Nations Unies

CAT/C/61/D/725/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 725/2016 * , **

Communication présentée par :

G. E. (représenté par D. N., conseillère/assistante sociale pour la Companion House Assisting Survivors of Torture and Trauma)

Au nom de :

G. E.

État partie :

Australie

Date de la requête :

15 janvier 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

11 août 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka ; risque de torture

Questions de fond :

Non-refoulement

Questions de procédure :

Recevabilité − Requête manifestement dénuée de fondement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est G. E., de nationalité sri-lankaise, né en 1983. Il affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation par l’Australie de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil, D. N.

1.2Le 18 janvier 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. Le 5 décembre 2016, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Le 22 février 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même Rapporteur, a rejeté la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Tamoul d’origine hindoue d’un village du district de Batticaloa (Sri Lanka). Il soutient que lui-même et sa famille ont été durement touchés pendant la guerre car ils étaient pris dans le conflit qui opposait les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (Tigres tamouls) à l’armée sri-lankaise. Vers 1996, deux de ses oncles paternels, qui vivaient avec sa famille à l’époque, ont été recrutés de force par les Tigres tamouls. Après cet incident, le requérant a été harcelé par l’armée sri-lankaise et son père ainsi que son frère ont été agressés. Vers 1998, son frère aurait reçu des menaces et aurait été recruté de force par les Tigres tamouls. Son frère ayant réussi à s’enfuir, le groupe s’est mis à la recherche du requérant. Son père a été roué de coups et la famille a dû verser de l’argent au groupe. Le requérant a alors dû fuir son village pour la ville de Batticaloa, où les Tigres tamouls n’allaient que rarement. Là, ses démêlés avec l’armée sri-lankaise se sont poursuivis. Entre 2004 et 2006, il a suivi une formation de technicien de production sur deux ans. En 2006-2007, il a étudié l’anglais en privé. Ensuite il a été embauché comme formateur en technologie, poste qu’il a occupé pendant cinq ans jusqu’à ce qu’il démissionne en 2011, suite à un accident du travail qui lui a abîmé les yeux. À peu près à la même époque, en janvier 2011, il s’est marié.

2.2Le 17 octobre 2011, il a commencé à travailler comme agent de sécurité à l’Eastern University de Batticaloa. À cette époque, le doyen de l’université avait demandé aux agents de sécurité d’empêcher le harcèlement des nouveaux étudiants par les anciens. Le requérant explique qu’il y avait de nombreux étudiants cinghalais parmi les étudiants plus âgés qui importunaient les étudiantes tamoules. Il affirme que plusieurs d’entre eux se sont fâchés contre lui parce qu’il ne les laissait pas harceler les nouveaux. Un de ces étudiants cinghalais lui a dit qu’il était fils de ministre et lui « donnerait une leçon ».

2.3Le 11 novembre 2011, le requérant travaillait en équipe de nuit lorsque l’université a été vandalisée par un groupe de personnes qui ont menacé de le tuer et ont lancé des pierres et des morceaux de bois contre lui et sur les bâtiments de l’université, causant des dommages, cassant notamment des fenêtres et des portes et blessant le requérant. Il a réussi à s’enfuir et a appelé d’autres agents. Les agresseurs ont disparu. Le requérant et un autre agent de sécurité ont signalé l’incident à la police.

2.4Le lendemain, un groupe d’étudiants a menacé le requérant. Ils l’ont encerclé et lui ont dit qu’ils « s’occuperaient de nouveau de lui » s’il continuait à les empêcher de harceler d’autres étudiants. Ils lui ont conseillé de ne rien dire à personne.

2.5Le requérant affirme que le 15 novembre 2011 ou autour de cette date, trois hommes en civil l’ont traîné dans une fourgonnette. Ils ont pointé une arme à feu sur lui et lui ont dit qu’ils le tueraient d’une balle dans la tête s’il accusait les étudiants cinghalais de l’attaque de l’université, puis ils l’ont laissé partir.

2.6À une date non précisée, des agents du service des enquêtes criminelles a interrogé le requérant au sujet de l’incident de vandalisme. Il leur a dit qu’il ignorait qui en étaient les auteurs parce qu’il n’avait pas pu les voir dans l’obscurité. Les agents ont menacé de le jeter en prison et insisté pour qu’il dise la vérité. Ils ont fini par le relâcher dans la soirée.

2.7Les pressions et l’acharnement subis aux mains des agents du service des enquêtes criminelles ont incité le requérant à s’absenter de son travail. Le 25 novembre 2011, plusieurs agents se sont rendus chez lui pour l’interroger une fois de plus et lui ont demandé pourquoi il n’était pas allé travailler. Ils l’ont accusé d’être l’auteur du vandalisme et de se cacher pour les éviter.

2.8Le requérant déclare qu’il se sentait menacé par les agents du service des enquêtes criminelles, qui lui avaient dit qu’ils l’inculperaient s’il ne dénonçait pas les auteurs des actes de vandalisme commis à l’université. Il redoutait également les hommes de la fourgonnette qui l’avaient menacé de mort. Il a commencé à vivre caché et s’est mis à craindre aussi son employeur car il avait quitté son poste sans préavis.

2.9Le requérant a quitté Sri Lanka le 2 février 2012 et est arrivé en Australie par bateau le 17 février 2012. Il a été placé en détention à son arrivée à Christmas Island en tant qu’étranger en situation irrégulière en vertu de la loi sur l’immigration. Le 7 mars 2012, il a été transféré au centre de détention des migrants de Curtin en Australie. Il a obtenu un visa provisoire et a été remis en liberté le 3 juillet 2012. Le dernier visa provisoire du requérant a expiré le 12 août 2015. En 2015, après le rejet de son premier recours ministériel, le requérant a parlé des allégations du service des enquêtes criminelles au sujet de ses liens avec les Tigres tamouls, et des agressions sexuelles que des agents de ce service lui avaient fait subir.

2.10Le requérant a aussi déclaré que, pendant les enquêtes sur l’incident survenu à l’université, le service des enquêtes criminelles l’avait emmené dans un bâtiment à proximité du poste de police d’Eravur, où des agents lui avaient dit qu’ils étaient au courant de l’engagement de son oncle et de son frère auprès des Tigres tamouls et s’étaient mis à le menacer. Il a été roué de coups, violé et agressé sexuellement par les agents.

2.11Il affirme que le service des enquêtes criminelles harcèle son père et sa femme et les interroge à son sujet. Il redoute aussi les hommes de la fourgonnette qui ont menacé de le tuer. Il craint que les autorités n’interprètent la cicatrice qu’il porte à la jambe comme résultant d’une blessure de guerre.

2.12Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le 30 mai 2012, le requérant a demandé au Ministère de l’immigration et de la citoyenneté un visa de protection (catégorie XA) ; cette demande a été rejetée le 23 août 2012.

2.13Le 14 septembre 2012, le requérant a déposé une demande de réexamen devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 11 décembre 2012, il a assisté à une audience du tribunal et le 1er août 2013 le tribunal a confirmé la décision de lui refuser un visa de protection.

2.14Le requérant a fait appel devant la Cour fédérale, qui, le 12 février 2015, a confirmé la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 20 mars 2015, il a déposé une demande d’intervention ministérielle (recours gracieux). La demande a été rejetée le 1er juin 2015.

2.15Le 2 août, il a déposé une deuxième demande d’intervention ministérielle fondée sur de nouveaux éléments d’information apportés par lui ainsi que sur le rapport d’un psychiatre. Cette demande a été rejetée le 7 août 2015.

2.16Le 10 août, la deuxième demande d’intervention ministérielle a été envoyée à un sénateur et au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières ; elle est restée sans réponse à ce jour. Le bureau du sénateur a fait savoir que le Ministre ne semblait pas prêt à statuer en l’espèce.

2.17Le 10 novembre, le requérant a saisi la Cour fédérale d’Australie d’une demande de mesure interlocutoire, qui a été rejetée le 12 novembre 2015. Le requérant a été arrêté le 14 janvier 2016.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers Sri Lanka violerait les droits qu’il tire de l’article 3 de la Convention. Il déclare que, s’il retourne à Sri Lanka, il risque d’être arrêté par le service des enquêtes criminelles à l’aéroport et torturé par les autorités qui continuent de harceler ses parents et sont toujours à sa recherche, pour les raisons suivantes : a) il est Tamoul et soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls, qui seraient impliqués dans les actes de vandalisme commis à l’université ; b) il a déjà été torturé par des agents du service des enquêtes criminelles et menacé de mort par des inconnus ; c) il a quitté le pays illégalement. C’est pourquoi, en le renvoyant à Sri Lanka, l’Australie violerait les obligations qui sont les siennes au titre de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et demande de levée des mesures provisoires

4.1Par une note verbale du 19 juillet 2016, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication du requérant et demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires.

4.2L’État partie soutient que les allégations du requérant sont irrecevables au motif qu’elles sont manifestement dénuées de fondement au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Dans l’hypothèse où le Comité considérerait que ces allégations sont recevables, l’État partie estime que les griefs sont infondés étant donné qu’ils ne sont pas étayés par des éléments montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention.

4.3L’État partie fait valoir que chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Un comportement sera constitutif ou non de torture selon la nature de l’acte considéré. Il rappelle que l’obligation de non-refoulement qui lui est faite par la Convention se limite à la torture et ne s’étend pas aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et que le Comité a conservé cette distinction dans sa jurisprudence. S’il est établi que les actes visés constitueraient des actes de torture, l’article 3 exige aussi qu’il existe des « motifs sérieux de croire » que l’auteur de la communication risque d’être soumis à la torture, c’est-à-dire que le requérant doit courir « personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé ». Le Comité a aussi déclaré que le risque devait être « encouru personnellement et actuellement ». Il appartient à l’auteur de prouver qu’il court « un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture » s’il est extradé ou expulsé. L’existence d’un tel risque « doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ».

4.4L’État partie déclare qu’il incombe au requérant d’établir qu’à première vue sa communication est recevable, ce qu’il n’a pas fait. Ses griefs ont été examinés par une série d’instances de décision internes, dont le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, qui a statué sur sa demande de visa de protection, et par le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le requérant a aussi saisi le Tribunal de circuit fédéral et la Cour fédérale d’Australie aux fins d’un contrôle juridictionnel de la décision rendue par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Ses griefs ont été examinés également dans le cadre de l’intervention ministérielle. Il a été établi à l’issue de procédures internes solides que ses allégations n’étaient pas dignes de foi et n’engageaient pas les obligations de non-refoulement de l’Australie. En particulier, ses griefs ont été examinés au regard des dispositions relatives à la protection complémentaire du paragraphe 36 2 aa) de la loi sur l’immigration, qui reflètent les obligations de non‑refoulement de l’État partie au titre de la Convention et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.5Le requérant a déposé une demande de visa de protection le 30 mai 2012. Un visa provisoire lui a été accordé le 3 juillet 2012 pour lui permettre de résider en toute légalité dans le pays pendant que sa demande était à l’examen par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le 23 août 2012, sa demande de visa de protection a été rejetée. L’agent qui a rendu la décision a eu un entretien avec le requérant, avec le concours d’un interprète, et a aussi examiné divers éléments d’information pertinents, notamment des renseignements sur le pays d’origine émanant du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce, et de la documentation disponible en libre accès. La demande du requérant reposait sur sa crainte d’être inquiété par le service des enquêtes criminelles, le groupe de Karuna (et tout homme de la fourgonnette blanche qui n’était pas associé à ce groupe) et/ou son ancien employeur. Le requérant soutenait en particulier avoir été agent de sécurité à l’Eastern University de Batticaloa lorsque, le 11 novembre 2011, un groupe de personnes qu’il n’avait pas pu identifier s’en était pris à la faculté des arts où il travaillait. Il a déclaré qu’on avait lancé des pierres sur les fenêtres et sur lui et qu’il avait couru alerter d’autres agents de sécurité. Lorsqu’il était revenu avec d’autres agents, le groupe s’était dispersé. Il aurait signalé cet incident à la police le lendemain. Le jour suivant, un groupe d’étudiants l’aurait menacé et aurait laissé entendre qu’ils étaient les auteurs de l’incident. Il a soutenu aussi que, le 15 novembre 2011, il rentrait chez lui lorsque trois hommes l’avaient fait monter de force à bord d’une fourgonnette blanche en menaçant de le tuer s’il parlait encore de l’incident et de ceux qui étaient impliqués. Le service des enquêtes criminelles l’aurait interrogé à propos de l’incident du 11 novembre 2011. Les agents du service des enquêtes criminelles auraient insisté pour qu’il leur dise qui en était responsable et laissé entendre que, comme personne d’autre que lui n’en avait vu les auteurs, c’était lui qui avait causé les dommages. Il a indiqué qu’il s’était absenté de son travail et que le service des enquêtes criminelles avait continué de le harceler, allant jusqu’à se rendre chez lui le 25 novembre 2011 pour lui poser des questions. Il aurait vécu tantôt chez lui tantôt chez sa tante pendant les trois mois qui ont suivi, avant de partir pour l’Australie. Le requérant a aussi déclaré qu’il subirait un préjudice s’il rentrait à Sri Lanka parce qu’il était tamoul, originaire d’une région auparavant contrôlée par les Tigres tamouls, et qu’il avait quitté Sri Lanka illégalement.

4.6La personne qui a statué sur la demande de visa de protection formulée par le requérant a examiné ces griefs et a bien voulu croire que le requérant était un Tamoul originaire de l’est de Sri Lanka, qu’il avait été agent de sécurité à l’université et que, la nuit du 11 novembre 2011, des personnes avaient pénétré dans l’université et cassé les fenêtres de l’un des bâtiments. Elle a convenu qu’il avait été interrogé par les autorités au sujet de ces actes de vandalisme et que son employeur était mécontent de son absence au travail suite à cet incident. Cependant, elle n’a pas cru que des étudiants seraient allés le trouver au sujet des fenêtres cassées, car il en faisait un récit incohérent et changeait de version d’une fois à l’autre. Elle n’a pas non plus ajouté foi à l’allégation selon laquelle on l’aurait enlevé à bord d’une fourgonnette pour l’inciter à se taire.

4.7L’État partie ajoute que l’agent qui a rendu la décision a estimé que les informations sur le pays dont il disposait ne lui permettaient pas de conclure que le requérant était fondé à craindre d’être persécuté parce qu’il était un demandeur d’asile débouté ou un Tamoul qui rentrait au pays après en être parti illégalement. Il n’avait pas la conviction que le requérant risquait réellement d’être persécuté ou que sa crainte de persécution était fondée et, en conséquence, a jugé qu’il n’était pas un réfugié. Il n’était pas convaincu non plus qu’il y avait des motifs sérieux de croire que la conséquence nécessaire et prévisible du transfert du requérant de l’Australie vers Sri Lanka serait un risque réel de subir un préjudice important au sens du paragraphe 36 2 aa) de la loi sur l’immigration, qui traduit l’obligation de non‑refoulement de l’Australie au titre de l’article 3 de la Convention, et du Pacte international.

4.8Le 14 septembre 2012, le requérant a demandé un réexamen quant au fond de la décision du Ministère auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le 1er août 2013, le tribunal a confirmé la décision du Ministère de ne pas accorder de visa de protection au requérant, qui était présent à l’audience et pouvait faire des observations orales avec le concours d’un interprète. Le tribunal a aussi examiné la documentation fournie par le requérant, dont des copies de son certificat de mariage, de sa carte d’identité professionnelle, de la lettre de soutien d’un député du district de Batticaloa et d’une déclaration sur l’honneur du requérant datée du 30 mai 2012. Il a relevé que les renseignements sur le pays confirmaient les déclarations du requérant selon lesquelles les Tigres tamouls avaient essayé de recruter des jeunes gens à l’époque de sa jeunesse, et convenu que le requérant avait fait l’objet de harcèlement et avait dû changer de lieu de résidence. Cependant il n’était pas convaincu que les Tigres tamouls ou l’armée sri-lankaise avaient été ou étaient à sa recherche ni qu’il avait été contraint de changer de lieu de résidence parce qu’il était expressément visé.

4.9Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a reconnu que le requérant avait travaillé comme agent de sécurité à l’université et qu’il s’y était produit un incident au cours duquel un bâtiment avait été endommagé. Il a convenu que le requérant avait signalé les dommages à la police, mais ne croyait pas qu’il ait été menacé ou harcelé par la police ou le service des poursuites criminelles à propos de cet incident, ni qu’il existait un risque réel que cela arrive s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le tribunal n’a pas non plus jugé crédible l’affirmation du requérant selon laquelle les auteurs des actes de vandalisme à l’université ou leurs associés, dont le groupe Karuna, l’avaient menacé ou blessé. Il n’était pas convaincu que le requérant serait exposé à un risque réel de préjudice s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il ne pensait pas non plus que la police ou le service des poursuites criminelles ait menacé le père ou d’autres membres de la famille du requérant ou leur ait causé du tort à Sri Lanka à cause de son départ. Il ne croyait pas qu’il risquerait personnellement de subir un préjudice grave parce qu’il était d’origine tamoule, de sexe masculin, portait une cicatrice, était un demandeur d’asile débouté ou avait quitté Sri Lanka illégalement.

4.10Le 12 février 2015, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de réexamen judiciaire de la décision rendue par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés déposée par le requérant. Celui-ci était représenté à l’audience et des observations ont été faites oralement en son nom ; il a aussi été autorisé à soumettre par écrit des observations après l’audience. Le requérant avait demandé ce réexamen au motif que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’avait pas prêté une attention suffisante aux arguments concernant sa cicatrice, son statut de demandeur d’asile débouté qui avait quitté Sri Lanka illégalement et son appartenance à un groupe social d’une « région auparavant contrôlée par les Tigres tamouls ». Le Tribunal de circuit fédéral n’a pas été convaincu que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés avait commis une erreur juridictionnelle et a rejeté la demande du requérant.

4.11Le 20 mars 2015, le requérant a formulé une demande au titre des articles 417 et 48B de la loi sur l’immigration. Aucun élément d’information nouveau fourni dans la demande d’intervention du requérant ne permettait de penser qu’il aurait une meilleure chance de voir aboutir sa demande de visa de protection. C’est pourquoi, le 6 mai 2015, il a été décidé que les arguments du requérant ne répondaient pas aux critères énoncés à l’article 48B aux fins d’intervention ministérielle. Le 2 août 2015, le requérant a déposé une nouvelle demande d’intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi sur l’immigration. Cette requête était accompagnée du rapport d’un psychiatre exposant en détail de nouvelles allégations : les Tigres tamouls auraient essayé de recruter de force le requérant lorsque son frère avait déserté et ses parents auraient dû verser de fortes sommes d’argent pour le protéger ; les Tigres tamouls auraient recruté de force deux de ses oncles paternels − un est désormais porté disparu et l’autre, handicapé, vit dans la clandestinité ; un troisième oncle paternel aurait été tué par l’armée sri-lankaise pendant la guerre civile ; les autorités penseraient que lui-même ou sa famille savait où se trouvait son frère ; la famille aurait brûlé tout ce qui aurait pu prouver l’existence de liens avec les Tigres tamouls de crainte de représailles de la part des autorités ; le père du requérant aurait été interrogé, arrêté et roué de coups à cause des liens de sa famille avec les Tigres tamouls, y compris après l’arrivée du requérant en Australie, et le requérant aurait subi des agressions sexuelles par voie orale et anale de la part d’hommes de la police/du service des enquêtes pendant les interrogatoires à Sri Lanka.

4.12Dans son rapport, le psychiatre dit avoir porté, après évaluation du requérant, un diagnostic d’épisode dépressif majeur et de syndrome de stress post-traumatique, accompagnés de mélancolie et de troubles cognitifs. Il déclare que ces affections sont susceptibles de restreindre l’aptitude du requérant à relater son histoire personnelle, affronter les démarches administratives et se rappeler les dates et les détails, et que ces facteurs, conjugués à un fort sentiment de honte, peuvent expliquer pourquoi il n’a pas soulevé plus tôt ces griefs.

4.13Le 7 août 2015, il a été décidé que les griefs du requérant ne répondaient pas aux critères énoncés à l’article 48B ou à l’article 417 aux fins d’intervention ministérielle. Au cours de l’évaluation de la deuxième demande d’intervention ministérielle, le décideur a reconnu que le requérant « avait traversé une période très difficile pendant la guerre civile à Sri Lanka, comme tant d’autres Tamouls, et que ses expériences traumatisantes avaient eu des répercussions sur sa santé mentale ». Il a pris note du rapport du psychiatre, fondé sur des informations fournies par le requérant, mais a estimé qu’aucune d’elles n’indiquait que l’accès à des services/établissements de santé mentale lui serait refusé à Sri Lanka.

4.14L’État partie reconnaît que l’on peut rarement attendre des victimes de la torture une exactitude sans faille. La santé mentale est un facteur pris en considération par les instances de décision internes pour se faire une idée de la crédibilité du demandeur d’asile. Ainsi, bien que le requérant n’ait pas soulevé de prétentions à ce titre dans sa demande de visa de protection, l’agent du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières qui a rendu la décision a reconnu que lorsqu’il appréciait la crédibilité, un fonctionnaire devait être sensible aux difficultés souvent rencontrées par les demandeurs d’asile. Il a aussi jugé que l’allégation de violences sexuelles n’était pas crédible parce qu’il s’était écoulé un intervalle de temps considérable entre le dépôt de la demande de visa de protection et la présentation de ce grief, et que l’allégation de préjudice subi aux mains d’agents du service des enquêtes criminelles n’avait pas été jugée crédible précédemment. Pour lui, la fréquence des incohérences, conjuguée à l’ajustement fréquent du témoignage du requérant chaque fois que des informations dérangeantes étaient portées à sa connaissance, interpellait [le Ministère] quant à la crédibilité générale du requérant et le laissait convaincu du peu de crédibilité de ses griefs. Qui plus est, le requérant avait fait valoir devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés que le service des enquêtes criminelles lui avait fait subir des violences et l’avait menacé de violences − ce dont le tribunal n’avait pas été convaincu. Le décideur n’a donc pas jugé raisonnable d’accepter l’allégation supplémentaire du requérant qui affirme avoir subi une agression sexuelle lorsqu’il était interrogé par le service des enquêtes criminelles.

4.15Le 12 novembre 2015, la Cour fédérale d’Australie a rejeté la demande de mesure interlocutoire en attendant le réexamen judiciaire des décisions du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières de ne pas renvoyer la deuxième demande d’intervention ministérielle devant le Ministre et de refuser au requérant un visa de protection. Le 23 novembre 2015, le requérant a donc retiré sa demande d’autorisation de faire recours contre ces décisions du Ministère.

4.16En outre, l’État partie apporte des précisions sur la question des nouveaux éléments de preuve concernant l’incident survenu à l’université le 11 novembre 2011 et la nouvelle allégation de violences subies par le requérant ainsi que les nouveaux éléments de preuve concernant le harcèlement et les agressions de la part des Tigres tamouls et du service des enquêtes criminelles. Le requérant a fourni de nouveaux éléments de preuve pour étayer l’allégation selon laquelle, le 11 novembre 2011, un groupe de personnes qu’il n’a pas pu identifier aurait lancé une attaque contre l’université où il travaillait. Il s’agissait notamment de lettres du Millar Sports Club de Sri Lanka, d’une personne qui étudiait à l’université à l’époque de l’incident, du père du requérant (visée par le Grama Niladhari (responsable administratif du village) et contresignée par le secrétariat de la circonscription de Koralaipattu à Valaichenai) et de la mère du requérant. Il y joignait un certificat médical, daté du 1er mars 2012, qui relevait des éraflures et recommandait une période de repos du 13 au 16 novembre 2011. Cette pièce venait à l’appui du nouveau grief selon lequel il avait été blessé pendant l’attaque de l’université et allait dans le sens de l’allégation selon laquelle il aurait été interrogé par la police jusqu’à la nuit suivante et n’aurait pu se rendre à l’hôpital qu’une fois relâché par la police.

4.17La personne qui a statué sur la demande de visa de protection et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ont admis que l’incident à l’université avait bel et bien eu lieu et que les fenêtres d’un des bâtiments avaient été cassées. Après examen des nouveaux éléments de preuve, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a conclu que, si les quatre lettres étayaient le fait reconnu que l’université avait été vandalisée, en revanche, elles ne contenaient aucun élément d’information touchant expressément le requérant et indiquant qu’il avait subi ou subirait un préjudice du fait de cet événement. Qui plus est, le certificat médical provenant de Sri Lanka semblait postdaté et avait été très probablement délivré alors que le requérant se trouvait en Australie. En conséquence, le Ministère n’a pas jugé cet élément fiable et n’a pas reconnu ce nouveau grief, à savoir que le requérant aurait été blessé au cours de l’incident survenu à l’université.

4.18L’État partie soutient que le requérant a fourni de nouveaux éléments de preuve pour étayer son allégation de violences aux mains des Tigres tamouls et du service des enquêtes criminelles, dont la lettre susmentionnée de son père selon laquelle les Tigres tamouls s’en seraient pris à des membres de la famille qu’ils voulaient recruter de force et le requérant comme son père auraient été agressés par des membres du service des enquêtes criminelles et des Tigres tamouls. Le requérant joignait aussi la lettre susmentionnée de sa mère qui attestait de l’agression par des membres du service des enquêtes criminelles et des menaces adressées à son fils aîné et à son mari. Selon ces deux lettres, le service des enquêtes criminelles recherchait toujours le requérant, et la lettre de la mère laissait entendre qu’il serait arrêté et torturé s’il rentrait à Sri Lanka. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a admis que le requérant avait été victime de harcèlement de la part des Tigres tamouls pendant sa jeunesse et avait dû changer de domicile. Mais il n’a pas été convaincu qu’il avait subi un préjudice de la part du service des enquêtes criminelles et qu’il risquerait de subir un préjudice à son retour à Sri Lanka. Le requérant avait soulevé pour la première fois l’allégation concernant le recrutement forcé de son frère et de ses oncles par les Tigres tamouls et celle concernant son agression dans sa deuxième demande d’intervention ministérielle, dont l’examen a abouti à la constatation qu’il n’avait pas soumis de nouvelles allégations dignes de foi.

4.19Selon l’État partie, des sources donnent à penser que les Tamouls qui sont soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres tamouls peuvent être arrêtés et torturés lorsqu’ils rentrent à Sri Lanka. Toutefois, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas été convaincu que le requérant avait été ou serait identifié ou perçu comme membre ou partisan des Tigres tamouls. De plus, les renseignements sur le pays provenant du Ministère des affaires étrangères et du commerce donnent à penser que les proches parents de membres des Tigres tamouls, en particulier de membres en vue, recherchés par les autorités sri-lankaises pouvaient faire l’objet d’une surveillance. Par conséquent, quand bien même le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières serait prêt à reconnaître la crédibilité de ce grief en raison des nouveaux éléments de preuve, il ne changerait en rien la conclusion que le requérant n’est pas une personne à l’égard de laquelle l’État partie a un devoir de protection dans la mesure où rien n’indique que ses oncles ou son frère étaient des membres en vue des Tigres tamouls ou étaient recherchés par les autorités. Une surveillance ne constitue pas en soi un acte de torture au regard de la Convention et ne met pas autrement en jeu l’obligation de non-refoulement de l’État partie.

4.20L’État partie soutient que la situation dans le pays n’a pas connu, depuis que les griefs du requérant ont été examinés pour la dernière fois, d’évolution négative qui mettrait en jeu son obligation de non-refoulement en l’espèce. Que ce soit dans le cadre des procédures internes ou dans ses observations au Comité, le requérant n’a pas établi l’existence de motifs supplémentaires montrant qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel de torture s’il rentrait à Sri Lanka. De plus, toutes les instances internes ont expressément et attentivement examiné les questions relatives aux violations des droits de l’homme à Sri Lanka et au retour des demandeurs d’asile à Sri Lanka qu’il avait soulevées. Les instances de décision compétentes ont examiné d’abondantes informations sur le pays et sont parvenues à la conclusion que le requérant ne présentait pas un profil de nature à appeler l’attention contre lui. C’est pourquoi l’État partie soutient une fois de plus que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour indiquer qu’il courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture ou à un traitement susceptible d’être considéré comme de la torture au regard de l’article premier de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 décembre 2016, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait objection à la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie. Il soutient que tous les éléments de preuve indiquent qu’il a subi des tortures sexuelles et qu’il s’est efforcé de le révéler aux derniers stades de l’examen de ses demandes de protection et dans sa deuxième demande d’intervention ministérielle. Il conteste aussi les conclusions de l’État partie selon lesquelles il ne courrait pas de risque réel et prévisible s’il était renvoyé à Sri Lanka, au motif qu’elles reposent sur les résultats d’une procédure d’évaluation aux fins de protection qui n’a pas pris suffisamment en considération son état psychologique (syndrome de stress post-traumatique et dépression sévère). Il aborde également les questions de la révélation des actes de torture, de sa crédibilité, des différences et difficultés d’interprétation et de l’application de l’obligation de non-refoulement de l’État partie.

5.2Le requérant fait valoir que ses problèmes de santé mentale, qui découlent des actes de torture qu’il a subis, n’ont pas été suffisamment pris en compte dans l’évaluation de sa crédibilité. De ce fait, lorsque, pour la première fois, il a parlé de ces actes de torture, ses déclarations ont été considérées à tort comme manquant de crédibilité. Les éléments exposés dans les rapports des services d’accompagnement psychologique et du psychiatre tendent à confirmer qu’il a été soumis à la torture, y compris sexuelle. Le service des enquêtes criminelles recourait couramment à de telles méthodes.

5.3Le requérant a parlé pour la première fois des actes de torture, y compris sexuelle, qu’il avait subis, à l’audience du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui en a rendu compte dans sa décision du 1er août 2013. L’État partie a alors évoqué le fait que le requérant n’avait pas révélé cette expérience dans sa lettre initiale ou lors de son premier entretien comme une raison de douter de sa crédibilité. Cela étant, la plupart des demandeurs d’asile ont du mal à parler de torture. Le requérant renvoie à une étude dont il ressort que les personnes victimes de violences sexuelles disent avoir plus de mal à révéler des informations personnelles au cours d’entretiens, ont davantage tendance à manifester des troubles dissociatifs pendant ces entretiens et obtiennent des résultats sensiblement plus élevés sur l’échelle de mesure des symptômes de stress post-traumatique et du sentiment de honte que les personnes qui ont été soumises à des violences autres que sexuelles. Cette étude décrit aussi le rôle des facteurs culturels dans la non-révélation de tels faits. Le sexe et la culture du requérant, de même que l’impact psychologique de la torture, notamment sexuelle, l’ont donc amené à se taire. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a apparemment pas examiné l’allégation selon laquelle des agents du service des enquêtes criminelles l’avaient torturé sans arrêt pendant qu’ils l’interrogeaient sur l’incident survenu à l’université, ce que l’État partie a considéré comme une autre incohérence. Le représentant du requérant à l’audience du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas insisté non plus pour que ce grief soit examiné.

5.4Suite au rejet de son recours devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le requérant a demandé à bénéficier d’une prise en charge psychologique et, le 3 septembre 2013, a commencé à voir un conseiller à la Companion House Assisting Survivors of Torture and Trauma. Selon le travailleur social et le directeur de l’organisation, il s’est mis pour la première fois à donner quelques détails sur sa vie passée le 1er octobre 2013. Le rapport décrit comment le requérant a dit qu’il y avait des choses dont il ne pouvait pas parler et qu’il était incapable d’aborder. Le requérant n’a pas donné de détails sur les actes de torture subis avant le 9 juin 2015. Il se trouvait dans un état de détresse profonde lorsqu’il a relaté les faits. Après quoi, son état psychologique s’est très rapidement détérioré et il a dû être admis à l’hôpital psychiatrique le jour-même pour tendances suicidaires. Les actes de torture sexuelle ont été décrits dans le rapport du psychiatre du 15 juin 2015 et celui du 24 juillet 2015, qui ont été tous deux versés au dossier de la deuxième demande d’intervention ministérielle, en date du 2 août 2015, rejetée le 7 août 2015. À l’instar de ce qui s’était passé au stade des recours devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, il n’a pas été tenu compte des allégations de torture sexuelle. Trois professionnels de santé expérimentés, un psychiatre, un conseiller et le médecin, ont conclu que les effets psychologiques de la torture et du traumatisme subis avaient eu une incidence sur le moment où le requérant avait donné des détails, en particulier au sujet des actes de torture qu’il avait subis, et sur la manière dont il l’avait fait. Selon le rapport établi par le psychiatre le 15 juillet 2015, le requérant se sentait souvent désemparé et submergé par les émotions, pensant que personne ne le croyait ; il avait essayé de parler de la torture auparavant mais il perdait tous ses moyens et éprouvait un fort sentiment de honte. Le psychiatre évoque aussi la question de la honte et son effet inhibiteur dans un additif du 18 novembre 2016 à son rapport.

5.5En ce qui concerne la question de sa crédibilité, le requérant affirme que les constatations selon lesquelles ses allégations manquaient de crédibilité se sont traduites à tort par la conclusion qu’il n’avait pas été torturé et que d’autres parties de sa demande de protection ne reflétaient pas la réalité. Il est évident que sa crédibilité a été mise en doute au stade initial de la décision et cela semble s’être répercuté sur les recours exercés ultérieurement. Pour ce qui est des motifs expliquant cette appréciation initiale, le requérant note que les décideurs ont renvoyé à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et au Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, ainsi qu’aux directives du HCR relatives à l’appréciation de la crédibilité, soulignant notamment que le bénéfice du doute devrait être accordé aux personnes qui sont généralement crédibles mais dans l’impossibilité d’étayer tous leurs griefs. En dépit de ces références, le décideur original n’a pas pris suffisamment en compte ces textes et a conclu à tort que le requérant n’était pas crédible. Cette appréciation négative de sa crédibilité a beaucoup pesé sur les recours que le requérant a exercés ultérieurement et en particulier sur ses déclarations concernant les actes de torture subis, dont il est fait état pour la première fois dans le dossier de la décision rendue en appel par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés.

5.6Pour le requérant, l’appréciation du décideur du 23 août 2012, qui concluait à un manque de crédibilité, ne tenait pas suffisamment compte non plus de l’incidence des différences et difficultés d’interprétation ni des effets psychologiques de la torture et du traumatisme sur la mémoire et la relation de l’expérience vécue. Le requérant explique qu’il a été fait recours à plusieurs interprètes tamouls aux différents stades de la procédure et qu’il est raisonnable de supposer que la qualité de l’interprétation a pu varier. Les professionnels de santé qui ont eu affaire au requérant (le psychiatre comme le conseiller) disent avoir eu des problèmes avec les services d’interprétation. L’interprétation pendant les entretiens psychologiques avec le conseiller et les séances avec le psychiatre s’est faite par téléphone. Selon le psychiatre, le requérant ne s’exprimait pas clairement et avait un débit lent, sa voix était si étouffée que l’interprète avait dû lui demander de se placer juste à côté du téléphone pour mieux l’entendre.

5.7S’agissant des effets psychologiques de la torture et du traumatisme sur la mémoire et la relation de l’expérience vécue, dans son rapport du 23 août 2012, le décideur a jugé le requérant instruit et capable de comprendre les questions et d’y répondre clairement. C’est sur cette base qu’il a conclu que les incohérences du récit n’étaient pas expliquées et qu’il n’était pas convaincu de la crédibilité générale du requérant et de la véracité de ses allégations. Au moment de la deuxième demande d’intervention ministérielle, un autre décideur est intervenu, le premier n’ayant pas été en mesure d’apprécier l’état de santé mentale du requérant. À ce moment-là, le requérant n’avait pas parlé des actes de torture subis. En particulier, les manifestations du syndrome de stress post-traumatique, qui l’empêchaient de relater les faits de façon logique, ont clairement été interprétées à tort comme des incohérences, ce qui a conduit le décideur à douter de la véracité de ses allégations. Au stade de l’examen de la deuxième demande d’intervention ministérielle, la personne appelée à statuer disposait cependant d’informations émanant de spécialistes sur l’état de santé mentale du requérant et l’impact de ses troubles sur son aptitude à étayer sa demande de protection. Le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle au moment de l’examen de la deuxième demande d’intervention ministérielle, le décideur avait pris note du rapport du psychiatre et reconnu que ses expériences traumatisantes avaient eu des répercussions sur sa santé mentale. Il soutient que le décideur aurait dû reconnaître que le rapport du médecin psychiatre (établi le 15 juillet 2015 sur la base de l’évaluation faite le 8 juillet 2015) et la mention d’actes de torture soulevaient une nouvelle question de fond qui n’avait pas été examinée jusque-là. L’État partie a commis l’erreur de ne pas revoir l’ensemble des griefs du requérant compte tenu de l’impact psychologique des actes de torture qu’il avait subis. Selon le médecin, le conseiller et le psychiatre, le requérant présentait des symptômes graves et persistants de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression ; il manquait d’appétit, se réveillait la nuit, était saisi de frayeurs et avait des pensées suicidaires. Le psychiatre a conclu que ces symptômes et son récit allaient dans le sens d’un vécu de violences et de torture, qui avait entraîné une profonde dépression. Cela explique pourquoi le requérant n’a pas parlé plus tôt des actes de torture sexuelle subis, mais aussi pourquoi son histoire a été considérée comme « incohérente » ou sa version des faits « changeante » par le décideur. Ainsi les éléments de preuve psychologiques viennent étayer fortement l’idée que le requérant a subi des actes de torture, y compris sexuelle. Il a fait savoir qu’il avait été accusé de liens avec les Tigres tamouls et qu’il risquait toujours d’être soumis à la torture à Sri Lanka. Vis-à-vis d’un Tamoul qui avait subi des actes de torture, le devoir de non-refoulement de l’État partie était engagé.

5.8En conclusion, le requérant fait valoir qu’il ressort de tous ces éléments de preuve qu’il a subi des actes de torture sexuelle et qu’il a manifestement fait des efforts pour le révéler lors de l’examen de ses recours suite au rejet de ses demandes de protection, tant devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés qu’auprès du Ministère, s’agissant de sa deuxième demande d’intervention ministérielle. La procédure visant à apprécier son besoin de protection par l’État partie n’a pas pris suffisamment en considération son état psychologique.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer s’il est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la présente communication est manifestement dénuée de fondement et donc irrecevable en vertu de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Il considère néanmoins que la communication a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête d’une manière suffisamment détaillée pour qu’il puisse prendre une décision.

6.3Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie ne conteste pas le fait que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, il déclare que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant vers Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant que le risque qu’il court d’être soumis à la torture est prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle aussi que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Pour évaluer le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il existe un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit torturé s’il rentre à Sri Lanka en raison de ses liens présumés avec les Tigres tamouls et du fait qu’il est né au sein d’un groupe ethnique et social donné ou en est membre (homme d’origine tamoule d’une région auparavant contrôlée par les Tigres tamouls, portant une cicatrice à la jambe qui pourrait être vue comme une cicatrice de guerre), ainsi que de sa crainte de subir des violences de la part d’agents du service des enquêtes criminelles, du groupe Karuna (et de tout homme de la fourgonnette blanche non associé à ce groupe) et de son ancien employeur, de ses allégations concernant les tortures, y compris sexuelles, auxquelles l’auraient soumis des agents du service des enquêtes criminelles pendant qu’ils l’interrogeaient sur l’incident survenu à l’université en 2011, et de son départ illégal de Sri Lanka. Le Comité note également que l’État partie fait observer que les autorités nationales compétentes ont jugé que le requérant n’était pas crédible à cause d’incohérences dans sa relation des événements et conclu qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve dignes de foi ni étayé l’affirmation selon laquelle il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture par les autorités s’il rentrait à Sri Lanka, qu’elles ont examiné ses griefs conformément à la législation interne et en tenant compte de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et qu’elles n’ont pas estimé que le requérant relevait de la catégorie des personnes pouvant prétendre à la protection offerte par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

7.5Le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont pas cru que le requérant avait été contacté par des étudiants à propos des fenêtres brisées de l’université, qu’il avait ensuite été enlevé à bord d’une fourgonnette par des individus qui lui auraient conseillé de se taire et qu’il avait été menacé ou harcelé par la police ou le service des enquêtes criminelles à propos de cet incident, car son récit était incohérent et qu’il avait changé plusieurs fois de version. À cet égard, il relève que le requérant a pu continuer de vivre dans sa région d’origine, dans son pays, et de travailler à l’université en tant qu’agent de sécurité pratiquement jusqu’à son départ de Sri Lanka pour l’État partie. Il note que les autorités de l’État partie n’ont pas été convaincues non plus que son père ou d’autres membres de sa famille auraient été menacés ou inquiétés par la police ou le service des enquêtes criminelles à cause de son départ. Il relève aussi que le requérant n’a pas été recruté par les Tigres tamouls et qu’aucune pièce justificative ne vient étayer les relations que sa famille aurait pu avoir avec les Tigres tamouls. Il constate que la femme, les parents, les sœurs, le frère et la belle-sœur du requérant continuent de résider à Sri Lanka.

7.6Pour ce qui est des nouvelles allégations d’agressions sexuelles, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a révélé ces actes de torture, y compris sexuelle, pour la première fois à l’audience devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ce dont la décision rendue par le tribunal le 1er août 2013 ferait état. Il fait toutefois observer que ces allégations ne sont pas étayées par la décision en question, qui a été versée au dossier. Il constate que le requérant a soutenu qu’en 2011 il avait été interrogé et harcelé par le service des enquêtes criminelles/la police à propos des dommages causés à l’université ; cependant, il n’avait parlé d’actes de torture physique ou sexuelle à ce stade de la procédure. Indépendamment de cela, le Comité fait observer que la crédibilité du requérant ne saurait être appréciée sur la seule base du laps de temps important qui s’est écoulé entre le dépôt de sa demande de visa de protection et la présentation du grief de torture sexuelle. Il souligne en outre que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude et qu’en l’espèce, l’état psychologique du requérant et le fait qu’il souffre de stress post-traumatique et de dépression ont été clairement établis du point de vue médical.

7.7Le Comité prend acte des éléments communiqués par le psychiatre, qui proviennent d’un bilan de quatre-vingt-dix minutes effectué le 8 juillet 2015 et qui ont été joints à la deuxième demande d’intervention ministérielle du requérant du 2 août 2015 pour étayer les nouvelles allégations, à savoir a) que les Tigres tamouls auraient essayé de recruter le requérant de force lorsque son frère avait déserté et ses parents auraient dû verser de fortes sommes d’argent pour le protéger, b) que deux de ses oncles paternels auraient été recrutés de force par les Tigres tamouls, que l’un serait maintenant porté disparu et l’autre serait handicapé et vivrait dans la clandestinité, tandis qu’un troisième aurait été tué pendant la guerre civile, c) que la famille aurait brûlé toute preuve attestant de liens avec les Tigres tamouls et que le requérant aurait subi des agressions sexuelles de la part de policiers ou d’agents du service des enquêtes criminelles. Il note que l’État partie affirme que les autorités compétentes ont procédé à une appréciation minutieuse de tous les éléments de preuve fournis par le requérant et jugé qu’ils avaient peu de force probante de par leur teneur et leur date. Les autorités de l’État partie ont accepté et examiné le rapport du médecin psychiatre en date du 15 juillet 2015 et ont donc pris en considération et évalué le nouveau grief d’agression sexuelle du requérant. Le Comité relève qu’elles n’ont pas été convaincues que le requérant aurait été soumis à des actes de torture sexuelle par le service des enquêtes criminelles. Il relève également qu’elles ont reconnu que le requérant avait traversé une période difficile pendant la guerre civile et que ses expériences traumatisantes avaient eu des répercussions sur sa santé mentale. Cependant, il note que les autorités n’ont trouvé aucun élément d’information donnant à penser que l’accès à des services de santé mentale lui serait refusé à Sri Lanka et n’ont pas jugé crédible son allégation de violences sexuelles en raison des nombreuses incohérences, conjuguées au fait que le requérant a fréquemment ajusté son témoignage lorsque des informations dérangeantes étaient portées à sa connaissance.

7.8En ce qui concerne l’affirmation générale du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka en raison de son statut d’homme tamoul ayant des liens réels ou perçus avec les Tigres tamouls et en tant que demandeur d’asile débouté revenant de l’étranger, le Comité convient que les Sri‑Lankais d’origine tamoule ayant des liens personnels ou familiaux réels ou perçus avec les Tigres tamouls peuvent être exposés à un risque de torture en cas de renvoi à Sri Lanka. À cet égard, il prend note de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est déclaré préoccupé notamment par les informations faisant état de la persistance des enlèvements, de la torture et des mauvais traitements par les forces de sécurité de l’État, y compris l’armée et la police, pratiques qui s’étaient poursuivies dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres tamouls en mai 2009. Il renvoie également aux informations dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant le traitement réservé par les autorités sri-lankaises aux personnes renvoyées à Sri Lanka. Toutefois, il rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas en soi suffisante pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être soumis à la torture. Il rappelle également que, même si les événements passés peuvent être pertinents, la question principale dont il est saisi est de savoir si le requérant court actuellement un risque de torture s’il est renvoyé à Sri Lanka. En l’espèce, le requérant n’a pas démontré qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka, étant donné les nombreuses incohérences et variations dans son témoignage, qui l’ont rendu peu crédible. En outre, le Comité note que, dans leur évaluation de la demande d’asile du requérant, les autorités de l’État partie ont également tenu compte du risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés pouvaient être exposés à leur retour à Sri Lanka et estime qu’en l’espèce, elles ont dûment examiné la demande du requérant.

7.9Compte tenu de toutes les informations communiquées par le requérant et l’État partie, y compris sur la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité considère qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait car il n’a pas suffisamment démontré l’existence de motifs sérieux de croire que son renvoi forcé dans son pays d’origine l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention. Bien que le requérant conteste l’évaluation qui a été faite de ses déclarations par les autorités de l’État partie, il n’a pas démontré que la décision de lui refuser un visa de protection était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.