NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1161/200315 novembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-onzième session15 octobre-2 novembre 2007

DÉCISION

Communication n o  1161/2003

Présentée par:

Dimitry Kharkhal (représenté par le Comité Helsinki du Bélarus)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

6 février 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décisions prises par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquées à l’État partie le 10 février et le 2 avril 2003 respectivement (non publiées sous forme de document)

Date de la présente décision:

31 octobre 2007

Objet: condamnation à mort à l’issue d’un procès qualifié d’inéquitable

Questions de fond: privation arbitraire de la vie; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Questions de procédure: appréciation des faits et des éléments de preuve; justification de la plainte

Articles du Pacte: 6 (par. 1) et 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-onzième session

concernant la

Communication n o  1161/2003*

Présentée par:

Dimitry Kharkhal (représenté par le Comité Helsinki du Bélarus)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Bélarus

Date de la communication:

6 février 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Dimitry Kharkhal, de nationalité bélarussienne, né en 1970, qui, au moment de la présentation de la communication, était en attente d’exécution à Minsk, après avoir été condamné à mort le 20 mars 2002 par le tribunal municipal de Minsk. Il affirme être victime de violations, par le Bélarus, des droits qui lui sont garantis au paragraphe 1 de l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par le Comité Helsinki pour le Bélarus.

1.2 En enregistrant la communication le 10 février 2003, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de l’auteur pendant que son cas serait examiné. Le 2 juillet 2003, l’État partie a fait savoir au Comité que, le 24 mars 2003, la Cour suprême du Bélarus avait commué la condamnation à mort de l’auteur en peine d’emprisonnement de quinze ans assortie de la confiscation de ses biens.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été arrêté le 17 septembre 1997 à Saint‑Pétersbourg (Fédération de Russie), à la demande des autorités bélarussiennes qui le soupçonnaient de vols et d’autres infractions pénales commises au Bélarus. Il a été transféré à Minsk le 18 septembre 1997. Le 21 avril 1999, le tribunal municipal de Minsk l’a condamné à treize ans de réclusion pour vol et tentative d’homicide. Le 20 mars 2002, ce même tribunal l’a déclaré coupable d’avoir tué la dénommée Puchkovskaya, ainsi qu’une connaissance de cette dernière, M. Grebenkin, le 3 novembre 1994 àMinsk, et d’avoir volé à Mme Puchkovskaya sa voiture, ses bijoux et d’autres biens. Le 30 août 2002, la Cour suprême du Bélarus a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine capitale prononcées le 20 mars 2002 par le tribunal municipal de Minsk. En mars 2003, la Cour suprême a commué la condamnation à mort de l’auteur en peine de quinzeans de réclusion.

2.2L’auteur affirme qu’il est innocent et que s’il avait bien eu l’intention de voler la voiture de Mme Puchkovskaya pour la revendre, c’est son cousin, Tatarinovich, qui a tué les victimes à bord de la voiture pendant que lui‑même essayait celle‑ci avant de s’en emparer.

2.3L’auteur affirme que les autorités russes l’ont livré à leurs homologues bélarussiennes en application de la Convention de la Communauté d’États indépendants (CEI) sur l’assistance judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale (ci‑après dénommée «laConvention de laCEI sur l’assistance judiciaire»). Cette convention dispose qu’une personne ne peut être poursuivie dans le pays requérant que pour les infractions expressément mentionnées dans la demande d’extradition. Si l’État requérant veut poursuivre une personne pour des infractions autres que celles visées dans la demande d’extradition, il doit obtenir le consentement exprès de l’État requis. En l’espèce, la demande d’extradition adressée aux autorités russes ne mentionnait pas les deux meurtres pour lesquels l’auteur a été condamné en 2002. L’auteur affirme qu’il a donc été jugé et condamné à mort illégalement.

2.4 L’auteur affirme avoir été privé du droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure, puisque la Cour suprême n’a pas répondu sur certains des arguments qu’il avait fait valoir dans son recours en appel. Il conteste en particulier les conclusions du premier rapport d’expertise (no 2667), dans lequel un médecin légiste affirme que M. Grebenkin est mort des suites d’une blessure causée par un seul coup de feu à la tête et à la nuque, qui a provoqué des dommages cérébraux. L’auteur a révélé à la Cour suprême l’existence d’une autre blessure par balle que l’expert n’avait ni repérée ni examinée, et qu’en conséquence le tribunal de première instance s’était fondé sur des informations erronées pour établir sa culpabilité. Le tribunal de première instance n’avait pas examiné cet argument car l’auteur ne l’a invoqué qu’en appel, lorsqu’il s’est enfin souvenu du déroulement exact des faits. La Cour suprême n’a pas non plus examiné cet argument dans son arrêt, se limitant à noter que l’auteur, dans son appel, avait affirmé que les conclusions formulées dans un rapport d’expertise complémentaire étaient en contradiction avec celles du premier rapport d’expertise médico‑légale et ne pouvaient donc servir à établir sa culpabilité. D’après l’auteur, son recours en appel n’a pas été «examiné». Il affirme en outre que la Cour suprême s’est contentée de rejeter l’argument selon lequel la Convention de la CEI sur l’assistance judiciaire était applicable à son cas, sans l’examiner sur le fond.

2.5Compte tenu de ce qui précède, l’auteur soutient que s’il était exécuté, le Bélarus commettrait une violation de l’article 6 du Pacte en le privant arbitrairement de la vie.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que les faits décrits ci‑dessus constituent une violation par le Bélarus des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 duPacte.

Observations de l’État partie

4.1Le 2 juillet 2003, l’État partie a fait savoir au Comité que le 24 mars 2003 le Présidium de la Cour suprême du Bélarus avait commué la condamnation à mort de l’auteur en peine de quinze ans de réclusion.

4.2Le 1er octobre 2003, l’État partie a relevé que le Bureau du Procureur général avait vérifié le dossier de l’affaire et établi que M. Kharkhal se trouvait sous le coup d’un mandat d’amener délivré en1997, parce qu’il était soupçonné de différents crimes, dont les meurtres de Mme Puchkovskaya et de M. Grebenkin. Il avait été localisé à Saint‑Pétersbourg par un fonctionnaire du Département des enquêtes criminelles (Ministère de l’intérieur, Comité exécutif de la ville de Minsk). Il avait spontanément accepté d’être ramené à Minsk.

4.3Conformément au paragraphe 1 de l’article 80 de la Convention de laCEIsur l’assistance judiciaire, toute communication concernant une demande d’extradition est traitée par le Bureau du Procureur général concerné. En l’espèce, le Bureau du Procureur général du Bélarus n’a jamais été saisi d’une telle demande par son homologue russe et aucune procédure d’extradition n’a été engagée. Par conséquent, l’auteur a été jugé en toute légalité au Bélarus pour les meurtres dont il était accusé.

Commentaires de l’auteur

5.1L’auteur a fait part de ses commentaires le 1er août 2006. Il maintient qu’il est innocent et qu’il a été arrêté à Saint‑Pétersbourg par la police russe, à la demande des autorités bélarussiennes qui le soupçonnaient de vol. D’après lui, immédiatement après son arrestation, les autorités bélarussiennes ont envoyé à leurs homologues russes une demande d’extradition dans laquelle n’était mentionnée aucune accusation de meurtre. Pendant la procédure en appel, l’auteur a porté ce grief à l’attention de la Cour suprême, mais celle‑ci l’a rejeté. Il cite l’arrêt de la Cour, qui a conclu qu’aucune violation de la loi n’avait été commise lorsqu’il avait été déféré à la justice pour répondre des meurtres après avoir été extradé par les autorités russes.

5.2L’auteur invoque un arrêt du 11 juin 2003 dans lequel la Cour suprême relève que les circonstances de la disparition de Mme Puchkovskaya et M. Grebenkin n’ont été connues qu’avec les aveux de l’auteur. Il réaffirme que la Convention de laCEI sur l’assistance judiciaire lui était applicable, et ajoute que l’article 301 du Code de procédure pénale limite la portée des poursuites pénales qui peuvent être exercées et requiert du tribunal qu’il tienne compte des termes de la demande d’extradition lorsqu’il détermine la responsabilité pénale de l’intéressé.

5.3L’auteur cite un arrêt rendu par la Cour suprême au sujet d’un certain «Sh.», dans lequel laCour a fait observer que, pour définir les limites de la compétence pénale, il fallait non seulement prendre en considération les accusations pesant sur l’intéressé, mais également la teneur et les termes de la demande d’extradition adressée à son sujet au pays requis. Après son extradition, «Sh.» avait été reconnu coupable, au Bélarus, de meurtre commis en réunion avec une violence particulière. La Cour suprême a infirmé la décision rendue en première instance et exclu le chef d’accusation de meurtre commis avec une violence particulière au motif qu’il n’avait pas été mentionné dans la demande d’extradition. L’auteur affirme que ce raisonnement s’applique totalement à son propre cas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2, alinéas a et b, de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

6.3Le Comité a pris note du grief de violation de l’article 6 du Pacte soulevé par l’auteur au motif que, après avoir été expulsé de la Fédération de Russie au Bélarus, il a été illégalement inculpé de meurtre au Bélarus puis condamné à mort, en violation de la Convention de laCEI sur l’assistance judiciaire (1993) et que, si l’État partie procédait à son exécution, il le priverait arbitrairement de la vie. Le Comité relève cependant que la Cour suprême de l’État partie, le 24 mars 2003, a commué la condamnation de l’auteur à la peine capitale. Par conséquent, il considère que le grief de l’auteur est devenu sans objet. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne la question de savoir si la Convention de la CEI sur l’assistance judiciaire aurait dû être appliquée dans le cas de l’auteur, le Comité constate qu’il y a une contradiction manifeste entre la plainte de l’auteur et les informations fournies par l’État partie. En l’absence, dans le dossier de l’affaire, de tout autre document ou renseignement utile qui lui permettrait d’apprécier de manière satisfaisante les circonstances de l’affaire, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée aux fins de larecevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5L’auteur affirme que la manière dont la Cour suprême a traité son appel est contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Comité note que le droit de faire examiner une condamnation pénale par une juridiction supérieure, qui est garanti par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, exige que le tribunal d’appel examine dûment les questions pertinentes, en tenant compte des critères raisonnables applicables aux appels en vertu de la législation de l’État partie. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la révision a permis un réexamen des faits et des éléments de preuve, le Comité est guidé par le principe général selon lequel c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que la conduite du procès, l’appréciation des faits et des preuves ou l’interprétation de la législation de l’État partie a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’absence de toute autre information utile qui montrerait que l’appréciation des faits, en l’espèce, a effectivement été entachée de telles irrégularités, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 ont été respectées et que cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur dela communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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