Nations Unies

CAT/C/61/D/625/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 625/2014*,**

Communication présentée par :

G. I. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Au nom de :

G. I.

État partie :

Danemark

Date de la requête :

14 août 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

10 août 2017

Objet :

Expulsion vers le Pakistan

Questions de procédure :

Fondement des griefs

Questions de fond :

Non-refoulement ; risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est G. I., de nationalité pakistanaise, né le 1er novembre 1980. Il est chrétien de naissance. Il affirme que son renvoi au Pakistan par l’État partie constituerait une violation par le Danemark de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil. Le Danemark a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 26 juin 1987.

1.2Le 26 août 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie, conformément à l’article 114 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1Le requérant, né le 1er novembre 1980, est de nationalité pakistanaise. Il est de religion chrétienne depuis sa naissance. Il vivait dans le quartier d’Iqbal, à Islamabad. En 2004, il est devenu membre d’une organisation religieuse dénommée « Jésus, espoir de vie ». Son activité principale au sein de cette organisation consistait à faire connaître la Bible aux adeptes d’autres religions. En juin 2008, lors d’un événement organisé au centre d’études chrétiennes d’Islamabad, le requérant a eu une altercation à propos de l’islam et du christianisme avec un mollah, qui l’a menacé verbalement. Le 15 janvier 2010, le requérant s’est fait voler sa voiture et, trois jours plus tard, il a reçu une lettre l’avertissant que, s’il continuait à parler de la Bible, cela aurait de « graves conséquences » pour lui.

2.2Le 10 août 2011, le requérant a été agressé et passé à tabac par trois inconnus alors qu’il conduisait son taxi. Il indique que ces trois individus sont montés dans le véhicule et lui ont demandé de s’arrêter dans un lieu appelé Bani Gala. Là, ils l’ont frappé à la tête au moyen d’une pierre et lui ont entaillé le poignet. Ils lui ont dit qu’il était traité de la sorte parce qu’il n’avait pas cessé de faire l’apologie de son « faux dieu ». Il a perdu connaissance et s’est réveillé à l’Institut pakistanais des sciences médicales, où il a passé une dizaine de jours.

2.3Le requérant indique en outre qu’à une date non précisée, quatre policiers l’ont attaqué alors qu’il était dans son véhicule à la station de taxi. Ils lui ont bandé les yeux et l’ont emmené dans un poste de police où ils l’ont roué de coups et suspendu par les pieds au plafond et lui ont introduit de l’eau dans le nez au moyen d’un tuyau. Ils l’ont accusé d’avoir distribué des bibles à des musulmans et l’ont sommé d’accepter l’islam. Ensuite, ils l’ont accusé de possession illégale d’alcool, prétendant qu’il cachait 24 bouteilles d’alcool dans son taxi, en conséquence de quoi il a été inculpé et placé en détention. Après avoir été détenu pendant environ une semaine, il a été remis en liberté grâce à une caution versée par le président de l’organisation « Jésus, espoir de vie ». Le requérant dit que les violences qu’il a subies lui ont laissé des cicatrices visibles sur le front, les bras et les jambes.

2.4Le requérant indique en outre que, le 3 janvier 2014, il a reçu à son domicile une lettre contenant des menaces de mort contre lui et sa famille. Il a donc emmené sa femme et ses enfants à Faisalabad, où vivaient les parents de son épouse, avant de quitter le Pakistan. Pendant son audition par la Commission de recours des réfugiés, il a indiqué qu’après son départ, plusieurs personnes avaient contacté ses proches pour leur demander où il se trouvait et qu’en conséquence, ils envisageaient de déménager dans une autre ville. L’auteur affirme qu’il n’a pas demandé aux autorités pakistanaises d’assurer sa protection parce qu’elles ne garantissent pas la sécurité des chrétiens. Par exemple, en 2014, un garçon chrétien a été tué dans un poste de police et les autorités n’ont pris aucune mesure à la suite de ce meurtre.

2.5Le 12 février 2014, l’auteur est arrivé au Danemark sans documents de voyage valides. À une date non précisée, il a déposé une demande d’asile. Le 23 mai 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande d’asile et refusé de lui accorder un permis de séjour. Le 4 août 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service de l’immigration et rejeté sa demande d’asile. Elle a estimé que les explications du requérant avaient été fabriquées de toutes pièces pour la circonstance. Elle a considéré qu’il était peu probable que le requérant ait été persécuté en raison de sa religion au Pakistan étant donné que les faits liés aux persécutions dont il disait avoir été victime s’étaient produits à un intervalle « d’un an ou d’un an et demi ». Elle a également considéré que, même si le requérant avait fait des déclarations cohérentes sur les événements cités à l’appui de sa demande d’asile, il avait donné des réponses très vagues et évasives lorsqu’on lui avait demandé de préciser certains détails. Par exemple, après le vol de sa voiture, il avait signalé ce vol à la police, sans faire état de la lettre de menaces qu’il avait reçue. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne l’avait pas mentionnée, il a expliqué qu’il n’avait pas jugé utile de le faire car, les policiers étant musulmans, ils ne l’auraient pas protégé. La Commission a considéré en outre que la description que le requérant avait faite de la lettre de menaces du 15 janvier 2010 ne coïncidait pas avec le contenu de la lettre produite au cours de son audition par la Commission : en effet, pendant ses entretiens avec le Service danois de l’immigration, le requérant avait indiqué que la lettre ne portait pas de signature ; or, le document fourni à la Commission de recours des réfugiés était signé par un groupe religieux. De plus, la Commission a jugé peu crédibles les explications données par le requérant sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas produit cette lettre à un stade antérieur de la procédure d’asile et ne l’avait présentée qu’après le rejet de sa demande. Bien qu’elle ait estimé qu’on ne pouvait pas nier, compte tenu de la photo fournie par le requérant, que ses cicatrices à la jambe étaient compatibles avec son allégation selon laquelle ces marques étaient des séquelles des violences qu’il avait subies en 2011, la Commission a conclu qu’au vu de leurs caractéristiques, les lésions que présentait le requérant auraient tout aussi bien pu être causées par d’autres événements. Étant donné les doutes pesant sur la crédibilité du requérant, elle a déclaré que l’existence des séquelles susmentionnées, même si elles étaient liées aux violences décrites par le requérant, ne modifiait en rien sa conclusion selon laquelle l’intéressé ne courrait pas un risque de persécution au Pakistan s’il y était renvoyé.

2.6Concernant les faits survenus au poste de police, la Commission de recours des réfugiés a estimé peu probable que le requérant ait été arrêté pour un autre motif que la possession d’alcool, ce qui concorde avec la teneur du rapport de police fourni par lui. Elle a considéré en outre que l’allégation du requérant qui affirmait avoir été brutalisé lors de son arrestation pour possession d’alcool ne saurait modifier son appréciation des faits étant donné que, par la suite, il avait été remis en liberté et n’avait pas été contacté à propos de cette affaire. La Commission a fait observer que les blessures infligées au requérant n’étaient pas permanentes compte tenu du laps de temps considérable qui s’était écoulé entre son arrestation, sa remise en liberté et son départ du Pakistan. Enfin, en ce qui concerne la demande du requérant tendant à ce que la procédure soit suspendue afin qu’un examen médical puisse être effectué afin de déterminer s’il avait été torturé, la Commission n’a pas jugé utile d’ordonner un tel examen car celui-ci n’aurait pas eu d’incidence sur la décision relative à la demande d’asile du requérant.

2.7Le requérant indique qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles, les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne pouvant pas être contestées devant d’autres organes de l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention car il courrait le risque d’être persécuté et torturé par des membres de la communauté musulmane en raison de sa foi chrétienne et de ses activités, qui lui ont déjà valu d’être harcelé, menacé et brutalisé dans son pays. Il affirme également que, comme il est chrétien, les autorités pakistanaises ne le protégeraient pas et n’enquêteraient pas s’il portait plainte pour torture.

3.2Le requérant affirme que, bien qu’il présente des cicatrices visibles résultant des tortures qu’il a subies au Pakistan, l’État partie lui a refusé la possibilité de se faire examiner par un médecin. Il soutient que sa requête est identique à celles soumises dans les affaires Amini c.  Danemark et K. H. c.  Danemark ,dans lesquelles le Comité a conclu à une violation de la Convention, du fait que l’État partie avait rejeté les demandes des requérants tendant à ce qu’un médecin les examine afin de déterminer s’ils avaient été torturés. Le requérant indique en outre que dans l’une de ces affaires − K. H.  c.  Danemark − le fait que l’État partie n’ait pas pris de mesures pour empêcher que le requérant ne soit refoulé a eu des conséquences dramatiques pour l’intéressé, qui a été soumis à la torture après avoir été renvoyé dans son pays d’origine.

3.3Le requérant affirme en outre que s’il était renvoyé au Pakistan, il courrait le risque d’être interrogé et torturé par la police à son arrivée à l’aéroport en raison des cicatrices visibles sur ses jambes, ses bras et son front.

3.4Le requérant fait valoir l’existence d’un ensemble de violations massives des droits de l’homme et une pratique courante de la torture au Pakistan, et renvoie aux principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour l’évaluation des besoins de protection internationale des membres de minorités religieuses au Pakistan, dans lesquels les chrétiens sont cités au nombre des minorités potentiellement à risque.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 26 février 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il soutient que la requête est manifestement dénuée de fondement et donc irrecevable. Dans l’éventualité où le Comité considérerait que les allégations du requérant sont recevables, l’État partie affirme qu’il n’y a pas d’éléments de preuve pour les étayer ni de motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être torturé s’il était renvoyé au Pakistan.

4.2L’État partie décrit la structure et la composition de la Commission de recours des réfugiés. Les activités de cet organe sont régies par les dispositions de l’article 53a de la loi relative aux étrangers, en vertu duquel la Commission est chargée d’examiner toutes les décisions du Service danois de l’immigration qui font l’objet d’un recours, sauf celles dans lesquelles la demande d’asile a été déclarée manifestement dénuée de fondement. La Commission est un organe quasi judiciaire indépendant qui est considéré comme un tribunal au sens de l’article 39 de la Directive du Conseil de l’Union européenne relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (2005/85/CE). La loi relative aux étrangers dispose que les membres de la Commission sont indépendants et ne peuvent pas prendre d’instructions auprès de l’autorité qui les a désignés ou nommés. Les décisions de la Commission sont définitives. Les étrangers peuvent toutefois former un recours devant les juridictions ordinaires qui peuvent trancher toute question relative aux limites de la compétence d’un organe public. Comme l’a établi la Cour suprême, l’examen par les tribunaux ordinaires des décisions de la Commission de recours des réfugiés ne porte que sur des points de droit et l’appréciation que donne cet organe des éléments de preuve n’est pas susceptible de réexamen.

4.3L’État partie décrit ensuite la procédure suivie par la Commission de recours des réfugiés. Cette procédure repose sur une audition. La Commission peut, si besoin est, assigner au demandeur d’asile un conseil qui l’assiste gratuitement. Les décisions de la Commission sont fondées sur un examen individuel et détaillé de l’affaire et les déclarations de l’intéressé concernant les motifs de sa demande d’asile sont examinées à la lumière de tous les éléments de preuve pertinents, y compris des informations disponibles sur la situation dans son pays d’origine. À ce propos, l’État partie fait observer que la Commission dispose d’un ensemble complet de documents de référence généraux sur la situation dans les différents pays d’origine des demandeurs d’asile au Danemark, dont des documents émanant du HCR, du Ministère danois des affaires étrangères, de la Division de l’information sur les pays d’origine du Service danois de l’immigration, du Conseil danois pour les réfugiés et d’autres sources fiables.

4.4Concernant les fondements juridiques de l’asile, l’État partie indique que, conformément au paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, un permis de séjour est délivré à tout étranger qui répond à la définition du réfugié telle qu’elle est énoncée dans la Convention relative au statut des réfugiés. En vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de ladite loi, un permis de séjour est délivré à tout demandeur d’asile qui encourt la peine de mort ou qui risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Le paragraphe 2 de l’article 31 de la même loi prévoit qu’aucun étranger ne peut être renvoyé dans un pays où il court un risque d’être victime de persécution au sens de ladite convention.

4.5L’État partie indique que le fait pour un demandeur d’asile d’avoir été soumis à la torture ou à des mauvais traitements dans son pays d’origine peut avoir une importance cruciale dans le cadre de l’examen auquel se livre la Commission de recours des réfugiés afin de déterminer si les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers sont réunies. Toutefois, comme le montre la jurisprudence de la Commission, les conditions d’octroi de l’asile ne peuvent pas être considérées comme remplies dans toutes les affaires dans lesquelles le demandeur d’asile a été torturé dans son pays d’origine. L’État partie renvoie à l’affaire A. A. C. c.  Suède, dans laquelle le Comité a considéré que le fait pour un requérant d’avoir été torturé dans le passé n’était que l’un des éléments pris en considération pour déterminer s’il courrait personnellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine, et qu’il convenait d’examiner la question de savoir si la torture avait eu lieu récemment et dans des circonstances qui avaient un lien avec les réalités politiques contemporaines dans le pays concerné.

4.6L’État partie indique en outre que, lorsque des faits de torture sont cités à l’appui d’une demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés tient compte d’éléments tels que la nature des actes commis ainsi que leur ampleur, leur gravité et leur fréquence, l’âge du demandeur d’asile et le temps écoulé entre les actes de torture allégués et le départ du demandeur d’asile de son pays d’origine. L’État partie indique également que l’un des éléments cruciaux pris en considération aux fins de l’examen d’une demande d’asile est la situation dans le pays d’origine au moment où le demandeur d’asile pourrait y être expulsé et renvoie à l’affaire M. C. M. V. F. c. Suède , dans laquelle le Comité a tenu compte de l’évolution de la situation dans le pays d’origine du requérant, El Salvador, où le conflit armé avait pris fin dix ans avant que l’intéressé ne lui soumette sa requête. De plus, l’État partie précise que la Commission de recours des réfugiés prend en considération les informations permettant de déterminer si des violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme sont commises de manière systématique dans le pays d’origine du demandeur d’asile.

4.7En ce qui concerne le grief du requérant relatif au refus des autorités danoises de lui faire subir un examen médical visant à déceler des signes de torture, l’État partie indique que, lorsque la torture est citée à l’appui d’une demande d’asile, la Commission de recours des réfugiés peut ordonner qu’il soit procédé à un examen médical, mais elle ne le fait que pendant l’audition du demandeur d’asile car sa décision concernant l’opportunité d’ordonner un tel examen dépend des déclarations de l’intéressé, en particulier de leur crédibilité. En conséquence, la Commission n’ordonne généralement pas qu’il soit procédé à un examen visant à déceler des signes de torture lorsque les déclarations que le demandeur d’asile a faites pendant son audition n’étaient pas crédibles. En outre, même dans les cas où elle considère comme établi que le demandeur d’asile a été soumis à la torture dans le passé, elle n’ordonne pas d’examen médical si elle estime qu’il n’existe pas, au moment où elle examine la demande, de risque réel pour l’intéressé d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays. L’État partie renvoie à l’affaire M . O . c. Danemark , concernant laquelle le Comité a conclu à l’absence de violation de la Convention en raison du manque de crédibilité du requérant, bien que celui-ci ait dit avoir été torturé dans le passé et produit des certificats médicaux à l’appui de ces allégations. L’État partie renvoie aussi à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Cruz Varas et autres c. Suède , dans lequel la Cour a conclu que, malgré les attestations médicales fournies par le requérant, il n’y avait pas de motifs avérés et sérieux de croire que son expulsion l’exposerait à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants à son retour dans son pays d’origine, en raison des incohérences dans les déclarations qu’il avait faites au cours de la procédure d’asile. En conséquence, l’État partie considère comme la Commission de recours des réfugiés que, compte tenu du manque de crédibilité du requérant, il n’y avait pas lieu en l’espèce de procéder à un examen médical. L’État partie ajoute que le rapport médical daté du 20 août 2011 produit par le requérant ne contient pas d’éléments de preuve attestant qu’il est une victime de la torture.

4.8En outre, l’État partie maintient que la Commission de recours des réfugiés a pris en considération toutes les informations pertinentes dans sa décision du 4 août 2014 et que le requérant n’a pas apporté d’éléments nouveaux au Comité. L’État partie renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire R. C. c. Suède , dans lequel la Cour a considéré qu’en règle générale, les autorités nationales étaient les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais aussi, et surtout, la crédibilité des témoins, car c’était elles qui avaient eu l’occasion de voir la personne concernée, de l’entendre et d’apprécier son comportement. L’État partie indique qu’après avoir procédé à un examen approfondi de la crédibilité du requérant et de sa situation particulière, la Commission de recours des réfugiés a conclu que le requérant n’avait pas montré qu’il courrait un risque de torture s’il était renvoyé au Pakistan. Par exemple, étant donné le temps qui s’était écoulé entre les différents incidents cités par le requérant à l’appui de sa demande d’asile, la Commission a estimé qu’il n’avait pas démontré qu’il avait été persécuté pour des raisons religieuses, que ce soit par des agents de l’État ou par d’autres personnes. En outre, l’État partie signale que, comme le requérant a fait des déclarations incohérentes et contradictoires au cours de la procédure d’asile, la Commission n’a pas considéré les faits comme étant établis. Elle a estimé que, même s’il était possible que le requérant ait été arrêté en 2012, celui-ci n’était pas parvenu à démontrer que son arrestation avait un autre motif que la possession illégale d’alcool. Elle a considéré en outre que, comme il avait été remis en liberté par la suite et n’avait pas été contacté à propos de cette affaire, son allégation concernant les brutalités qu’il aurait subies au cours de son interrogatoire ne pouvait à elle seule justifier qu’on lui accorde l’asile. L’État partie souligne en outre que la Commission a mis l’accent sur la nature des brutalités infligées au requérant, qui ne lui ont laissé aucune blessure permanente, ainsi que sur le temps considérable qui s’est écoulé entre sa remise en liberté et son départ du Pakistan.

4.9L’État partie considère que le requérant cherche à se servir du Comité comme d’un organe d’appel et que sa requête vise simplement à contester l’appréciation que la Commission de recours des réfugiés a faite de sa crédibilité. L’État partie souligne en outre que le requérant n’a mis au jour aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient aux tribunaux des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que la manière dont ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

4.10L’État partie souligne en outre que l’allégation du requérant qui affirme qu’il attirera l’attention de la police lorsqu’il arrivera à l’aéroport au Pakistan en raison de ses cicatrices n’a été étayée d’aucune façon.

4.11À propos du renvoi par le requérant à l’affaire Amini c. Danemark, l’État partie objecte que ce cas diffère de celui à l’examen car, dans cette affaire, le requérant avait fourni des éléments de preuve objectifs attestant qu’il avait été soumis à la torture dans son pays d’origine juste avant son arrivée au Danemark. Il avait montré en outre qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays. En ce qui concerne l’allégation du requérant qui soutient que son cas est similaire à l’affaire K. H. c. Danemark ,  l’État partie indique que, dans cette affaire, la Commission de recours des réfugiés avait considéré comme fondées les allégations du requérant qui affirmait qu’il serait torturé par les Taliban s’il était renvoyé en Afghanistan.

4.12Pour ce qui est de la situation générale des chrétiens au Pakistan, l’État partie indique qu’elle n’est pas telle que le requérant, chrétien de naissance, soit exposé à un risque de persécution religieuse car il n’est pas une personnalité en vue. L’État partie renvoie à un rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord dont il ressort que, d’après les estimations, les chrétiens vivant au Pakistan représentent 3 à 4 millions de personnes et que, même s’ils sont victimes de discrimination et d’agressions, ils ne font pas l’objet de sanctions officielles en raison de leur religion. L’État partie indique en outre que les dispositions de la législation réprimant le blasphème ne sont pas automatiquement appliquées pour engager des poursuites pénales et prononcer des peines d’emprisonnement. L’État partie renvoie aussi à un autre rapport du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni dans lequel on peut lire que, malgré la discrimination dont ils sont victimes, les chrétiens peuvent pratiquer leur religion au Pakistan : ils peuvent aller à l’église, participer à des activités religieuses et mettre en place leurs propres écoles et hôpitaux. De plus, le Gouvernement est disposé à accorder une protection aux chrétiens victimes d’agressions commises par des acteurs non étatiques, et la réinstallation de ces personnes est une option viable.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 10 juin 2016, le requérant fait part au Comité de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il estime que l’État partie n’a pas montré que sa communication était manifestement dénuée de fondement et que celle-ci devrait donc être considérée comme recevable. Il soutient en outre que cet argument est étroitement lié au fond de la communication et qu’en conséquence, sa requête devrait être déclarée recevable. Pour ce qui est du fond de la communication, le requérant réaffirme qu’il a été démontré que l’État partie a violé l’article 3 de la Convention, en particulier du fait que les autorités danoises ont rejeté sa demande tendant à ce qu’un médecin l’examine afin de déterminer s’il avait été torturé avant son arrivée au Danemark.

5.2Le requérant réaffirme que sa requête est identique à l’affaire K. H. c. Danemark , dans laquelle l’intéressé s’était vu refuser la possibilité de se faire examiner par un médecin. À la suite de la décision du Comité, cette personne avait dû être réadmise au Danemark après en avoir été expulsée, et le statut de réfugié lui avait été octroyé. Le requérant réaffirme également que son cas est très similaire à l’affaire Amini c. Danemark . Il renvoie en outre à la décision du Comité concernant l’affaire F. K. c. Danemark , dans laquelle celui-ci avait considéré qu’en rejetant la demande d’asile du requérant sans ordonner d’examen médical, l’État partie ne s’était pas suffisamment efforcé d’établir s’il existait des motifs sérieux de croire que l’intéressé risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

5.3Concernant le renvoi par l’État partie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire R. C. c. Suède, le requérant souligne qu’en l’espèce la Cour n’avait pas souscrit à la conclusion de l’État partie, estimant que le récit du requérant avait été cohérent tout au long de la procédure et que, même si son récit comportait quelques imprécisions, celles-ci ne compromettaient pas sa crédibilité générale. La Cour avait conclu que l’expulsion du requérant vers son pays d’origine constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le requérant soutient que la Cour est parvenue à cette conclusion parce que les autorités suédoises auraient dû ordonner un examen médical visant à déterminer la cause probable des cicatrices du demandeur dès lors que celui-ci avait apporté un commencement de preuve de leur origine.

5.4Le requérant affirme en outre qu’en lui refusant la possibilité d’être examiné par un médecin qui aurait confirmé qu’il avait été soumis à la torture, et en se fondant uniquement sur sa crédibilité, l’État partie a violé l’article 3 de la Convention. Il estime qu’il a apporté des éléments de preuve suffisants montrant que sa requête était à première vue fondée, en particulier le certificat médical délivré par l’Institut pakistanais des sciences médicales et la lettre de l’organisation « Jésus, espoir de vie » attestant qu’il avait été persécuté en raison des activités qu’il menait en son sein. D’ailleurs, lorsque le requérant a déposé sa demande d’asile, le Service danois de l’immigration ne lui a même pas demandé de remplir le formulaire par lequel les demandeurs d’asile peuvent déclarer consentir à être examinés par un médecin.

5.5Le requérant estime en outre qu’il aurait dû bénéficier de critères moins exigeants en matière de preuve que les critères applicables aux demandeurs d’asile qui n’ont pas subi des actes de torture, compte tenu en particulier du fait que, comme il l’a indiqué aux autorités de l’État partie, il ne parvient pas à se remémorer clairement bon nombre d’événements en raison des coups qui lui ont été portés à la tête pendant ses séances de torture. En conséquence, en lui refusant la possibilité d’être soumis à un examen médical, la Commission de recours des réfugiés n’a pas respecté le principe du bénéfice du doute et lui a appliqué des critères inadaptés en matière de preuve. Le requérant fait observer en outre qu’il n’est pas possible pour les demandeurs d’asile de se faire délivrer un certificat médical attestant qu’ils ont été torturés en raison de leurs activités. Il est donc essentiel d’accorder le bénéfice du doute aux demandeurs d’asile torturés dans le passé et il était crucial pour le requérant d’obtenir l’autorisation d’être examiné par un médecin qui aurait pu confirmer qu’il avait subi des actes de torture. Le requérant signale qu’en 2015, les autorités de l’État partie n’ont autorisé qu’il soit procédé à un examen médical que dans deux affaires. Compte tenu du nombre considérable de demandes d’asile reçues par les autorités de l’État partie cette année‑là, on est en droit de se demander pourquoi celles-ci ont jugé utile de procéder à un examen médical dans un nombre aussi limité de cas.

5.6Le requérant indique en outre que les dispositions du nouveau projet de loi soumis au Parlement portant modification des lois relatives à l’aide juridictionnelle et à l’administration de la justice concernant la soumission de requêtes aux organes internationaux créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme ont pour effet de priver les demandeurs d’asile qui se trouvent dans un cas comme le sien de toute possibilité de bénéficier de l’aide juridictionnelle. Ce projet prévoit de plus que, lorsque la Commission de recours des réfugiés refuse d’autoriser un demandeur d’asile à se faire examiner par un médecin, cette décision ne peut pas être utilisée comme motif pour soumettre une requête au Comité.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une lettre datée du 29 mars 2017, l’État partie réaffirme que la requête est irrecevable et ne fait apparaître aucune violation de la Convention. Il relève en outre que, dans ses observations, le requérant n’a apporté aucun élément nouveau sur les motifs de sa demande d’asile, en particulier sur les différends qu’il aurait eus dans son pays d’origine. L’État partie renvoie à l’affaire R. K. c. Australie , dans laquelle le Comité a souligné que l’existence d’un risque de torture devait être appréciée selon des éléments qui ne se limitaient pas à de simples supputations ou soupçons et que, s’il n’était pas nécessaire de démontrer que le risque couru était « hautement probable », le fardeau de la preuve incombait généralement au requérant, qui devait présenter des arguments convaincants montrant qu’il courait personnellement un risque réel et prévisible. En outre, il convenait d’accorder un poids considérable aux constatations des organes de l’État partie concerné. L’État partie soutient en outre que le requérant n’a pas établi que l’appréciation de la Commission de recours des réfugiés a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou qu’elle a constitué un déni de justice, et répète qu’il n’a mis en évidence aucune irrégularité que les autorités auraient commise pendant la procédure d’asile.

6.2L’État partie renvoie à l’affaire S. A. P. et consorts c. Suisse , dans laquelle le Comité a considéré que, bien que les requérants aient affirmé qu’ils souffraient de graves séquelles physiques et de troubles post-traumatiques résultant des persécutions dont ils avaient été victimes dans leur pays d’origine, ils n’avaient pas fourni d’éléments de preuve suffisants permettant de conclure que la cause en étaient les persécutions que leur auraient fait subir les autorités de leur pays.

6.3L’État partie fait en outre observer que, même lorsque l’on dispose de certificats médicaux tels que ceux délivrés par le groupe médical de la section danoise d’Amnesty International, qui attestent que les blessures du demandeur d’asile coïncident avec ses allégations de torture, si la Commission de recours des réfugiés décide de ne pas tenir compte du récit du demandeur d’asile au motif qu’il ne peut être établi d’aucune manière que l’intéressé avait des activités politiques et que son engagement politique avait été découvert par les autorités, il est inutile d’ordonner un examen médical visant à déceler des signes de torture. En pareil cas, un examen effectué par le Service de médecine légale ne permettra pas d’en savoir davantage sur la question car cet examen montrera uniquement que le demandeur d’asile a subi des blessures qui peuvent avoir été causées par les actes décrits par lui, mais qui pourraient aussi avoir été infligées de beaucoup d’autres façons. En conséquence, il est inutile de suspendre l’adoption d’une décision sur une affaire donnée afin que le demandeur d’asile puisse être examiné par un médecin puisque cet examen ne permettra pas de déterminer le motif pour lequel l’intéressé s’est vu infliger des blessures qu’il dit être le résultat d’actes de torture. L’État partie renvoie à l’affaire Z. c. Danemark, dans laquelle le Comité a constaté que l’État partie avait rejeté la demande d’examen médical du requérant mais que celui-ci n’avait pas étayé certains éléments fondamentaux de sa requête et a donc conclu que le requérant n’avait pas démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas procédé à une évaluation en bonne et due forme du risque de torture.

6.4L’État partie renvoie également à l’affaire M. B . et consorts c.  Danemark ,dans laquelle le Comité a considéré qu’étant donné que le requérant avait expressément prié la Commission de recours des réfugiés d’ordonner un examen médical afin que la crédibilité de ses dires soit établie, un examen impartial et indépendant aurait pu être effectué afin de déterminer si les incohérences de ses déclarations étaient dues aux tortures qu’il avait subies. L’État partie indique qu’il est en désaccord avec cette décision, car il n’existe pas d’obligation pour les États parties de procéder à un examen médical chaque fois qu’un demandeur d’asile le sollicite, y compris lorsque le requérant a produit un certificat médical montrant qu’il pourrait avoir été soumis à la torture. L’État partie ajoute que la décision d’ordonner un examen médical est fondée sur une appréciation individuelle des circonstances de chaque affaire.

6.5En ce qui concerne l’argument du requérant qui estime qu’il aurait dû bénéficier de critères moins exigeants en matière de preuve étant donné qu’il avait subi des tortures dans le passé, l’État partie indique que, lorsqu’un demandeur d’asile fait des déclarations contradictoires, la Commission de recours des réfugiés tient compte des explications que donne l’intéressé pour justifier ces incohérences au moment où elle se prononce sur sa crédibilité. S’agissant des demandeurs d’asile qui ont été victimes d’actes de torture, elle applique généralement des critères moins stricts en matière de preuve. Toutefois, en l’espèce, elle n’a pas ajouté foi à l’affirmation du requérant qui dit avoir été soumis à la torture au Pakistan, car elle a relevé des contradictions entre des éléments fondamentaux des motifs sur lesquels était fondée sa demande d’asile.

6.6Pour ce qui est des allégations du requérant concernant les dispositions du nouveau projet de loi (no 97) portant modification des lois relatives à l’aide juridictionnelle et à l’administration de la justice se rapportant à la soumission de requêtes aux organes internationaux créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme, l’État partie fait observer que ce projet n’a aucune incidence sur l’affaire du requérant car il ne porte que sur les conditions à remplir pour bénéficier de l’aide juridictionnelle gratuite en vue de la saisine des organes internationaux, et répète que la décision de procéder ou non à un examen médical afin de vérifier si une personne présente des séquelles de torture est étroitement liée à la crédibilité du demandeur d’asile.

6.7En ce qui concerne l’allégation du requérant qui soutient que le Service danois de l’immigration ne lui a même pas demandé de remplir le formulaire par lequel les demandeurs d’asile peuvent déclarer consentir à subir un examen médical visant à déceler des signes de torture, l’État partie souligne que la Commission est un organe quasi judiciaire indépendant qui apprécie les preuves de manière impartiale. Par conséquent, si elle avait jugé opportun d’ordonner un tel examen, elle aurait pu inviter le requérant à donner son consentement pendant son audition. En outre, en ce qui concerne l’allégation du requérant qui fait valoir que la Commission n’a demandé que deux fois en 2015 qu’il soit procédé à un examen médical visant à déceler des signes de torture, l’État partie fait observer qu’en 2015, la Commission a accepté 81 % des demandes d’asile. Sachant que lorsqu’elle accorde le statut de réfugié, un examen médical n’a plus lieu d’être, il est donc normal qu’elle n’ait ordonné un tel examen que dans un nombre très limité de cas.

6.8En ce qui concerne la situation des chrétiens au Pakistan, l’État partie réaffirme qu’elle n’est pas telle que l’on puisse conclure que le requérant courrait un risque de torture à son retour en raison de sa religion. L’État partie renvoie à des informations générales publiquement accessibles indiquant que certains chrétiens sont victimes de discrimination et d’agressions au Pakistan et que la police manque généralement à son devoir d’ouvrir des enquêtes sur les actes de violence à l’égard des minorités religieuses, dont les auteurs ne sont ni arrêtés ni poursuivis. Cependant, d’autres informations montrent que des mesures sont prises par les autorités pour protéger ces minorités contre la violence. L’État partie réaffirme que les chrétiens peuvent pratiquer leur religion au Pakistan et que, même s’ils sont confrontés à une montée de la discrimination et qu’ils sont pris pour cible en raison de leur religion, les renseignements dont on dispose montrent qu’en règle générale ils ne sont pas exposés à un risque réel de subir des persécutions ou des traitements inhumains ou dégradants. L’État partie renvoie à une décision du Comité des droits de l’homme concernant une communication émanant d’une Pakistanaise de confession chrétienne qui se disait persécutée en raison de sa religion. Compte tenu des récentes modifications apportées à la législation sur le blasphème et de l’examen complet et approfondi des éléments de preuve qu’avait effectué l’État partie, dont il était ressorti que l’auteure n’avait pas eu de conflit avec les autorités pakistanaises, le Comité avait considéré que l’expulsion de l’intéressée vers le Pakistan ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles ont été épuisés en l’espèce et conclut que la condition définie au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention est remplie.

7.3L’État partie maintient que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité au motif qu’elle est manifestement dénuée de fondement. Le Comité considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail. Par conséquent, estimant que rien ne s’oppose à la recevabilité, le Comité déclare recevable la communication soumise au titre de l’article 3 et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers le Pakistan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Pakistan. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il indique que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est « hautement probable » (par. 6), le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant qui soutient que, s’il était renvoyé au Pakistan, il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être persécuté et torturé par des membres de la communauté musulmane ou par les autorités ou la police en raison de sa foi et de ses activités chrétiennes, étant donné qu’il a déjà été harcelé, menacé et agressé pour ce motif. À cet égard, il note que le requérant affirme avoir reçu deux lettres de menaces et avoir été agressé et passé à tabac au moins deux fois en raison de ses activités religieuses, la première par trois inconnus alors qu’il conduisait son taxi en août 2011 et la seconde, à une date non précisée, par quatre policiers qui l’ont emmené au poste de police, où ils l’ont roué de coups, l’ont suspendu au plafond par les pieds et lui ont introduit de l’eau dans le nez au moyen d’un tube, après quoi ils l’ont accusé de possession illégale d’alcool. Le Comité prend également note de l’observation de l’État partie qui indique que les autorités compétentes ont considéré que le récit du requérant manquait de crédibilité, notamment du fait de sa réaction après la disparition de sa voiture, le requérant ayant signalé à la police uniquement le vol de son véhicule, sans faire mention de la lettre de menaces qu’il avait reçue. L’État partie estime en outre que l’auteur s’est contredit au sujet de la lettre de menaces datée du 15 janvier 2010 parce qu’il a initialement indiqué que cette lettre était anonyme mais a par la suite soumis à la Commission de recours des réfugiés une lettre signée par un groupe religieux, et parce qu’il a fait des déclarations contradictoires concernant la façon dont il avait obtenu ce document. En effet, il a d’abord indiqué que cette lettre n’était pas en sa possession mais, après le rejet de sa demande d’asile, il l’a présentée à la Commission, expliquant qu’il l’avait confiée à sa mère, qui l’avait conservée et la lui avait fait parvenir.

8.6Le Comité prend aussi note de l’affirmation du requérant qui soutient que, bien qu’il ait montré à la Commission les signes de torture qu’il portait sur le corps et qu’il ait prié la Commission de lui donner la possibilité de se soumettre à un examen médico-légal tendant à vérifier si les lésions qu’il présentait résultaient d’actes de torture, celle-ci a rejeté sa demande d’asile sans ordonner d’examen médical. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui considère qu’un tel examen n’était pas nécessaire car, quel qu’en soit le résultat, il n’aurait pas permis de prouver que le requérant avait été soumis à des violences en raison de ses activités au sein de l’organisation chrétienne « Jésus, espoir de vie », ni qu’il courrait personnellement un risque réel au Pakistan à ce moment-là. Le Comité note en outre que l’État partie affirme que le certificat médical produit par le requérant n’atteste pas qu’il a subi des tortures car les blessures décrites pourraient avoir été causées par des actes de torture ou avoir « beaucoup d’autres causes telles qu’un accident ou une guerre ».

8.7Le Comité relève qu’il n’est pas contesté que le requérant a été détenu par la police pakistanaise, soumis à des violences et accusé de possession illégale d’alcool. Il relève également que la Commission de recours des réfugiés a estimé que, bien que le requérant ait fait des déclarations cohérentes sur les événements sur lesquels est fondée sa demande d’asile, lors de ses auditions par le Service danois de l’immigration et par la Commission, il a fait des déclarations contradictoires au sujet de lettre de menaces datée du 15 janvier 2010, notamment à propos de ses signataires et de la façon dont il l’avait obtenue. Le Comité note en outre que le requérant affirme qu’il a indiqué aux autorités de l’État partie qu’il ne parvenait pas à se remémorer clairement bon nombre d’événements en raison des coups qui lui avaient été portés à la tête pendant ses séances de torture et que des critères moins exigeants en matière de preuve auraient dû être appliqués dans son cas.

8.8Le Comité rappelle que, même s’il incombe au requérant d’établir que sa demande d’asile est à première vue fondée, cela ne dispense pas l’État partie de consentir un effort important pour déterminer s’il y a des motifs de croire que le requérant serait exposé à un risque de torture s’il était renvoyé dans son pays. En l’espèce, il estime que le requérant a fourni aux autorités de l’État partie suffisamment d’éléments à l’appui de son allégation de torture, dont un rapport médical, pour justifier une vérification plus approfondie de cette allégation au moyen, entre autres, d’un examen médico-légal. En conséquence, le Comité conclut qu’en rejetant la demande d’asile du requérant sans vérifier plus avant ses allégations et sans ordonner un examen médical, l’État partie n’a pas déterminé s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était expulsé. Il considère par conséquent que, dans ces circonstances, le renvoi du requérant dans son pays d’origine constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant au Pakistan par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son Règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.