Trente-sixième session

7-25 août 2006

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Chili

À ses 749e et 750e séances, le 16 août 2006 (voir CEDAW/C/SR.749 et 750), le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Chili (CEDAW/C/CHI/4). On trouvera la liste de ses questions dans le document CEDAW/C/CHI/Q/4 et les réponses du Chili dans le document CEDAW/C/CHI/Q/4/Add.1.

Introduction

Le Comité remercie l’État partie de son quatrième rapport périodique, qui tient compte de ses observations finales antérieures et de sa recommandation générale no 19, mais note qu’il n’y est pas question de ses autres recommandations générales. Il se félicite tant de la qualité du rapport que des réponses écrites à la liste des questions suscitées par le groupe de travail présession ainsi que de l’exposé oral et des éclaircissements supplémentaires consécutifs aux questions qu’il a lui-même posées.

Le Comité félicite la délégation de haut niveau envoyée par l’État partie et dirigée par son Ministre du service national pour les femmes qu’accompagnaient les représentants des divers ministères chargés d’appliquer les mesures découlant de la Convention. Il apprécie le dialogue franc et constructif entre la délégation et ses membres.

Aspects positifs

Le Comité félicite la première Présidente en date du pays pour avoir nommé un cabinet où 50 % des ministres sont des femmes ainsi que d’avoir 48,4 % de femmes à la tête de directions ministérielles et 50 % comme gouverneurs de province.

Le Comité note avec satisfaction la force du mécanisme national de promotion de la femme, l’augmentation de 30 % envisagée pour son budget en 2006 et les efforts considérables entrepris vers l’égalité des sexes et l’intégration des perspectives sexospécifiques dans toutes les politiques de l’État.

Le Comité félicite l’État partie des réformes législatives entreprises depuis l’examen de ses deuxième et troisième rapports périodiques en 1999, dont les amendements au Code pénal, au Code de procédure pénale et autres textes visant le crime de viol, même conjugal (1999); les amendements au Code du travail (2001); à la loi sur l’abandon familial et les pensions alimentaires (2001); à la loi organique constitutionnelle sur l’éducation (2000); la loi établissant les procédures et les peines applicables aux violences familiales (2005); la loi créant les tribunaux de famille (2004); la loi sur le harcèlement sexuel au travail (2005); et la nouvelle loi sur le mariage civil (2004).

Le Comité félicite l’État partie d’avoir adopté des stratégies de réduction de la pauvreté visant spécifiquement les femmes, dont le Programme national de formation professionnelle pour les femmes, notamment à faible revenu, chefs de famille; et le « Sistema Chile Solidario » de protection sociale complète des 225 000 familles les plus pauvres qui, lancé en 2002 pour aider les familles souffrant de l’exclusion sociale et économique, est d’abord axé sur les femmes.

Principaux domaines de préoccupation et recommandations

Tout en rappelant que l’État partie est tenu d’appliquer systématiquement et continûment toutes les dispositions de la Convention, le Comité estime que les préoccupations et recommandations exprimées dans les présentes observations finales exigent l’attention prioritaire dudit État d’ici à la présentation du prochain rapport périodique. Il l’invite donc à se pencher sur elles dans ses activités d’exécution et à rendre compte, dans ledit rapport, des mesures prises et des résultats obtenus. Il l’invite en outre à saisir tous les ministères pertinents et le Parlement des présentes observations finales afin de leur donner une suite complète.

Tout en se félicitant des réformes législatives adoptées depuis 1999 et de la volonté politique déclarée de l’État partie d’appliquer intégralement la Convention, le Comité s’inquiète de la lenteur des progrès des réformes juridiques, notamment en ce qui concerne le projet de loi, en souffrance depuis 1995, instaurant un nouveau régime de propriété foncière qui donnerait à l’épouse et à l’époux les mêmes droits et obligations ainsi que le projet de loi sur les quotas présenté en 1997 et visant à promouvoir le droit des femmes de participer à la vie publique du pays.

Le Comité invite l’État partie à veiller à ce que des progrès durables vers la pleine égalité des sexes dans tous les aspects de la vie publique et privée soient réalisés grâce à une réforme juridique complète. Il l’invite à abroger ou à amender sans délai toutes les dispositions législatives discriminatoires conformément à l’article 2 de la Convention et il lui demande de combler les écarts législatifs et de promulguer d’autres lois nécessaires pour adapter le cadre législatif du pays aux dispositions de la Convention et assurer l’égalité des sexes consacrée dans la Constitution chilienne. Il encourage l’État partie à fixer un calendrier précis et à faire comprendre aux législateurs et au grand public que des réformes juridiques s’imposent d’urgence pour accorder aux femmes l’égalité de jure. Il l’invite aussi à prendre des mesures temporaires spéciales pour accélérer la réalisation de l’égalité de fait entre les sexes, comme y engagent le paragraphe 1 de l’article 4 et la recommandation générale 25 du Comité, dans tous les domaines pertinents de la Convention, où il le faut.

Le Comité s’inquiète du fort écart salarial entre les femmes et les hommes, qui s’aggrave pour elles avec l’âge, l’éducation et les attributions si bien que celles qui occupent des postes de cadre sont en moyenne payées moitié moins que les hommes. Le Comité note aussi avec inquiétude que leur taux de chômage est supérieur à celui des hommes, bien que la main-d’œuvre féminine soit plus instruite. Enfin, tout en reconnaissant que l’État partie s’efforce d’améliorer les conditions et perspectives des travailleuses saisonnières et occasionnelles, notamment par des garderies, le Comité s’inquiète encore de ce que 39,7 % à peine des travailleuses à bas salaire ont un contrat de travail, ce qui les lèse gravement sur le plan de la sécurité sociale.

Le Comité recommande que l’État partie fasse une étude détaillée de la participation des femmes au marché du travail et recueille des données ventilées par sexe, notamment pour recenser les facteurs qui les y désavantagent comme on le voit dans l’écart salarial, le nombre des chômeuses et la rareté des femmes dans les postes de direction. Il prie l’État partie de mettre au point un suivi systématique des contrats des travailleuses temporaires et saisonnières et de prendre des mesures pour éliminer les pratiques qui lèsent les femmes dans le système de sécurité sociale. Il le prie aussi de fournir des données ventilées détaillées et des renseignements sur la situation des femmes sur le marché du travail officiel et parallèle. Tous ces renseignements, ventilés selon l’âge, les aptitudes, l’éducation, la spécialisation et le secteur d’emploi des femmes et par zones urbaines et rurales, devraient figurer dans le prochain rapport.

Tout en saluant les progrès récents en ce qui concerne la présence des femmes à des postes de décision, le Comité est préoccupé par le fait que le nombre de femmes qui siègent au Parlement ou sont représentées dans les municipalités ou le service diplomatique demeure faible.

Le Comité prie l’État partie d’intensifier ses efforts pour réformer le système électoral binominal, qui nuit à la représentation politique des femmes, et pour prendre des mesures temporaires spéciales, notamment, visant à accélérer l’instauration et l’égalité de fait entre femmes et hommes afin d’accroître la participation des femmes à la vie politique, notamment au Parlement et dans les municipalités, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, à la recommandation générale 25 du Comité sur les mesures temporaires spéciales et à sa recommandation générale 23 sur les femmes dans la vie publique. Il recommande que l’État partie prenne des mesures pour augmenter le nombre des femmes qui se préparent à la carrière diplomatique afin de tenir les engagements visant l’égalité des sexes pris dans le Programme d’amélioration de la gestion et de se conformer aux obligations que lui impose l’article 8 de la Convention.

Tout en notant les initiatives récentes de l’État partie face au problème de la traite des femmes et des filles – dont sa ratification, en novembre 2004, du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants –, le Comité reste inquiet du manque de renseignements sur les causes et l’ampleur de la traite au Chili en tant que pays d’origine, de transit et de destination, du manque de lois en la matière et de l’absence de mesures idoines pour combattre les phénomènes de la traite et de l’exploitation de la prostitution.

Le Comité invite l’État partie à adopter la législation nécessaire et à élaborer une stratégie et un plan d’action systématiques pour lutter contre la traite. Cette stratégie devrait comporter une recherche qualitative et quantitative et la mise en œuvre de programmes de prévention et de protection avec mesures de réinsertion et d’intégration sociale des femmes et des filles victimes de l’exploitation sexuelle et de la traite, et la poursuite des trafiquants. Le Comité prie l’État partie de donner, dans son prochain rapport, des informations et des données complètes sur la traite des femmes et des filles et sur la prostitution, sur les mesures en place pour lutter contre ces phénomènes ainsi que sur leur effet.

Le Comité note que l’État partie vise à réduire de 45 % les grossesses d’adolescentes d’ici à 2015 et se réjouit des mesures déjà prises à cet égard ainsi que de celles visant à garantir aux filles enceintes et aux jeunes mères le droit à l’éducation. Mais il s’inquiète encore des taux élevés de grossesses d’adolescentes et de la fréquence grandissante des grossesses de jeunes adolescentes, qui restent une cause majeure d’abandon scolaire.

Le Comité demande à l’État partie de renforcer les mesures visant à prévenir les grossesses non souhaitées chez les adolescentes. Au rang de celles-ci, devraient figurer des mesures d’ordre juridique, notamment l’institution de poursuites judiciaires contre les hommes qui ont des rapports sexuels avec des filles mineures, ainsi que des mesures d’éducation des filles et des garçons ayant pour but de favoriser les relations et la parenté responsables. Le Comité appelle également l’État partie à prendre les mesures voulues pour assurer l’éducation des jeunes mères et leur accès à la scolarisation ainsi qu’à surveiller l’efficacité de ces mesures et à rendre compte des résultats obtenus dans son prochain rapport.

Le Comité s’inquiète du fait que les droits des femmes, notamment en matière de santé procréative, ne soient pas suffisamment reconnus et protégés au Chili. Il demeure préoccupé par le fait que l’avortement soit, dans toutes les circonstances, passible de sanctions en vertu du droit chilien, ce qui peut pousser les femmes à rechercher des avortements illégaux à risque, avec ce que cela comporte de dangers pour leur vie et leur santé, et que les avortements clandestins constituent une cause majeure de la mortalité maternelle.

Le Comité engage l’État partie à prendre des mesures concrètes pour permettre à davantage de femmes d’avoir accès aux soins de santé, en particulier aux services de santé en matière de sexualité et de procréation, conformément à l’article 12 de la Convention et à sa recommandation générale 24 relative aux femmes et à la santé. Il demande à l’État partie de renforcer les mesures visant à prévenir les grossesses non souhaitées, notamment en rendant plus largement accessibles et abordables tout un éventail de méthodes de contraception et de planification familiale, sans aucune restriction, et en sensibilisant davantage les femmes ainsi que les hommes à la planification familiale. Le Comité appelle également l’État partie à réduire les taux de mortalité maternelle par la prestation de services de maternité sans risques et d’aide prénatale et à prendre des mesures pour empêcher que les femmes ne recourent à des actes médicaux à risque tels que l’avortement illégal faute de services appropriés de contrôle de la fécondité. Le Comité recommande que l’État partie envisage de réviser ses lois relatives à l’avortement en vue d’abroger les dispositions qui imposent des peines aux femmes qui ont recours à l’avortement, et de leur donner accès à des services de qualité pour la prise en charge des complications résultant d’un avortement pratiqué dans de mauvaises conditions et de réduire les taux de mortalité maternelle, conformément à la recommandation générale 24 sur les femmes et la santé et à la Déclaration et au Programme d’action de Beijing.

Le Comité note avec préoccupation que la nouvelle loi sur les mariages civils, en vigueur depuis 2004, ait porté l’âge nubile pour les garçons et les filles à 16 ans.

Le Comité demande instamment à l’État partie de procéder à une nouvelle révision de sa législation en vue de relever l’âge légal du mariage à 18 ans afin de l’aligner sur l’article premier de la Convention relative aux droits de l’enfant et le paragraphe 2 de l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la recommandation générale 21 sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux.

Le Comité déplore l’insuffisance des données ventilées par sexe dans le rapport ainsi que des réponses à la liste de questions posées concernant plusieurs des dispositions de la Convention.

Le Comité demande à l’État partie de fournir dans son prochain rapport des données statistiques ventilées par sexe et une analyse eu égard aux dispositions de la Convention, en indiquant l’impact des mesures prises et les résultats obtenus pour ce qui est d’assurer, en pratique, l’égalité de fait des femmes.

Le Comité demande à l’État partie de ratifier le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de s’employer à mener une enquête nationale pour informer et sensibiliser comme il se doit les agents de l’État et le public en général concernant la Convention, son protocole facultatif et le Comité.

Le Comité encourage l’État partie à élargir ses consultations avec les organisations non gouvernementales en vue de la mise en œuvre de la Convention et des présentes observations finales ainsi que de l’élaboration du prochain rapport périodique.

Le Comité demande instamment à l’État partie d’exploiter pleinement, dans l’exécution de ses obligations au titre de la Convention, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing, lesquels renforcent les dispositions de la Convention, et demande à l’État partie de fournir des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Le Comité souligne qu’une application pleine et effective de la Convention est indispensable pour réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement. Il appelle à intégrer une démarche soucieuse d’équité entre les sexes et à prendre explicitement en compte les dispositions de la Convention dans toute action visant à réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement, et demande à l’État partie de fournir des informations à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir ratifié les sept principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il note que l’adhésion de l’État partie à ces instruments renforce l’exercice par les femmes de leurs droits en tant que personne humaine et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie.

Le Comité demande que les présentes observations finales fassent l’objet d’une large diffusion au Chili afin que la population, y compris les agents de l’État, les hommes et femmes politiques, les parlementaires et les organisations de femmes et de défense des droits de l’homme, soit sensibilisée aux mesures qui ont été prises pour assurer l’égalité de droit et de fait des femmes, ainsi que les autres mesures nécessaires à cet égard. Le Comité demande à l’État partie de continuer à assurer une large diffusion, en particulier auprès des organisations de femmes et de défense des droits de l’homme, de la Convention, son protocole facultatif, les recommandations générales du Comité, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing ainsi que le document final de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale intitulée « Les femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXIe siècle ».

Le Comité demande à l’État partie de donner suite aux préoccupations exprimées dans les présentes observations finales dans son prochain rapport périodique au titre de l’article 18 de la Convention. Il invite l’État partie à présenter son cinquième rapport périodique, dont la date d’échéance est janvier 2007, et son sixième rapport périodique, dont la date d’échéance est janvier 2011, en un rapport unique en janvier 2011.