Nations Unies

CAT/C/61/D/614/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 614/2014 * , ** , ***

Communication p résenté e par :

Subakaran R. Thirugnanasampantha (représenté par un conseil, Robert James de Vere McCaw)

Au nom de :

Subakaran R. Thirugnanasampantha

État partie :

Australie

Date de la requête :

24 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

9 août 2017

Objet :

Expulsion du requérant de l’Australie vers Sri Lanka

Question ( s ) de procédure :

Recevabilité − Requête manifestement mal fondée

Question ( s ) de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article ( s ) d e la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est Subakaran R. Thirugnanasampanthar, de nationalité sri-lankaise, né le 28 novembre 1990. Il avait demandé l’asile en Australie, mais sa demande avait été rejetée et il était menacé d’expulsion forcée vers Sri Lanka. Il affirme que son expulsion forcée lui ferait courir le risque d’être torturé, et qu’elle constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’Australie a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil, Robert James de Vere McCaw.

1.2Le 24 mai 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. Le 26 juin 2014, l’État partie a informé le Comité qu’en raison du moment où était intervenue la demande de mesures provisoires de protection du Comité, celle-ci n’avait pas été portée à l’attention des autorités compétentes du Gouvernement australien à temps pour empêcher le départ du requérant, qui était prévu le 25 juin 2014. Pendant que le requérant était en transit, la communication qu’il avait adressée au Comité a été examinée et il a été conclu qu’elle ne comportait aucun élément d’information nouveau qui n’avait pas déjà fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre de procédures internes. Le requérant a été expulsé vers Sri Lanka le 25 juin 2014.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un ressortissant sri-lankais d’origine ethnique tamoule. En 2005, il a été filmé et photographié alors qu’il tenait le rôle principal dans une pièce jouée à son école, manifestation organisée par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Le requérant n’avait aucun autre lien avec les LTTE.

2.2Au début de 2008, un groupe armé non identifié est venu à son domicile et l’a interrogé sur les LTTE. Il y avait quatre hommes armés, qui l’ont interrogé au portail de sa maison. En juin 2008, deux hommes ont tenté de l’enlever, prétendant l’emmener voir son père blessé à l’hôpital. Des parents et des écoliers l’ont entouré, ce qui l’a sauvé. Le requérant indique qu’après cela, il a cessé d’aller à l’école et a commencé à vivre chez un parent, mais sans préciser où. À partir d’octobre 2009, après que des groupes armés se sont régulièrement rendus chez sa famille, le requérant s’est réfugié dans la cathédrale Sainte‑Mary, à Jaffna. Pendant cette période, l’armée sri-lankaise et des groupes paramilitaires se rendaient chez sa famille. Ces visites étant devenues moins fréquentes, et sa famille lui manquant, le requérant est revenu à son domicile aux alentours du 5 janvier 2011.

2.3En mai 2011, l’armée sri-lankaise a pénétré dans le domicile du requérant pour y effectuer un contrôle et a tenté d’emmener sa sœur de 16 ans dans une autre pièce, contre sa volonté. Le requérant a tenté d’intervenir avec une pompe à air, car il soupçonnait que le soldat voulait violer sa sœur. Les autres soldats s’en sont pris au requérant, lui donnant des coups de pied et le frappant avec la pompe à air et avec les crosses de leurs fusils.

2.4En juin 2011, alors qu’il se rendait à un temple local, le requérant a été enlevé dans une camionnette blanche par un important groupe d’hommes. On lui a bandé les yeux et emmené dans une pièce où il a été ligoté. Il a à nouveau été battu et frappé à coups de pieds répétés, y compris sur les organes génitaux. Il a été détenu pendant six jours, jusqu’à ce que son père verse un pot-de-vin en échange de sa libération. Pendant cette période, il a été agressé sexuellement pendant trois jours. Le membre du groupe qui l’a relâché lui a dit qu’il dirait aux autres qu’il s’était évadé. Le requérant explique que cela signifiait que le groupe tenterait de le capturer à nouveau. Le membre du groupe lui a également dit que s’il était repris on le tuerait. Aussi, le requérant a décidé de retourner à la cathédrale Sainte‑Mary. Entre le 15 et le 19 juillet 2011, le requérant a fui Sri Lanka par avion, se rendant en Malaisie. Alors qu’il s’y trouvait, l’armée sri lankaise et des groupes armés se sont rendu à son domicile à Sri Lanka et ont interrogé son frère.

2.5Le 1er décembre 2011, le requérant est arrivé en Australie. Le 21 janvier 2012, il a soumis au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés une demande d’évaluation des obligations en matière de protection. Un représentant du Ministre de l’immigration et de la citoyenneté a rejeté la demande d’asile du requérant le 6 mars 2012. Le 14 mars 2012, une demande d’évaluation indépendante des besoins de protection du requérant a été soumise, laquelle a été rejetée le 27 septembre 2012 au motif que l’Australie n’avait pas d’obligation de protection à son égard. Le Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection a estimé que le requérant ne remplissait pas les critères de délivrance d’un visa de protection (catégorie XA) énoncés au paragraphe 2 de l’article 36 de la loi de 1958 relative aux migrations, confirmant la conclusion de l’agent qui avait pris la décision initiale, selon laquelle le requérant n’avait pas de motif sérieux de craindre d’être persécuté au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et, partant, n’avait pas le statut de réfugié et ne bénéficiait pas non plus de protection supplémentaire.

2.6Le 20 février 2013, le requérant a sollicité un réexamen de la décision du Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection auprès du tribunal fédéral d’instance (devenu depuis le tribunal de circuit fédéral d’Australie), qui l’a débouté le 23 avril 2014. Le 22 mai 2014, le requérant a interjeté un appel devant le Tribunal fédéral d’Australie, qui devait être examiné entre le 4 et le 26 août 2014. Cependant, le 9 juin 2014, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a informé le requérant qu’il serait expulsé de force le 25 juin 2014, malgré le fait que son appel était en instance.

2.7Le requérant laisse entendre qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles susceptibles de stopper son renvoi et que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait enlevé, torturé et probablement tué par l’armée sri-lankaise ou par des groupes paramilitaires, tels que la faction Karuna, qui persécutent les personnes soupçonnées de collaborer avec les LTTE, en concertation avec l’armée sri-lankaise. Il indique également que quatre autres personnes qui ont participé à la pièce donnée à l’école en ont subi les conséquences : deux d’entre elles ont été enlevées et tuées, l’une d’entre elles a fui en France et une autre a été enlevée, torturée et contrainte de donner des renseignements sur les activités des LTTE. Le requérant affirme que près de la moitié des personnes qui ont pris part aux représentations théâtrales données à l’école pendant le cessez-le-feu ont fui Sri Lanka, et que celles qui sont restées ont été tuées.

3.2Le requérant rappelle que son recours devant le Tribunal fédéral d’Australie est encore en instance et que, s’il est rejeté, il sera encore en mesure de faire appel devant la High Court d’Australie pour solliciter une intervention ministérielle. Il affirme que s’il était expulsé avant le terme des procédures judiciaires et s’il était torturé à Sri Lanka, l’État partie aurait manqué aux obligations en matière de non-refoulement qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 22 décembre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il fait valoir que les griefs du requérant sont irrecevables car manifestement mal fondés, le requérant n’ayant pas apporté un commencement de preuve. Si le Comité devait estimer que la requête du requérant était recevable, les griefs qui y sont formulés devraient être rejetés pour défaut de fondement. Le requérant n’a soumis au Comité aucun nouvel élément de preuve montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il court le risque d’être soumis à la torture. Tous les griefs soumis par le requérant au Comité ont déjà été examinés dans le cadre des procédures de l’État partie relatives à la détermination du statut de réfugié et à la protection complémentaire, entre mars 2012 et avril 2014.

4.2L’État partie rappelle que l’obligation de respecter le principe de non-refoulement s’applique uniquement aux cas de risque de torture et ne s’étend pas aux cas de risque d’autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle le requérant doit fournir des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un risque. C’est à l’intéressé qu’il incombe de prouver qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était extradé ou expulsé. Ce risque doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.3L’État partie affirme que les affirmations du requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre d’une série de procédures internes solides, à l’issue desquelles il a été déterminé que ces affirmations n’étaient pas crédibles et qu’elles ne mettaient pas en jeu les obligations de l’État partie en matière de non-refoulement. En particulier, les affirmations du requérant ont été examinées au regard des dispositions portant sur la protection complémentaire du paragraphe 2 aa) de l’article 36 de la loi de 1958 relative aux migrations, qui donnent effet aux obligations relatives au non-refoulement consacrées par l’article 3 de la Convention.

4.4L’État partie rappelle que le requérant a déposé une demande de visa de protection après son arrivée illégale par bateau en Australie, le 1er décembre 2011. Le 6 mars 2012, après examen de l’ensemble des affirmations formulées par le requérant à l’appui de sa demande de protection, le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté a rejeté la demande au motif qu’il n’était pas une personne envers laquelle l’Australie avait des obligations en matière de protection. Dans le cadre d’une évaluation des obligations en matière de protection, le requérant a été interrogé avec l’assistance d’un interprète, et toutes les informations sur le pays pertinentes ont été examinées. L’agent qui a pris la décision initiale a conclu que les affirmations du requérant concernant le harcèlement subi en 2008 et en 2011, respectivement trois et six ans après sa participation à la pièce jouée en 2005, et son enlèvement en juin 2011, n’étaient pas crédibles. Cet agent a accordé foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait joué dans la pièce en 2005, laquelle était parrainée et organisée par les LTTE, mais n’a pas ajouté foi à l’affirmation selon laquelle la conséquence en avait été qu’il était soupçonné d’être un partisan des LTTE et que des groupes paramilitaires de l’armée sri-lankaise s’intéressaient à lui. L’État partie affirme que cette conclusion était corroborée par le fait que le requérant avait pu quitter Sri Lanka sans incident, en utilisant un passeport authentique. L’agent qui a pris la décision s’est également appuyé sur des informations relatives à Sri Lanka qui indiquaient que la situation dans le pays sur le plan de la sécurité s’était améliorée depuis la cessation des hostilités en 2009, et que le requérant ne serait pas ciblé en raison de son appartenance à l’ethnie tamoule. En conséquence, il a été conclu que le requérant n’avait pas de motifs sérieux de craindre d’être persécuté. Les affirmations du requérant n’ont pas été examinées au regard des dispositions sur la protection complémentaire de la loi relative aux migrations pendant l’évaluation des obligations en matière de protection, car ces dispositions n’étaient pas en vigueur le 6 mars 2012, date à laquelle la décision a été prise. Cependant, les affirmations du requérant ont été examinées ultérieurement au regard des dispositions relatives à la protection complémentaire dans le cadre d’autres procédures internes, notamment celle d’évaluation indépendante des besoins de protection.

4.5Le 27 septembre 2012, une évaluation indépendante des besoins de protection a été réalisée concernant la décision de refus de la demande de visa de protection déposée par le requérant, laquelle a confirmé que celui-ci ne remplissait aucun des critères de délivrance d’un visa de protection au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ou des dispositions sur la protection complémentaire de la loi relative aux migrations. Le requérant a été interrogé par un examinateur le 11 juillet 2012, avec l’assistance d’un interprète tamoul et en présence d’un agent de l’immigration. L’examinateur a étudié des documents d’information et s’est penché sur les affirmations supplémentaires formulées dans la requête adressée au Comité, qui concernaient le ciblage dont auraient fait l’objet d’autres participants à la pièce jouée à l’école en 2005 et l’interrogation du frère du requérant par l’armée sri-lankaise et des bandes armées en 2011, alors qu’il était en Malaisie. L’examinateur a conclu que le requérant ne remplissait pas les critères de délivrance d’un visa de protection parce qu’il ne courrait pas un risque réel d’être persécuté s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka aurait pour conséquence nécessaire et prévisible qu’il courrait un risque réel de subir un préjudice grave, notamment d’être arbitrairement privé de la vie ou de subir des actes de torture ou d’autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’examinateur n’a pas considéré que le requérant était crédible s’agissant d’une grande partie de ses affirmations. D’après la décision du Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection figurant dans le dossier, les incohérences dans le récit du requérant concernaient, par exemple, le fait qu’il avait cherché refuge dans l’église catholique romaine locale et le fait qu’il n’avait pu obtenir aucune confirmation du prêtre concerné. Au lieu de cela, le requérant a produit une attestation d’un juge de paix, dont la teneur semblait indiquer qu’il n’était resté dans l’église que pendant environ un an, alors qu’auparavant il avait déclaré qu’il s’était caché pendant plus de deux ans. En outre, le requérant n’a pas quitté l’église dans laquelle il s’était réfugié parce que l’armée sri-lankaise allait le rechercher, mais parce que sa famille lui manquait. Aussi, l’attestation, à cet égard, a été considérée comme mensongère. Dans sa décision, le Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection a en outre exprimé des doutes quant aux antécédents scolaires du requérant, car pendant la période où il dit avoir été caché dans l’église, il passait des examens à l’école. Le requérant a également considérablement changé son récit concernant son enlèvement. Son enlèvement a été jugé troublant, car jamais l’école ne l’a signalé ou n’en a parlé au requérant ou à ses parents. Malgré les violences et les viols allégués, il n’avait aucune blessure et n’a pas demandé de soins médicaux après sa remise en liberté. Par conséquent, l’examinateur n’a pas accordé foi à ses affirmations selon lesquelles il avait été harcelé entre 2008 et 2011 et avait été enlevé en 2011. À cet égard, le Bureau de l’évaluation indépendante des besoins de protection a également indiqué qu’aucun élément montrant que les personnes qui avaient pris part à des activités des LTTE avaient été persécutées avait été soumis à l’examinateur. L’examinateur a jugé peu plausible que le requérant n’ait pas évoqué, lors de son premier entretien, les châtiments sévères infligés à d’autres participants, ce qui ne semblait pas cadrer avec ce qu’il prétendait lui être arrivé. Compte tenu du nombre de personnes impliquées, l’examinateur n’a pas admis l’idée que la participation du requérant à la pièce trois ans plus auparavant puisse conduire l’armée sri-lankaise à s’intéresser à lui. En ce qui concerne les conclusions concernant la protection complémentaire, l’examinateur a également estimé, en s’appuyant sur des informations sur le pays pertinentes, que le requérant ne risquerait pas d’être persécuté ou de subir un préjudice irréparable en raison de son appartenance à l’ethnie tamoule ou à un certain groupe social de jeunes hommes à Sri Lanka, ou encore des opinions politiques qu’on lui prêtait en tant que partisan des LTTE. Le requérant n’a pas étayé l’affirmation selon laquelle il risquerait d’être marginalisé sur le plan économique ou que sa présumée marginalisation politique constituerait un préjudice important.

4.6Le 20 février 2013, le requérant a sollicité un contrôle judiciaire de la décision prise dans le cadre de l’évaluation indépendante des besoins de protection auprès du tribunal de circuit fédéral, soutenant qu’il y avait eu une erreur de droit. Le 23 avril 2014, le tribunal de circuit fédéral a rejeté cette demande de contrôle judiciaire, n’ayant relevé aucune erreur de droit dans la décision prise par le Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection et le requérant ayant bénéficié de l’équité procédurale. Le requérant était présent à l’audience du tribunal de circuit fédéral et s’est exprimé oralement. Il a dit au tribunal qu’il n’était pas en mesure de fournir des preuves des nombreux problèmes qu’il avait eus à Sri Lanka parce que son ravisseur n’allait pas les reconnaître. Toutefois, le tribunal de circuit fédéral a constaté que les conclusions du Bureau d’évaluation indépendante des besoins de protection selon lesquelles le récit de l’enlèvement était peu plausible n’étaient pas fondées sur le fait que des preuves n’avaient pas été produites, mais sur l’ensemble des circonstances, y compris les incohérences quant au moment exact où le requérant a eu connaissance des problèmes de son frère et à la raison pour laquelle cette question n’avait pas été évoquée lors des premières entretiens.

4.7À la suite de la décision du tribunal de circuit fédéral, le requérant a été informé du fait qu’il était prévu qu’il soit expulsé vers Sri Lanka. Le 13 juin 2014, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a procédé à un dernier examen préalable à l’expulsion, qui a confirmé que le renvoi du requérant ne mettrait pas en jeu les obligations de l’Australie en matière de non-refoulement. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle celui-ci n’étant pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes des États parties. Tous les éléments de preuve pertinents ont été soigneusement examinés dans le cadre d’une procédure solide d’examen au fond et de contrôle judiciaire.

4.8Parallèlement, le 3 juin 2014, le requérant a déposé auprès de la chambre plénière du Tribunal fédéral une demande de prolongation de délai aux fins de réexamen de la décision du tribunal de circuit fédéral. Cependant, le tribunal de circuit fédéral n’a pas ordonné la tenue urgente d’une audition sur la question ni rendu une ordonnance pour empêcher l’expulsion du requérant. L’expulsion du requérant pouvait avoir lieu le 25 juin 2014, malgré la demande de prolongation de délai, car la chambre plénière du Tribunal fédéral n’avait pas ordonné la tenue urgente d’une audition sur la question ni rendu une ordonnance pour empêcher son expulsion. Le 28 octobre 2014, en l’absence du requérant et de toute réponse de sa part ou donnée en son nom, la chambre plénière du Tribunal fédéral a rendu une décision sur la question de savoir si le requérant avait été expulsé conformément à la loi de 1958 relative à l’immigration, en particulier s’il avait bénéficié d’un accès suffisant à des conseils juridiques aux fins d’obtenir une ordonnance pour empêcher son expulsion et s’il avait disposé d’un délai raisonnable pour ce faire, comme l’exige l’article 256 de cette loi. La chambre plénière du Tribunal fédéral a estimé − tout en ayant des doutes quant au fait que le requérant avait eu une possibilité raisonnable, compte tenu du peu de temps dont il disposait, d’engager une action judicaire pour empêcher son expulsion − qu’il n’était pas possible de conclure que le requérant n’avait pas eu une possibilité raisonnable d’obtenir des conseils juridiques, eu égard à la disponibilité manifeste d’un agent de l’immigration. La chambre plénière du Tribunal fédéral a donc rejeté le recours. Pour ces raisons, l’État partie demande au Comité de reconnaître qu’il s’est livré à un examen approfondi des affirmations du requérant dans le cadre de ses procédures internes et d’accepter sa conclusion selon laquelle il n’a pas d’obligation de protection envers le requérant au titre de la Convention.

4.9S’agissant de l’appréciation du risque d’être soumis à la torture, l’État partie souligne que l’existence, dans un pays, d’un risque général de violence ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays ; que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs supplémentaires de penser qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. L’État partie réaffirme que les questions relatives aux violations des droits de l’homme à Sri Lanka soulevées par le requérant au moyen de procédures internes, ainsi que la question du renvoi de demandeurs d’asile dans ce pays, ont été expressément et soigneusement examinées dans le cadre de l’ensemble de ces procédures, notamment à la lumière de renseignements fournis par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, par des organisations non gouvernementales et par les ministères des affaires étrangères d’autres gouvernements.

4.10Enfin, l’État partie fait valoir que pendant son expulsion, le requérant était accompagné par deux fonctionnaires du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, depuis son départ de l’Australie jusqu’au moment où il a quitté l’aéroport après son arrivée à Colombo. À son arrivée, le requérant a été interrogé par la Police judiciaire sri‑lankaise, à l’aéroport. Cependant, il n’a pas été détenu par la police sri-lankaise ni inculpé dès son retour à Sri Lanka, bien qu’il soit un Tamoul qui avait été débouté d’une demande de protection en Australie, et il lui a été indiqué qu’il pouvait quitter les lieux librement. Le requérant a quitté l’aéroport par une sortie ordinaire, où son frère l’attendait.

4.11L’État partie conclut que le requérant n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve indiquant qu’il courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture ou que son expulsion pourrait être constitutive d’un traitement assimilable à de la torture au sens de l’article premier de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Le 15 septembre 2014, le requérant a été invité à soumettre ses observations avant le 15 octobre 2014. Aucune réponse n’a été reçue. Les 16 et 21 juin 2017, deux autres rappels ont été adressés au conseil du requérant, sans résultat.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-acceptation de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur

6.1Le Comité souligne que l’adoption de mesures provisoires de protection en application de l’article 114 de son règlement intérieur, conformément à l’article 22 de la Convention, est essentielle au rôle confié au Comité en vertu de cet article. Le fait de ne pas adopter les mesures provisoires demandées par le Comité, en particulier en expulsant une victime présumée, affaiblit la protection des droits consacrés par la Convention.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la demande de mesures provisoires adressée par le Comité n’a pas pu être portée à l’attention des autorités compétentes à temps pour empêcher le départ du requérant, qui était prévu le 25 juin 2014. À cet égard, l’État partie a fait valoir que pendant que le requérant était en transit, la communication qu’il avait adressée au Comité a été examinée et il a été conclu qu’elle ne comportait aucun élément d’information nouveau qui n’avait pas déjà fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre de procédures internes. Le Comité constate l’absence de renseignements sur la question de savoir quelles autorités de l’État partie ont procédé à une évaluation aussi rapide et souligne qu’à la suite du renvoi du requérant à Sri Lanka le Comité a perdu contact avec lui et celui-ci ne lui a pas communiqué quelque autre information que ce soit. Le Comité rappelle que le principe du non-refoulement, telle qu’il est énoncé à l’article 3 de la Convention, est absolu.

6.3Le Comité fait observer que tout État partie qui fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soumises par des particuliers qui affirment être victimes d’une violation des dispositions de la Convention. En faisant une telle déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au requérant. En ne respectant pas la demande de mesures provisoires qui lui a été adressée le 24 juin 2015, l’État partie a gravement contrevenu aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention, en particulier compte tenu de ce que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka a empêché un examen effectif de sa requête par le Comité.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement mal fondée étant donné que le requérant n’a pas établi qu’il courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka et que, de ce fait, la communication est irrecevable au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Le Comité rappelle que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité considère que le requérant a exposé les faits et les fondements de ses griefs au titre de l’article 3 de la Convention suffisamment en détail pour lui permettre de prendre une décision et considère donc que ses griefs sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

7.4Étant donné qu’il n’existe pas d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité considère que la communication est recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers Sri Lanka, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite par l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka. Pour apprécier ce risque, il doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. À cet égard, le Comité renvoie à son examen du cinquième rapport périodique de Sri Lanka, au cours duquel il a exprimé de graves préoccupations quant aux informations selon lesquelles les forces de sécurité de l’État, notamment la police, avaient continué de commettre des enlèvements et des actes de torture et à infliger des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE, en mai 2009. Le Comité a également exprimé sa préoccupation concernant les représailles exercées contre des victimes et des témoins d’actes de torture et les enlèvement et les actes de torture commis dans des centres de détention dont l’existence n’était pas reconnue, et a demandé si une enquête rapide, impartiale et efficace sur de tels actes avait été menée. Le Comité rappelle toutefois que le but de l’analyse à laquelle il se livre, s’agissant d’une requête individuelle, est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il est dit que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), celui-ci doit être encouru personnellement et actuellement. Le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Le Comité rappelle en outre que, comme il l’a indiqué dans son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé (par. 9), mais que cela étant, il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5En l’espèce, le requérant affirme qu’à son retour à Sri Lanka il serait détenu, torturé et probablement tué par l’armée sri-lankaise ou par des groupes paramilitaires qui y sont rattachés pour sa participation, en 2005, à une pièce de théâtre scolaire organisée par les LTTE, en raison de laquelle il est soupçonné d’être un partisan des LTTE. Le Comité prend note de ce que le requérant affirme qu’en 2008, un groupe armé non identifié est venu à son domicile et l’a interrogé sur les LTTE ; qu’en juin 2008, deux hommes ont tenté de l’enlever à l’école ; qu’entre octobre 2009 et janvier 2011, il se cachait à la cathédrale Sainte-Mary, à Jaffna, car des bandes armées qui étaient à sa recherche se rendaient régulièrement chez sa famille ; qu’en mai 2011, l’armée sri-lankaise a effectué un contrôle au domicile du requérant, au cours duquel il a été agressé et battu. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle en juin 2011, il a été enlevé par un important groupe d’hommes dans une camionnette blanche, frappé et agressé sexuellement, et que l’un des membres du groupe l’a laissé s’évader après le versement d’un pot-de-vin par son père. Le Comité prend note en outre de l’allégation du requérant selon laquelle étant donné qu’il s’est enfui en Malaisie pour éviter de nouvelles persécutions, l’armée sri-lankaise et des bandes armées se sont rendues à son domicile et ont interrogé son frère, et qu’il serait à nouveau persécuté par des groupes paramilitaires rattachés à l’armée sri-lankaise à son retour dans le pays.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas apporté de preuves crédibles ni étayé son affirmation selon laquelle il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka et que ses allégations ont fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre des procédures relatives à la détermination du statut de réfugié et à la protection complémentaire, conformément à la législation nationale et en tenant compte de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka. Le Comité prend note de ce que les autorités nationales ont conclu que les allégations du requérant concernant le harcèlement subi en 2008 et en 2011 et son enlèvement en juin 2011 n’étaient pas crédibles. Le Comité note en outre que l’État partie n’a pas accordé foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il était soupçonné d’être un partisan des LTTE et que des groupes paramilitaires de l’armée sri‑lankaise s’intéressaient à lui en raison de sa participation à la pièce jouée dans une école en 2005. Plutôt, l’État partie a estimé que le fait que le requérant ait pu quitter Sri Lanka sans incident, en utilisant son propre passeport, attestait du contraire. Les autorités décisionnaires se sont appuyées sur des informations sur le pays selon lesquelles la situation sur le plan de la sécurité s’était améliorée à Sri Lanka depuis la cessation des hostilités en 2009, et que le requérant ne serait pas ciblé en raison de son origine ethnique tamoule, de son appartenance à un groupe social particulier de jeunes hommes ou des opinions politiques qu’on lui prêtait en tant que partisan des LTTE. Concernant le ciblage allégué des autres participants à la représentation théâtrale donnée dans une école en 2005 et l’interrogatoire que l’armée sri-lankaise et des bandes armées auraient fait subir au frère du requérant en 2011 alors que le requérant était en Malaisie, les autorités de l’État partie n’ont pas considéré que le requérant était crédible s’agissant d’une grande partie de ses affirmations. En outre, l’État partie a estimé qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve pour corroborer ses affirmations ou pour démontrer que les autorités sri-lankaises le recherchaient dans un passé récent ou s’intéressaient à lui. Enfin, le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas été arrêté ou inculpé par la police sri-lankaise à son retour à Sri Lanka et qu’il a été autorisé à quitter librement l’aéroport.

8.7Le Comité constate que le requérant n’a pas soumis de commentaires sur les observations de l’État partie et n’a pas répondu aux rappels envoyés par le Comité, ce qui pourrait être une conséquence de son expulsion vers Sri Lanka. En ce qui concerne les affirmations générales du requérant selon lesquelles il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka en raison de sa qualité de jeune Tamoul ayant des liens réels ou supposés avec le LTTE et de demandeur d’asile débouté, le Comité convient que les Sri-Lankais d’origine tamoule qui ont eu des liens personnels ou familiaux, réels ou supposés, avec le LTTE et qui sont renvoyés de force à Sri Lanka peuvent courir le risque d’être torturés. À cet égard, le Comité prend en considération la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est notamment déclaré préoccupé par les informations faisant état de la persistance des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements commis par les forces de sécurités sri-lankaises, y compris les militaires et la police, qui se sont poursuivis dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE en mai 2009, et aux informations dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant le traitement réservé par les autorités sri-lankaises aux personnes renvoyées à Sri Lanka. Cependant, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas suffisante en soi pour conclure que celui-ci court personnellement le risque d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également que si des événements du passé peuvent avoir une certaine importance, la principale question dont est saisi le Comité est de savoir si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de retour à Sri Lanka. En outre, le Comité constate que lorsque les autorités de l’État partie ont examiné la demande d’asile du requérant, elles ont pris en considération le risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés pouvaient être exposés à leur retour à Sri Lanka, mais n’ont pas considéré comme établi que les autorités sri-lankaises recherchaient le requérant dans un passé récent ou qu’elles s’intéressaient à lui. Le Comité est d’avis qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie ont dûment tenu compte de l’argument invoqué par le requérant.

8.8Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve car il n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi forcé à son pays d’origine lui ferait personnellement courir un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention. Bien que le requérant conteste l’appréciation faite par les autorités de l’État partie de ses déclarations, il n’a pas démontré que la décision de lui refuser un visa de protection était clairement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Concernant le non‑respect par l’État partie de la demande de mesures provisoires que lui a adressée le Comité le 24 juin 2014, tendant à ce que le requérant ne soit pas expulsé, et le renvoi forcé de celui-ci à Sri Lanka le 25 juin 2014, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que les faits dont il est saisit constituent une violation par l’État partie de l’article 22 de la Convention, l’État partie n’ayant pas coopéré avec le Comité en toute bonne foi, empêchant ainsi celui-ci d’examiner effectivement la présente communication.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à prendre des mesures pour que des violations analogues de l’article 22 ne se reproduisent pas à l’avenir et pour que, dans les cas où le Comité a ordonné des mesures provisoires de protection, les requérants ne soient pas expulsés avant que le Comité se soit prononcé sur le fond.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de M. Alessio Bruni

1.Je suis d’avis que toute mention, dans la décision du Comité concernant la communication no 614/2014, d’une violation de l’article 22 de la Convention contre la torture commise par l’État partie du fait qu’il ne s’est pas conformé à la demande de mesures provisoires de protection du requérant que lui a adressée le Comité est inappropriée.

2.Les mesures provisoires sont prévues à l’article 114 du Règlement intérieur du Comité, auxquelles l’État partie n’a pas adhéré, et ne figurent pas à l’article 22 de la Convention, à laquelle, à l’inverse, l’État partie a adhéré librement. La violation concerne donc cette règle, qui n’est pas juridiquement contraignante, et non l’article 22 de la Convention.

3.Il est indiqué au paragraphe 6.3 de la décision du Comité qu’« [e]n faisant une telle déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises… » etc.

4.Je conviens qu’un État partie doit coopérer de bonne foi avec le Comité, mais la Convention ne comporte aucune clause implicite, secrète ou unilatérale concernant les mesures provisoires. Chaque disposition d’un traité devrait être explicite, transparente et acceptée par les États parties, afin de permettre au Comité d’apprécier s’il y eu une violation de ce traité.

5.C’est pourquoi les mesures provisoires de protection sont juridiquement contraignantes lorsqu’elles sont prévues par un traité ou un protocole auquel les États parties qui y sont parties ont adhéré librement. C’est le cas du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (art. 5), du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits des personnes handicapées (art. 4), de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (art. 31) et du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 5).

6.Les traités tels que la Convention contre la torture, qui ne comportent pas une telle disposition, devraient soit être modifiés conformément à leurs mécanismes de modification, soit être assortis d’un protocole facultatif afin d’englober explicitement la notion de mesures provisoires de protection juridiquement contraignantes.