Nations Unies

CAT/C/58/D/609/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 609/2014 * , **

Communication p résentée par :

R. K. (représenté par un conseil, John Phillip Sweeney)

Au nom de :

R. K.

État partie :

Australie

Date de la requête :

6 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

11 août 2016

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Questions de fond :

Non refoulement ; risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Questions de procédure :

Griefs non étayés ; incompatibilité avec les dispositions de la Convention

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est R. K., ressortissant sri-lankais d’origine tamoule né en 1982. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka par l’Australie constituerait une violation par l’Australie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil, John Phillip Sweeney.

1.2Le 6 juin 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que l’affaire serait à l’examen. Le 16 juillet 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire dudit Rapporteur, a rejeté la demande de l’État partie de lever les mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est issu d’une famille d’agriculteurs du district de Trincomalee. Une partie des terres de la famille a été occupée par l’armée sri-lankaise au début de la guerre civile, mais la famille a continué de vivre sur place. En 2001, l’un des frères du requérant a été tué. Le requérant pense qu’il a été tué par des militaires parce qu’il était soupçonné de soutenir les LTTE. Après le décès de son frère, le requérant a été interrogé et frappé par des militaires qui l’ont questionné sur ses éventuels liens avec les LTTE. Deux mois après, il s’est installé dans la ville de Trincomalee pour y travailler comme tailleur. En 2005, il a déménagé à Vanni, dans la province du nord, où il a ouvert un atelier de couture en 2006. En 2008, il a été contraint de coudre des uniformes pour les LTTE pendant environ six mois sans être rémunéré. À la fin de la guerre, le requérant s’est enfui et s’est caché dans un bunker, dans la région de Vanni, pendant quelques mois. Il a été blessé à la tête à la suite de bombardements intenses dans la zone et a été conduit à l’hôpital de Kurunegala par des militaires. Il a ensuite été transféré à l’hôpital de Vavuniya. Alerté par le personnel de l’hôpital sur le fait que l’armée emmenait dans ses camps les jeunes Tamouls qui sortaient de l’hôpital, il s’est enfui à Colombo. En juin 2009, en possession d’un passeport valide et d’un visa de trois mois, il s’est rendu en Inde, où son autre frère vivait depuis 2007.

2.2Le 4 novembre 2010, le requérant est arrivé en Australie par bateau et le 14 janvier 2011, il a déposé une demande d’asile. Il a demandé à bénéficier d’une protection au motif qu’il craignait d’être arrêté, interrogé, emprisonné et battu ou tué par l’armée sri-lankaise, le Département des enquêtes criminelles, la police ou des groupes politiques qui aident le Gouvernement sri-lankais à identifier les partisans des LTTE. Il estimait que parce qu’il était un jeune homme tamoul célibataire de la région de Trincomalee, qu’il avait une cicatrice et qu’il avait admis avoir aidé les LTTE, on lui ferait du mal car on le soupçonnerait d’avoir pris part aux combats. Il indique qu’après avoir examiné les informations sur le pays et ses déclarations, le Département de l’immigration et de la citoyenneté a rejeté sa demande de visa de protection le 20 avril 2011. Le Département a conclu que le requérant était une personne sans aucun profil politique à Sri Lanka ni aucune affiliation aux LTTE susceptible d’attirer l’attention des autorités. Il a également estimé qu’il n’y avait aucune raison de croire que le requérant, qui était sorti en toute légalité de Sri Lanka en 2009, aurait des problèmes à son retour ou serait exposé à un préjudice quelconque en tant que demandeur d’asile débouté.

2.3Le 6 mai 2011, le requérant a demandé un examen indépendant sur le fond de la décision du Département de l’immigration et de la citoyenneté. Le 23 juillet 2012, l’agent chargé d’examiner sa demande a refusé de lui accorder un visa de protection en raison principalement du manque de crédibilité de ses déclarations. En effet, le requérant avait déclaré lors de son entretien initial que le bateau à bord duquel il était arrivé provenait de Sri Lanka, alors qu’en réalité il venait d’Inde. Dans sa déclaration sur l’honneur, il disait avoir été battu par des militaires, alors qu’il n’en avait pas fait mention lors de l’entrevue au point d’entrée, et il avait changé de version durant l’entretien lié à l’examen indépendant sur le fond. Il n’a pas non plus été cohérent sur le point de savoir qui avait tiré sur son frère et n’a pas apporté de preuve crédible concernant la façon dont il avait appris que c’était l’armée qui l’avait abattu. Il a aussi changé de version sur la question de savoir s’il avait cousu des uniformes ou des vêtements civils pour les LTTE en 2008 ou si son frère en Inde vivait ou non dans un camp de réfugiés. L’agent chargé de l’examen de sa demande a rejeté les affirmations du requérant selon lesquelles il était soupçonné d’être un sympathisant des LTTE au motif qu’elles contredisaient ses dires selon lesquels l’armée, qui s’était installée sur une partie des terres de la famille, savait bien que celle-ci ne soutenait pas les LTTE. Il a en outre fait observer que le requérant était libre de sortir de l’hôpital, même s’il y avait été amené par l’armée, et que sa blessure avait été « attentivement » examinée par le Département des enquêtes criminelles. Il a ajouté que le requérant pouvait quitter le pays par voie aérienne muni d’un passeport en cours de validité, ce qui n’aurait pas été possible s’il avait été soupçonné d’être un sympathisant des LTTE. En ce qui concernait l’allégation du requérant selon laquelle le fait d’être un jeune homme tamoul était en soi suffisant pour le lier aux LTTE, l’agent s’est fondé sur les Lignes directrices du HCR de 2010, qui indiquaient que les Sri-Lankais originaires du nord du pays n’avaient plus besoin de protection uniquement en raison d’un risque de violence aveugle. S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle il serait détenu et torturé à l’aéroport en tant que demandeur d’asile débouté, il a conclu que le requérant, en l’absence de casier judiciaire et de lien avec les LTTE, ne présentait aucun intérêt pour le Département des enquêtes criminelles ou le Service de renseignement de l’État (SIS). Puisqu’il était en possession d’un passeport national, les autorités d’immigration seraient en mesure de confirmer que le requérant avait le droit d’entrer dans le pays. L’agent chargé de l’examen au fond a aussi tenu compte du fait que la situation de la famille du requérant à Trincomalee était stable et qu’il pourrait bénéficier du soutien de ses proches à son retour.

2.4Le 20 septembre 2012, le requérant a saisi le Tribunal de circuit (Circuit Court) fédéral pour faire réexaminer la recommandation formulée à l’issue de l’examen indépendant sur le fond en date du 23 juillet 2012. Lors de l’audience, une organisation non gouvernementale (ONG) qui le représentait a présenté une demande d’ajournement au motif que le requérant n’était pas assisté par un conseil. La demande a été rejetée par le Tribunal, qui a indiqué que, le 14 novembre 2012, il avait transmis au requérant les coordonnées de conseils et de traducteurs/interprètes dans sa langue et que le fait que le requérant ait attendu le 28 avril 2013 pour prendre contact avec une ONG, sans fournir de raison valable, révélait un manque de diligence raisonnable de sa part. Le Tribunal a aussi donné au requérant jusqu’au 30 janvier 2013 pour déposer une demande modifiée et des éléments de preuve supplémentaires. Le 14 mai 2013, le Tribunal a estimé qu’il n’y avait pas eu d’interprétation erronée des preuves fournies par le requérant lors des premier et second entretiens qui l’aurait privé de la possibilité de présenter sa défense. Les griefs concernant les conclusions de l’agent exigeaient un examen pour lequel le Tribunal de circuit n’était pas compétent. Au sujet du grief selon lequel le rapport psychosocial concernant le requérant n’aurait pas été pris en compte, le Tribunal a fait observer que l’agent chargé de l’examen avait noté que le rapport psychosocial daté du 30 janvier 2012 ne comprenait aucune évaluation médicale de l’état du requérant. Le Tribunal a donc estimé que l’agent avait bien étudié le rapport mais ne l’avait pas trouvé convaincant. Il a en outre fait observer que rien ne laissait suggérer que l’état de santé mentale du requérant l’avait privé de la possibilité réelle de prendre part à l’audience.

2.5Le 16 août 2013, le requérant a interjeté appel devant la Cour fédérale d’Australie en faisant valoir que la conclusion de l’examen indépendant sur le fond selon laquelle il n’avait pas besoin d’une protection n’était ni logique ni rationnelle et qu’il y avait une erreur juridictionnelle dans la décision du Tribunal de circuit fédéral. Le requérant a aussi demandé un report de l’audience jusqu’à ce qu’il obtienne l’assistance d’un conseil. Le 26 août 2013, la Cour fédérale a rejeté l’appel, estimant que l’examen des motifs de la décision de l’agent chargé de l’examen indépendant sur le fond ainsi que de la décision du Tribunal de circuit fédéral ne révélait aucune erreur susceptible de recours. La demande d’ajournement a été rejetée puisque rien dans la déclaration du requérant n’étayait son recours.

2.6Le 20 septembre 2013, l’ONG « RISE », qui représentait le requérant, a soumis une demande d’intervention ministérielle au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté, qui l’a rejetée le 28 avril 2014.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que s’il est renvoyé à Sri Lanka, en tant que prétendu sympathisant des LTTE, il risque d’être arrêté, interrogé, emprisonné et battu ou tué par l’armée sri-lankaise, le Département des enquêtes criminelles, la police ou d’autres groupes politiques qui aident le Gouvernement à identifier les partisans des LTTE. Il soutient qu’il attirera l’attention des forces de sécurité à son arrivée, qu’elles découvriront rapidement qu’il a échappé à la détention lorsqu’il a été hospitalisé pour les blessures subies lors d’un bombardement pendant la guerre et qu’il sera soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE. Il affirme également que les demandeurs d’asile déboutés sont immédiatement identifiés et détenus par les forces de sécurité à l’aéroport. Se fondant sur les allégations ci-dessus, le requérant affirme que l’État partie violerait l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 12 décembre 2014, l’État partie a demandé au Comité de lever les mesures provisoires. Il a fait valoir que le requérant n’avait pas réussi à fournir un commencement de preuve aux fins de la recevabilité et que, par conséquent, sa requête devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Si le Comité devait toutefois déclarer la requête recevable, l’État partie soutient que les allégations du requérant ne sont pas fondées.

4.2L’État partie indique que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par toute une série de décideurs au plan interne, y compris le Département de l’immigration et de la citoyenneté lors de la détermination du statut de réfugié et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés lors de l’examen indépendant sur le fond, et ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel par le Tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie. Il résume les conclusions des autorités nationales dans cette affaire et renvoie à l’observation générale no 1 du Comité, dans laquelle il est indiqué que le Comité n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel et qu’il « accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie ».

4.3Le 22 mai 2015, l’État partie a rappelé ses observations du 12 décembre 2014 et présenté une nouvelle demande de levée des mesures provisoires.

Renseignements complémentaires reçus du requérant

5.1Le 14 juillet 2015, le requérant a présenté ses commentaires concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête, ainsi que les demandes de levée des mesures provisoires. Le requérant insiste sur le maintien des mesures provisoires et affirme que sa requête est recevable. Il fait valoir que l’examen indépendant sur le fond était injuste dans la mesure où l’agent qui en était chargé ne l’a pas trouvé crédible du fait de petites incohérences, et que le rapport psychologique indiquant qu’il souffrait de troubles post-traumatiques n’a pas été pris en compte.

5.2Le requérant indique en outre que le fait qu’il ne soit pas un membre officiel des LTTE ayant suivi un entraînement militaire ne signifie pas pour autant qu’il ne soit pas vulnérable et qu’il relève au moins de deux catégories définies dans les Lignes directrices de 2010 du HCR comme vulnérables, à savoir membre de la famille d’un ancien combattant des LTTE (Maha Veeran) et fournisseur du LTTE puisqu’il avait cousu des uniformes pour eux.

5.3Le requérant fait aussi valoir que la procédure interne devant le Tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie était viciée parce qu’il n’a pas été représenté par un conseil et que les tribunaux n’ont pas tenu compte de son état mental ni vérifié s’il était mentalement apte à assurer lui-même sa défense.

5.4Outre les informations fournies dans sa lettre initiale, le requérant a présenté plusieurs nouveaux documents au Comité. Il s’agit notamment de deux invitations adressées en 2002 et 2005 à la famille du requérant pour assister aux cérémonies organisées par les LTTE à la mémoire des héros de la guerre, dans lesquelles figure le nom de son deuxième frère ; d’une photo du frère aîné du requérant, qui était selon lui un agent du renseignement des LTTE, prise en 2000 en compagnie de son commandant ; et d’un rapport du Edmund Rice Centre en date du 5 mai 2015 concernant deux rapatriés qui ont été soumis à la torture à leur retour à Sri Lanka, après que l’État partie a rejeté leurs demandes d’asile.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 10 novembre 2015, l’État partie a présenté des observations complémentaires et a rappelé sa position sur l’irrecevabilité de la requête et son manque de fondement.

6.2S’agissant du grief du requérant concernant le caractère injuste de l’examen indépendant sur le fond, l’État partie fait valoir que ce grief a été examiné par le Tribunal de circuit fédéral, qui n’a relevé aucune preuve permettant d’établir que la décision prise était inexacte ou incorrecte et qui a estimé que la question de la crédibilité des allégations relevait par excellence de sa compétence. Concernant le grief selon lequel l’agent chargé de l’examen indépendant n’avait pas tenu compte du rapport psychologique et des troubles post-traumatiques du requérant, l’État partie indique que l’agent a estimé que le rapport psychosocial ne comprenait aucune évaluation médicale et que le requérant n’avait fourni aucun élément de preuve à caractère médical à l’appui de son affirmation qu’il souffrait de troubles post-traumatiques. En ce qui concerne le grief du requérant selon lequel l’agent s’est trompé en s’appuyant sur des incohérences sans importance, l’État partie fait observer que l’agent avait conscience qu’il fallait traiter avec prudence les incohérences concernant des points de détail, mais il ne considérait pas que les incohérences dans le récit du requérant étaient secondaires. Le requérant avait eu la possibilité de faire des observations sur toutes les incohérences mises en évidence, mais ses réponses n’avaient pas été jugées satisfaisantes.

6.3Pour ce qui est de l’allégation concernant l’iniquité de la procédure devant le Tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie en raison de l’absence d’un conseil, l’État partie soutient que le requérant a été représenté par une ONG et qu’il n’a pas justifié son refus de prendre contact avec des représentants légaux comme l’avait suggéré le Tribunal de circuit fédéral six mois avant l’audience. Dans ces conditions et étant donné que les allégations du requérant ont été examinées dans le cadre de l’examen indépendant sur le fond et de l’évaluation de la demande de protection, l’État partie affirme que les griefs du requérant concernant l’absence de représentation juridique devraient être rejetés. Concernant les allégations selon lesquelles les tribunaux n’ont pas tenu compte de l’état de santé mentale du requérant, l’État partie affirme que ce dernier n’a présenté aucune preuve médicale suggérant que sa santé mentale le privait de la possibilité de défendre sa cause.

6.4En ce qui concerne les nouveaux documents présentés au Comité, l’État partie fait observer que le requérant n’a pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas été transmis aux autorités plus tôt durant l’évaluation de la demande de protection, sachant qu’ils étaient datés de 2000, 2002 et 2005. L’État partie note aussi que les nouveaux éléments prouvant que le frère du requérant était membre des LTTE contredisent la déclaration qu’il avait faite en 2011 au Ministère de l’immigration et de la protection des frontières et renouvelée au stade de l’examen selon laquelle son frère avait été abattu en 2001 car il était soupçonné de soutenir les LTTE, alors qu’il n’avait en réalité aucun lien direct avec les LTTE. De l’avis de l’État partie, ces incohérences nuisent à la crédibilité des éléments de preuve présentés par le requérant. L’État partie indique en outre que la plupart des familles du nord du pays comptent un parent dans les rangs des LTTE et celles d’entre elles dont des proches sont morts pendant la guerre reçoivent une invitation aux cérémonies de commémoration. L’État partie conclut que ni l’invitation adressée à la famille du requérant ni le rôle supposément joué par son frère au sein des LTTE ne justifieraient que les autorités s’intéressent au requérant quatorze ans après le décès de son frère.

6.5Au sujet du grief du requérant selon lequel il relève d’une catégorie de personnes vulnérables en vertu des Lignes directrices de 2010 du HCR du fait qu’il a fourni des uniformes aux LTTE, l’État partie se réfère à la conclusion de l’agent chargé de l’examen au fond, qui a estimé que le requérant n’avait pas cousu d’uniformes. Même en admettant que le requérant avait cousu des vêtements civils pour les LTTE, l’agent a estimé que l’on ne pouvait en conclure que cela lui ferait courir un risque de torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

6.6En ce qui concerne le nouvel élément d’information selon lequel le frère aîné du requérant était un agent du renseignement des LTTE, l’État partie juge invraisemblable que le requérant formule des griefs au sujet d’un membre de la famille soupçonné d’appartenir aux LTTE, mais aucun grief en rapport avec un membre de sa famille qui faisait partie du service de renseignement des LTTE − soit un rôle de premier plan au sein des LTTE − et que cette information ne soit communiquée qu’une fois épuisés tous les recours internes.

6.7L’État partie renvoie à des informations récentes concernant le pays publiées par des sources gouvernementales et non gouvernementales selon lesquelles seuls les ressortissants sri-lankais ayant des liens familiaux avec des sympathisants de premier plan des LTTE pourraient susciter l’attention des autorités et seraient exposés à un préjudice important. Le requérant n’a pas fourni à l’État partie la preuve qu’il avait des liens familiaux avec un membre ou un membre présumé des LTTE qui aurait un rôle suffisamment important pour lui faire courir le risque d’être soumis à la torture.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

7.3Le requérant a fait valoir que son renvoi forcé à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que le requérant n’a pas réussi à fournir un commencement de preuve. Il observe toutefois que les griefs présentés par le requérant sont étroitement liés au fond de l’affaire et devraient être examinés à ce stade.

7.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable au titre de l’article 3 de la Convention, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, notamment de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il court personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est « hautement probable » (par. 6), le Comité fait observer que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments convaincants montrant qu’il court personnellement un risque réel et prévisible. Si, comme il l’indique dans son observation générale no 1, il est libre d’apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, le Comité rappelle qu’il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné (par. 9).

8.5Le Comité note que le requérant soutient qu’il sera détenu et torturé s’il est renvoyé à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté et en raison des liens entretenus par ses proches et lui-même avec les LTTE. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que le requérant n’a pas établi qu’à première vue sa communication était recevable, n’a pas apporté d’éléments de preuve crédibles et n’a pas démontré qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka. L’État partie fait aussi valoir que les griefs du requérant ont été soigneusement examinés par les autorités nationales compétentes et les tribunaux, conformément à leur législation nationale et compte tenu de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka.

8.6Le Comité rappelle que l’existence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme dans un pays n’est pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque personnellement d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Dans ce contexte, le Comité renvoie à ses observations finales sur le rapport unique valant troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est déclaré vivement préoccupé par les informations qui donnaient à entendre que des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, avaient continué à pratiquer la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les LTTE eut pris fin en mai 2009. Le Comité renvoie également à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, dans lesquelles il a relevé l’existence d’éléments prouvant que certains Tamouls sri-lankais avaient été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements après leur retour forcé ou volontaire à Sri Lanka. Le Comité se réfère en outre aux observations et recommandations préliminaires du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur la visite officielle qu’il a effectuée à Sri Lanka conjointement avec le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats du 29 avril au 7 mai 2016, dans lesquelles il est noté que « la torture est une pratique courante » et que « le cadre juridique actuel et l’absence de réforme structurelle des forces armées, de la police, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuent le risque réel que la pratique de la torture continue ». Le Comité prend également note des rapports crédibles publiés par des organisations non gouvernementales concernant la manière dont les personnes renvoyées à Sri Lanka sont traitées par les autorités sri-lankaises. Le Comité estime que tous ces rapports montrent que les Sri-Lankais d’origine ethnique tamoule ayant des liens personnels ou familiaux préalables avec les LTTE et passibles de renvoi à Sri Lanka peuvent être exposés à un risque de torture.

8.7En l’espèce, le Comité note que le requérant affirme qu’un de ses frères a été tué en 2001 en raison de sa prétendue affiliation aux LTTE et qu’il est lui-même soupçonné de soutenir les LTTE parce qu’il a cousu des vêtements pour eux. En même temps, le Comité note que le requérant n’a fourni aucun renseignement concret sur le rôle de son frère au sein des LTTE ni sur tout cas de harcèlement dont ses parents ou lui-même auraient été victimes en raison de l’affiliation de son frère aux LTTE, compte tenu en particulier du fait que l’armée sri-lankaise était installée sur une partie de leurs terres depuis le début du conflit. Il note également que, depuis 2001, année où son frère a été tué, le requérant a continué de vivre à Sri Lanka pendant huit ans avant de partir pour l’Inde avec un passeport et un visa en cours de validité. De plus, rien dans le dossier ne donne à penser que le requérant a été arrêté, torturé ou persécuté par les autorités ou que ces dernières l’ont recherché avant ou après son départ en 2009. Les proches du requérant vivent toujours dans leur maison familiale à Trincomalee et le requérant n’a pas signalé de problèmes que ceux-ci auraient pu rencontrer après qu’il a quitté le pays. Le requérant n’a pas expliqué pourquoi les autorités commenceraient à s’intéresser à lui quinze ans après le décès de son frère. Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas fourni de preuve de liens avec les LTTE qui lui feraient courir personnellement un risque de torture à Sri Lanka.

8.8Le Comité rappelle que, selon son observation générale no 1, c’est à l’auteur d’une requête qu’il incombe de présenter des arguments défendables (par. 5). De l’avis du Comité, le requérant n’a pas, en l’occurrence, assumé la charge de la preuve comme il le devait.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.