Chypre *

Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de Chypre (CAT/C/CYP/4) à ses 1226e et 1229e séances, tenues les 8 et 9 mai 2014 (voir CAT/C/SR.1226 et 1229) et a adopté, à ses 1244e et 1245e séances, tenues le 21 mai 2014 (voir CAT/C/SR.1244 et 1245), les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté de soumettre son rapport périodique conformément à la nouvelle procédure facultative et d’avoir soumis à temps son quatrième rapport périodique, ce qui améliore leur coopération et permet d’orienter avec précision l’examen du rapport et le dialogue avec la délégation.

Le Comité prend acte avec satisfaction du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation plurisectorielle de haut niveau de l’État partie, ainsi que des explications et des renseignements complémentaires fournis par la délégation.

B.Aspects positifs

Le Comité salue la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, le 6 avril 2006;

b)Le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 29 avril 2009;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 2 juillet 2010;

d)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 27 juin 2011.

Le Comité salue les efforts constants que déploie l’État partie pour réviser sa législation afin de donner effet aux recommandations du Comité et de mieux appliquer la Convention, notamment l’adoption de:

a)La loi no 163(I)/2005 relative aux droits des personnes arrêtées et détenues;

b)La loi no 60(I)/2014 visant à prévenir et combattre la traite et l’exploitation des êtres humains et à protéger les victimes;

c)La loi no 126(I)/2012 relative à l’établissement et à la réglementation des agences d’emploi privées et aux questions connexes, visant à empêcher l’utilisation de ces agences aux fins de la traite des êtres humains.

Le Comité salue en outre l’adoption des mesures administratives et autres suivantes:

a)L’adoption du Plan national d’action 2010‑2013 pour la prévention et le traitement de la violence au foyer, en 2009;

b)L’adoption du Plan national d’action 2013-2015 contre la traite des êtres humains, en 2013, et la suppression du «visa d’artiste»;

c)La désignation d’un Ombudsman en tant que mécanisme national de prévention, conformément à la loi no2(III)/2009 relative aux dispositions du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Garanties juridiques fondamentales

Tout en saluant l’adoption de la loi no 163(I)/2005 (par. 5 a) ci-dessus) et le fait qu’elle s’applique à toutes les personnes en détention, y compris celles qui sont détenues en application de la législation sur l’immigration, le Comité constate avec préoccupation que l’article 23 de la loi ne garantit pas le droit d’être examiné régulièrement et gratuitement par un médecin indépendant dès le début de la privation de liberté. Le Comité est en outre préoccupé par le fait que l’article 30 de cette même loi prévoit des sanctions pénales pour les détenus qui abusent du droit à l’examen médical ou au traitement médical, ce qui peut avoir un effet dissuasif sur l’exercice effectif de ce droit. Le Comité prend également note des allégations répétées selon lesquelles des personnes privées de liberté n’ont pas été informées de leurs droits, ou l’ont été dans une langue qu’elles ne comprenaient pas, et que certains n’ont pas eu accès à un avocat commis d’office avant leur premier interrogatoire (art. 2, 11 et 12).

L ’ État partie devrait:

a) Supprimer l ’ article 30 de la loi n o 163(I)/2005 et veiller à ce que tout détenu arrivant dans un centre de détention subisse un examen médical de routine gratuit et à ce que, s ’ il le demande, l ’ examen et le traitement soient pratiqués par un médecin indépendant, sans que l ’ autorisation des autorités soit nécessaire. Tous les examens médicaux des détenus devraient être menés hors de l ’ ouïe et, chaque fois que les conditions de sécurité le permettent, hors de la vue du personnel pénitentiaire;

b) Mettre en place un système efficace et rapide d ’ aide juridictionnelle gratuite qui garantisse l ’ accès sans restrictions à un avocat commis d ’ office, y compris à des consultations en privé, dès le moment de la privation de liberté et pendant les interrogatoires;

c) Veiller à ce que tous les détenus soient informés oralement et par écrit de leurs droits dans une langue qu ’ ils comprennent, en particulier sur les voies de recours pour contester la légalité de leur détention, sur les droits des personnes en vertu de la législation sur l ’ immigration et sur le droit de se faire assister gratuitement par un interprète;

d) Faire en sorte que l ’ État partie s ’ assure régulièrement que tous les fonctionnaires respectent les garanties juridiques et que ceux qui ne le font pas fassent l ’ objet de mesures disciplinaires.

Impunité et enquêtes immédiates, efficaces et impartiales

Le Comité se félicite que la torture et les mauvais traitements aient été érigés en infractions pénales dans les articles 3 et 5, respectivement, de la loi no 235/90 portant ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui reprend intégralement la définition de la torture figurant dans la Convention. Cependant, le Comité note que l’article 3 de la loi n’a jamais été invoqué devant les tribunaux nationaux ni été appliqué par ceux-ci et que l’article 5 n’a été invoqué que dans quatre des 11 affaires pénales de mauvais traitements imputés à des agents de police, enregistrées entre 2006 et 2010. Le Comité constate également avec une vive inquiétude qu’au cours de la même période, 128 plaintes relatives à la torture et aux mauvais traitements ont donné lieu à une enquête de l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les allégations et plaintes mettant en cause la police, mais qu’il n’y a eu qu’une seule condamnation pénale pour voies de fait simples. Le faible taux de condamnation ne correspond pas aux allégations documentées de mauvais traitements commis par les agents des forces de l’ordre, notamment contre les immigrants. Le Comité prend également en considération des informations indiquant que les enquêtes manqueraient de transparence et que les plaignants seraient mal protégés, puisqu’il serait arrivé à diverses reprises que certains soient accusés de coups et blessures contre les policiers dont ils s’étaient plaints (art. 1, 2, 4, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer la mise en œuvre de la législation existante et des mesures déjà adoptées pour faire cesser la culture d ’ impunité, notamment :

a) En exigeant que tous les fonctionnaires fassent rapport au Bureau du Procureur général sur les cas faisant apparaître des mauvais traitements et en adoptant des mesures de protection afin d ’ assurer la confidentialité et la sécurité des fonctionnaires qui signalent des mauvais traitements ;

b) En veillant à ce que le Procureur général soit dûment informé de toutes les allégations de torture ou de mauvais traitements reçues par l ’ Autorité indépendante chargée d ’ enquêter sur les allégations et plaintes mettant en cause la police et procède à une enquête immédiate, efficace et impartiale chaque fois qu ’ il y a des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ou de s mauvais traitements ont été commis, notamment lorsque des fonctionnaires qui savaient ou auraient dû savoir que des mauvais tr aitements étaient infligés o nt omis de les signaler ou de les empêcher;

c) En veillant à ce que le Procureur général ne confie l ’ enquête sur les allégations de torture ou de mauvais traitements mettant en cause des agents des forces de l ’ ordre qu ’ à des agents de la police judiciaire indépendants ;

d) En veillant à ce que les fonctionnaires faisant l ’ objet d ’ une enquête parce qu ’ ils sont soupçonnés d ’ avoir commis des actes de torture ou de s mauvais traitements soient immédiatement suspendus de leurs fonctions et le restent tout au long de l ’ enquête, sous réserve du respect du principe de la présomption d ’ innocence;

e) En veillant à ce que les plaignants soient protégés contre les mauvais traitements ou l ’ intimidation qui peuvent survenir à la suite de leur plainte et qu ’ ils soient dûment informés de l ’ évolution de leur plainte;

f) En traduisant dûment en justice les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, s ’ ils sont reconnus coupables, en les condamnant à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes. Le Comité appelle l ’ attention sur le paragraphe 10 de son Observation générale n o  2 (2007) , dans lequel il souligne que le fait d ’ engager des poursuites pour mauvais traitements seulement lorsqu ’ il existe des éléments constitutifs de torture serait une violation de la Convention.

Violence au foyer

Le Comité salue les mesures législatives et autres qui ont été prises pour combattre la violence familiale, notamment l’extension de la protection juridique dans ce domaine aux travailleurs migrants vivant chez leur employeur et l’adoption du Plan national d’action 2010‑2013 pour la prévention et le traitement de la violence au foyer (par. 6 a) ci-dessus). Le Comité note cependant avec préoccupation que le nombre d’enquêtes et de condamnations est faible et que, selon les informations fournies, la majorité des affaires se soldent par une amende. De plus, l’insuffisance de l’aide aux victimes, notamment l’absence d’aide juridictionnelle, est un sujet de préoccupation, tout comme le manque d’information concernant la mise en œuvre et les résultats des plans d’action successifs. Le Comité prend également avec inquiétude des informations indiquant que les conjoints de migrants et les travailleurs migrants qui vivent chez leur employeur hésitent à dénoncer à la police les violences dont ils sont victimes, car leur droit à un permis de séjour dépend précisément de la personne qu’ils entendent dénoncer (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour combattre la violence au foyer , et notamment:

a) Assurer la mise en œuvre effective du cadre juridique, y compris son application aux domestiques qui vivent chez leur employeur, en veillant à ce qu ’ il soit procédé à une enquête rapide, efficace et impartiale sur tous les incidents de violence et à ce que les auteurs soient poursuivis et punis conformément à la gravité de leurs actes;

b) Sensibiliser et former le personnel des services répressifs, les responsables de la protection sociale, les procureurs et les juges au sujet des enquêtes, des poursuites et d es sanctions applicables en cas de violence au foyer de même qu ’ au sujet d es conditions à mettre en place pour que les victimes ne craignent plus de signaler ces cas aux autorités;

c) Prendre des mesures visant à simplifier le dépôt de plaintes par les victimes et à informer celles-ci des recours disponibles;

d) Renforcer les campagnes de sensibilisation du public pour lutter contre la violence au foyer et les stéréotypes sexistes;

e) Entreprendre une étude d ’ impact des différents plans d ’ action et des réponses de la justice pénale pour lutter contre la violence au foyer, en vue d ’ accroître leur efficacité et d ’ assurer leur application aux domestiques vivant chez leur employeur;

f) Veiller à ce que les victimes de violence s au foyer bénéficient d ’ une protection efficace, notamment le droit à un titre de séjour indépendamment du conjoint violent ou de leur statut de migrant, et aient accès à des logements convenable s et financés de manière adéquate, à l ’ aide médicale et juridique, à un soutien psychosocial et à la sécurité sociale.

Traite des êtres humains

Tout en saluant les mesures législatives et autres qui ont été adoptées pour combattre la traite des êtres humains (par. 5 b) et c) et 6 b) ci-dessus), le Comité est préoccupé par les rapports indiquant que personne n’a jamais été déclaré coupable d’avoir violé la législation réprimant la traite des êtres humains, et que les condamnations sont plutôt prononcées en vertu de lois ne portant pas sur la traite et prévoyait des peines moins lourdes. Le Comité regrette également de ne pas avoir reçu d’informations concernant les mesures prises pour enquêter sur les fonctionnaires impliqués dans la traite. Le Comité prend note d’autres informations indiquant que la nouvelle loi no 60(I)/2014 sur la traite n’offre aux victimes le droit à un recours effectif que si elles sont reconnues comme victimes par le bureau de lutte contre la traite des êtres humains de la police, sur la base d’une procédure de détermination interne. Le Comité prend également en considération les lacunes signalées dans les services sociaux offerts aux victimes de la traite (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait :

a) Faire a ppliquer strictement le nouveau cadre législatif et procéder promptement à une enquête approfondie, efficace et impartiale sur les auteurs d ’ infractions de traite des êtres humains, notamment sur les fonctionnaires impliqués, les poursuivre, les déclarer coupable s et les condamner à des peine s appropriée s ;

b) Dispenser une formation spécialisée à la police, aux procureurs et aux juges sur l ’ application de la nouvelle loi n o 60(I)/2014 et sur les enquêtes effectives, les poursuites et la répression d ’ actes relatifs à la traite des êtres humains , et aux agents d ’ immigration et aux travailleurs sociaux sur l ’ identification des victimes de la traite, notamment celles qui ont été soumises à la torture;

c) Surveiller et évaluer le nouveau régime de visa pour empêcher que les trafiquants l ’ utilisent de manière abusive , et activer d ’ urgence le mécanisme national d ’ orientation;

d) Entreprendre une évaluation de s résultats des plans nationaux , en vue d ’ accroître leur efficacité;

e) Fournir un recours effectif à toutes les victimes de l ’ infraction de traite, en leur assurant un soutien psychologique rapide et adéquat, des soins médicaux, l ’ accès aux prestations d ’ aide sociale, un logement convenable et un permis de travail, indépendamment de leur capacité de participer aux procédures judiciaires contre les trafiquants.

Identification des victimes de torture pendant le processusde détermination du statut de réfugié

Tout en reconnaissant qu’en 2012, un psychologue a été ajouté au conseil médical mis en place par les pouvoirs publics pour évaluer les victimes potentielles de torture pendant la procédure de demande d’asile, le Comité constate avec préoccupation que selon certaines informations, aucune évaluation psychiatrique ou psychologique des victimes n’est prévue de façon systématique pendant la procédure. Il note également avec inquiétude que faute de services d’interprétation, des enfants de victimes présumées d’actes de torture auraient été amenés à faire office d’interprètes et que, selon certaines informations, aucune évaluation médicale n’a permis de conclure à des actes de torture. Le Comité tient également compte d’informations selon lesquelles, à ce jour, il n’existe aucune procédure permettant d’identifier, en temps utile, les victimes de torture qui se présentent sur son territoire (art. 2, 3 et 16).

L ’ État partie devrait :

a) Améliorer d ’ urgence le système de contrôle mis en place par le Service de l ’ asile afin d ’ identifier le plus tôt possible les victimes de torture et de traite et fournir immédiatement à celles-ci des moyens de réadaptation et un accès prioritaire à la procédure de détermination du droit d ’ asile;

b) Prévoir un examen et un rapport médical et psychologique complet conformément aux procédures définies dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ( Protocole d ’ Istanbul ) , effectués par des professionnels de santé indépendants et dûment formés , avec l ’ aide d ’ interprètes professionnels, quand les entretiens personnels menés par le Service de l ’ asile ont permis de déceler des signes de torture ou de traumatisme;

c) Offrir régulièrement aux agents chargés d ’ examiner les demandes d ’ asile et aux professionnels de la santé qui participent à la procédure de détermination du statut de réfugié une formation obligatoire sur les procédures prévues par le Protocole d ’ Istanbul, notamment à la détection des séquelles psychologiques de la torture et à la prise en compte des spécificités propres à chaque sexe.

Examen judiciaire avec effet suspensif

Le Comité prend note de la décision de l’État partie d’établir un nouveau tribunal administratif ayant compétence pour évaluer le bien-fondé des appels interjetés par ceux dont la demande d’asile a été refusée, mais craint qu’en l’état actuel des choses, les demandeurs d’asile ne soient pas protégés par la loi contre le refoulement pendant le processus de réexamen judiciaire et qu’il n’y ait aucun recours effectif avec effet suspensif automatique permettant aux demandeurs d’asile et aux migrants sans papiers de contester leur expulsion, comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt rendu le 23 juillet 2013 dans l’affaire M. A. c. Chypre (art. 2 et 3).

L ’ État partie devrait respecter son engagement d ’ offrir aux demandeurs d ’ asile et aux autres migrants sans papiers un recours juridictionnel effectif avec effet suspensif automatique devant un tribunal respectueux des garanties d ’ une procédure régulière et ayant compétence pour exa miner le bien-fondé de l ’ appel .

Non-refoulement

Le Comité est très préoccupé par la faible proportion de demandeurs admis au bénéfice du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire, de même que par les informations selon lesquelles des demandeurs d’asile auraient été renvoyés dans leur pays d’origine malgré le risque de torture ou de persécution religieuse, notamment des membres de la communauté Baha’ie, qui ont été expulsés vers la République islamique d’Iran. De plus, le Comité note avec préoccupation que le paragraphe 7 de l’article 19 modifié de la loi no 2 portant modification de la loi sur les réfugiés (2013) ne protège plus contre le refoulement les personnes admises à la protection subsidiaire, y compris celles qui courent un réel risque d’être soumises à la torture (art. 2 et 3).

L ’ État partie devrait modifier le paragraphe 7 de l ’ article 19 de la loi n o 2 portant modification de la loi sur les réfugiés afin que les personnes admises au bénéfice de la protection subsidiaire soient protégées contre le refoulement injustifié. L ’ État partie devrait également veiller à ce que chaque demande d ’ asile fasse l ’ objet d ’ un examen individuel complet et que chaque demandeur d ’ asile dispose d ’ un délai suffisant pour préciser les motifs de sa demande et obtenir et présenter les preuves nécessaires à l ’ appui. Les personnes admises au bénéfice de la protection subsidiaire devraient pouvoir demander le réexamen de leur demande avant de perdre le bénéfice de la protection.

Accès des demandeurs d’asile et des migrants sans papiers à l’aide juridictionnelle

Le Comité est préoccupé par le fait que les demandeurs d’asile n’ont pas accès à l’aide juridictionnelle lors du traitement administratif de leur demande d’asile. Il constate également avec inquiétude que les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers, notamment les mineurs non accompagnés, n’ont accès à l’aide juridictionnelle pour contester une ordonnance d’expulsion et de détention que s’ils peuvent établir, devant un juge de la Cour suprême chargé de l’aide juridictionnelle, qu’ils ont de fortes chances d’avoir gain de cause pour «illégalité manifeste» ou «préjudice irréparable». Le Comité est d’avis que les critères d’accès à l’aide juridictionnelle sont indûment restrictifs en ce qui concerne les demandeurs d’asile et les migrants sans papiers, qui sont de ce fait exposés au risque de refoulement injustifié et de détention illégale (art. 2 et 3).

L ’ État partie devrait modifier la loi sur les réfugiés et la loi sur l ’ aide juridictionnelle pour garantir aux demandeurs d ’ asile et aux migrants sans papiers, notamment aux mineurs non accompagnés pour qui un tuteur aura été désigné, d ’ avoir accès gratuitement à un avocat qualifié et indépendant en première instance et pendant le réexamen judiciaire, afin qu ’ ils puissent contester la légalité et la durée des ordonnances d ’ expulsion et de détention qui auront été ren dues.

Conditions de détention

Le Comité constate avec satisfaction la diminution remarquable du surpeuplement carcéral qui, de 204 % en 2012, est passé à 114 % en avril 2014. De plus, le Comité se réjouit que le Président de la République se soit engagé à réformer efficacement le système carcéral et à remplacer l’approche axée sur le contrôle excessif par une approche axée sur les droits de l’homme. Toutefois, le Comité demeure préoccupé par le nombre élevé de décès en détention, surtout de suicides, ainsi que par la violence entre détenus, notamment le viol collectif, perpétré avec la connivence des gardiens. Le Comité s’inquiète également des informations faisant état d’obstacles qui empêchent les prisonniers chypriotes turcs détenus dans le sud de l’île de recevoir la visite de leur famille et de leurs amis. L’État partie a reconnu que la loi et les règlements sur le système pénitentiaire permettent toujours d’infliger, à titre disciplinaire, une mesure d’isolement en cellule spéciale pour une période maximale de soixante jours ou dans une cellule individuelle pour une période maximale de quatre-vingt‑dix jours. En outre, le Comité tient compte d’informations indiquant que la mise à l’isolement serait utilisée comme punition officieuse, en dehors de toute procédure, et que les détenus qui auraient commis une faute disciplinaire seraient placés à l’isolement pendant plusieurs jours à titre disciplinaire (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait poursuivre ses efforts pour mettre les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté en conformité avec les dispositions pertinentes de l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des prisonniers, qui son t en cours de révision, et notamment:

a) Mettre en œuvre effectivement les mesures visant à réduire le surpeuplement des prisons, en particulier par un recours accru à des mesures non privatives de liberté, au lieu de l ’ emprisonnement, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);

b) Veiller: i) à ce que tous les cas de décès, de suicide, de tentative de suicide et de violence en détention soient signalés aux autorités centrales à des fins de contrôle; ii) à ce que, dans tous les cas, il soit procédé à une enquête efficace et indépendante et à ce que lorsqu ’ il est conclu à une responsabilité criminelle, une peine à la mesure de la gravité de l ’ infraction soit prononcée ; iii) à ce qu ’ une surveillance et une détection accrues des détenus à risque soient assurées, grâce à des mesures de prévention du suicide et de la violence entre les détenus, en mettant en place u ne procédure de gestion des cas et en augmentant le nombre de gardiens; iv) à ce que les effets des mesures actuelles de prévention des suicides et de la violence entre détenus fassent l ’ objet d ’ une évaluation continue en vue d ’ en accroître l ’ efficacité;

c) Réviser la loi et les règlements relatifs au système carcéral pour s ’ assurer que l ’ isolement cellulaire: i) ne soit jamais appliqué aux mineurs ayant des démêlés avec la justice ou aux personnes souffrant d ’ un handicap psychosocial; et ii)  demeure une mesure de dernier recours , imposée pour une période de temps aussi brève que possible , sous surveillance stricte et sous réserve d ’ un réexamen judiciaire. L ’ État partie devrait établir des critères précis et clairs applicables aux décisions relatives à l ’ isolement et veiller à ce que les détenus conservent des contacts sociaux pendant leur période d ’ isolement. L ’ imposition de l ’ isolement comme mesure disciplinaire officieuse devrait être strictement interdite;

d) Offrir à tous les détenus tous les moyens raisonnables pour qu ’ ils puissent recevoir la visite de leur famille et de leurs amis, conformément aux normes internationales.

Détention des demandeurs d’asile

Le Comité se préoccupe du fait que, même si la loi sur les réfugiés n’autorise la détention des demandeurs d’asile qu’à titre exceptionnel et pour trente-deux jours maximum, la majorité des demandeurs d’asile sont détenus en application de la loi sur les étrangers et l’immigration en tant que migrants sans papiers ou pour des infractions mineures et ils demeurent en détention de longues périodes pendant toute la procédure de détermination de leur statut. En outre, le Comité constate que les demandeurs d’asile demeurent en détention lorsque leur demande d’asile a été rejetée au niveau administratif et qu’ils sont dans l’attente d’un réexamen judiciaire de la décision. En 2013, pour protester contre leur détention, des réfugiés syriens ont entrepris une grève de la faim et d’autres se sont suicidés (art. 11 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que tous ceux qui ont besoin d ’ une protection internationale, notamment ceux qui fuient la violence aveugle, ne soient pas détenus ou le soient seulement en dernier ressort et pour une période aussi brève que possible , une fois que toutes les mesures non privatives de liberté ont été dûment envisagées et appliquées . L ’ État partie devrait également éviter d ’ appliquer la loi sur les étrangers et l ’ immigration aux demandeurs d ’ asile.

Détention d’immigrants sans papiers

Constatant que la loi sur les étrangers et l’immigration autorise, à titre exceptionnel, la rétention administrative d’immigrants sans papiers lorsque des mesures moins coercitives n’ont pas été jugées adéquates, conformément à la directive de l’Union européenne relative au retour (directive 2008/115/CE), le Comité note avec préoccupation que cette loi ne dresse pas la liste des mesures de substitution à la détention et que les migrants sans papiers sont couramment détenus sans que des mesures moins coercitives soient envisagées et sans évaluation du risque de fuite. Le Comité est en outre préoccupé par des informations indiquant que des immigrants sont placés en détention par la police à plusieurs reprises, pour des périodes excédant la durée maximum légale de dix-huit mois, faute de permis de séjour valable, même si l’État partie n’est pas en mesure de procéder à une expulsion dans un délai raisonnable. Le Comité souscrit à l’avis exprimé par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M. A. c. Chypre, selon lequel la durée du recours devant la Cour suprême prévu à l’article 146 de la Constitution pour contester la légalité d’une ordonnance de détention, qui prend en moyenne huit mois, est trop longue pour garantir un réexamen judiciaire rapide de la détention (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Abroger les dispositions législatives qui incriminent l ’ entrée et le séjour irréguliers , et dresser dans la législation l a liste d e s mesures de substitution à la r étention administrative , notamment l ’ obligation de se présenter aux autorités ou le versement d ’ une caution;

b) Élaborer et appliquer des lignes directrices relatives à l ’ examen de la nécessité et de la proportionnalité de la détention et interdire la détention lorsqu ’ il n ’ y a aucune possibilité que le migrant puisse être expulsé dans un délai raisonnable;

c ) N ’ utiliser la détention qu ’ en dernier ressort, après que les mesures de substitution à la rétention administrative ont été dûment envisagées et épuisées , lorsqu ’ elle est nécessaire et proportionnée et pour une période la plus brève possible, dont la durée ne devrait en aucun cas excéder la durée maximale de la rétention administrative des im migrants sans papiers, notamment en cas de détentions répétées;

d) Veiller à ce que la lettre de libération prévoie la remise d ’ un permis de séjour temporaire aux im migrants dans l ’ attente de la régularisation de leur statut afin qu ’ ils ne soient pas pris dans l ’ engrenage de la détention;

e) Veiller à ce que le maintien en détention de migrants sans papiers soit examiné promptement et périodiquement par un tribunal.

Mauvais traitements et conditions de détention au centre de détention de Menoyia

Le Comité se félicite de la création, en mai 2013, d’un comité chargé d’examiner les plaintes concernant les mauvais traitements et les conditions de détention au centre de détention de Menoyia, ainsi que de la décision de ne plus utiliser de menottes, mais il demeure préoccupé par les nombreuses allégations de mauvais traitements infligés par la police dans ce centre, qui ont provoqué des manifestations et des grèves de la faim. En outre, le Comité a été informé de l’accès très restreint aux espaces extérieurs, de la piètre qualité de la nourriture et de la fréquence des mises à l’isolement (art. 11 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que le régime juridique appli qué au centre de détention de Menoyia soit adapté à sa finalité et diffère du régime de la détention pé nale. Le comité des plaintes devrai t traiter chaque plainte attentivement et transmettre sur-le-champ toute allégation de mauvais traitements au Bureau du Procureur général pour complément d ’ enquête. Le placement à l ’ isolement devrait demeurer une mesure de dernier ressort, prononcée pour une période la plus brève possible, strictement contrôlée et soumise à ré examen judiciaire.

Détention d’enfants non accompagnés et de familles

Tout en reconnaissant les efforts déployés par l’État partie qui, par décision ministérielle communiquée le 5 mai 2014, a limité le placement en détention en vue de leur expulsion d’enfants non accompagnés et de familles avec enfants, le Comité craint que la détention soit toujours permise si une mère d’enfants mineurs «refuse de coopérer» ou pendant le processus de vérification de l’âge d’un enfant mineur non accompagné. Dans les deux cas, la famille ou le mineur sera réputé détenu «dans un établissement approprié qui sera créé en temps opportun grâce au Fonds de solidarité [de l’Union européenne]». Le Comité relève également avec inquiétude que des enfants de plus de 8 ans peuvent être séparés de leurs parents contre leur gré et placés sous la responsabilité du Directeur de la protection sociale (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les enfants non accompagnés et les familles avec enfants ne soient pas détenus , sauf en dernier recours et, le cas échéant, une fois que toutes les mesures de substitution à la détention ont été dûment envisagées et appliquées et dans le meilleur intérêt de l ’ enfant , pour une période de temps aussi courte que possible. L ’ État partie doit respecter le droit des enfants de ne pas être séparés de leurs parents contre leur gré, quel que soit l ’ âge de l ’ enfant. L ’ État partie devrait éviter de placer en détention les enfants non accompagnés et les familles avec enfants lorsque l ’ État ne dispose d ’ aucun endroit approprié où les loger.

Formation

Tout en prenant note des divers programmes de formation à l’intention des forces de police et du plan de formation future du personnel pénitentiaire, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun renseignement quant à la formation relative aux dispositions de la Convention censée être régulièrement dispensée à tous les agents de l’État qui participent à la garde de personnes privées de liberté. Le Comité est également préoccupé par le fait que les lignes directrices du Protocole d’Istanbul ne sont toujours pas respectées dans le cadre des enquêtes sur des actes de torture ou de mauvais traitements (art. 10).

L ’ État partie devrait :

a) Élaborer des modules sur les dispositions de la Convention qui s ’ inscriront dans un programme de formation périodique et obligatoire à l ’ intention notamment des agents chargés de l ’ application de la loi, des juges, des procureurs, du personnel pénitentiaire et des agents d ’ immigration;

b) Dispenser régulièrement une formation sur le Protocole d ’ Istanbul aux médecins légistes, au personnel médical et aux autres fonctionnaires qui sont en contact avec les détenus et les demandeurs d ’ asile au cours de l ’ enquête et de la compilation d ’ informations sur les cas de torture;

c) Élaborer et mettre en application une méthode permettant d ’ évaluer l ’ efficacité des programmes éducatifs et de format ion relatifs à la Convention et au  Protocole d ’ Istanbul.

Personnes disparues

Le Comité salue les travaux du Comité intercommunautaire des personnes disparues à Chypre qui, au 22 novembre 2013, avait identifié 359 Chypriotes grecs parmi les 1 493 personnes portées disparues et 97 Chypriotes turcs parmi les 502 personnes portées disparues à la suite des affrontements intercommunautaires (1963-1964) et des événements de juillet 1974 et de faits ultérieurs. Le Comité note également que le mandat du Comité intercommunautaire des personnes disparues est de rechercher les Chypriotes portés disparus et non «de tenter d’attribuer la responsabilité de la mort de toutes les personnes disparues ou de tirer des conclusions quant à la cause de leur décès». Le Comité intercommunautaire des personnes disparues n’a pas non plus le pouvoir d’accorder des réparations aux proches des personnes disparues. Tout en se félicitant que le Procureur général ait ouvert des enquêtes criminelles à la suite de l’identification par le Comité des restes des victimes, certains proches de disparus n’ont pas eu la possibilité de contester les actes ou les omissions des autorités chargées de l’enquête devant les tribunaux (art. 2 et 14).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour garantir que les proches des personnes disparues identifiées par le Comité intercommunautaire des personnes disparues reçoivent une réparation adéquate, notamment des moyens de réadaptation psychologique, une indemnisation, la satisfaction et la réalisation du droit à la vérité. Ainsi qu ’ il est indiqué au paragraphe  17 de l ’ Observation générale n o 3 (2012) du Comité relative à l ’ article  14 de la Conventi on, « [s]i l ’ État n ’ enquête pas sur des allégations de torture, n ’ engage pas de poursuites pénales ou ne permet pas l ’ ouverture sans délai d ’ une action civile, cela peut constituer un déni de facto du droit à réparation et représenter par conséquent une violation des obligations découlant de l ’ article 14». Le Comité rappelle également que «[d]es recours judiciaires doivent tou jours être ouverts aux victimes », comme devraient l ’ être aussi « à la demande de celles-ci, de leur conseil ou d ’ un juge, toutes les preuves concernant les actes de tor ture ou les mauvais traitements » (Observation générale n o 3, par. 30).

Réparation, notamment indemnisation et réadaptation

Le Comité prend note de l’information figurant dans le rapport de l’État partie (CAT/C/CYP/4, par. 123) selon laquelle la Cour suprême a confirmé les condamnations prononcées dans deux affaires de torture et de mauvais traitements seulement, et il regrette l’absence d’informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation accordées par les tribunaux de l’État partie aux victimes dans ces deux affaires (art. 14).

Le Comité appelle l ’ att ention de l ’ État partie sur son Observation générale n o 3 (2012), qui explique le contenu et la portée de l ’ obligation qu ’ ont les États parties de fournir une réparation complète aux victimes de la torture. L ’ État partie devr ait :

a) Examiner les procédures actuellement utilisées pour demander réparation, afin de s ’ assurer qu ’ elles sont accessibles à toutes les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements ;

b) Assurer la p leine conformité avec l ’ article  14 de la Convention, ainsi qu ’ il est interprét é dans l ’ Observation générale n o 3 (2012), et fournir au Comité des informations sur l es réparation s et l ’ indemnisation ord onn ées par les tribunaux et sur la réadaptation, notamment les ressources allouées à cette fin.

Collecte de données

Le Comité regrette l’absence de données détaillées et ventilées sur les plaintes déposées, les enquêtes ouvertes, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans des affaires de torture et de mauvais traitements mettant en cause des membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité, des militaires et des agents pénitentiaires, tant au niveau pénal que disciplinaire, ainsi que sur les décès en détention et les crimes liés à la traite, la violence familiale et la violence sexuelle.

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques utiles pour la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment des données, aux niveaux pénal et disciplinaire, sur les plaintes déposées, les enquêtes ouvertes, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans des affaires de torture et de mauvais traitements, de décès en détention, de traite, de violence au foyer et de violence sexuelle ainsi que sur les mesures de réparation, notamment d ’ indemnisation et de réadaptation, prises en faveur des victimes.

Autres questions

Le Comité invite l’État partie à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans toutes les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 23 mai 2015, des renseignements sur la suite donnée à la recommandation du Comité visant le renforcement des garanties juridiques auxquelles ont droit les détenus, qui figure au paragraphe 7 d) des présentes observations finales. Il demande également que des informations lui soient communiquées sur les suites qui auront été données aux recommandations figurant aux paragraphes 11 a), 17 c) et 19 du présent document.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera son cinquième rapport, avant le 23 mai 2018. À cette fin, le Comité soumettra en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.