Nations Unies

CRPD/C/25/D/58/2019

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

11 octobre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 58/2019 * , * *

Communication présentée par :

Z. H. (représenté par un conseil, Rönnow Pessah, remplacée par Linnea Midtsian)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Suède

Date de la communication :

15 avril 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 64 et 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 avril 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 septembre 2021

Objet:

Expulsion vers l’Afghanistan ; déni d’accès à un traitement médical approprié

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; recevabilité ratione materiae ; recevabilité ratione loci ; épuisement des recours internes ; examen de la même question par une autre instance internationale de règlement

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; droit de ne pas être soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; discrimination fondée sur le handicap ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; accès à la justice

Article(s) de la Convention :

10, 12, 13 et 15

Article(s) du Protocole facultatif :

1 et 2 (al. b), c), d) et e))

1.1L’auteur de la communication est Z. H., de nationalité afghane, né en 1990. Sa demande d’asile a été rejetée par l’État partie. Il affirme que son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 10 et 15 de la Convention. Il affirme également qu’il n’a pas eu accès à la justice ni droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique dans des conditions d’égalité de la part des autorités nationales au cours de sa procédure d’asile, en violation des articles 12 et 13 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 janvier 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 30 avril 2019, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a adressé à l’État partie une demande de mesures provisoires au titre de l’article 4 du Protocole facultatif et l’a prié de surseoir à l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan tant que sa communication serait à l’examen.

1.3Le 7 octobre 2019, en application de l’article 70 (par. 8) du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a demandé l’asile en Suède le 29 décembre 2008. Au cours de la procédure, il a informé les autorités compétentes en matière d’asile qu’il avait été tenu responsable de la mort du fils d’un homme puissant de son village. Craignant que cela n’entraîne une vendetta, il avait fui l’Afghanistan à une date non précisée. Il a affirmé qu’à son retour en Afghanistan, il risquerait d’être persécuté ou tué en raison non seulement des événements survenus, mais aussi de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa religion musulmane chiite, qui l’exposaient à un risque accru de mauvais traitements. Sa demande d’asile a été rejetée dans tous les cas, les autorités nationales n’ayant pas jugé ses allégations crédibles. Toutefois, l’arrêté d’expulsion pris contre lui n’a pas été exécuté à temps et a été frappé de prescription le 13 septembre 2015.

2.2Le 17 septembre 2015, l’auteur a présenté une nouvelle demande d’asile, dans laquelle il affirmait qu’on lui avait diagnostiqué des troubles post-traumatiques avec des caractéristiques psychotiques. Il est indiqué dans les documents de procédure que, selon les rapports médicaux, l’auteur souffrait d’anxiété, de nervosité, d’agitation, de troubles du sommeil, de délires, d’hallucinations et de pensées suicidaires. Une évaluation de l’état de santé montrait que la vie de l’auteur était en danger puisque celui-ci risquait de se suicider à la suite des menaces de mort dont il avait fait l’objet en Afghanistan. Le 7 avril 2017, l’Office suédois des migrations a considéré que l’auteur se trouvait dans une situation particulièrement alarmante et convenu que le système afghan de soins de santé présentait des lacunes pour les patients ayant des problèmes de santé mentale. Se fondant sur les informations disponibles concernant le pays, l’Office des migrations a toutefois conclu que l’auteur pourrait avoir accès, à Kaboul, à une certaine forme de traitement psychiatrique et aux médicaments qui lui étaient prescrits en Suède, et ne courrait donc aucun risque pour sa vie ni ne risquait de faire l’objet d’autres formes de mauvais traitements s’il était renvoyé en Afghanistan.

2.3Au cours de la procédure d’appel, l’auteur a soumis de nouveaux rapports médicaux, dont il ressortait qu’il avait des pensées suicidaires et avait été hospitalisé en Suède pour cela en application de la loi sur les soins psychiatriques obligatoires. Il était en outre placé sous contrôle médical car il présentait des symptômes de schizophrénie. Le 27 octobre 2017, le Tribunal administratif de l’immigration a débouté l’auteur, au motif que le diagnostic de schizophrénie paranoïde n’était pas dûment attesté. Se fondant uniquement sur le diagnostic de troubles post‑traumatiques, et tout en admettant l’existence de circonstances exceptionnellement pénibles pour l’auteur, le Tribunal administratif de l’immigration a estimé que l’auteur serait soigné correctement à Kaboul s’il devait être renvoyé en Afghanistan. Le Tribunal a également constaté que, sur la base des informations figurant au dossier, il ne pouvait être établi qu’en se rendant à Kaboul pour s’y faire soigner, l’auteur serait exposé à des risques de violence. Le 22 décembre 2017, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté la demande d’autorisation de former recours soumise par l’auteur.

2.4Le 19 février 2018, l’auteur a affirmé qu’il existait des obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion le visant. Il a soumis de nouveaux rapports médicaux pour étayer le fait qu’il souffrait non seulement de troubles post-traumatiques, mais aussi de schizophrénie paranoïde. Il a également évoqué la dégradation de la situation en Afghanistan en matière de sécurité. Le 11 juin 2018, l’Office des migrations a estimé que les certificats médicaux que l’auteur avait soumis, y compris le diagnostic de schizophrénie paranoïde, ne constituaient pas des circonstances nouvelles justifiant un réexamen de l’affaire, la santé mentale de l’auteur ayant déjà fait l’objet d’une évaluation dans le cadre des précédentes procédures. L’Office des migrations a en outre estimé que la détérioration de la santé mentale de l’auteur devait être une conséquence du rejet de sa demande d’asile plutôt que le signe d’un grave problème de santé mentale.

2.5L’auteur a fait appel de cette décision. Il a affirmé que les autorités n’avaient pas déterminé s’il pourrait bénéficier d’un traitement médical approprié pour sa schizophrénie paranoïde en Afghanistan et qu’il avait été victime d’une agression sexuelle avant son départ d’Afghanistan, ce qu’il n’avait jamais signalé auparavant. Le 17 juillet 2018, le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté l’appel. Il a considéré que les autorités nationales pouvaient se fonder sur les symptômes, et pas nécessairement sur le diagnostic, pour déterminer si un traitement médical approprié était disponible en Afghanistan. Étant donné que les symptômes de l’auteur associés au diagnostic de troubles post‑traumatiques avaient bien été portés à l’attention des autorités et faisaient partie des éléments examinés par les autorités compétentes en matière d’asile, le diagnostic de schizophrénie paranoïde ne pouvait pas donner lieu à une évaluation distincte. En outre, même si le Tribunal administratif de l’immigration n’a pas contesté le fait que l’auteur ait pu être victime d’actes de violence sexuelle, il a conclu que rien dans le dossier ne permettait de penser que l’auteur continuerait d’être exposé à des risques de mauvais traitements pour ce motif dix ans après les faits allégués. Le 5 septembre 2018, la demande d’autorisation de former recours présentée par l’auteur a été rejetée.

2.6L’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme qui, le 10 janvier 2019, statuant en formation à juge unique, a rejeté la demande de mesures provisoires de l’auteur et décidé de déclarer la requête irrecevable.

2.7Dans la communication qu’il soumet au Comité, l’auteur fournit des rapports médicaux actualisés pour prouver que son état de santé ne s’est pas amélioré. Ces rapports indiquent que l’auteur est incapable de prendre soin de lui ou de s’occuper de son foyer en raison de sa schizophrénie paranoïde. Sa vie est en danger, car il a des hallucinations et des pensées suicidaires. De fait, il a déjà tenté de mettre fin à ses jours à une date non précisée. Ses hallucinations sont plus fréquentes lorsqu’il se sent menacé, par exemple lorsqu’il voit des Afghans et pense qu’ils veulent le tuer. Il souffre également de troubles du sommeil. L’auteur a déjà été dirigé vers un centre d’assistance psychologique et de traitement des traumatismes en Suède, mais aucun traitement ne peut être entrepris sur un patient qui n’a pas de permis de séjour.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il subirait une violation des droits qu’il tient des articles 10 et 15 de la Convention si l’État partie l’expulsait vers l’Afghanistan, car son renvoi entraînerait un risque grave de suicide et d’autres risques pour sa vie et sa santé. Il affirme que les certificats médicaux soumis aux autorités nationales attestent le diagnostic de maladies mentales de longue durée et que l’absence de traitement médical approprié en Afghanistan l’exposerait à une détérioration grave, rapide et irréversible de son état de santé, qui se traduirait par de grandes souffrances ou une réduction sensible de son espérance de vie. Il renvoie à plusieurs rapports de pays, selon lesquels, en Afghanistan, les personnes ayant des problèmes de santé mentale sont stigmatisées, le personnel médical n’est pas correctement formé et seulement 320 lits d’hôpital existent pour 34 millions d’habitants. L’auteur ajoute qu’il a quitté l’Afghanistan en 2008 et qu’il ne bénéficie d’aucune ressource financière ni aide sociale dans son pays d’origine. En Suède, en revanche, il vit dans une famille qui s’occupe de lui et lui apporte un soutien constant.

3.2L’auteur affirme également que les autorités n’ont pas accordé toute l’importance voulue, malgré le diagnostic posé, à la détérioration de son état de santé mentale, en la mettant sur le compte du rejet de sa demande d’asile. L’auteur trouve cela problématique, car le rejet d’une demande d’asile affecte inévitablement les personnes concernées et cela ne devrait pas jouer en leur défaveur lorsque la demande d’asile est précisément motivée par des problèmes de santé mentale. L’auteur considère en outre que les autorités ont, à tort, prêté plus d’attention aux raisons possibles de son état de santé plutôt qu’aux risques de préjudice liés à son handicap et à l’absence de traitement médical approprié. Il en est résulté une évaluation arbitraire de ses demandes d’asile.

3.3De plus, s’appuyant sur les articles 12 et 13 de la Convention, l’auteur affirme que ses demandes n’ont été évaluées qu’au regard de l’information selon laquelle il souffre de troubles post-traumatiques. Bien qu’il ait par la suite fourni aux autorités des preuves étayant son diagnostic de schizophrénie paranoïde, celles-ci n’ont pas jugé nécessaire de procéder à un réexamen de ses demandes, notamment pour déterminer s’il pourrait bénéficier d’un traitement médical approprié à la lumière de ce nouveau diagnostic. L’auteur affirme en outre que les autorités suédoises n’ont pas pris les mesures voulues pour adapter les procédures d’asile aux besoins particuliers découlant de son état de santé et, partant, l’ont empêché d’exercer effectivement son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique dans des conditions d’égalité.

3.4En ce qui concerne la question de savoir si sa situation doit être considérée comme ayant été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, l’auteur indique que sa requête n’a pas été examinée sur le fond par la Cour européenne des droits de l’homme. Il se réfère à cet égard à la décision du Comité contre la torture dans l’affaire I. K. c. Norvège, dans laquelle le Comité ne s’était pas trouvé empêché d’examiner une communication qui avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne. L’auteur considère que le Comité des droits des personnes handicapées devrait suivre la même démarche en l’espèce.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale en date du 2 novembre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable, car elle est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Il affirme que l’engagement de sa responsabilité pour des actes ou des omissions contraires aux dispositions de la Convention survenus sur le territoire d’un autre État doit être considéré comme une exception à la règle principale, selon laquelle la responsabilité d’un État partie au titre des obligations mises à sa charge par la Convention est limitée à son territoire, et souligne qu’une telle exception suppose l’existence de circonstances exceptionnelles. Il indique que, si un traitement contraire aux articles 10 et 15 de la Convention dans un autre État peut donner lieu à de telles circonstances exceptionnelles, ce n’est pas le cas des actes ou omissions contraires à d’autres articles.

4.3L’État partie conteste l’argument selon lequel les articles 10 et 15 de la Convention, invoqués par l’auteur, englobent le principe de non-refoulement. Il invite le Comité, lorsqu’il examinera la question, à tenir compte du fait que les plaintes relatives au principe de non‑refoulement peuvent déjà être déposées auprès de plusieurs organes internationaux chargés des droits de l’homme. Si le Comité devait estimer que les articles 10 et 15 de la Convention emportent l’obligation de respecter le principe de non-refoulement, l’État partie considère que cette obligation ne devrait s’appliquer qu’aux griefs relatifs à un risque allégué de torture.

4.4En outre, l’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable, car elle a été examinée par une autre instance internationale. Même s’il admet que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas expressément défini les motifs pour lesquels la requête de l’auteur a été déclarée irrecevable, il constate que rien dans la requête de l’auteur soumise à la Cour européenne ne permettait de supposer que celui-ci ne remplissait pas les critères prévus à l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et que l’auteur semblait avoir respecté le délai de saisine de six mois fixé par la Cour européenne. Cependant, aucun élément du dossier ne permettait de penser que les conditions d’irrecevabilité visées à l’article 35 (par. 2 a) et b)) de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplies. L’État partie en déduit que la Cour européenne a dû déclarer irrecevable la requête de l’auteur parce qu’elle n’était pas compatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’elle n’était pas suffisamment étayée ou que l’auteur n’avait subi aucun préjudice important. Or, chacune de ces raisons ne pouvait avoir été établie qu’à l’issue d’un examen de la requête quant au fond. En conséquence, l’État partie estime que la présente communication devrait être considérée comme ayant été examinée au fond, aux fins de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, et devrait donc être déclarée irrecevable.

4.5En ce qui concerne le grief de violation des articles 12 et 13 de la Convention, l’État partie fait observer que, le 30 novembre 2016, l’Office des migrations a interrogé l’auteur en présence d’un conseil. L’auteur a ensuite été invité à présenter des observations écrites sur le procès-verbal de son entretien. En outre, il a pu présenter des certificats médicaux et d’autres documents à l’appui de ses allégations. Autrement dit, l’auteur a eu amplement la possibilité d’expliquer en détail sa situation, tant oralement que par écrit, devant les autorités compétentes en matière d’asile. L’État partie considère donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son affirmation selon laquelle la procédure d’asile présentait des lacunes, en violation des articles 12 et 13 de la Convention.

4.6En ce qui concerne le grief que l’auteur soulève en partie au titre des articles 12 et 13 et en partie au titre des articles 10 et 15 de la Convention, selon lequel le dernier diagnostic posé (schizophrénie paranoïde) n’avait pas été correctement pris en compte par les autorités nationales, l’État partie fait observer que l’auteur a d’abord présenté plusieurs rapports médicaux, dont il ressortait que celui-ci souffrait de troubles post-traumatiques, qui se manifestaient par de l’anxiété, de la nervosité, des troubles du sommeil, des délires, des hallucinations et des pensées suicidaires. Plus tard, lorsqu’il avait fait appel devant le Tribunal administratif de l’immigration, l’auteur avait soumis des certificats médicaux complémentaires, selon lesquels il présentait des signes de schizophrénie paranoïde. L’État partie souligne que le Tribunal administratif de l’immigration, dans sa décision du 27 octobre 2017, a dûment examiné toutes ces informations, mais a estimé que le diagnostic de schizophrénie paranoïde n’était pas suffisamment étayé. Par la suite, l’auteur a produit d’autres documents médicaux qui dressaient la liste de tous ses symptômes, à savoir des épisodes dépressifs, de l’anxiété, de la nervosité, des troubles du sommeil, des délires, des hallucinations et des pensées suicidaires. Ces problèmes de santé ayant déjà été examinés dans le cadre de la première procédure d’asile, les autorités ont considéré que ce deuxième diagnostic ne constituait pas une circonstance nouvelle. L’État partie estime donc que les autorités chargées de l’immigration disposaient de nombreuses informations concernant l’état de santé de l’auteur, indépendamment du dernier diagnostic posé, ce qui leur avait permis de procéder à une évaluation éclairée, transparente et raisonnable des prétentions de l’auteur. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité et que la communication devrait donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 16 septembre 2019, l’auteur a affirmé que les constatations du Comité dans l’affaire O. O. J. et consorts c. Suède n’appuient pas l’observation de l’État partie concernant la règle principale selon laquelle la responsabilité d’un État partie au titre des obligations mises à sa charge par la Convention est limitée à son territoire. Dans l’affaire susmentionnée, le Comité a estimé que le renvoi par un État partie d’une personne vers un pays où elle risque d’être victime de violations de la Convention peut, dans certaines circonstances, engager la responsabilité de l’État de renvoi au titre de la Convention, qui ne prévoit pas de clause de restriction territoriale.

5.2L’auteur allègue que les articles 10 et 15 de la Convention devraient être interprétés comme autorisant les demandes de non-refoulement, étant donné que les personnes handicapées constituent un groupe particulièrement vulnérable. À cet égard, il soutient que le principe de non-refoulement prévu par la Convention doit être interprété non seulement à la lumière de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais aussi de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, car le libellé de ces dernières dispositions, analogue à celui de l’article 15 de la Convention, offre une protection non seulement contre la torture, mais aussi contre les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

5.3En ce qui concerne les griefs soulevés au titre des articles 12 et 13 de la Convention, l’auteur fait observer que le droit à un procès équitable en cas d’expulsion fait partie intégrante du principe de non-refoulement. Étant donné que le Comité doit encore se prononcer sur des cas analogues à l’espèce, il se peut que ce droit soit ultérieurement considéré comme faisant partie de la protection garantie par les articles 10 et 15 de la Convention ; auquel cas, l’auteur ne verrait pas d’objection à ce que le Comité examine ses griefs uniquement au titre des articles 10 et 15 de la Convention.

5.4En outre, l’auteur conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a examiné l’affaire sur le fond. Selon lui, il ne s’agit que de simples spéculations.

5.5En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses griefs ne sont pas suffisamment étayés, l’auteur maintient que la procédure d’asile n’était pas adaptée à ses handicaps et que, bien qu’il ait pu exposer sa situation, il n’a pas forcément pu le faire au mieux de ses capacités. Il conteste également l’affirmation de l’État partie selon laquelle les autorités nationales ont pu prendre une décision éclairée sur la seule base de ses symptômes, en faisant fi du diagnostic de schizophrénie paranoïde. L’auteur soutient que les traitements dépendent du diagnostic posé, même si les symptômes sont les mêmes. En conséquence, le diagnostic complémentaire aurait dû peser dans l’examen de sa demande d’asile et le fait qu’il n’a pas été pris en considération équivaut à une violation des droits qui lui sont reconnus par la Convention.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale en date du 13 mars 2020, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Outre les motifs d’irrecevabilité invoqués dans ses observations en date du 2 novembre 2018, l’État partie allègue que le grief soulevé au titre des articles 12 et 13 de la Convention devrait être déclaré irrecevable pour cause de non‑épuisement des voies de recours internes.

6.2L’État partie fournit des informations sur la législation nationale applicable et indique qu’un permis de séjour peut être délivré en application de l’article 6 du chapitre 5 de la loi sur les étrangers dans les cas où une évaluation globale de la situation de l’intéressé(e) révèle des circonstances exceptionnellement pénibles et telles que la personne devrait être autorisée à rester dans l’État partie. Au cours de cette évaluation, une attention particulière doit être accordée à l’état de santé de la personne, à son adaptation à l’État partie et à la situation dans son pays d’origine. Dans ce contexte, l’un des motifs de délivrance d’un permis de séjour est la présence d’une maladie somatique ou mentale mettant en danger la vie de l’intéressé(e) ou d’un handicap particulièrement grave. L’État partie fait observer qu’un permis de séjour pour cause de maladie mentale n’est délivré que si un examen médical a permis d’établir que l’état de santé mentale de l’intéressé(e) est suffisamment grave pour être considéré comme mettant sa vie en danger. En ce qui concerne l’examen du risque de suicide, le postulat est que chaque individu est responsable au premier chef de sa vie et de ses actes. Il est toutefois arrivé que des permis de séjour soient accordés à des personnes ayant des problèmes de santé mentale graves et non temporaires, qui avaient commis, ou avaient fait part de leur intention de commettre, des actes autodestructeurs graves. Dans les cas en question, l’Office des migrations avait évalué dans quelle mesure ces actes ou déclarations d’intention étaient imputables à une grave maladie mentale mise en évidence par un examen psychiatrique.

6.3L’État partie renvoie à l’affaireZ. c. Australie, dans laquelle le Comité des droits de l’homme a établi que l’état de santé de l’auteur n’avait pas en soi un caractère suffisamment exceptionnel pour déclencher l’obligation de non‑refoulement au titre de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’État partie renvoie aussi à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvili c. Belgique, selon lequel seules des circonstances très exceptionnelles peuvent soulever un problème au regard de l’article3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans des cas comparables. Il invite le Comité à suivre le même raisonnement dans le cadre de son examen et souligne que la Convention relative aux droits des personnes handicapées ne peut pas faire obligation aux États parties d’atténuer les disparités qui peuvent exister entre le niveau de traitement disponible dans l’État d’origine et celui de l’État d’accueil, car cela leur imposerait une charge excessive.

6.4En l’espèce, l’État partie fait observer que les autorités chargées de l’immigration ont effectivement évalué si des soins médicaux et des médicaments seraient disponibles en Afghanistan. Les autorités ont donc bien pris en considération l’état de santé de l’auteur, tel que décrit dans les dossiers médicaux qui avaient été soumis. Elles ont toutefois estimé que les informations disponibles ne permettaient pas d’établir que l’état de santé de l’auteur était d’une nature si exceptionnelle que l’expulsion de celui-ci serait contraire aux obligations de l’État partie en matière de droits de l’homme. L’État partie considère que rien ne permet de conclure que les décisions prises par les institutions nationales étaient inadéquates ou que l’issue de la procédure était arbitraire de quelque façon que ce soit ou constituait un déni de justice. Il fait en outre observer que la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, à plusieurs reprises, que les menaces de suicide proférées par les demandeurs d’asile déboutés ne devraient pas empêcher les États d’exécuter les arrêtés d’expulsion, à condition que des mesures aient été prises pour éliminer tout risque de concrétisation de ces menaces. L’État partie dit qu’il a bon espoir que, dans l’affaire en cause, l’arrêté d’expulsion soit exécuté de manière à réduire au minimum les souffrances de l’auteur, compte tenu de son état mental. En outre, il considère que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’éléments qui montrent qu’ilserait incapable de se réinsérer dans la société de son pays d’origine et d’utiliser le système afghan d’aide sociale après avoir passé plus de dix ans à l’étranger.

6.5L’État partie indique qu’il ne souhaite aucunement sous-estimer les problèmes de santé mentale de l’auteur ni les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet des infrastructures sanitaires disponibles en Afghanistan. Cependant, compte tenu de ce qui précède, il estime que l’auteur n’a pas démontré que son état de santé était d’une nature si exceptionnelle que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation des droits garantis par les articles 10 et 15 de la Convention.

6.6En ce qui concerne les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 12 de la Convention, l’État partie constate que l’auteur n’a pas précisé de quelle manière la procédure d’asile nationale aurait dû être aménagée afin de tenir compte de son état de santé. Le plaignant n’a pas non plus précisé de quelle manière l’inadaptation de la procédure d’asile à sa situation avait pu influer sur les évaluations réalisées par les autorités nationales. L’État partie réaffirme que l’auteur a été assisté par un conseil commis d’office tout au long de la procédure, qu’il a pu soumettre des observations écrites, participer aux entretiens et produire des rapports médicaux. L’État partie estime donc que l’auteur a pu présenter sa situation de manière satisfaisante.

6.7L’État partie note enfin que le grief de l’auteur au regard de l’article 13 de la Convention, selon lequel les autorités chargées de l’immigration ont ignoré dans leur évaluation le diagnostic de schizophrénie paranoïde, ne soulève pas de question distincte et devrait être examiné, s’il est recevable, au titre de l’article 15 de la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie, y compris les observations sur le fond

7.1Dans ses commentaires en date du 7 mai 2020, l’auteur indique que sa situation n’a pas changé et qu’en l’absence de permis de séjour, il ne peut toujours pas avoir accès au traitement contre les traumatismes prescrit par son médecin en Suède.

7.2En ce qui concerne l’objection de l’État partie à la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il n’a pas d’autres moyens d’épuiser les recours internes concernant les griefs au regard des articles 12 et 13 de la Convention que de mentionner les obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion dont il fait l’objet et de contester les décisions de première instance. En conséquence, l’auteur soutient qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

7.3En ce qui concerne le fond, l’auteur réaffirme que les autorités chargées de l’immigration ont refusé d’évaluer les risques associés au diagnostic de schizophrénie paranoïde et ont préféré se fonder sur leur évaluation précédente, réalisée sur la base du diagnostic de troubles post-traumatiques. S’appuyant sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Paposhvili c. Belgique et F. G. c. Suède, l’auteur affirme qu’il a démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de subir des mauvais traitements s’il était renvoyé en Afghanistan et qu’il appartenait aux autorités de déterminer si des soins médicaux appropriés lui seraient accessibles. Les autorités ont tenu compte des informations disponibles sur le pays, mais en ont tiré une conclusion qui semble arbitraire, car rien n’indiquait qu’un traitement médical serait disponible pour l’auteur dans sa situation d’extrême vulnérabilité. De plus, l’État partie n’a rien dit au sujet des traitements médicaux contre la schizophrénie paranoïde disponibles en Afghanistan. L’auteur estime que l’État partie n’a pas assumé le renversement de la charge de la preuve. Il ajoute qu’en plus du risque de se suicider, il court celui de subir des traitements inhumains et dégradants en raison de son handicap et que ce risque est d’autant plus élevé qu’il n’a personne dans son pays d’origine. Il renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Savran c. Danemark selon lequel l’expulsion vers la Turquie du requérant, qui souffrait de schizophrénie paranoïde, sans que les autorités danoises aient obtenu des garanties individuelles, constituait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En conséquence, l’auteur conclut que les droits qu’il tient des articles 10, 12, 13 et 15 de la Convention ont été violés par l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Dans une note verbale en date du 22 décembre 2020, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il y réaffirme que la Convention ne devrait pas être appliquée aux cas de non-refoulement, notamment parce qu’il existe d’autres mécanismes auxquels les requérants peuvent recourir dans des situations analogues, et conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités n’ont pas dûment tenu compte des principes établis par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvili c. Belgique. Il fait aussi observer que, contrairement à ce que soutient l’auteur, l’arrêt rendu dans l’affaire F. G. c. Suède ne devrait pas être considéré comme pertinent en l’espèce.

B.Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité constate que l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’un recours, basé sur les mêmes faits que ceux qui lui sont soumis. Par décision du 10 janvier 2019, la Cour européenne a estimé que ce recours ne remplissait pas les critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle que, lorsque la Cour européenne fonde une déclaration d’irrecevabilité sur des motifs qui ont trait non seulement à la procédure, mais aussi, dans une certaine mesure, au fond de l’affaire, la « même question » est considérée comme ayant été examinée au sens de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif. Toutefois, le Comité estime que, compte tenu du caractère succinct de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, et en particulier de l’absence de tout argument ou précision justifiant le rejet de la plainte de l’auteur sur le fond, il n’est pas en mesure de déterminer avec certitude que le grief présenté par l’auteur a déjà été examiné, même de façon limitée, quant au fond. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae et ratione loci au regard de l’article premier du Protocole facultatif ou pour défaut de fondement au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif, et la partie de la communication relative aux griefs de l’auteur au titre des articles 12 et 13 de la Convention devrait également être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

9.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence dans l’affaire O. O. J. c. Suède ,selon laquelle l’expulsion d’une personne vers un pays où celle-ci risque d’être victime de violations de la Convention peut, dans certaines circonstances, engager la responsabilité de l’État de renvoi au titre de la Convention (par. 10.3). Il considère que le principe de non-refoulement impose à un État partie l’obligation de s’abstenir d’éloigner une personne de son territoire lorsqu’il existe un risque réel que cette personne soit soumise à des violations graves des droits énoncés dans la Convention, y compris, mais sans s’y limiter, ceux qui sont consacrés aux articles 10 et 15 de la Convention, ce qui équivaudrait à un risque de préjudice irréparable. Le Comité considère donc que le principe de l’effet extraterritorial ne l’empêche pas d’examiner la présente communication en vertu de l’article premier du Protocole facultatif. À cet égard, il constate que l’auteur affirme que son renvoi en Afghanistan entraînerait un risque grave pour sa vie et sa santé, puisqu’il ne pourrait pas avoir accès à des soins médicaux nécessaires et vitaux dans ce pays. Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs soulevés au titre des articles 10 et 15 de la Convention.

9.5Le Comité prend note des griefs soulevés au titre des articles 12 et 13 de la Convention. Il estime que la partie de la communication dans laquelle l’auteur affirme que, dans le cadre des procédures d’asile, les autorités n’ont pas tenu compte des besoins particuliers découlant de son état de santé, n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Le Comité estime que l’auteur n’a pas spécifié les mesures d’aménagement dont il avait besoin et, en particulier, n’a pas démontré qu’il avait demandé l’adoption de telles mesures auprès des autorités chargées de l’immigration. L’auteur n’a pas non plus expliqué concrètement en quoi il avait été défavorisé lors de la présentation de son dossier devant les autorités en question. Le Comité considère donc ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle sa demande d’asile avait été examinée uniquement à la lumière des informations établissant qu’il souffrait de troubles post-traumatiques, le Comité estime que ce grief est étroitement lié à ceux qui ont été soulevés au titre des articles 10 et 15 de la Convention, et l’examinera donc au regard de ces articles.

9.6Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle-ci recevable en ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre des articles 10 et 15 de la Convention, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 73 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

10.2Le Comité rappelle qu’aux termes de l’article 10 de la Convention, les États parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. Il rappelle également qu’aux termes de l’article 15 de la Convention, les États parties prennent toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher, sur la base de l’égalité avec les autres, que des personnes handicapées ne soient soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

10.3Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 31 (2004), le Comité des droits de l’homme mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (par. 12). Il fait observer que, dans sa jurisprudence, le Comité des droits de l’homme établit que ce risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Dans sa jurisprudence, le Comité des droits de l’homme souligne qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie et que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou a constitué un déni de justice.

10.4Le Comité rappelle en outre sa décision dans l’affaire N. L. c. Suède, dans laquelle il a conclu à une violation de l’article 15 de la Convention, car l’État partie n’avait pas chercher à vérifier que l’auteure aurait effectivement accès à des soins médicaux correspondant à son diagnostic en Iraq, alors même qu’elle avait présenté aux autorités nationales plusieurs certificats médicaux dans lesquels son état de santé était décrit comme grave et mettant sa vie en danger sans le traitement qu’elle recevait dans l’État partie. Le Comité note que, dans cette décision, il est fait référence à la jurisprudence pertinente du Comité des droits de l’homme, du Comité contre la torture et de la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité constate que les principes généraux établis dans ces décisions ont été rappelés dans l’affaire N. L. c. Suède (par. 7.3 à 7.5) et conservent toute leur pertinence dans l’appréciation du cas d’espèce.

10.5En l’espèce, le Comité prend note des griefs de l’auteur, selon lesquels l’État partie violerait les droits que l’auteur tient des articles 10 et 15 de la Convention s’il renvoyait celui‑ci en Afghanistan, car cela exposerait l’auteur à un risque élevé de suicide et à d’autres risques sérieux pour sa vie et sa santé. Le Comité constate qu’un diagnostic de dépression grave avec des caractéristiques psychotiques a été posé et que l’auteur a été hospitalisé en application de la loi sur les soins psychiatriques obligatoires, après avoir eu des hallucinations et des pensées suicidaires ayant abouti à des tentatives de suicide. Le Comité constate aussi que l’auteur affirme qu’il a présenté, dans le cadre de ses procédures d’asile, plusieurs certificats médicaux confirmant le diagnostic de schizophrénie paranoïde et que les autorités n’ont pas jugé nécessaire de procéder à un nouvel examen de la demande d’asile pour déterminer, à la lumière du nouveau diagnostic, si un traitement approprié serait disponible. Le Comité constate également que l’auteur affirme que ses certificats médicaux indiquaient bien qu’il mettrait sa vie en danger s’il n’était pas soigné et que les autorités n’ont pas accordé toute l’importance voulue au diagnostic de schizophrénie paranoïde qui, selon elles, trouvait son origine dans le rejet de la demande d’asile.

10.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont procédé à un examen approfondi des griefs de l’auteur et que rien ne permettait de conclure que les décisions internes étaient inadéquates ou que l’issue de la procédure était, de quelque manière que ce soit, arbitraire ou constituait un déni de justice. Il relève que, selon l’État partie, les autorités chargées de l’immigration avaient disposé de nombreuses informations concernant l’état de santé de l’auteur, indépendamment du dernier diagnostic posé, ce qui leur avait permis une évaluation éclairée, transparente et raisonnable des prétentions de l’auteur.

10.7Le Comité doit donc déterminer, compte tenu des facteurs exposés ci‑dessus, s’il existe des motifs sérieux de croire que l’auteur courrait un risque réel de subir un préjudice irréparable tel qu’envisagé par les articles 10 et 15 de la Convention s’il était renvoyé en Afghanistan, par exemple le risque d’un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant de grandes souffrances ou celui d’une réduction sensible de son espérance de vie. Il note que les parties ne contestent pas le fait que l’auteur a été diagnostiqué comme présentant des troubles post-traumatiques et était traité pour ce problème de santé, qui avait été considéré comme mettant sa vie en danger en raison du risque de suicide qui lui était associé. Le Comité constate que, selon la décision du Tribunal administratif de l’immigration du 17 juillet 2018, le diagnostic de schizophrénie paranoïde de l’auteur n’a pas été remis en cause au niveau national, mais considéré comme ne constituant pas une circonstance nouvelle aux fins d’un nouvel examen de la demande d’asile de l’auteur.

10.8Le Comité constate que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si l’évaluation des autorités nationales a satisfait aux normes applicables en matière de droits de l’homme en ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il ne pourrait pas avoir accès à un traitement médical approprié en Afghanistan. Le Comité est attentif aux arguments de l’auteur selon lesquels les autorités nationales auraient dû procéder à une nouvelle évaluation en tenant compte du diagnostic de schizophrénie paranoïde et qu’en tout état de cause, les informations pertinentes concernant le pays de renvoi n’étayent pas l’opinion des autorités selon laquelle l’auteur pourrait être soigné pour ses problèmes de santé mentale ou tout au moins pour ses troubles post-traumatiques en Afghanistan. à cet égard, le Comité relève que, selon le Tribunal administratif de l’immigration, les symptômes et les troubles fonctionnels de l’auteur, que le Tribunal avait examinés dans le cadre de la procédure initiale, étaient en grande partie les mêmes que ceux décrits dans les certificats médicaux qui confirmaient le diagnostic de schizophrénie paranoïde. Le Comité rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties à la Convention qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que l’appréciation était clairement arbitraire ou constituait un déni de justice. Les autorités compétentes en matière d’asile ayant évalué les risques de préjudice liés à l’état de santé mentale de l’auteur, le Comité ne peut pas conclure que le refus par les autorités de l’État partie d’effectuer une analyse de risque distincte, sur la base du nouveau diagnostic posé et dans le cadre d’une nouvelle procédure, fasse du rejet de la demande d’asile de l’auteur une décision arbitraire, une erreur manifeste ou un déni de justice.

10.9Le Comité rappelle la jurisprudence du Comité contre la torture et de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication, qui doit apporter des éléments de nature à démontrer qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il sera exposé à un risque réel de mauvais traitements en cas de renvoi. Néanmoins, l’on ne saurait exiger de l’intéressé qu’il apporte une preuve certaine de ses affirmations, car une part de spéculation est inhérente à la fonction préventive du principe de non-refoulement. De l’avis du Comité, dans le cas présent, l’auteur s’est acquitté de la charge de la preuve. Cependant, les autorités nationales n’ont pas réussi à dissiper les doutes quant aux risques que l’auteur encourrait s’il était renvoyé en Afghanistan. à cet égard, le Comité note que les autorités nationales ont estimé que les problèmes de santé et les idées suicidaires de l’auteur étaient principalement liés à sa déception comme suite au rejet de sa demande d’asile, ce qui semble avoir déraisonnablement affaibli les arguments de l’auteur basés sur le diagnostic le concernant. Le Comité constate que les autorités chargées de l’immigration ont estimé que l’auteur aurait accès aux soins médicaux dont il avait besoin en Afghanistan et ne subirait donc pas une violation des droits qu’il tient de l’article 15. Les autorités chargées de l’immigration sont parvenues à cette conclusion après l’examen de rapports généraux sur l’accès aux soins de santé en Afghanistan, lesquels révélaient toutefois des limites dans la disponibilité des soins psychiatriques et l’accès aux médicaments. Il ressort des autres sources d’informations fiables sur la situation sanitaire en Afghanistan consultées par le Comité que le pays manque de professionnels qualifiés (psychiatres, travailleurs sociaux et psychologues) et d’infrastructures, n’est guère au fait des questions de santé mentale, et dispose de ressources très limitées pour une population de plus de 30 millions de personnes. Le Comité constate que les autorités de l’État partie ont, dans une large mesure, pris acte de ces lacunes, qui font sérieusement douter du fait que l’auteur puisse avoir accès aux soins de santé dont il a besoin et soit protégé de toute violation des droits qu’il tient de l’article 15, comme indiqué au paragraphe 10.7 ci-dessus. Dans ces circonstances, les autorités de l’État partie étaient tenues de déterminer dans quelle mesure l’auteur aurait effectivement accès aux soins de santé dont il avait besoin en Afghanistan et, si de sérieux doutes persistaient, d’obtenir des assurances individuelles et suffisantes de cet État. Le Comité considère que l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’arrêté d’expulsion sera exécuté de manière à réduire au minimum les souffrances de l’auteur n’est pas suffisamment étayée. En conséquence, le Comité estime qu’il aurait été très important d’obtenir des assurances individuelles dans les circonstances de l’espèce, étant donné que l’auteur avait quitté l’Afghanistan à un très jeune âge, il y a treize ans, et que des rapports montraient que les rapatriés pouvaient rencontrer des difficultés particulières lorsqu’ils souhaitaient accéder à des services de santé.

10.10Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il subsiste des doutes sérieux quant à la possibilité pour l’auteur d’avoir effectivement accès à un traitement médical approprié en Afghanistan et, partant, d’être protégé contre toute violation des droits qu’il tient de l’article 15 de la Convention. Le Comité n’est donc pas en mesure de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas évalué de manière arbitraire le risque réel de préjudice irréparable que l’auteur courrait dans son pays d’origine.

10.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan, s’il y était procédé, constituerait une violation des droits que celui-ci tient de l’article 15 de la Convention.

10.12À la lumière de ce qui précède, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les griefs de l’auteur au titre de l’article 10 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations que lui impose l’article 15 de la Convention. En conséquence, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteur, l’État partie a pour obligation :

i)De lui fournir un recours utile, y compris une indemnisation pour tous les frais de justice engagés pour la soumission de la présente communication ;

ii)De réexaminer le cas de l’auteur, en tenant compte des obligations mises à la charge de l’État partie par la Convention et des présentes constatations ;

iii)De rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité demande à l’État partie de veiller à ce que les droits des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, soient dûment pris en considération dans le contexte des décisions relatives au droit d’asile.

12.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.