Nations Unies

CAT/C/58/D/599/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 599/2014*,**

Communication p résentée par :

T. (représenté par Michaela Byers, avocat et agent des services d’immigration)

Au nom de :

T.

État partie :

Australie

Date de la requête :

30 avril 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

3 août 2016

Objet :

Expulsion

Questions de fond :

Risque de torture en cas de renvoi forcé dans le pays d’origine

Questions de procédure :

Recevabilité − Défaut manifeste de fondement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est T., de nationalité sri-lankaise, né en 1988 à Batticaloa. Il affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation par l’Australie de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, Michaela Byers. L’Australie a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 28 janvier 1993.

1.2Le 2 mai 2014, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. Le 21 mai 2015, l’État partie a demandé au Comité de lever sa demande de mesures provisoires. Le 26 octobre 2015, le Comité a décidé de ne pas accéder à cette demande de l’État partie. Le 25 février 2016, l’État partie a demandé que la communication soit examinée par le Comité dans les meilleurs délais.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 1998, le requérant a cessé de fréquenter l’école parce que certains enfants avaient été enlevés et recrutés par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

2.2Il a été employé comme bijoutier à Colombo de 2004 à 2012 (de l’âge de 16 ans à l’âge de 24 ans). Pendant cette période, des officiers de l’armée venaient à la bijouterie trois ou quatre fois par mois pour vérifier ses documents d’identité et ils jetaient alors au sol son matériel.

2.3En 2006, le frère du requérant a été enlevé par les LTTE et sa famille ne l’a pas revu depuis.

2.4Entre 2007 et 2008, le requérant est retourné à Batticaloa pour s’enregistrer dans un camp militaire avec sa famille, qui avait été déplacée par les combats. Sur le chemin du retour à Colombo, il a été enlevé par cinq hommes dans une camionnette blanche. Le requérant affirme qu’il a été enlevé parce que les hommes en question l’avaient confondu avec son frère, qui était membre des LTTE. Il a été détenu pendant une journée, passé à tabac et interrogé au sujet de ses liens avec les LTTE. Il a été libéré plus tard dans la journée et a passé trois mois à l’hôpital.

2.5En février 2012, le requérant est tombé malade et il est retourné chez lui. Un jour, cinq hommes se sont rendus à son domicile et ont exigé de lui qu’il participe à un rassemblement contre les conclusions de l’Organisation des Nations Unies concernant Sri Lanka. Le requérant a refusé parce qu’il était malade. Les hommes en question l’ont accusé d’appartenir à une famille de partisans des LTTE, l’ont giflé à deux reprises et lui ont dit de faire attention à lui.

2.6Le requérant s’est alors caché chez différents amis et proches avant de fuir vers l’Australie.

2.7Le requérant a quitté Sri Lanka illégalement par bateau le 25 mars 2012 depuis Beruwela, dans la province de l’ouest, et il est arrivé le 11 avril 2012 à Christmas Island, qui fait partie des territoires exclus de la zone d’immigration de l’Australie.

2.8Le 30 juin 2012, le requérant a déposé une demande de visa de protection et a été interrogé par un fonctionnaire du Ministère de l’immigration et de la citoyenneté au Centre de détention pour immigrants de Scherger, dans le Queensland. La demande du requérant a été rejetée, comme indiqué dans la décision écrite en date du 17 août 2012. Le requérant a saisi le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés afin qu’il réexamine cette décision et il a été entendu par un membre du Tribunal le 20 novembre 2012. Le 1er mai 2013, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision initiale de ne pas lui accorder de visa de protection. Le 13 mai 2013, le requérant a sollicité un contrôle juridictionnel de cette décision par le Tribunal de circuit fédéral. Le 22 novembre 2013, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande du requérant et l’a condamné au paiement des dépens pour un montant de 2 500 dollars. Le 11 décembre 2013, le requérant a demandé au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 417 de la loi sur les migrations. Le 3 mars 2014, le Ministre adjoint de l’immigration et de la protection des frontières a refusé d’intervenir. Le visa temporaire du requérant ayant expiré, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a prévu un entretien avec le requérant le 2 mai 2014. Au moment de la présentation de la communication, le requérant craignait d’être arrêté lors de l’entretien et de nouveau placé en détention en vue de son expulsion vers Sri Lanka.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il sera arrêté et détenu en vertu de la loi sri-lankaise relative aux immigrants et aux émigrants en cas de retour à Sri Lanka. Il affirme qu’il sera placé en détention provisoire à la prison de Negombo et exposé à un risque réel de préjudice important en étant soumis à une détention prolongée pendant laquelle il subirait des interrogatoires et des actes de torture parce que son frère était membre des LTTE et que lui-même a eu des contacts avec les membres du Tamil Congress en Australie. Il ajoute que les conditions de détention à la prison de Negombo constituent un traitement dégradant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 7 novembre 2014 contenant ses observations sur la recevabilité et sur le fond, l’État partie fait observer qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, les États parties ont l’obligation de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Il rappelle que dans ses constatations concernant l’affaire G . R . B .   c. Suède, le Comité a confirmé que l’obligation au titre de l’article 3 était directement liée à la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention. Le Comité a également noté que plusieurs éléments devaient exister pour qu’un acte soit constitutif de torture : l’acte doit causer une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales ; il doit être intentionnellement infligé à une personne dans le but d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit ; il doit être infligé par un agent public ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.

4.2L’État partie note que chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Un comportement sera constitutif ou non de torture selon la nature de l’acte considéré. De plus, à supposer qu’il soit établi que les actes considérés sont constitutifs de torture, il faut aussi, selon l’article 3 de la Convention, qu’il y ait des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture. Cela signifie que le requérant doit courir personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé. Le Comité a également précisé que le risque devait être personnel et actuel. Pour montrer qu’un État partie contreviendrait aux obligations de non-refoulement qui lui incombent au titre de l’article 3 de la Convention, il faut établir qu’une personne risque personnellement de subir un tel traitement en cas de renvoi dans son pays d’origine. De plus, la preuve de l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas d’extradition ou d’expulsion doit être apportée par le requérant. Le risque doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.3Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme que les griefs du requérant sont irrecevables en vertu de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. Dans son observation générale no 1, le Comité a affirmé que c’est au requérant qu’il incombe d’établir à première vue l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit torturé par les autorités du pays vers lequel il doit être renvoyé. L’État partie soutient que le requérant n’a pas satisfait à cette condition. Pour le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie fait valoir que les griefs du requérant sont dépourvus de fondement.

4.4L’État partie fait valoir que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par plusieurs organes de décision et de contrôle nationaux, dont le Tribunal de circuit fédéral. Chacun de ces organes a spécifiquement examiné les griefs du requérant et conclu que celui-ci n’était pas personnellement exposé à un risque prévisible et réel de torture au sens de l’article 3 de la Convention. Les allégations du requérant ont notamment été appréciées à la lumière des dispositions relatives à la protection complémentaire figurant à l’alinéa 36 2) aa) de la loi sur les migrations, qui précisent les obligations incombant à l’État partie en matière de non-refoulement, au titre de la Convention notamment. L’État partie relève que, dans ses déclarations au Comité, le requérant n’a pas fourni d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles internes évoquées ci-dessus. À ce sujet, l’État partie renvoie à l’observation générale no 1 du Comité dans laquelle celui-ci indique qu’il n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel et qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie.

4.5L’État partie reconnaît qu’il est difficile pour les victimes de torture d’être d’une exactitude totale ; ce facteur a toutefois été pris en compte par les autorités internes lorsqu’elles ont apprécié la crédibilité du requérant. Lors de l’examen de la demande de visa de protection présentée par le requérant, il a été tenu compte d’une marge raisonnable d’erreur et d’incohérence dans son récit.

4.6L’État partie note que les griefs du requérant ont été examinés dans le cadre de la procédure d’instruction de sa demande de visa de protection, de l’examen au fond indépendant effectué par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, du contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral, de l’examen de l’appel de la décision du Tribunal de circuit fédéral introduit par le requérant devant la Cour fédérale d’Australie et de l’examen de ses demandes d’intervention ministérielle du 11 décembre 2013.

4.7 Le requérant a déposé une demande de visa de protection le 30 juin 2012. Il s’est vu accorder un visa provisoire le 16 août 2012 dans l’attente de l’examen de sa demande de visa de protection par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le 16 août 2012, la demande de visa de protection présentée par le requérant a été rejetée. Le requérant a obtenu des visas temporaires supplémentaires les 13 juin et 14 août 2013 sur intervention ministérielle au titre de l’article 195A de la loi sur les migrations.

4.8L’État partie explique que les autorités ont eu un entretien avec le requérant (assisté d’un interprète) et qu’elles ont également examiné d’autres éléments d’information pertinents, par exemple des données sur le pays d’origine fournies par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce et par des organisations non gouvernementales, comme Amnesty International. Les autorités ont examiné tous les griefs formulés par le requérant dans ses lettres au Comité, à l’exception de ceux concernant ses activités en Australie, qu’il n’avait pas soulevés à ce stade. Elles ont estimé que l’affirmation du requérant selon laquelle il avait abandonné sa scolarité à l’âge de 10 ans parce qu’il était trop dangereux de fréquenter l’école et il avait ensuite vécu pendant six ans avec des membres de sa famille et des amis à Colombo n’était pas crédible. Elles ont également conclu que les difficultés infligées au requérant par les officiers de l’armée alors qu’il était employé comme bijoutier à Colombo n’étaient pas d’une nature telle qu’elles constituaient un préjudice grave et ne pouvaient donc pas être assimilées à de la persécution. Les autorités ont en outre conclu que ces expériences passées de harcèlement ne prouvaient pas que le requérant serait exposé à des persécutions ou à un préjudice important s’il était renvoyé à Colombo, et que rien n’indiquait que le préjudice causé avait atteint ou atteindrait un niveau tel qu’il constituerait une persécution ou un dommage significatif à l’avenir. En outre, les autorités ont déduit qu’il n’y avait pas de probabilité réelle que le requérant soit persécuté en raison de liens présumés avec les LTTE étant donné qu’il n’avait pas subi de harcèlement entre 2007 et 2012 et qu’il avait quitté Colombo pour cause de maladie, et non pas par peur. De plus, elles ont conclu que la crainte du requérant d’être persécuté par la United People’s Freedom Alliance (UPFA) ou les forces gouvernementales du fait qu’il avait refusé d’assister à un rassemblement contre les conclusions de l’ONU concernant Sri Lanka était infondée car le requérant n’avait pas reçu de nouvelles menaces et personne ne s’était de nouveau rendu au domicile de sa mère depuis lors ; l’UPFA ne s’était pas intéressée au requérant précédemment et il n’était pas obligé de vivre à Batticaloa ; et il était peu probable que l’UPFA ait enregistré son nom et l’ait communiqué aux autorités à Colombo pour permettre de le localiser à son retour. Les autorités australiennes ont également conclu que le requérant ne craignait pas de subir un préjudice à Colombo mais voulait simplement éviter des problèmes d’emploi, et que sa crainte d’être persécuté par les autorités sri‑lankaises du fait qu’il était un demandeur d’asile tamoul rapatrié n’était pas fondée car il n’avait pas de casier judiciaire et n’était pas soupçonné de liens avec les LTTE par les forces de sécurité. En conséquence, en l’absence de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture, elles ont rejeté sa demande de visa de protection.

4.9Le requérant a déposé une demande d’examen au fond indépendant auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, organe d’examen externe qui procède à un examen complet et indépendant des décisions relatives aux visas de protection. Le 1er mai 2013, le Tribunal a confirmé la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières de ne pas accorder au requérant un visa de protection. L’État partie note à ce propos que le requérant était présent à l’audience et qu’il était représenté par un agent officiel des services de l’immigration. Il a pu s’exprimer oralement avec l’aide d’un interprète.

4.10Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a admis comme vrais les points suivants : le requérant a été enlevé, battu et relâché le même jour et cela s’est produit en raison d’une erreur sur son identité ; l’erreur d’identification a rapidement été rectifiée ; le frère du requérant a été enlevé ; des soldats de l’armée sri‑lankaise ont procédé à certains contrôles de sécurité sur le lieu de travail du requérant ; des procédures plus strictes ont été récemment adoptées pour ceux qui retournent à Sri Lanka en violation des lois sur l’immigration. Le Tribunal n’a pas considéré comme crédibles les points suivants : l’enlèvement du frère du requérant aurait, en soi, conduit les autorités à identifier le requérant comme étant favorable aux LTTE ; le requérant aurait été considéré comme politiquement favorable aux LTTE en raison de l’appartenance de son frère aux LTTE ; cinq hommes non identifiés auraient fait irruption à son domicile pour exiger de lui qu’il participe à un rassemblement contre les conclusions de l’ONU sur Sri Lanka et l’auraient frappé lorsqu’il a refusé, en lui conseillant de faire attention à lui ; les prétendus agresseurs seraient ensuite retournés au domicile du requérant après son départ ; le conseil donné au requérant de faire attention à lui et l’incident lié à son refus de participer au rassemblement contre les conclusions de l’ONU concernant Sri Lanka auraient poussé le requérant à vivre caché pendant un certain temps et précipité sa décision de quitter Sri Lanka ; le requérant risquerait d’être inquiété à son retour à Sri Lanka en raison des opinions politiques favorables aux LTTE qui lui avaient été attribuées ; les contrôles de sécurité sur le lieu de travail du requérant à Colombo auraient été menés avec la fréquence ou le degré de harcèlement décrits par lui ; le requérant aurait été soupçonné de liens avec les LTTE ; le requérant aurait rencontré des difficultés particulières ou inhabituelles lorsqu’il s’était enregistré auprès de la police locale ; le requérant aurait subi un préjudice grave ou important en raison de son appartenance à l’ethnie tamoule ; le requérant subirait un préjudice ou des persécutions à son retour à Sri Lanka du fait de son appartenance au groupe social des demandeurs d’asile déboutés ; et le fait qu’il soit inculpé, condamné à une amende ou placé en détention provisoire à son retour constituerait un préjudice grave. Le Tribunal a estimé que le requérant risquait d’être arrêté pour avoir quitté le pays illégalement et d’être placé en détention provisoire pendant une période relativement brève, dans l’attente d’une audience de demande de libération sous caution, et qu’il pourrait par la suite être condamné à une amende. Il a toutefois conclu qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire que le requérant courrait un risque réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.11L’État partie note également que, le 22 novembre 2013, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de contrôle juridictionnel de la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés déposée par le requérant. Celui-ci était présent à l’audience du Tribunal de circuit et s’est exprimé oralement. Le Tribunal de circuit a conclu en particulier que le requérant n’avait pu mettre en évidence aucune erreur de droit de la part du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et qu’il n’y avait rien d’illogique ou d’irrationnel dans l’analyse de ce dernier.

4.12Le 11 décembre 2013, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre des articles 48B et 417 de la loi sur les migrations. Les griefs du requérant ont de nouveau fait l’objet d’un examen complet, compte tenu également des décisions rendues par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et le Tribunal de circuit fédéral. La demande d’intervention ministérielle formulée par le requérant a cependant été rejetée au motif qu’il n’avait pas fourni d’autres informations justifiant une telle mesure. À cet égard, l’agent responsable de la décision a noté que le Tribunal n’avait pas jugé crédible l’affirmation du requérant selon laquelle il subirait un préjudice à son retour à Sri Lanka du fait de son statut de demandeur d’asile débouté. L’agent a également noté que, si le Tribunal avait admis que le requérant risquait d’être arrêté parce qu’il avait quitté le pays illégalement et pourrait être placé en détention provisoire et condamné à une amende, il n’était pas convaincu que ce traitement pouvait raisonnablement être assimilé à un préjudice grave ou important au sens de l’article 36 2) aa) de la loi sur les migrations.

4.13Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient que les autorités internes ont examiné toutes les allégations du requérant et vérifié tous les éléments de preuve soumis, à chacun des stades de la procédure. La conclusion générale a été qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.14En ce qui concerne les activités présumées du requérant en Australie, l’État partie note que le requérant n’a pas fourni de preuves pour étayer ses nouvelles allégations concernant les activités qu’il aurait menées avec le Tamil Congress en Australie. Le requérant a indiqué qu’il avait été approché par des membres du Tamil Congress qui lui proposaient une assistance pour sa demande de visa de protection lorsqu’il se trouvait dans le centre de détention pour immigrants. Il affirme que, s’il était renvoyé de force à Sri Lanka, ce contact avec le Tamil Congress aurait pour conséquence qu’il soit arbitrairement détenu et interrogé sur le regroupement des LTTE à l’étranger. À cet égard, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas expliqué en quoi et pourquoi ceci l’exposerait à un risque de torture. L’État partie fait valoir en outre que l’appartenance du requérant à l’ethnie tamoule et ses prétendus liens avec les LTTE ont été soigneusement appréciés par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières et par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui ont tous deux conclu que le requérant n’avait eu aucune forme de liens avec les LTTE et qu’il n’était pas soupçonné de tels liens ou d’une infraction pénale.

4.15Enfin, pour ce qui est du grief du requérant qui affirme que son statut de demandeur d’asile débouté l’exposerait au risque d’être torturé et tué en cas de renvoi à Sri Lanka, l’État partie observe que le requérant n’a fourni aucune information à l’appui de cette affirmation. L’État partie reconnaît que le paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention dispose que, pour déterminer si le paragraphe 1 de l’article 3 doit s’appliquer, il convient de tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, mais il note que l’existence, dans un pays, d’un risque de violence généralisée ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’individu courrait personnellement un risque de torture. L’État partie soutient que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

4.16En outre, l’État partie fait valoir que les points soulevés par le requérant concernant les violations des droits de l’homme à Sri Lanka et le traitement des demandeurs d’asile déboutés renvoyés vers ce pays ont été spécifiquement et soigneusement examinés dans le cadre de toutes les procédures internes. Ainsi, lors de l’examen de la demande de visa de protection déposée par le requérant, les autorités disposaient de renseignements sur le pays fournis par des organisations non gouvernementales (parmi lesquelles Amnesty International et Human Rights Watch), ainsi que des lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

4.17Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a lui aussi examiné toute une série d’informations concernant Sri Lanka, y compris des renseignements portant spécifiquement sur le risque de persécution des Tamouls et des demandeurs d’asile déboutés qui retournent dans le pays. Le Tribunal a admis qu’au moins jusqu’à la fin de la guerre civile en mai 2009, les citoyens sri-lankais qui étaient tamouls couraient le risque d’être persécutés par les autorités en raison de leur appartenance ethnique. Le Tribunal a également noté que la situation en matière de sécurité s’était stabilisée et que les risques encourus par les Tamouls avaient considérablement diminué, comme indiqué dans les lignes directrices publiées en 2010 par le HCR, qui a estimé qu’il n’y avait plus lieu de présumer que les Sri-Lankais de souche tamoule originaires du nord du pays remplissaient d’office les conditions voulues pour recevoir une protection. Les lignes directrices de 2012 maintiennent les critères énoncés en 2010, tout en précisant qu’il reste nécessaire de procéder à un examen au fond compte tenu de la situation individuelle, que l’appartenance à l’ethnie tamoule et le lieu d’origine peuvent encore être des facteurs susceptibles d’accroître la vulnérabilité des personnes ayant d’autres profils à risque, dont les demandes de protection doivent faire l’objet d’une attention particulière, et que la liste des profils à risque ne devrait pas être considérée comme exhaustive. Le Tribunal n’a pas estimé que les informations dont il disposait indiquaient que les Sri-Lankais de souche tamoule, qu’ils viennent ou non des zones anciennement sous le contrôle des LTTE, risquaient de subir un préjudice grave du simple fait de leur appartenance ethnique ou que le requérant courait un risque réel de préjudice grave pour cette raison.

4.18Le Tribunal a reconnu que les demandeurs d’asile déboutés, dans la mesure où ils avaient le plus souvent quitté Sri Lanka illégalement, étaient traités conformément aux dispositions pertinentes de la législation sri-lankaise, qui sont de portée générale. Il a examiné les arguments exposés, les documents cités dans le dossier de la décision concernant le requérant et les lignes directrices du HCR ainsi que les facteurs de risque personnels. Il a noté que certaines des personnes renvoyées récemment à Sri Lanka auraient subi des actes de torture et d’autres exactions de la part des autorités, mais que ces cas concernaient pour la plupart des personnes qui avaient des liens avec les LTTE ou qui étaient soupçonnées de tels liens ou d’une infraction pénale. Toutefois, il n’a pas estimé que le requérant entrait dans cette catégorie. Le Tribunal a conclu, compte tenu des informations disponibles sur le pays et des circonstances personnelles de l’intéressé, que le requérant ne risquait pas de subir un préjudice à son retour à Sri Lanka du fait qu’il avait tenté en vain d’obtenir un visa de protection en Australie ou en raison de son appartenance au groupe social des demandeurs d’asile déboutés. Il a examiné les rapports établis par le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce et n’a pas estimé que le traitement des rapatriés qui avaient quitté Sri Lanka illégalement, que ce soit à leur arrivée à l’aéroport, en détention provisoire dans l’attente d’une audience de demande de libération sous caution ou plus tard devant les tribunaux, pouvait raisonnablement être considéré comme constitutif d’un préjudice grave équivalant à une persécution.

4.19En résumé, le Tribunal n’a pas estimé qu’il existait un risque réel pour le requérant de subir un préjudice grave équivalant à une persécution à son retour à Sri Lanka en raison de son origine tamoule, de ses opinions politiques présumées ou de son appartenance au groupe social des demandeurs d’asile déboutés. Le requérant n’invoque aucun autre motif énoncé dans la Convention et les informations dont a été saisi le Tribunal ne font pas apparaître d’autres raisons de craindre un préjudice. Le Tribunal n’a pas estimé non plus que le requérant avait de bonnes raisons de craindre d’être persécuté pour des motifs énoncés dans la Convention à son retour à Sri Lanka, maintenant ou dans un avenir raisonnablement prévisible, ou qu’il pouvait être considéré comme un réfugié ayant besoin d’une protection.

4.20En outre, les renseignements sur le pays fournis par le Ministère des affaires étrangères et du commerce ont été pris en compte lors de l’examen des demandes d’intervention ministérielle déposées par le requérant. Il a été établi que, si les demandeurs d’asile déboutés étaient placés en détention à leur retour à Sri Lanka en vertu de la législation relative à la sortie illégale du territoire, tous étaient mis en liberté sous caution dès lors qu’un membre de leur famille se portait garant, sans discrimination fondée sur l’origine ethnique ou la religion. Il a été noté que le requérant avait de la famille − sa mère et sept frères et sœurs − qui résidait à Sri Lanka et qui pouvait l’aider. Aucune information ne tendait à indiquer qu’il ne bénéficierait pas d’une libération sous caution, qu’il subirait une discrimination ou qu’il serait torturé en tant que demandeur d’asile débouté et/ou en tant que Tamoul.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 4 février 2015, le conseil du requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. En réponse aux affirmations de l’État partie, qui fait observer que le requérant serait probablement arrêté pour avoir quitté le pays illégalement et pourrait être placé en détention provisoire pendant une période relativement brève dans l’attente d’une audience de demande de libération sous caution mais que, selon le Tribunal, un tel traitement ne pouvait pas raisonnablement être considéré comme mettant en jeu les obligations de l’Australie en matière de non-refoulement, le requérant fait valoir que ce raisonnement a été considéré comme une erreur de droit dans l’affaire WZAPN v. Minister for Immigration and Border Protection [2014] FCA 947. Dans cette affaire, la Cour fédérale d’Australie a conclu que « lorsqu’elle a procédé à une évaluation qualitative de la nature et de l’ampleur du préjudice subi par le requérant pour déterminer si la menace pour la liberté du requérant était suffisamment importante, la personne chargée du dossier a appliqué un critère erroné en se fondant sur l’article 91R 2) a) et, ce faisant, a commis une erreur juridictionnelle » (par. 45).

5.2En outre, pour déposer sa requête devant le Tribunal de circuit fédéral, le requérant n’était pas représenté par un conseil. Il a dû trouver un avocat par ses propres moyens alors qu’il n’avait qu’une connaissance limitée de la langue anglaise, ce qui selon lui constitue une violation de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le requérant fait également valoir que son statut ne se limite pas au fait qu’il appartient au groupe social des demandeurs d’asile déboutés puisqu’il est un demandeur d’asile débouté qui est soupçonné de liens avec les LTTE et qui a quitté le pays illégalement. Le requérant affirme que ses griefs sont fondés et qu’il devrait être protégé contre le refoulement car il existe des motifs sérieux de penser qu’il serait exposé à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour à Sri Lanka.

5.3Le 16 août 2015, le conseil du requérant a fait part de ses commentaires concernant la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie le 21 mai 2015. Le requérant note que lors de la première audience, le 29 mai 2013, le Tribunal de circuit avait déclaré que sa requête n’avait aucune chance d’aboutir et qu’il devrait solliciter l’avis d’un avocat. Il affirme qu’il a décelé lui-même une « erreur juridictionnelle » dans la décision du Tribunal de contrôle. Il ajoute qu’à une audience ultérieure, le 22 novembre 2013, il n’a pas présenté d’élément nouveau et confirmé qu’il avait parlé à un avocat. Il fait également valoir que l’avocat du Ministre a demandé au Tribunal de circuit de procéder immédiatement à une « audience de justification » afin de rejeter la requête. Le Tribunal a procédé ainsi et a estimé que la demande du requérant exigeait un examen au fond qui n’était pas permis et que rien ne faisait apparaître une erreur de droit de la part du Tribunal de contrôle. Le requérant fait valoir que cette procédure n’a aucunement consisté en un examen solide et approfondi de la décision du Tribunal de contrôle étant donné que le Tribunal de circuit ne disposait pas de tous les éléments de preuve, notamment du procès-verbal de l’audience.

5.4Le requérant fait valoir que la procédure d’intervention ministérielle au titre de l’article 417 de la loi sur les migrations a manqué de transparence. Il affirme qu’il n’a pas été interrogé et que la lettre de refus n’indiquait pas pourquoi l’affaire le concernant ne répondait pas aux critères arrêtés par le Ministère. Le requérant affirme également que l’État partie n’a apporté aucune preuve sur cette procédure au Comité.

5.5Le requérant joint également un rapport de l’Edmund Rice Centre, qui décrit comment l’État partie fournit aux autorités sri-lankaises des instruments de torture et des technologies pour ses activités de surveillance et de contrôle. Il fait valoir que cette information porte atteinte à la véracité de l’évaluation/la décision concernant le risque réel de préjudice grave ou important en cas de retour à Sri Lanka. Il affirme que ses contacts avec des membres du Tamil Congress en Australie sont connus des autorités sri-lankaises, qui voudront l’interroger à son retour sur cette organisation et ses activités.

5.6Le 5 novembre 2015, le conseil du requérant a transmis les procès-verbaux des débats lors desquels la Haute Cour d’Australie a rejeté sa demande et noté que le requérant avait épuisé toutes les voies de recours internes permettant de recevoir une protection en Australie.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Dans une note verbale du 23 décembre 2015, l’État partie mentionne, entre autres, les commentaires du requérant en date du 4 février 2015 et du 16 août 2015.

6.2L’État partie note que le renvoi à l’affaire WZAPN v. Minister for Immigration and Border Protection [2014] FCA 947 est mal interprété. En l’espèce, le 17 juin 2015, la Haute Cour a estimé que la question de savoir si un risque de privation de liberté constituait un dommage grave aux fins de l’article 91R de la loi sur les migrations nécessitait une évaluation qualitative de la nature et de la gravité de la perte de liberté présumée. Les décisions tant de la Cour fédérale que de la Haute Cour portent sur l’interprétation des dispositions de la législation australienne ayant trait à la mise en œuvre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et du Protocole de 1967 s’y rapportant, et ne concernent pas les obligations qui incombent au Gouvernement australien à l’égard du requérant en vertu de la Convention contre la torture. L’État partie affirme que ces griefs sont irrecevables ratione materiae en vertu de l’article 113 c) du règlement intérieur du Comité.

6.3En ce qui concerne l’argument du requérant selon lequel son statut de demandeur d’asile débouté ne se limite pas au fait qu’il appartient à ce groupe social puisqu’il est un demandeur d’asile débouté qui est soupçonné de liens avec les LTTE et qui a quitté le pays illégalement, l’État partie affirme que le Tribunal de circuit fédéral a constaté qu’il n’existait aucune erreur dans les conclusions du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le Tribunal de circuit a constaté que ce dernier pouvait raisonnablement se prononcer sur la base des éléments dont il disposait et qu’il avait donné des raisons convaincantes de ne pas accorder de crédit aux allégations du requérant. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a aussi examiné l’affirmation selon laquelle le requérant est un demandeur d’asile débouté qui entretient des liens avec les LTTE et qui a quitté illégalement Sri Lanka. Compte tenu des renseignements actuels sur le pays, le Ministère a estimé, comme lors des évaluations précédentes, que le requérant n’avait pas de liens avec les LTTE et ne risquerait donc pas de subir un préjudice important de la part des autorités sri-lankaises pour ce motif ou en tant que demandeur d’asile débouté.

6.4L’État partie fait valoir que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a également évalué l’affirmation selon laquelle le requérant serait interrogé à son retour à Sri Lanka en raison de ses relations avec le Tamil Congress en Australie. Il note que le requérant n’a pas expliqué comment ou pourquoi ses échanges avec le Tamil Congress lui feraient courir un risque de torture. Il fait valoir en outre que l’appartenance du requérant à l’ethnie tamoule et ses liens présumés avec les LTTE ont été évalués de manière approfondie par le Ministère dans le cadre de l’examen de la demande de visa de protection et par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, et que la conclusion a dans les deux cas été que le requérant n’avait eu aucune forme de liens avec les LTTE et n’était pas soupçonné de tels liens ou d’une infraction pénale. L’État partie ajoute que le Ministère a estimé que les griefs du requérant concernant ses activités en Australie, qui l’exposeraient à un risque de torture en cas de renvoi à SriLanka, n’ont pas été étayés.

6.5En ce qui concerne le rapport de l’Edmund Rice Centre en date du 12 août 2015, l’État partie fait valoir que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a utilisé les renseignements récents et pertinents concernant le pays d’origine pour évaluer les allégations du requérant et que ce rapport ne modifie pas l’appréciation faite par Ministère, qui a estimé que le requérant ne serait pas exposé à un risque réel et personnel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. L’État partie fait également valoir que toutes les affirmations faites dans des observations supplémentaires au sujet de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont irrecevables ratione materiae en vertu de l’article 113 c) du règlement intérieur du Comité. Notant que tous les recours internes ont été épuisés, il demande au Comité d’examiner la communication du requérant.

6.6Le 26 février 2016, l’État partie a demandé au Comité d’accélérer l’examen de la communication étant donné que toutes les procédures internes avaient été menées à bien dans cette affaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.Il conclut donc qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.3En ce qui concerne les autres arguments avancés par l’État partie pour faire valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement, le Comité considère qu’ils sont étroitement liés au fond de l’affaire et déclare en conséquence la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments, notamment de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), mais le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables tendant à montrer que le risque qu’il court d’être soumis à la torture est prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, conformément à son observation générale no 1, il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire (par. 9).

8.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant qui affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il courrait un risque d’être arrêté et torturé par les autorités sri-lankaises en raison de l’appartenance de son frère aux LTTE, de ses contacts avec les membres du Tamil Congress en Australie et de son statut de demandeur d’asile débouté d’origine ethnique tamoule.

8.6Le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie qui affirme que, dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles et n’a pas établi qu’il existe un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit soumis à la torture par les autorités s’il est renvoyé à Sri Lanka et fait valoir que ses allégations ont été examinées par les autorités nationales compétentes, conformément à la législation nationale et compte tenu de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka.

8.7À cet égard, le Comité note que l’État partie affirme que le requérant n’a présenté aucune preuve objective à l’appui de ses affirmations ni apporté d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles internes, en particulier en ce qui concerne les affirmations selon lesquelles le requérant a abandonné sa scolarité en 1998 à l’âge de 10 ans parce qu’il était trop dangereux de fréquenter l’école, il a ensuite vécu pendant six ans chez des membres de sa famille et des amis à Colombo, l’armée a effectué des contrôles de sécurité fréquents sur son lieu de travail à Colombo, il a été enlevé par cinq hommes dans une camionnette blanche, passé à tabac et interrogé sur les LTTE puis remis en liberté le même jour et a passé trois mois à l’hôpital, et il a été menacé par cinq hommes qui voulaient le forcer à participer à un rassemblement favorable au Gouvernement, après quoi il s’est enfui par peur. Le Comité note aussi que d’après l’État partie, la description faite par le requérant des événements manque de précision, il a fourni peu d’informations sur ses agresseurs et les blessures subies, et il n’a pas produit de dossier d’hospitalisation ou d’autre preuve de cet incident ni indiqué où il avait habité après avoir fui le domicile familial.

8.8Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie concernant le caractère invraisemblable des déclarations du requérant, dont le témoignage contient des incohérences, notamment dans les différentes dates de son enlèvement par cinq hommes dans une camionnette blanche et la description de la visite des cinq hommes qui voulaient qu’il participe à la manifestation pro-Gouvernement.

8.9Le Comité note aussi que l’État partie a fait observer que si les autorités sri-lankaises pensaient que le requérant avait des liens avec les LTTE en avril 2007, il était difficile de comprendre qu’elles lui aient délivré un passeport trois mois plus tard, en juillet 2007, qu’aucun des membres de la famille du requérant n’ait jamais été interrogé sur ses liens avec les LTTE alors que lui-même a affirmé qu’il s’était vu attribuer des opinions politiques favorables aux LTTE en raison des liens de son frère avec les LTTE, et que le requérant n’ait pas été arrêté ou placé en détention après l’enlèvement dans son village ou lorsqu’il travaillait à Colombo pendant les années de conflit et par la suite.

8.10En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté d’origine ethnique tamoule, le Comité, sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent être légitimement exprimées concernant la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et le traitement, entre autres, des demandeurs d’asile déboutés de retour de l’étranger, rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas en soi suffisante pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être soumis à la torture.. Il relève que dans ses lignes directrices en date du 21 décembre 2012 le HCR a estimé qu’il n’y avait plus lieu de présumer que les Sri-Lankais de souche tamoule originaires du nord du pays remplissaient d’office les conditions voulues pour recevoir une protection, tout en précisant qu’il restait nécessaire de procéder à un examen au fond compte tenu de la situation individuelle et que l’appartenance à l’ethnie tamoule et le lieu d’origine pouvaient encore être des facteurs susceptibles d’accroître la vulnérabilité des personnes ayant d’autres profils à risque, dont les demandes de protection devaient faire l’objet d’une attention particulière.

8.11Dans ce contexte, le Comité renvoie à ses observations finales sur le rapport unique valant troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est déclaré vivement préoccupé par les informations qui donnaient à entendre que des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, avaient continué à pratiquer la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les LTTE eut pris fin en mai 2009. Le Comité renvoie également aux observations et recommandations préliminaires du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la visite officielle qu’il a effectuée à Sri Lanka conjointement avec le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats du 29 avril au 7 mai 2016, dans lesquelles il est noté que « la torture est une pratique courante » et que « le cadre juridique actuel et l’absence de réforme structurelle des forces armées, de la police, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuent le risque réel que la pratique de la torture continue ». Le Comité prend aussi note des rapports crédibles publiés par des organisations non gouvernementales concernant la manière dont les personnes renvoyées à Sri Lanka sont traitées par les autorités sri-lankaises. Le Comité estime que tous ces rapports montrent que les Sri-Lankais d’origine ethnique tamoule ayant des liens personnels ou familiaux préalables avec les LTTE et passibles de renvoi à Sri Lanka peuvent être exposés à un risque de torture.

8.12Le Comité fait observer que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. De l’avis du Comité, le requérant n’a pas établi l’existence de motifs supplémentaires montrant qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Les questions relatives aux violations des droits de l’homme des demandeurs d’asile renvoyés ont été examinées dans le cadre de toutes les procédures internes en Australie, y compris dans le cadre de l’examen de la demande de visa de protection par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières et de l’examen au fond indépendant par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le Comité note que, lorsqu’elles ont examiné la demande d’asile du requérant, les autorités de l’État partie ont aussi apprécié le risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés peuvent être exposés à leur retour, et il est d’avis que, dans le cas de l’espèce, elles ont dûment tenu compte de cet argument invoqué par le requérant.

8.13Le Comité note en outre que l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas étayé ses affirmations concernant ses activités en Australie. D’après le dossier, l’État partie a cherché à vérifier ces allégations mais a considéré qu’elles n’étaient pas crédibles en ce que le requérant n’avait pas expliqué en quoi ni pourquoi ses contacts avec des membres du Tamil Congress l’exposeraient à un risque de torture. La question de l’origine ethnique tamoule du requérant et de ses prétendus liens avec les LTTE a été examinée de manière approfondie. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, qui a examiné la demande de visa de protection, et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ont tous deux conclu que le requérant n’avait eu aucune forme de lien avec les LTTE et qu’il n’était pas soupçonné de tels liens ni d’une infraction pénale. Le requérant n’a pas non plus démontré que la détention à Sri Lanka pourrait constituer un traitement dégradant, ce qui ne serait pas en soi un motif suffisant pour établir que le renvoi forcé du requérant entraînerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention.

8.14Le Comité rappelle que, selon son observation générale no 1, c’est à l’auteur d’une requête qu’il incombe de présenter des arguments défendables (par. 5). De l’avis du Comité, le requérant n’a pas, en l’occurrence, assumé la charge de la preuve comme il le devait. De surcroît, il n’a pas démontré que les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête appropriée sur ses griefs.

9.En conséquence, le Comité estime que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par le requérant ne font pas apparaître de motifs suffisants de croire qu’il courrait un risque réel, prévisible, personnel et actuel d’être soumis à la torture en cas de retour à Sri Lanka. Le Comité considère donc que les éléments du dossier ne lui permettent pas de conclure que le renvoi du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.