Nations Unies

CAT/C/68/D/568/2013

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 janvier 2020

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la communication, concernant la communication no 568/2013 * , **

Projet de recommandation proposé par le Rapporteur

Communication p résentée par :

H. S. (représenté par un conseil, Rajwinder Singh Bhambi)

Victime(s) présumée(s):

Le requérant

État partie :

Canada

Date de la requête :

16 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 novembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

15 novembre 2019

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes; fondement des griefs ; abus du droit de soumettre une communication

Questions de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

1, 3

1.1Le requérant est H. S., de nationalité indienne, né en 1989. Au moment de la soumission de la requête, il résidait au Canada et était en instance d’expulsion vers l’Inde à la suite du rejet de sa demande d’asile. Il affirme que son renvoi en Inde constituerait une violation par le Canada des articles 1 et 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention, laquelle a pris effet le 13 novembre 1989. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 19 novembre 2013, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que la requête serait à l’examen. L’État partie a accédé à la demande. Le 5 septembre 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires qu’avait présentée l’État partie le 27 février 2014.

1.3À sa cinquante-huitième session (25 juillet-12 août 2016), le Comité a décidé de reporter l’examen de la communication afin d’obtenir de l’État partie des précisions concernant la disponibilité des recours internes.

1.4Le 28 septembre 2018, l’État partie a fait savoir au Comité qu’il avait expulsé le requérant vers l’Inde le 1er août 2018.

Exposé des faits

2.1Dans sa lettre initiale, le requérant a dit qu’il était né dans une famille sikhe, dans un village du Jammu, en Inde. En 2000, son oncle paternel est tombé sous l’influence d’une organisation terroriste sikhe appelée « Khalistan Zindabad Force ». En mars 2000, l’oncle en question a été inculpé par les autorités indiennes de possession d’armes et de munitions, puis acquitté par un tribunal en octobre 2002. Le requérant affirme qu’en 2009, les autorités indiennes ont recommencé à s’intéresser à son oncle. Elles l’ont arrêté et torturé en 2009 et en 2010 en raison de ses liens supposés avec des terroristes. Dans les deux cas, il a été libéré après le versement d’un pot-de-vin.

2.2Le requérant affirme que le 18 novembre 2010, la police a effectué une descente alors qu’il était avec son oncle. Celui-ci a réussi à s’échapper mais le requérant a été arrêté. Il a été conduit à un poste de police où il a été torturé. Les policiers l’ont interrogé pour savoir où se trouvaient son oncle et d’autres militants. Ils lui ont donné des coups de pied, des coups de poing et des gifles, l’ont déshabillé et l’ont battu avec des ceintures et des bâtons. Ils lui ont posé un rouleau sur les cuisses et lui ont écarté les jambes. Ils l’ont aussi suspendu au plafond la tête en bas et l’ont violemment frappé. Ils lui ont plongé la tête sous l’eau et lui ont administré des décharges électriques sur les organes génitaux et les tempes. Le requérant s’est évanoui deux fois sous la torture.

2.3Le 21 novembre 2010, à la suite de l’intervention de personnalités locales influentes et du versement d’un pot-de-vin, le requérant a été remis en liberté. On lui a ordonné de se présenter régulièrement à la police. Le même jour, il a été hospitalisé pour la journée, après quoi il a poursuivi son traitement chez lui jusqu’au 4 décembre 2010. Dans une lettre datée du 10 septembre 2012, un médecin de la clinique de rhumatologie Kanav, située à Jammu, a indiqué que le requérant se trouvait sous suivi médical pour stress, fièvre, douleurs, contusions et enflures sur tout le corps, en particulier sur les jambes, les fesses et la plante des pieds. Il souffrait également de troubles respiratoires.

2.4Le requérant affirme que le 22 mars 2011, des policiers ont effectué une descente à son domicile et l’ont arrêté au motif qu’il aidait et hébergeait des militants. Ils l’ont de nouveau conduit au poste et l’ont torturé de la même manière que la première fois. Le requérant dit qu’il présente toujours les séquelles des tortures infligées, notamment des points de suture, des marques de brûlure et un orteil en moins au pied droit. Il a été relâché le 26 mars 2011 à la suite de l’intervention de personnalités locales influentes et du versement d’un pot-de-vin. Cette fois-ci, on lui a ordonné de se présenter au poste tous les mois et de fournir des renseignements sur certaines personnes intéressant la police, et on a menacé de le tuer s’il n’obtempérait pas. La police a en outre pris ses empreintes digitales et des photographies de lui et lui a fait signer des feuilles blanches. Le requérant a été hospitalisé du 26 au 28 mars 2011, puis il a été soigné à domicile pendant douze jours.

2.5Le requérant affirme que le harcèlement policier qu’il subissait l’a contraint à aller se cacher au Penjab pendant un mois, puis qu’il a passé trois mois à New Delhi où il a accompli les formalités nécessaires à l’obtention d’un visa pour le Canada. Il a quitté l’Inde muni de son propre passeport et est arrivé au Canada le 15 août 2011 avec un visa d’étudiant.

2.6Le requérant a fait une demande d’asile au Canada le 9 septembre 2011, avançant qu’il risquerait d’être tué ou soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Inde. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande le 21 février 2013, au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il courrait un risque sérieux de persécution, ni que, selon toute vraisemblance, il serait personnellement exposé à un risque de torture, que sa vie serait menacée ou qu’il risquerait de subir une peine ou un traitement cruel et inusité s’il retournait dans son pays. La Section a fait observer que le requérant n’avait pas fait mention, dans son formulaire de renseignements personnels, des descentes que la police aurait effectuées deux fois par mois au domicile de son père pendant plusieurs années, descentes dont il a seulement parlé lors de son audition. En outre, le requérant a fait des déclarations contradictoires s’agissant de la date à laquelle la femme et les enfants de son oncle avaient quitté la maison de son père. Ces contradictions ont conduit la Section à rejeter l’affirmation du requérant selon laquelle la police faisait régulièrement des descentes dans la maison de son père.

2.7La Section de la protection des réfugiés a relevé que le requérant avait dit qu’il était le seul membre de sa famille à avoir été inquiété pour qu’il donne des informations sur l’endroit où se trouvait son oncle. Elle a aussi relevé qu’aucune accusation formelle n’avait été portée contre le requérant et que celui-ci avait été relâché après chaque arrestation alléguée suite au versement d’un pot-de-vin. En outre, le requérant avait passé un mois au Penjab, puis trois mois à New Delhi sans incidents. De surcroît, il avait pu quitter l’Inde en 2009, puis en 2011, muni de son propre passeport.

2.8D’après des documents sur la situation en Inde examinés par la Section de la protection des réfugiés, les sikhs qui craignaient la police locale et auxquels les autorités centrales ne s’intéressaient pas pouvaient se réinstaller dans d’autres régions de l’Inde en toute sécurité. La Section n’a trouvé aucune information qui viendrait étayer l’allégation du requérant selon laquelle il ferait l’objet d’une plus grande suspicion parce qu’il était originaire du Jammu. Elle a conclu que le requérant avait la possibilité de trouver refuge ailleurs dans le pays, en particulier à Mumbai ou à Bangalore, en se fondant sur des rapports objectifs concernant le pays et sur le profil du requérant, celui-ci n’étant pas susceptible d’être recherché par les autorités en dehors de sa région natale. Elle a en outre jugé que le requérant n’était ni un réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, ni une personne ayant besoin de protection.

2.9Le requérant a saisi la Cour fédérale du Canada d’une demande d’autorisation aux fins d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés. Le 14 août 2013, la Cour fédérale a rejeté la demande.

2.10Le requérant affirme que le 28 octobre 2013, aux alentours de 23 heures, des policiers en civil ont effectué une descente au domicile de ses parents, au Jammu, et ont arrêté son père. Ils l’ont emmené au poste de police et l’ont torturé afin qu’il révèle où se trouvait le requérant. Le père a été libéré le lendemain grâce à l’intervention de personnalités locales influentes et au versement d’un pot-de-vin.

2.11Le 27 novembre 2013, le requérant a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. En application du paragraphe 2 b.1) de l’article 112 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, sa demande n’a pas pu être traitée car moins de douze mois s’étaient écoulés depuis le rejet de sa demande d’asile. La période de douze mois pendant laquelle une demande d’examen des risques avant renvoi ne pouvait pas être soumise prenait fin le 21 février 2014. Le requérant a déposé une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi le 17 mars 2014. Sa demande a été rejetée car les autorités canadiennes ne l’avaient pas encore avisé du fait qu’il pouvait déposer une telle demande, comme l’exigent la loi et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

2.12Le 29 février 2016, le requérant a déposé une nouvelle demande d’examen des risques avant renvoi. Celle-ci a été rejetée le 23 mai 2018 au motif qu’il n’existait pas assez d’éléments permettant de conclure qu’il serait persécuté ou torturé ou qu’il risquerait d’être tué ou soumis à des peines ou traitements cruels et inusités s’il était renvoyé en Inde. Un représentant du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration a estimé que les documents fournis par le requérant, notamment des déclarations sous serment de son père et de deux conseillers municipaux, une facture d’hôpital, plusieurs copies non datées de photographies sur lesquelles apparaîtraient le requérant et son père ainsi que des rapports sur la situation en Inde, reprenaient en grande partie les éléments de preuve qu’il avait déjà présentés dans sa demande d’asile. En outre, le dossier médical ne contenait aucune information sur la manière dont les blessures du requérant lui avaient été infligées et n’avait pas été signé par un médecin. Les photographies produites n’étaient pas datées et ne comportaient aucun élément susceptible d’établir l’identité des sujets représentés.

2.13Le 17 mars 2014, le requérant a soumis une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Le 25 mai 2018, le Ministère de la citoyenneté et de l’immigration a rejeté la demande, renvoyant à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le requérant avait la possibilité de trouver refuge ailleurs dans le pays, ainsi qu’à la décision de rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi en date du 23 mai 2018. Il a estimé que le requérant s’était certes intégré au Canada, mais qu’il était en mesure de se réinstaller en Inde et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour établir qu’il rencontrerait des difficultés dans son pays ou qu’il y serait pris pour cible parce qu’il était sikh.

2.14Le 27 juillet 2018, le requérant a déposé une demande de sursis administratif au renvoi dans laquelle il affirmait que le 6 septembre 2014, le 13 juillet 2018 et le 24 juillet 2018, la police locale avait de nouveau arrêté et torturé son père et son jeune frère. Dans sa demande, il déclarait aussi que le 25 juillet 2018, sa famille avait récupéré, à la suite d’un accident de la route, un cadavre non identifiable qu’elle pensait être le corps du père, qui aurait été tué par la police. Le requérant a assorti sa demande d’une déclaration qu’il avait faite sous serment le 26 juillet 2018, dans laquelle il reprenait les points fondamentaux de sa demande d’asile et exprimait une nouvelle fois sa crainte d’entre renvoyé en Inde.

2.15Comme aucune date de renvoi n’était indiquée dans la demande et que l’Agence des services frontaliers du Canada n’en avait pas encore fixé une, la demande n’a jamais été examinée. Le jour même, un agent de l’Agence a arrêté le requérant parce qu’il n’avait pas respecté certaines des conditions auxquelles étaient assujetti son maintien en liberté, notamment signaler un changement d’adresse avant de déménager et obtenir un document de voyage valide, et parce qu’il y avait des raisons de croire qu’il risquait de prendre la fuite. L’agent a fouillé le requérant, a trouvé sur lui un passeport indien valide et l’a placé en détention avant renvoi. L’État partie affirme que ni le requérant ni son conseil, qui était présent par téléphone, n’ont mentionné la requête à l’examen et la demande de mesures provisoires du Comité au cours de l’audience tenue le 30 juillet 2018 pour examiner le placement en détention du requérant.

2.16Le 1er août 2018, l’État partie a renvoyé le requérant en Inde.

2.17L’État partie affirme que le 14 octobre 2018, le conseil du requérant a transmis à l’Agence des services frontaliers du Canada une déclaration sous serment de son client, datée du 25 juillet 2018 et que celui-ci avait soumise au consulat indien à Toronto afin d’obtenir un passeport indien. Dans sa déclaration, le requérant affirmait qu’il avait fait une demande de statut de réfugié mensongère, qu’il revenait sur sa position antérieure et qu’il souhaitait retourner en Inde dès que possible pour assister aux funérailles de son père.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en le renvoyant en Inde, l’État partie violerait l’article 3 de la Convention car il mettrait sa vie en danger et l’exposerait au risque d’être soumis à la torture au sens de l’article 1 de la Convention, ainsi qu’à des peines ou traitements cruels et inusités. En rejetant sa demande de statut de réfugié en dépit des éléments de preuve présentés, la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur de droit et de fait.

3.2Dans des déclarations sous serment, son père et deux personnalités de son village ont conseillé au requérant de ne pas revenir en Inde, en raison de ses liens présumés avec des terroristes sikhs. Les services indiens de sécurité et de renseignement, qui le recherchaient activement, pourraient, sous des chefs d’accusation mensongers et forgés de toutes pièces, l’arrêter, le placer en détention ou l’enlever.

3.3En Inde, la situation générale des droits de l’homme est marquée par les exactions commises par la police et les forces de sécurité, notamment les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et les viols, qui y sont généralisés. La corruption qui règne à tous les niveaux de gouvernement est source de dénis de justice. Les disparitions, les mauvaises conditions de détention, qui constituent souvent une menace pour la vie, les arrestations et détentions arbitraires ainsi que les périodes prolongées de détention provisoire sont autant d’autres violations des droits de l’homme commises. Selon certaines informations, le Gouvernement indien et ses agents ont commis des exécutions arbitraires ou illicites, notamment des exécutions extrajudiciaires de criminels et d’insurgés présumés, en particulier dans les zones de conflit telles que le Jammu-et-Cachemire, mais aussi ailleurs dans le pays. Les autorités indiennes ne protègent pas les minorités religieuses, telles que les sikhs ; elles n’ont par exemple pas réagi au massacre perpétré au Gujarat en 2002.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des observations sur la recevabilité et le fond en date du 12 juin 2014, l’État partie rappelle les faits sur lesquels repose la requête et explique comment la Section de la protection des réfugiés examine les demandes de statut de réfugié présentées en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Lorsqu’il a été entendu par la Section, le requérant était représenté par un conseil et pouvait produire des preuves écrites et faire des déclarations orales. Il avait aussi la possibilité d’expliquer toute omission ou incohérence dans les éléments de preuve qu’il avait produits et de répondre à toutes les questions que la Section souhaitait lui poser à propos de sa demande. La Section a rejeté la demande du requérant et la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire.

4.2S’agissant de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire déposée par le requérant, l’évaluation effectuée dans ce contexte consiste en un examen discrétionnaire approfondi visant à déterminer s’il y a lieu d’accéder à cette demande. Il s’agit donc de savoir si l’intéressé rencontrerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées s’il devait demander un permis de séjour permanent depuis un autre pays que le Canada. L’agent qui statue sur la demande prend en considération et évalue tous les éléments de preuve et renseignements pertinents, y compris les observations écrites soumises par le demandeur. Les décisions concernant les demandes pour considérations d’ordre humanitaire rendues dans ce cadre peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale.

4.3Les personnes qui font l’objet d’une mesure de renvoi et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un examen des risques avant renvoi sont avisées qu’elles peuvent soumettre une demande d’examen une fois que leur renvoi est possible sur le plan pratique. Si une première demande d’examen des risques avant renvoi est soumise dans les quinze jours suivant réception de l’avis, la mesure de renvoi est suspendue tant que la demande est à l’examen. Même si le requérant était sous le coup d’une mesure de renvoi au moment de la présentation des observations de l’État partie, son renvoi n’était pas imminent.

4.4Les demandes d’examen des risques avant renvoi sont examinées par des agents spécialement formés pour apprécier les risques et prendre en considération la Charte canadienne des droits et libertés et les obligations internationales en matière de droits de l’homme qui concernent la protection des réfugiés. Lorsque la Section de la protection des réfugiés a déjà examiné une demande initiale, un examen des risques avant renvoi sert à déterminer si, depuis que la Section a rendu sa décision, de nouveaux faits ou éléments de preuve laissent supposer que l’intéressé serait exposé à un risque de persécution ou de torture, à un risque pour sa vie ou à un risque d’être soumis à des peines ou traitements cruels ou inusités. La décision adoptée à l’issue de l’examen des risques avant renvoi peut, sous réserve d’une autorisation, faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Un sursis judiciaire au renvoi peut être accordé dans l’attente de la décision de la Cour fédérale concernant cette demande ou toute demande de contrôle judiciaire.

4.5La requête à l’examen est irrecevable au motif que le requérant n’a pas épuisé les recours internes. Au moment de la soumission des observations de l’État partie, en particulier, aucune décision n’avait encore été prise au sujet de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire déposée par le requérant. S’il n’est pas possible d’obtenir un sursis administratif au renvoi dans le cadre d’une telle demande, un sursis judiciaire peut être sollicité dans l’attente d’une telle décision. Le Comité a estimé par le passé que la possibilité de présenter une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire comptait parmi les recours internes disponibles permettant d’obtenir une réparation effective. En outre, le requérant pouvait déposer une demande d’examen des risques avant renvoi après qu’il eut été avisé qu’il était en droit de le faire. De surcroît, il est possible de solliciter l’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire d’une décision rendue dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi ou d’une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, contrôle que le Comité a toujours considéré comme un recours devant être épuisé aux fins de la recevabilité. Par le passé, le Comité a jugé certaines requêtes irrecevables au motif que l’intéressé pouvait prétendre à un nouvel examen des risques après le dépôt de sa requête. Il a aussi affirmé qu’une demande d’examen des risques avant renvoi assortie d’un sursis légal au renvoi dans l’attente de l’examen de la demande constituait un recours utile et disponible. En outre, le requérant avait la possibilité de produire, à l’appui de sa demande d’examen des risques avant renvoi, les nouveaux éléments de preuve qu’il a présentés au Comité, y compris les déclarations sous serment de son père et des conseillers municipaux. Le requérant n’a pas fait valoir au Comité que la procédure d’examen des risques avant renvoi ne constituerait pas un recours utile. Dans d’autres cas, le Comité a estimé que les nouveaux éléments de preuve recueillis après l’achèvement de la procédure interne devaient tout d’abord être soumis aux autorités nationales pour qu’elles aient la possibilité de les examiner. Le Comité a toujours affirmé qu’il appartenait aux juridictions nationales, et non à lui-même, d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée.

4.6L’État partie affirme en outre que la requête à l’examen est irrecevable parce qu’elle est manifestement mal fondée. Premièrement, le requérant n’a pas fourni d’éléments suffisants pour démontrer qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à la torture au Jammu. Deuxièmement, la situation en Inde fait que, même à supposer qu’il courrait réellement le risque d’être torturé au Jammu, ce que conteste l’État partie, le requérant aurait la possibilité de trouver refuge ailleurs en Inde.

4.7S’agissant du grief du requérant selon lequel des policiers du Jammu l’ont torturé à deux reprises lorsqu’il était en garde à vue, les cas passés de torture ne constituent pas, en eux-mêmes, un élément permettant de prouver qu’il existe un risque de torture. Cela dit, le requérant n’a pas soumis suffisamment d’éléments pour établir qu’il a été victime de torture. Il n’a présenté aucun document objectif de cette époque attestant son traitement médical, la lettre du médecin de la clinique de rhumatologie Kanav ayant été rédigée dix‑huit mois après le plus récent des événements décrits. Le requérant a produit des rapports de police, des comptes rendus d’audience et des jugements du tribunal du Jammu qui concernent tous des procédures qui visaient son oncle ou le coaccusé de celui-ci et qui remontaient à 2000. L’auteur lui-même a dit que son oncle avait été acquitté, en 2002, de tous les chefs d’accusation portés contre lui et qu’il n’avait plus été inquiété par la police jusqu’en 2009. L’article de presse daté du 18 mars 2000 se rapporte lui aussi à des procédures de 2000 qui concernaient son oncle. Ces éléments ne prouvent pas que le requérant a été torturé en 2010 et en 2011.

4.8En ce qui concerne les déclarations sous serment du père du requérant et des deux conseillers municipaux, elles relatent les événements qui ont conduit le requérant à quitter l’Inde et indiquent brièvement que celui-ci a été torturé les deux fois où il était en garde à vue. Aucun autre détail n’est communiqué au sujet de ces événements. En outre, dans leurs déclarations, les conseillers affirment que « les parents » du requérant ont été arrêtés et torturés par la police à la suite de la descente qui aurait été menée en octobre 2013. À l’inverse, dans sa déclaration, le père dit qu’il est le seul à avoir été arrêté, ce qui jette le doute sur le caractère objectif des preuves avancées par un proche parent du requérant qui aurait subjectivement intérêt à ce que celui-ci reste au Canada. Qui plus est, il ne ressort d’aucun des documents communiqués que le requérant risquerait d’être soumis à la torture ailleurs en Inde.

4.9Dans l’ensemble, les éléments de preuve communiqués n’ont pas été établis au moment des faits et ne sont pas suffisamment détaillés pour étayer les allégations du requérant selon lesquelles il a été arrêté et torturé par la police locale. En outre, aucune preuve écrite objective, telle qu’un mandat d’arrêt ou un acte d’accusation, ne vient étayer l’affirmation selon laquelle la police continue à le rechercher au Jammu ou ailleurs en Inde. Le requérant semble être le seul membre de sa famille à avoir été poursuivi pour obtenir des informations sur le lieu où se trouvait son oncle. Il s’est caché pendant un mois au Penjab puis a passé trois mois à New Delhi sans incident avant de quitter l’Inde muni de son propre passeport.

4.10En outre, il n’est pas nécessaire que le Comité examine la situation générale des droits de l’homme en Inde puisque le requérant n’a pas prouvé qu’il courrait personnellement un risque s’il y était renvoyé. En revanche, des informations récentes et objectives font état d’une amélioration notable de la situation des sikhs sur le plan des droits de l’homme, si bien qu’une personne qui retourne dans le pays ne risque généralement pas d’être maltraitée au seul motif de ses opinions politiques, réelles ou supposées. L’Inde est une république laïque dans laquelle les autorités respectent la liberté de religion. Les citoyens ne sont pas tenus de déclarer leur religion. Si la majorité des 19 millions de sikhs que compte l’Inde vivent au Penjab, des communautés sikhes prospèrent sur tout le territoire, et les sikhs sont libres de pratiquer leur religion et ont accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement partout dans le pays. De nombreux sikhs occupent des fonctions de premier plan, notamment jusqu’à récemment celles de Premier ministre et de chef des armées. Les sikhs sont libres de s’installer dans quelque État indien que ce soit, et ils ne rencontrent pas de difficultés juridiques ou procédurales lorsqu’ils déménagent et ne sont pas tenus de faire enregistrer leur lieu de résidence. Une attestation de résidence peut être exigée pour acheter un terrain, renouveler un passeport ou s’inscrire sur les listes électorales, mais aucun de ces actes ne nécessite d’avoir des contacts avec la police. De plus, les sikhs qui quittent le Penjab pour s’installer dans d’autres régions de l’Inde ne sont normalement pas considérés avec une suspicion particulière ni harcelés par la police locale simplement à cause de leur religion ou de leur région d’origine. Les rapports sur le pays ne laissent pas entendre que la situation est différente pour les sikhs originaires du Jammu. Les rapports soumis par le requérant ne permettent pas d’affirmer que les sikhs du Jammu rencontrent des difficultés particulières lorsqu’ils se réinstallent ailleurs en Inde. Les sikhs renvoyés en Inde ne risquent pas, d’une façon générale, d’être maltraités. Seuls les militants sikhs les plus en vue risquent d’être arrêtés ou poursuivis en dehors du Penjab, notamment les dirigeants supposés de groupes militants et les personnes suspectées d’avoir participé à un attentat terroriste. En principe, un individu n’est pas considéré comme étant un militant de premier plan simplement parce qu’il a des idées politiques affirmées, qu’il mène des activités politiques ou qu’un membre de sa famille est perçu comme étant un militant de premier plan.

4.11Qui plus est, même lorsqu’il ressort d’un rapport que les sikhs qui épousent ou prônent certaines opinions politiques risquent d’être harcelés, arrêtés et soumis à la détention arbitraire ou à la torture, ce risque est généralement limité au Penjab. Il se dégage de rapports sur le pays que dans la plupart des cas, la police du Penjab ne s’en prend pas à une cause ou à un groupe donné pour des raisons politiques ou religieuses mais que, sous prétexte de déjouer des menaces, elle forge des accusations de toutes pièces dans le but de soutirer des pots-de-vin. Si certaines informations donnent à penser que la police locale pourrait poursuivre des individus bien précis au-delà des frontières de l’État, les soumettant eux et leur famille à des mauvais traitements, d’autres sources indiquent que pour ce faire la police penjabie aurait besoin d’une ordonnance délivrée par un juge et de bénéficier d’une coopération interétatique, ce qui fait que ces cas sont rares. Par conséquent, lorsqu’une personne craint d’être maltraitée par la police locale mais qu’elle est peu susceptible d’attirer l’attention des autorités centrales, sa réinstallation dans une autre région de l’Inde est une solution réaliste qui permet de limiter le risque de maltraitance auquel elle affirme être exposée.

4.12L’État partie ne renverrait pas le requérant au Jammu en particulier, mais dans une autre région de l’Inde où il aurait la possibilité de trouver refuge. Son profil, notamment sa formation en génie mécanique et le fait qu’il parle hindi, lui permet de vivre en sécurité dans d’autres régions de l’Inde, et il n’a fourni aucun élément prouvant qu’il serait considéré comme un militant de premier plan ou soupçonné d’être un terroriste. En outre, comme il l’a indiqué dans son formulaire de renseignements personnels, le requérant a vécu trois mois à New Delhi et un mois au Penjab juste avant d’arriver au Canada, et ce, sans être inquiété. Il n’a pas étayé son grief selon lequel les autorités continuaient de le rechercher en Inde. Lorsqu’elle a rejeté la demande de statut de réfugié déposée par le requérant, la Section de la protection des réfugiés a jugé que celui-ci avait la possibilité de trouver refuge à Bangalore ou à Mumbai. Le Comité a déjà dit qu’il estimait que les personnes qui avaient la possibilité de trouver refuge dans une autre région de leur propre pays ne pouvaient pas prétendre à une protection internationale. Rien dans la requête ne laisse donc supposer qu’hors du Jammu, les autorités indiennes s’intéresseraient d’une quelconque manière au requérant.

4.13L’État partie conclut qu’eu égard à sa situation personnelle et à la situation actuelle en Inde, le requérant n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles il courrait un risque dans son pays. Il prie le Comité de déclarer la requête irrecevable au motif que le requérant n’a pas épuisé les recours internes et que la requête est manifestement mal fondée. Au cas où la requête serait jugée recevable, il affirme que celle-ci est dénuée de fondement pour les mêmes raisons.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires en date du 30 août 2014, le requérant reprend ses griefs initiaux et fait valoir qu’il a apporté des éléments suffisants pour établir le bien-fondé de sa thèse selon laquelle il serait soumis à la torture et exposé à un risque pour sa vie s’il était renvoyé en Inde. Plusieurs victimes de torture sikhes et penjabies qui vivaient au Canada ont été renvoyées en Inde et y sont soumises à des traitements cruels. Au moment de la présentation de la requête, le requérant avait épuisé tous les recours internes qui avaient un effet suspensif. Depuis lors, il a présenté deux demandes d’examen des risques avant renvoi, dont aucune n’a été acceptée. En conséquence, il n’a jamais bénéficié d’un examen des risques avant renvoi. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il serait avisé du fait qu’il pouvait déposer une demande d’examen des risques avant renvoi une fois que son renvoi serait possible sur le plan pratique, le requérant affirme que « la décision relative aux demandes d’examen des risques avant renvoi est imminente » et que ces demandes sont souvent rejetées. Lorsqu’une demande d’examen des risques avant renvoi est rejetée, il n’existe plus d’autre recours utile.

5.2Le requérant soutient que les mesures provisoires demandées par le Comité doivent être respectées, étant donné qu’il satisfait aux critères énoncés dans l’observation générale no 1 sur l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture (Refoulement) dans le contexte de l’article 22 (Communications) et qu’il est peu probable que les autorités canadiennes évaluent sa demande d’examen des risques avant renvoi de façon équitable.

5.3En outre, le délai de traitement des demandes de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire est de presque quatre ans et le simple fait de déposer une telle demande n’a pas d’effet suspensif sur l’expulsion, sauf si la demande est approuvée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ce qui peut aussi prendre plusieurs années. Le taux d’acceptation de telles demandes est extrêmement faible.

5.4Le requérant a été victime de torture avant tout parce qu’il a cherché à obtenir justice face à la police. Les allégations de celle-ci à propos de ses liens avec des militants ont été fabriquées de toutes pièces afin de justifier son arrestation et les actes de torture qu’il a subis. Le requérant est un témoin de la lutte contre la terrible impunité dont jouit la police au Penjab pour ce type de crimes. Sa famille est forcée de subir le même type d’actes de torture et de harcèlement de la part de la police en Inde. Les documents communiqués au Comité confirment que le requérant risquerait d’être torturé ou de trouver la mort en Inde.

5.5La manière dont l’État partie a examiné les pièces fournies est arbitraire et constitue un déni de justice, car les certificats médicaux, les photographies et les déclarations sous serment montrent clairement que le requérant a été torturé et qu’il risquerait de l’être de nouveau à son retour en Inde. Les autorités canadiennes ont rejeté ces éléments de preuve sans raison. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie dans ses observations, le rapport 2013 sur les pratiques en matière de droits de l’homme par pays publié par le Département d’État des États-Unis d’Amérique montre que les sikhs soupçonnés de militer et les familles qui ont été victimes de violations des droits de l’homme risquent toujours d’être torturés. Le requérant renvoie à l’affaire Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), dans laquelle la Cour fédérale a fait référence à des informations selon lesquelles, en Inde, les défenseurs des droits de l’homme continuaient de faire l’objet de menaces, d’arrestations préventives, de placements en détention et de violence. Les sikhs sont toujours victimes d’actes de torture et de brutalité de la part des autorités dans plusieurs régions du pays, par exemple à Saharanpur, dans l’État d’Uttar Pradesh (août 2014). Les autorités ont procédé à des arrestations massives, y compris de sikhs, lesquels vivent sous la menace constante de la torture dans tout le pays. Concernant l’argument avancé par l’État partie selon lequel les sikhs sont libres de vivre à New Delhi plutôt qu’au Penjab, le requérant souligne que c’est précisément à New Dehli qu’a eu lieu le massacre des sikhs en 1984. Les nombreux rapports et documents portant sur les violations des droits de l’homme en Inde soumis par le requérant dans sa lettre initiale restent valables, étant donné qu’aucune organisation de protection des droits de l’homme en Inde ne laisserait entendre que tous les problèmes ont été réglés et qu’il n’y a plus aucun risque de torture. La vie du requérant serait donc réellement menacée en Inde. Celui-ci serait également en danger parce que sa famille a cherché à obtenir justice pour lui. En outre, étant donné les circonstances, il était légitime que le requérant ne dépose pas plainte auprès de la police.

5.6En ce qui concerne l’argument de l’État partie relatif à la possibilité de trouver refuge ailleurs dans le pays, le requérant renvoie à l’avis du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lequel en principe une telle possibilité n’existe pas quand le persécuteur est l’État lui-même. De manière générale, il n’est pas logique de prétendre que ceux qui se cachent de leurs persécuteurs ont la possibilité de trouver refuge dans le pays même. En Inde, les personnes qui s’installent dans une nouvelle région, en particulier celles qui parlent le punjabi ou les sikhs originaires du Penjab, font l’objet d’une surveillance et d’un contrôle systématiques. En outre, en raison de la montée du terrorisme en Inde ces deux dernières années, les individus tels que le requérant font l’objet d’une attention accrue. Il est donc extrêmement difficile, si ce n’est impossible, pour le requérant et sa famille de vivre en sécurité ailleurs en Inde.

5.7L’État partie fait fi de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme et n’a aucun respect pour les organes internationaux de protection des droits de l’homme tels que le Comité. Il expulse des personnes vers des pays dans lesquels elles risquent d’être torturées ou tuées en dépit des mesures provisoires demandées par le Comité, comme il l’a fait dans le cas de Francis Mbaioremem. Il n’approuve que 33 % des demandes d’asile. Le Premier Ministre indien, Narendra Modi, a été accusé d’avoir été impliqué dans l’assassinat de milliers de musulmans au Gujarat en 2002. Mi-2006, le Comité a conclu que l’État partie avait violé la Convention dans le cas de Bachan Singh Sogi. Le requérant convient qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier les conclusions de l’État partie concernant la question de la crédibilité, mais il souligne qu’il était arbitraire et injuste de rejeter les pièces convaincantes montrant qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé qu’il a produites.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans des observations complémentaires datées du 2 décembre 2014, l’État partie réaffirme que la requête est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés et parce qu’elle est manifestement mal fondée en raison de l’existence d’une possibilité de trouver refuge ailleurs en Inde, et qu’elle est sans fondement pour les mêmes raisons.

6.2En ce qui concerne le non-épuisement des recours, l’État partie souligne que le requérant ne serait pas renvoyé en Inde sans avoir eu la possibilité de demander un examen des risques avant renvoi, qui est un recours disponible, utile et rapide. Le requérant n’a pas précisé en quoi la procédure d’examen des risques avant renvoi serait injuste et s’est borné à laisser entendre que sa demande d’examen des risques avant renvoi serait sûrement rejetée. Le fait qu’il n’a pas épuisé la procédure d’examen des risques avant renvoi rend la requête irrecevable. En outre, bien que le Comité ne devrait pas accorder de crédit aux allégations du requérant relatives au système canadien d’asile en général, il convient de signaler que la Cour fédérale du Canada a récemment conclu que, considérée au regard du cadre plus général de la procédure de renvoi, l’interdiction de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi pendant une période de douze mois n’était pas contraire au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, auquel il ne peut être porté atteinte qu’en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés. Cette procédure permet de tenir compte de l’évolution des risques à la suite du rejet d’une demande de statut de réfugié, et ce, même au cours des douze mois pendant lesquels il n’est pas possible de déposer une demande d’examen des risques avant renvoi. Les demandeurs disposent d’autres possibilités de recours pendant cette période, notamment le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés et la possibilité de demander un report du renvoi.

6.3S’agissant des allégations du requérant selon lesquelles les demandes de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire ne sont pas un recours utile parce que leur traitement est très long et aucun sursis au renvoi n’est possible dans l’attente de leur examen, l’État partie fait observer que si le demandeur invoque des motifs humanitaires impérieux, il peut bénéficier d’un sursis dans l’attente de la décision définitive. Si la demande est rejetée, il peut solliciter un sursis judiciaire en attendant de faire une éventuelle demande d’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision de rejet. Il peut aussi demander un report du renvoi.

6.4Le requérant fait référence à la situation actuelle en Inde, sans citer de source à l’exception d’un extrait du rapport 2013 sur les pratiques en matière de droits de l’homme dans le pays publié par le Département d’État des États-Unis, selon lequel il avait été fait état d’exécutions arbitraires et illégales, y compris d’exécutions extrajudiciaires de criminels et d’insurgés présumés, en particulier dans les zones de conflit telles que le Jammu. Le requérant n’a toutefois pas le profil d’un criminel ou d’un insurgé présumé. En outre, même si l’on admettait qu’il avait eu des problèmes avec la police au Jammu, il n’a pas établi qu’il ne pouvait pas se réinstaller en toute sécurité dans une autre région de l’Inde.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans des commentaires additionnels datés du 29 novembre 2015, le requérant rappelle dans une large mesure les arguments présentés le 30 août 2014, à savoir que le délai de traitement des demandes d’examen des risques avant renvoi et de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire aurait été très long, que ses demandes ne seraient pas examinées en toute impartialité et qu’elles seraient probablement rejetées. Le contrôle judiciaire de la décision de rejet d’une demande d’examen des risques avant renvoi ou de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire et le report du renvoi sont des processus coûteux et inefficaces. Le requérant devrait donc être dispensé de l’obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles.

7.2Le requérant répète son avis sur la situation en Inde et évoque plusieurs faits et rapports, notamment les rapports sur les pratiques en matière de droits de l’homme dans le pays publiés en 2013 et en 2014 par le Département d’État des États-Unis, qui font état d’exécutions extrajudiciaires commises par la police indienne au Jammu-et-Cachemire, dans l’Uttar Pradesh et au Penjab. S’il retourne en Inde, il sera sûrement arrêté sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces liées à des infractions visées par la loi sur la prévention du terrorisme ou par l’article 121 du Code pénal, qui prévoit de lourdes peines, y compris la peine de mort et l’emprisonnement à perpétuité.

7.3Le requérant n’a pas la possibilité de trouver refuge dans son propre pays parce que les forces indiennes de sécurité le recherchent activement en raison de ses liens présumés avec la Khalistan Zindabad Force et parce qu’en Inde, toute personne qui se réinstalle doit se faire enregistrer auprès de la police.

7.4Quant au risque qui pèserait actuellement sur sa vie en Inde, le requérant ajoute que des agents de l’armée et de la police ont arrêté et torturé ses parents le 4 juin 2015, sous le prétexte mensonger qu’il aurait, avec ses associés et depuis le Canada, contribué financièrement à l’organisation d’une manifestation sikhe à Gadigarh, près de Jammu. Ses parents ont été relâchés le 7 juin 2015 à la suite de l’intervention de responsables sikhs et du versement d’un pot-de-vin, et à la condition qu’ils remettent le requérant à la police.

Autres observations de l’État partie

8.1Dans une note verbale en date du 24 mars 2017, l’État partie confirme qu’un examen des risques avant renvoi avait été engagé à la suite de la demande déposée par le requérant le 29 février 2016. Aucune décision n’a encore été prise mais le requérant continue de bénéficier d’un sursis légal au renvoi dans l’attente de la décision définitive.

8.2L’État partie précise ensuite qu’une demande de mesures provisoires, puisqu’elle n’est pas contraignante, n’a jamais pour effet de suspendre une mesure de renvoi. Toutefois, l’État partie a pour habitude de différer l’expulsion conformément à la demande de mesures provisoires, car il prend ses obligations relatives aux droits de l’homme au sérieux et il examine de bonne foi les demandes et constatations du Comité.

8.3L’État partie fait observer qu’une personne ne peut être avisée qu’elle peut présenter une demande d’examen des risques avant renvoi qu’au terme de plusieurs étapes. Ces étapes visent notamment à déterminer si le renvoi est possible sur le plan pratique et s’il peut être exécuté sous réserve de l’obtention de documents de voyage ou d’un visa et de la définition de l’itinéraire définitif, et si l’intéressé peut demander un examen des risques avant renvoi. On cherche également à savoir si l’intéressé possède un document de voyage valide et quels sont les facteurs à prendre en considération pour déterminer le moment auquel un entretien peut être tenu pour aviser l’intéressé.

8.4L’État partie précise que les personnes qui peuvent prétendre à un examen des risques avant renvoi ne sont pas expulsées avant d’avoir été avisées qu’elles peuvent demander un examen des risques avant renvoi, d’avoir eu la possibilité de soumettre leur demande, d’avoir été informées qu’une décision a été prise et d’avoir reçu une copie de la décision.

8.5.Dans d’autres observations datées du 11 mai 2018, l’État partie confirme qu’il n’y a eu aucun changement dans la procédure interne concernant le requérant. Il fait observer que ni lui ni le requérant n’ont demandé la suspension de la procédure. La suspension peut avoir une incidence sur les efforts déployés par l’État partie pour rationaliser son système d’immigration et de protection. Les autorités canadiennes examinent minutieusement les allégations relatives aux risques encourus dans le pays d’origine. De nouvelles preuves de l’existence d’un risque personnel peuvent être présentées dans une demande de report du renvoi. Il n’est généralement pas nécessaire de procéder à plusieurs évaluations des risques au cours de l’examen de la requête par le Comité. Le Comité ne devrait pas permettre au requérant de saper le système d’immigration et de protection de l’État partie en retardant son expulsion de manière à ce qu’il puisse prétendre à d’autres recours internes. L’État partie demande à nouveau au Comité d’entamer l’examen de la requête.

8.6Le 28 septembre 2018, l’État partie a informé le Comité qu’il avait malheureusement renvoyé le requérant en Inde par erreur le 1er août 2018. Il semble qu’à la suite du rejet, le 9 juillet 2018, de la demande d’examen des risques avant renvoi déposée par le requérant, certains des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada n’étaient pas au courant de la demande de mesures provisoires et que les agents qui l’étaient n’ont eu connaissance de l’expulsion que le 29 août 2018. L’État partie affirme que les faits entourant l’expulsion étaient toujours en cours d’établissement et qu’il fournirait des précisions supplémentaires au Comité dès que possible.

8.7Dans d’autres commentaires, datés du 19 février 2019, l’État partie précise qu’un examen interne des faits entourant l’expulsion du requérant avait révélé que des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada n’avaient que partiellement passé en revue deux bases de données électroniques et que la mesure provisoire leur avait donc échappé. D’autres facteurs ont contribué à l’expulsion par erreur, à savoir le fait que la mesure provisoire n’était visuellement indiquée que sur le dossier physique du requérant et que ni le requérant ni son conseil n’avaient mentionné la requête à l’examen et la demande de mesures lors de l’audience d’examen de sa détention le 30 juillet 2018. L’État partie a, depuis lors, pris des mesures correctives pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, notamment en centralisant la responsabilité de la saisie des demandes de mesures provisoires dans les bases de données, ainsi que de leur suivi et de leur réexamen, et en améliorant l’indication visuelle de ces demandes.

8.8Étant donné la teneur de la déclaration sous serment du requérant datée du 25 juillet 2018, en particulier le passage où il affirme que sa demande de statut de réfugié était mensongère, qu’il revient sur sa position antérieure et qu’il souhaite retourner en Inde dès que possible, et dans laquelle il ne mentionne pas qu’il y courrait un risque, l’État partie ne cherchera pas à faire revenir le requérant au Canada.

8.9Pour ce qui est de la recevabilité de la requête, l’État partie soutient que le requérant n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas, comme il aurait pu le faire, saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi, de la décision concernant sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire et de la décision de ne pas traiter sa demande de sursis administratif au renvoi. Étant donné qu’au Canada, le contrôle judiciaire sert à garantir la légalité et le caractère raisonnable et équitable du processus décisionnel et de ses résultats, ce contrôle constitue un recours utile qui était ouvert au requérant. Le contrôle judiciaire n’exige pas la tenue d’une audience pour constituer un recours efficace parce que le tribunal saisi n’est pas tenu de respecter la décision prise par l’agent administratif. L’approche adoptée par l’État partie est conforme à celle acceptée par la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs affaires.

8.10En outre, l’État partie réaffirme que la requête est irrecevable parce qu’elle est manifestement mal fondée. Les faits allégués par le requérant sont pour l’essentiel les mêmes que ceux avancés dans sa demande de statut de réfugié, demande que le requérant a reconnu être mensongère. Qui plus est, les griefs et les éléments de preuve ont déjà été examinés par plusieurs organes de décision internes compétents et impartiaux, qui ont tous jugé que les preuves avancées par le requérant ne permettaient pas de conclure que celui-ci courrait personnellement un risque réel et prévisible en cas de renvoi en Inde. La requête est dénuée de fondement pour les mêmes raisons.

8.11L’État partie estime de surcroît que la requête est également irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de soumettre une communication, étant donné que, dans sa déclaration sous serment du 25 juillet 2018, le requérant a admis que sa demande était mensongère.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-respect de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur

9.1Le Comité souligne que l’adoption de mesures provisoires de protection en application de l’article 114 de son règlement intérieur, conformément à l’article 22 de la Convention, est essentielle au rôle qui lui est confié en vertu de cet article. Le fait de ne pas respecter les mesures provisoires demandées par le Comité, en particulier par une action irréparable telle que l’expulsion d’une victime présumée, affaiblit la protection des droits consacrés par la Convention.

9.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il a expulsé le requérant par erreur, la mesure provisoire n’ayant pas été prise en compte par inadvertance. Il prend également note de l’indication de l’État partie selon laquelle ses autorités avaient, depuis lors, pris des mesures correctives pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

9.3Le Comité rappelle que le principe du non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention est absolu. Il fait observer que tout État partie qui fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des particuliers qui affirment être victimes d’une violation des dispositions de la Convention. En faisant cette déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au requérant. En ne respectant pas la demande de mesures provisoires qui lui a été transmise le 19 novembre 2013 et renouvelée à deux reprises, l’État partie a gravement manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, au motif que le requérant n’a pas saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi, de la décision concernant sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire et de la décision de ne pas traiter sa demande de sursis administratif au renvoi. Il note en outre que le requérant affirme que les recours susmentionnés ne sont d’aucun secours face à une menace de torture puisqu’ils sont conçus pour apprécier le degré d’établissement du demandeur au Canada et les difficultés qu’il est susceptible de rencontrer à son retour dans son pays d’origine.

10.3S’agissant de la possibilité de déposer une demande d’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision concernant la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle bien que le droit de bénéficier d’une assistance pour des raisons humanitaires puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance est accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base légale, et qu’elle est donc accordée à titre gracieux. Qui plus est, ce recours ne protège pas les demandeurs de l’expulsion. Le Comité conclut que le fait que le requérant n’a pas sollicité l’autorisation d’introduire une requête en contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire ne fait pas obstacle à la recevabilité de la requête.

10.4Quant au fait que le requérant n’a pas sollicité l’autorisation d’introduire une requête en contrôle juridictionnel de la décision concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi rendue le 23 mai 2018, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, sous réserve d’une autorisation, la Cour fédérale du Canada peut contrôler les décisions relatives à l’examen des risques avant renvoi. Il note en outre qu’un sursis judiciaire au renvoi peut être accordé dans l’attente de la décision définitive de la Cour. Se référant à sa jurisprudence sur la question, il fait remarquer que, selon le paragraphe 4 de l’article 18.1 de la loi sur les cours fédérales, le contrôle judiciaire d’une décision concernant l’examen des risques avant renvoi ne se limite pas aux erreurs de droit et simples vices de forme et que la Cour fédérale peut, lorsqu’il y a lieu, examiner le fond de l’affaire. Le Comité constate en outre que le requérant n’a pas avancé d’argument pour étayer son allégation selon laquelle le contrôle judiciaire d’une décision concernant l’examen des risques avant renvoi n’est pas un recours utile. Au lieu de cela, il s’est borné à dire qu’il s’agissait d’une procédure très coûteuse, que sa demande ne serait pas examinée en toute impartialité et qu’elle serait probablement rejetée. Le Comité rappelle que de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours interne ne dispensent pas le requérant de l’obligation de l’épuiser. En conséquence, le Comité estime que le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision concernant l’examen des risques avant renvoi.

10.5Le Comité estime donc que les recours internes n’ont pas été épuisés conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention. Compte tenu de cette constatation, il ne juge pas nécessaire d’examiner les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie.

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.