Nations Unies

CAT/C/58/D/595/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 dela Convention, concernant la communication no 595/2014*,**

Communication p résentée par :

D. M. (représenté par un conseil, John Phillip Sweeney)

Au nom de :

D. M.

État partie :

Australie

Date de la communication :

8 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

8 août 2016

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka ; risque de torture

Questions de fond :

Non-refoulement

Questions de procédure :

Recevabilité ; requête manifestement dénuée de fondement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est D. M., de nationalité sri-lankaise, né en 1991. Il a été débouté de sa demande d’asile en Australie. Il affirme que s’il était expulsé vers Sri Lanka, il courrait le risque d’être torturé, en violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au moment de la soumission de la communication, son expulsion vers Sri Lanka était imminente. Le requérant est représenté par un conseil, John Phillip Sweeney.

1.2Le 8 avril 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. Le 2 mai 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a rejeté la demande de l’État partie en date du 31 mars 2016 tendant à ce que ces mesures provisoires soient levées.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est arrivé en Australie le 11 avril 2012 de Sri Lanka, par bateau, et a été arrêté à son arrivée. En juillet 2012, il a déposé une demande de visa de protection auprès du Ministère de l’immigration et de la citoyenneté de l’État partie, invoquant un risque de torture et de mauvais traitements pour les raisons suivantes : a) il avait, dans le passé, été victime de sévices en raison de son appartenance à l’ethnie tamoule ; b) il portait des cicatrices sur les jambes qui, affirmait-il, porteraient les autorités sri-lankaises à croire qu’il s’était engagé dans le passé auprès des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) ; c) il avait quitté Sri Lanka illégalement. Le 10 octobre 2012, les services de l’immigration australiens ont rejeté la demande au motif que « [le requérant] ne courrait pas de véritable risque d’être persécuté à Sri Lanka » car « il y avait vécu la plus grande partie de sa vie sans incident » et, s’il y était renvoyé, « il [lui serait] loisible de rentrer dans son village ou de se réinstaller ailleurs et d’y vivre sans risque réel de subir un préjudice grave ».

2.2Le 17 octobre 2012, le requérant a fait appel de cette décision devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal). Le 13 février 2013, le Tribunal a confirmé la décision des services de l’immigration et a rejeté l’appel au motif que le requérant ne satisfaisait pas aux critères voulus pour être considéré comme une personne envers laquelle l’État partie avait une obligation de protection. Le 20 mars 2013, le requérant a déposé une demande d’examen judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés auprès du Tribunal de circuit fédéral, qui a rejeté cette demande le 17 janvier 2014. Le 21 février 2014, le requérant a soumis au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières une demande d’intervention ministérielle au titre du paragraphe A 2) de l’article 46 de la loi relative aux migrations. Le 8 avril 2014, le requérant a reçu une lettre l’informant que sa demande d’intervention ministérielle avait été rejetée au motif qu’elle « n’était pas dans l’intérêt public ».

2.3Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Il fait valoir qu’il ne devrait pas être tenu de se prévaloir d’autres recours auprès de juridictions australiennes supérieures car de telles procédures peuvent prendre beaucoup de temps à mener à terme et il risque d’être expulsé du pays si son visa relais est annulé par le Ministère de l’immigration dans l’intervalle.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il soutient qu’en tant que jeune Tamoul de sexe masculin, originaire du nord de Sri Lanka et ayant des cicatrices importantes sur ses jambes causées par des éclats d’obus, il serait soupçonné d’avoir été un combattant pendant la phase finale de la guerre entre l’armée sri-lankaise et les LTTE et serait donc susceptible d’être détenu pendant une longue période sans chef d’inculpation et interrogé sous la torture. Il affirme également qu’en tant que demandeur d’asile débouté arrivant d’Australie, il serait placé en détention provisoire à la prison de Negombo pour infraction à la loi sri-lankaise relative aux immigrants et aux émigrants et qu’il pourrait être inculpé et condamné à une longue peine d’emprisonnement pour départ illégal.

3.2Le requérant affirme en outre que le Gouvernement estime que les groupes à l’étranger qui sont liés aux LTTE et qui ont réussi à fuir Sri Lanka pendant l’opération humanitaire tentent régulièrement d’entrer en contact avec diverses personnes à Sri Lanka et les encouragent à se regrouper militairement. Le requérant fait référence à une déclaration faite en ce sens par le Ministre de la défense le 11 janvier 2012 et affirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait détenu arbitrairement et interrogé sur ce point précis, et il courrait le risque d’être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. Il ajoute qu’une réinstallation ailleurs dans le pays n’est pas envisageable pour une personne sur laquelle les autorités sri-lankaises font peser un risque réel car le Gouvernement contrôle désormais la totalité du territoire sri-lankais et les personnes qui ont quitté le pays illégalement ou qui ont été déboutées d’une demande d’asile sont immédiatement repérées et arrêtées par les autorités sri-lankaises à leur arrivée à l’aéroport de Colombo.

3.3Le requérant affirme donc que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 7 novembre 2014, l’État partie fait valoir que les griefs du requérant sont irrecevables car manifestement dénués de fondement eu égard à l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité. Dans l’éventualité où le Comité jugerait ces griefs recevables, l’État partie estime qu’ils sont sans fondement car ils ne sont pas étayés par suffisamment d’éléments montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant courrait le risque d’être soumis à la torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention.

4.2L’État partie fait référence à l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, dans laquelle sont décrites les normes relatives au non-refoulement, ainsi qu’à la décision du Comité dans l’affaire G. R. B. c. Suède. L’État partie estime que le requérant n’a pas établi qu’à première vue il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Les griefs du requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre « des procédures administratives et judiciaires internes solides et très complètes » de l’État partie, y compris un examen par le Tribunal de circuit fédéral, et l’État partie prend au sérieux ses obligations au titre de la Convention et s’en acquitte de bonne foi dans le cadre de ses procédures internes relatives à la migration. L’État partie demande au Comité de reconnaître qu’il a examiné de manière approfondie les affirmations du requérant dans le cadre de ses procédures internes et d’accepter sa conclusion selon laquelle il n’a pas d’obligations envers le requérant au titre de la Convention.

4.3Le requérant a d’abord déposé une demande de visa de protection le 7 juillet 2012. L’État partie explique que l’agent qui a statué sur cette demande a eu un entretien avec le requérant, avec l’assistance d’un interprète, et qu’il a examiné les éléments d’information pertinents, tels que les renseignements sur le pays fournis par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce. Le requérant a affirmé qu’en avril 2011, l’armée sri‑lankaise l’avait séparé des autres villageois parce qu’il portait une cicatrice sur le corps et l’avait gardé pour la nuit dans un camp de l’armée et interrogé. Il avait été frappé, on lui avait tordu le flanc et son père avait été battu. Il a également affirmé qu’en octobre 2011, quatre hommes armés s’étaient présentés à son domicile ; deux d’entre eux étaient entrés dans la maison et l’avaient accusé d’être membre des LTTE. Après cet incident, il avait déménagé à Gampaha. Le requérant a aussi indiqué qu’en mars 2012, il avait été enlevé par quatre hommes, qui l’avaient tenu enfermé dans une pièce pendant une semaine et lui avaient dit qu’il devait « se joindre à eux », sans quoi ils le garderaient enfermé jusqu’à ce qu’il accepte. Le requérant s’est évadé et, plusieurs jours plus tard, est parti pour l’Australie.

4.4Le requérant a affirmé qu’il craignait d’être enlevé et tué par l’armée sri-lankaise ou contraint de se joindre à un groupe paramilitaire en cas de renvoi à Sri Lanka. Il serait visé en tant que jeune homme Tamoul et soupçonné de participation aux activités des LTTE en raison des cicatrices sur son corps consécutives à des blessures par éclats d’obus subies pendant la guerre civile.

4.5L’agent qui a pris la décision initiale a estimé que les affirmations du requérant manquaient de crédibilité ; il doutait en particulier que les événements d’octobre 2011 et de mars 2012 aient eu lieu. Il a conclu que le requérant ne présentait pas un profil particulièrement marqué et susceptible d’attirer négativement l’attention de l’armée sri‑lankaise, des autorités gouvernementales ou de quelque groupe paramilitaire ou autre que ce soit, et que compte tenu de toutes les circonstances, toute vulnérabilité du requérant découlant de son appartenance à l’ethnie tamoule et l’incidence qu’aurait cette appartenance en cas de retour en tant que demandeur d’asile débouté, de même les cicatrices qu’il portait sur les jambes, ne mettaient pas en jeu les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement.

4.6Cette décision a été confirmée en appel, le 12 février 2013, par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Ce tribunal est un organe de contrôle externe spécialisé qui procède à des examens complets et indépendants des décisions relatives aux visas de protection. Le requérant était présent à l’audience du Tribunal et était représenté par un agent officiel de l’immigration. Il a pu faire des déclarations orales avec l’assistance d’un interprète. Le Tribunal n’a pas jugé crédible son récit concernant les événements d’octobre 2011 et a estimé qu’il n’était pas vraisemblable qu’un groupe d’hommes non identifiés le menace en raison de sa cicatrice et batte son père, tout en ne prenant aucune mesure pour le placer en détention ou le poursuivre. Le Tribunal n’a pas non plus estimé que les événements de mars 2012 se soient réellement produits car il n’a pas admis l’idée que des cicatrices puissent être une raison pour qu’un groupe paramilitaire agissant en dehors de la loi cible le requérant pour le recruter. Il a conclu que le requérant n’avait pas de motif sérieux de craindre d’être arrêté par l’armée sri-lankaise dans l’avenir en raison de sa cicatrice ou d’un lien supposé avec les LTTE, ni d’être enlevé ou recruté par un groupe paramilitaire quel qu’il soit. Le Tribunal n’a pas estimé non plus que le requérant risquerait d’être persécuté uniquement en raison de son appartenance à l’ethnie tamoule. Il a conclu qu’il était possible qu’à son retour à Sri Lanka le requérant subisse un retard dans les formalités d’entrée et soit arrêté et contraint de payer une amende avant d’être remis en liberté, mais que cela ne mettait pas en jeu les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement.

4.7Le 20 mars 2013, le requérant a déposé une demande d’examen judiciaire de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, faisant valoir que celui-ci n’avait pas pris en considération son affirmation selon laquelle en cas de renvoi il serait placé en détention provisoire pendant une période prolongée et soumis à des sanctions en vertu de la loi relative aux immigrants et aux émigrants, parmi lesquelles figuraient l’emprisonnement pour une durée pouvant aller jusqu’à dix-huit mois. Le 17 janvier 2014, le Tribunal de circuit fédéral a constaté que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait estimé que le requérant ne serait pas soumis à une détention arbitraire ou prolongée à son retour à Sri Lanka. Il a conclu que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait suffisamment examiné les griefs du requérant et a rejeté la demande d’examen judiciaire.

4.8Le 21 février 2014, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi de 1958 relative aux migrations. Ses griefs ont été examinés et il a été conclu qu’ils ne répondaient pas aux critères applicables à l’intervention ministérielle. L’agent qui a pris la décision a estimé qu’il n’y avait aucun nouvel élément d’information ou de preuve contredisant la conclusion du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés.

4.9L’État partie indique en outre que le requérant a affirmé qu’il pourrait être détenu par les autorités sri-lankaises pendant une période plus longue parce que son passeport avait été utilisé comme élément de preuve dans une affaire de trafic de personnes et que, de ce fait, il risquait d’être soumis à la torture et à des traitements cruels et inhumains et dégradants par les autorités sri-lankaises. Le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a examiné ces allégations et a conclu qu’elles n’étaient pas crédibles car aucun élément d’information ne permettait de penser que le requérant était soupçonné d’avoir pris part à des activités de trafic de personnes. Le requérant a également soutenu qu’il ne serait pas en mesure de se réinstaller sur le territoire sri-lankais car les autorités de l’État contrôlaient désormais l’ensemble du pays et que les personnes qui avaient quitté le pays illégalement ou qui avaient été déboutées d’une demande d’asile étaient placées en détention à leur arrivée à Sri Lanka. Cette affirmation avait été examinée à l’étape de la demande de visa de protection et l’agent qui avait statué sur cette demande avait conclu que le requérant n’avait pas un profil susceptible d’attirer l’attention des autorités sri-lankaises et qu’il pourrait vivre ailleurs à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 13 août 2015, le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses griefs sont irrecevables et dénués de fondement et maintient que sa situation personnelle le rend susceptible d’être torturé, recruté de force par des organisations paramilitaires et détenu pendant des périodes prolongées. Il renvoie aux conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A. c. Royaume-Uni et réaffirme que dans son cas aussi il y a un risque manifeste qu’il soit fouillé à nu à son arrivée à l’aéroport à Sri Lanka et que des conclusions négatives soient tirées si l’on constate qu’il porte des cicatrices. Il évoque également le cas de deux personnes renvoyées à Sri Lanka depuis l’Australie qui ont été interrogées et torturées à leur retour.

5.2Le requérant indique que, dans sa demande d’intervention ministérielle, il a appelé l’attention sur les positions contradictoires prises − en sa défaveur − par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, mais que le Ministre n’a pas tenu compte de l’importance des éléments qui lui avaient été soumis. Le requérant avait cité une décision du Tribunal dans laquelle celui-ci avait considéré qu’à Sri Lanka le fait pour un Tamoul de porter une cicatrice qui semblait provenir d’une blessure subie pendant un combat conférait à l’intéressé un profil particulier susceptible de lui valoir de subir des atteintes de la part des autorités mais aussi d’organisations paramilitaires et avait fait valoir que, dans son cas, le Tribunal avait examiné le même type d’éléments de preuve mais avait décidé que le fait d’avoir des cicatrices ne susciterait pas de soupçons d’appartenance aux LTTE ou de participation à des combats. Le Ministre n’a pas tenu compte de la grave injustice commise à l’encontre du requérant.

5.3Le requérant indique que les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ayant trait à la protection complémentaire se limitent à un paragraphe, dans lequel le Tribunal explique qu’il n’est pas convaincu que le requérant présente un intérêt pour les autorités sri-lankaises et, partant, que le requérant ne remplit pas le critère applicable en matière de protection complémentaire. Il affirme que le Tribunal a reconnu qu’il portait des cicatrices causées par des tirs d’artillerie mais n’a pas tenu compte « des conclusions tirées par les autorités » et n’a pas examiné la question de savoir s’il existait un « risque réel » qu’il subisse un préjudice grave. Le requérant fait également valoir que l’État partie ne lui a pas apporté une protection adéquate au titre du principe de non-refoulement. Il fournit un aperçu des récentes modifications apportées à la législation interne, lesquelles, soutient-il, réduisent la protection accordée aux demandeurs d’asile et vont à l’encontre du principe de non-refoulement.

5.4Le requérant renvoie également aux observations finales du Comité concernant Sri Lanka et souligne que nombre de ses recommandations concernant la prévention de la torture et l’ouverture d’enquêtes sur les cas de torture n’ont pas été mises en œuvre et qu’il continue de régner à Sri Lanka une culture de l’impunité.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans une note en date du 23 décembre 2015, l’État partie relève que, dans ses commentaires, le requérant a affirmé que le fait pour un Tamoul sri-lankais de porter une cicatrice qui semble provenir d’une blessure subie pendant un combat confère à l’intéressé un profil particulier « susceptible de lui valoir de subir des atteintes de la part des autorités mais aussi d’organisations paramilitaires ». L’État partie indique à cet égard que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas accepté comme un fait que le requérant avait été ciblé en octobre 2011 ou qu’il avait été enlevé par un groupe paramilitaire en mars 2012 en raison de sa cicatrice ou pour quelque autre raison que ce soit. Le Tribunal de circuit fédéral a estimé que la conclusion du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés selon laquelle les faits allégués ne s’étaient pas produits « était raisonnable compte tenu des éléments dont il était saisi ». Il a également estimé que le Tribunal avait adéquatement examiné le grief soulevé concernant les cicatrices sur la jambe du requérant. À la suite de la soumission par le requérant de sa communication au Comité le 13 août 2015, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a examiné les éléments de preuve présentés par le requérant (photos et déclaration sur l’honneur signée) et conclu qu’ils ne fournissaient aucun éléments nouveaux concernant l’affirmation du requérant selon laquelle il avait un profil qui, à Sri Lanka, attirerait l’attention des autorités, ou l’argument selon lequel ses cicatrices « lui conféreraient un profil, putatif ou non, à son arrivée à Sri Lanka ». Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a estimé qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire que les cicatrices du requérant lui feraient courir le risque d’être soumis à la torture.

6.2Pour ce qui est de la référence faite par le requérant à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A. c. Royaume-Uni, l’État partie fait valoir que cette décision concernait la situation en 2008, avant la fin de la guerre civile à Sri Lanka, et que le niveau de violence en 2008 ne peut pas être comparé au niveau de violence en 2015. S’il pouvait y avoir un risque en 2008, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ne constitue pas pour autant une preuve à l’appui de l’affirmation du requérant selon laquelle ce risque subsiste depuis que la guerre a pris fin et que les LTTE ne sont plus actifs à Sri Lanka. Les événements récents, notamment un changement de Gouvernement qui a débouché sur des réformes politiques et une réduction de la présence militaire dans le nord et dans l’est du pays, se sont traduits par une amélioration de la sécurité depuis la dernière fois que les griefs du requérant ont été examinés. En se fondant sur les informations actuelles sur le pays, il a été conclu dans le cadre des procédures internes de l’État partie que le requérant n’avait pas démontré qu’il serait considéré comme un sympathisant des LTTE (notamment en raison de ses cicatrices) ni que même s’il était identifié comme ayant des liens familiaux avec un membre des LTTE, ou avec un membre présumé de ceux-ci, il attirerait suffisamment l’attention pour courir le risque d’être soumis à la torture.

6.3L’État partie fait aussi valoir que les informations actuelles sur le pays cadrent avec les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. En ce qui concerne le départ illégal du requérant de Sri Lanka, l’article 45 1 b) de la loi relative aux immigrants et aux émigrants dispose que le fait de quitter le pays par un point autre qu’un point d’entrée ou de sortie officiel constitue une infraction punie, notamment, d’une peine de privation de liberté d’une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans et d’une amende d’un montant maximal de 200 000 roupies. Cependant, en se fondant sur les informations actuelles sur le pays, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a déterminé que la sanction la plus probable qui serait imposée serait une amende et que l’on n’infligeait pas de peines de privation de liberté à des personnes impliquées dans des activités de traite de personnes en tant que passager. Le risque de torture est plus important pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions graves, telles que celles de trafic de personnes ou de terrorisme, ou pour les anciens membres des LTTE très en vue. L’État partie fait valoir que ce n’est pas le cas du requérant.

Commentaires supplémentaires du requérant

7.Dans une note du 5 août 2016, le requérant réaffirme qu’il n’est pas d’accord avec l’affirmation de l’État partie, qui fait valoir que ses demandes de protection ont fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre de « procédures administratives et judiciaires internes solides et très complètes », étant donné que la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés contient des incohérences et que le Tribunal a accordé peu d’attention à l’obligation de non-refoulement qui incombe à l’État partie en vertu de la Convention, en répondant à ses allégations en un paragraphe seulement. Le requérant réaffirme également que le simple fait que sa cicatrice soit vue à son arrivée à l’aéroport suffirait à susciter des soupçons suffisants pour l’exposer au risque d’être placé en détention provisoire à la prison de Negombo pour une longue période. Il serait en outre exposé à un risque important de harcèlement à son retour dans son village natal, parce que les autorités sri-lankaises s’interrogeraient sur sa cicatrice, dont elles pourraient déduire qu’il avait été blessé au combat ou bien qu’il avait subi les bombardements de la population civile à la fin de la guerre. Il maintient que les civils qui sont victimes ou témoins de crimes de guerre, tels que le bombardement au cours duquel il a été blessé, courent un risque à Sri Lanka car le Gouvernement continue de résister à la réalisation d’enquêtes crédibles sur les allégations de crimes de guerre. Le requérant note en outre que les décisions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés sont en grande partie fondées sur la crédibilité, et il fait valoir que conformément à la loi, les questions de crédibilité ne peuvent pas faire l’objet d’un examen juridictionnel, qui ne devrait porter que sur les erreurs de droit. Il note aussi que l’État partie a fait référence à la baisse du niveau de violence à Sri Lanka par rapport à la période d’avant 2009 et énuméré certains des profils qu’il considérait comme à risque, mais sans avancer d’argument expliquant pourquoi les motifs exposés au Comité par le requérant pour établir l’existence d’un risque le concernant ne devaient pas être pris en compte. Il fait valoir que le Comité devrait examiner sa situation particulière, qu’il ne devrait pas prendre pour argent comptant les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés mettant en doute sa crédibilité et qu’il ne devrait pas non plus accepter l’avis du Département de l’immigration et de la protection des frontières sans se poser de question.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication est manifestement dénuée de fondement et donc irrecevable en vertu de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité. Il considère néanmoins que la communication a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête d’une manière suffisamment détaillée pour qu’il puisse prendre une décision.

8.3Le Comité rappelle également que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité est vivement préoccupé par les allégations persistantes et cohérentes selon lesquelles le recours à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de l’État, qu’il s’agisse de militaires ou de policiers, est resté répandu dans de nombreuses parties du pays depuis la fin du conflit en mai 2009. Le Comité rappelle toutefois que le but de l’analyse à laquelle il doit se livrer est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 1, dans laquelle il a indiqué que « l’existence [du] risque [de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est “hautement probable” » ; le risque doit néanmoins être « encouru personnellement et actuellement ». À cet égard, le Comité a établi dans de précédentes décisions que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. Dans ce contexte, le Comité renvoie aux observations finales qu’il a formulées à l’issue de l’examen en 2011 du rapport valant troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est dit sérieusement préoccupé par des informations qui donnaient à entendre que des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, avaient continué à pratiquer la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les LTTE eut pris fin en mai 2009. Le Comité renvoie également aux observations finales qu’il a formulées à l’issue de l’examen en 2013 du cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, dans lesquelles il a relevé l’existence d’éléments prouvant que certains Tamouls sri-lankais avaient été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements après leur retour forcé ou volontaire à Sri Lanka. Le Comité se réfère en outre aux observations et recommandations préliminaires formulées par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à la suite de la visite officielle qu’il a effectuée à Sri Lanka conjointement avec le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats du 29 avril au 7 mai 2016, dans lesquelles il est noté que « la torture est une pratique courante » et que « le cadre juridique actuel et l’absence de réforme structurelle des forces armées, de la police, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuent le risque réel que la pratique de la torture continue ». Le Comité prend également note des rapports crédibles publiés par des organisations non gouvernementales concernant la manière dont les individus renvoyés à Sri Lanka sont traités par les autorités sri-lankaises.

9.5Le Comité note que le requérant affirme qu’il courrait un risque réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka pour les raisons suivantes : a) il a été détenu et soumis à des mauvais traitements en 2011 et en 2012 par l’armée sri-lankaise et par un groupe paramilitaire non identifié ; b) il porte des cicatrices sur la jambe dont il prétend qu’elles conduiraient les autorités sri-lankaises à croire qu’il a été impliqué dans le passé dans les activités des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE); c) il a quitté illégalement Sri Lanka. Le Comité constate cependant que les organes compétents de l’État partie ont procédé à un examen approfondi de tous les éléments de preuve présentés par le requérant et ont conclu que ceux-ci n’étaient pas crédibles. En outre, le Comité constate que, selon les propres dires du requérant, ni lui ni aucun membre de sa famille n’a été impliqué dans les activités des LTTE à quelque moment que ce soit, et que le requérant n’a pas présenté suffisamment d’éléments pour démontrer que ses seules cicatrices, qui proviennent d’une blessure par éclat d’obus subie dans son enfance, auraient pour conséquence qu’il serait soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE.

9.6En ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle il serait arrêté et incarcéré en raison de son départ illégal de Sri Lanka, le Comité prend note de l’information, qui n’a pas été contestée, indiquant qu’en vertu de l’article 45 1) b) de la loi relative aux immigrants et aux émigrants, quitter le pays par un point autre qu’un point d’entrée ou de sortie officiel constitue une infraction punie notamment d’une peine de privation de liberté d’une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans et d’une amende d’un montant maximal de 200 000 roupies. Le Comité rappelle que le seul fait qu’il y ait un risque d’être arrêté et interrogé ne suffit pas à conclure qu’il existe également un risque d’être soumis à la torture. Le Comité fait en outre observer que même si le requérant devait être condamné à une peine privative de liberté, le fait d’avoir à accomplir cette peine ne serait pas en soi constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité rappelle son observation générale no 1, dans laquelle il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables (par. 5). De l’avis du Comité, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant à Sri Lanka ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.