Nations Unies

CAT/C/58/D/607/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 607/2014 * , **

Présentée par:

R. K. (représenté par un conseil, Niels Erik Hansen)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

30 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

12 août 2016

Objet :

Expulsion vers la République islamique d’Iran

Questions de fond :

Risque de torture

Questions de procédure :

Griefs insuffisamment étayés

Article de la Convention :

3

1.1Le requérant est R. K., de nationalité iranienne, né en 1947 et sous le coup d’un arrêté d’expulsion du Danemark vers la République islamique d’Iran. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 2 juin 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran tant que sa requête serait à l’examen.

1.3Le 18 mars 2015, le Comité a refusé d’accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait la levée des mesures provisoires.

Exposé des faits

2.1Le requérant est un musulman chiite, d’ethnie perse, originaire de Téhéran. Il affirme avoir été arrêté et torturé par la police iranienne dans les années 1980 pour avoir aidé des personnes interdites de voyage, y compris des non-musulmans et des opposants politiques, à obtenir un passeport. En conséquence, il a fui le pays et a demandé l'asile en Grèce, où il a obtenu le statut de réfugié en 1991. Il a ensuite été réinstallé au Danemark en tant que réfugié admis dans le cadre du système de quotas et a obtenu un permis de séjour en vertu de la loi danoise sur les étrangers. Il est entré au Danemark en juin 1992 avec un permis de séjour valide. Le requérant affirme qu'il est devenu toxicomane vers cette période, en raison des séquelles de la torture.

2.2Le 25 mars 1995, le requérant a reçu un permis de séjour permanent. Le 4 décembre 2004, il a quitté le Danemark pour retourner en République islamique d’Iran avec sa mère qui, après avoir résidé plusieurs années au Danemark, était malade et souhaitait retourner en Iran. Sa mère est décédée dans la République islamique d’Iran en décembre 2009. Le requérant est resté dans le pays et pendant la « révolution verte », en 2009-2010, il a été arrêté au motif qu’il aurait participé à des manifestations postélectorales contre le Président Ahmadinejad.

2.3Le 17 septembre 2010, le Service danois de l’immigration a décidé que le permis de séjour du requérant avait expiré. Cette décision a été confirmée par la Commission de recours des réfugiés le 27 avril 2011.

2.4Le 8 août 2010, le requérant est retourné au Danemark, où sa famille résidait toujours. Toutefois, le 27 avril 2011, il a été informé par les autorités danoises que son permis de séjour lui avait été retiré car il était devenu caduc. Le 28 avril 2011, le requérant a déposé une demande d’asile au Danemark. Il faisait valoir qu’il avait été arrêté dans la République islamique d’Iran en 2009 pour avoir participé à une manifestation et qu’il avait été remis en liberté le même jour sans avoir donné son vrai nom. Il a indiqué que, lors d’une autre manifestation, la police avait marqué d’un coup de stylo tous les manifestants afin de les repérer et de les arrêter plus tard. Les autorités avaient inscrit son nom sur une liste et il avait dû soudoyer quelqu’un pour faire supprimer son nom de la liste et pour pouvoir obtenir un passeport. Sa demande a été rejetée par le Service de l’immigration le 6 décembre 2011.

2.5Le 6 septembre 2012, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande de nouveau permis de séjour du requérant. Elle a estimé que les déclarations du requérant concernant son arrestation au cours d’une manifestation en 2009 étaient peu plausibles et incohérentes. Elle a noté que le requérant avait déclaré devant la police danoise qu’il avait été détenu et torturé pendant deux mois, alors que devant le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés, il avait affirmé qu’il n’avait jamais été emprisonné ou torturé pendant son séjour dans la République islamique d’Iran mais simplement arrêté pendant quelques heures. La Commission a en outre noté que le requérant était resté en Iran pendant plusieurs années sans rencontrer aucun problème avec les autorités en dehors de l’incident de 2009, qu’un passeport lui avait été délivré et qu’il avait été en mesure d’entrer dans le pays et de le quitter légalement. L’abus de méthadone par le requérant ou la situation générale des droits de l’homme dans le pays ne pouvaient conduire à une conclusion différente. La Commission a conclu que les faits de l’espèce ne justifiaient pas de procéder à un examen pour déceler d’éventuels signes de torture.

2.6Le 30 mai 2014, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande du requérant de rouvrir la procédure d’asile, aucune information nouvelle n’ayant été communiquée.

2.7Le requérant affirme que, étant donné que les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont définitives et ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, il a épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’en le renvoyant de force dans la République islamique d’Iran, l’État partie violerait ses droits en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le requérant craint d’être de nouveau soumis à la torture s’il était expulsé. Il fait en outre observer que, en tant que victime de la torture, il a besoin de protection et de réadaptation, ce qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir en Iran.

3.2Le requérant fait valoir que les autorités danoises n’ont pas contesté le fait qu’il a été soumis à la torture dans la République islamique d’Iran par le passé. Pourtant, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la possibilité de soumettre le requérant à un examen médical sans justifier sa décision, ce qui constitue une violation de l’article 3 (par. 2) de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 2 décembre 2014, l’État partie a noté que le requérant n’avait pas fourni de motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans la République islamique d’Iran et que la communication n’était donc pas fondée. Il a ajouté que le requérant cherchait à utiliser le Comité comme un organe d’appel afin qu’il réexamine les circonstances factuelles invoquées à l’appui de sa demande d’asile. La décision de la Commission de recours des réfugiés avait été adoptée à l’issue d’un examen détaillé et approfondi des éléments de preuve de l’affaire et d’une procédure au cours de laquelle le requérant avait pu exposer ses vues avec l’assistance d’un conseil. La communication soumise par le requérant au Comité ne contient aucune information nouvelle.

4.2Sur le fond, l’État partie a fait valoir que la Commission de recours des réfugiés s’était appuyée sur les contradictions dans les déclarations du requérant et sur l’absence d’explication satisfaisante à ce sujet pour conclure que le requérant manquait de crédibilité. Ni les actes de torture que le requérant affirmait avoir subis plus de vingt-cinq ans auparavant ni la situation générale des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran ne pouvaient conduire à une appréciation différente.

4.3En réponse au grief du requérant concernant le fait que la Commission de recours des réfugiés n’avait pas procédé à un examen médical pour déceler d’éventuels signes de torture, l’État partie a fait valoir qu’un tel examen n’était pas requis dans le cas d’espèce, étant donné que le requérant manquait manifestement de crédibilité sur un certain nombre de points fondamentaux, comme l’avait conclu la Commission de recours des réfugiés. L’État partie ajoutait que la Commission n’entreprenait pas d’examen de ce type lorsqu’elle n’avait pu trouver aucun fait avéré constituant un motif d’asile ou lorsque, même s’il était considéré comme établi ou possible que des tortures avaient été subies dans le passé, la Commission a conclu à l’inexistence d’un risque actuel de torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Le 7 février 2015, le requérant a fait observer qu’un examen médical pratiqué en Grèce en 1991 avait confirmé qu’il avait subi des actes de torture dans la République islamique d’Iran par le passé et que c’est sur cette base que le Danemark lui avait accordé le statut de réfugié ainsi qu’à sa famille. Il a indiqué qu’il n’avait jamais affirmé devant les autorités danoises qu’il avait été torturé pendant sa détention en 2009 mais qu’il craignait, s’il était de nouveau arrêté, que les autorités iraniennes invoquent les circonstances qui avaient conduit à sa détention dans les années 1980, le soumettent à la torture et l’empêchent de recevoir un traitement médical à des fins de réadaptation. Il a fait valoir que la réalisation d’un examen médical par la Commission de recours des réfugiés n’aurait pas eu pour but de prouver qu’il était un survivant de la torture mais d’établir qu’il avait besoin d’une réadaptation. Lorsqu’elle avait examiné la question de savoir si son permis de séjour avait expiré, la Commission de recours des réfugiés aurait dû prendre en considération son besoin de recevoir un tel traitement.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles ont été épuisés en l’espèce et conclut qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la communication.

6.3Le Comité note également l’argument de l’État partie, qui affirme que les griefs soulevés par le requérant ne sont pas étayés et sont donc irrecevables. Il note l’argument du requérant selon lequel il y aurait violation de l’article 3 de la Convention s’il était expulsé dans la République islamique d’Iran étant donné les tortures subies dans les années 1980 et l’impossibilité d’obtenir les soins médicaux dont il aurait besoin en tant que victime de la torture. Le Comité note toutefois que le requérant n’a fourni aucun renseignement concernant les événements qui se sont produits dans les années 1980 et n’a pas expliqué en quoi ces événements continueraient de lui faire courir personnellement le risque d’être soumis à la torture en Iran aujourd’hui. Le Comité note en outre que le requérant a vécu plusieurs années dans la République islamique d’Iran et que sa détention de courte durée en 2009 n’était pas de nature à suggérer qu’en cas de renvoi, il serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Le requérant fait valoir que la Commission de recours des réfugiés n’a pas procédé à un examen médical visant à déterminer la nécessité pour lui de suivre un traitement de réadaptation en raison des tortures qu’il aurait subies dans les années 1980. Le Comité considère que cet argument n’est pas pertinent pour déterminer si le requérant courrait aujourd’hui le risque d’être soumis à la torture à son retour en Iran, d’autant plus qu’il n’a pas précisé quel était le traitement médical lié aux séquelles de la torture qu’il aurait suivi au Danemark et qu’il ne pourrait pas obtenir dans la République islamique d’Iran, et compte tenu de ce qu’il avait quitté le Danemark volontairement et n’avait donc vraisemblablement pas reçu de traitement de ce type depuis 2004.

6.4Le Comité conclut donc, en application de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur, que la requête est manifestement dénuée de fondement.

7.En conséquence, le Comité contre la torture décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.