Nations Unies

CAT/C/68/D/863/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

3 janvier 2020

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 863/2018 * , **

Communication présentée par :

X (représentée par un conseil, Igna Oomen)

Victime(s) présumée(s) :

La requérante

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

12 janvier 2018 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en vertu de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 19 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

5 décembre 2019

Objet :

Expulsion vers la Côte d’Ivoire

Questions de procédure :

Recevabilité ; épuisement des recours internes

Questions de fond :

Risque pour la vie ou risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement) ; torture

Article(s) de la Convention :

3

1.1La requérante est X, de nationalité ivoirienne, née le 22 août 1975 et résidant actuellement aux Pays-Bas. Elle affirme que son expulsion vers la Côte d’Ivoire constituerait une violation par l’État partie des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 21 décembre 1988. La requérante est représentée par un conseil.

1.2Le 16 janvier 2018, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, le Comité a, en vertu de l’article 114 de son règlement intérieur, rejeté la demande de mesures provisoires par laquelle la requérante demandait que l’État partie s’abstienne de la renvoyer en Côte d’Ivoire et lui fournisse un logement convenable et des prestations médicales et sociales tant que sa requête serait à l’examen par le Comité.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante, qui est de confession musulmane, appartient à l’ethnie dioula. Elle a quatre enfants, dont un qui a été placé dans sa famille. Ses acquis scolaires sont très modestes, puisque sa scolarité s’est limitée à quelques années d’enseignement primaire, et elle n’a jamais eu d’emploi formel. Elle a été forcée d’épouser un homme très strict qui avait au moins quinze ans de plus qu’elle. Elle était femme au foyer et s’occupait des enfants du couple. La famille vivait dans une petite maison à Abidjan.

2.2Le mari de la requérante, qui était actif en politique, soutenait Alassane Ouattara. Il ne lui a jamais parlé de ses activités politiques, bien qu’il lui ait ordonné de l’aider à distribuer des tee-shirts pendant une campagne électorale.

2.3En décembre 2005, plusieurs hommes sont brusquement entrés chez la requérante et ont attaqué son mari, alors que la requérante et ses quatre jeunes enfants se trouvaient dans la pièce d’à côté. La requérante a fait sortir les enfants par une fenêtre ouverte et les a envoyés chez des voisins, avant de se cacher sous son lit. Elle a entendu les hommes frapper et interroger son mari dans la pièce voisine, et son mari hurler de douleur. En entendant le bruit d’un moteur dans le silence qui était retombé, elle a compris que son mari avait été enlevé. Les hommes restés dans la maison sont entrés dans la pièce où elle se cachait. Elle a vu qu’ils portaient des vêtements militaires et qu’ils étaient armés. Ils ont fouillé la pièce et cassé des objets qui lui appartenaient, et l’ont trouvée sous le lit.

2.4Les hommes ont arrêté la requérante, l’ont fait monter dans un camion et l’ont conduite jusqu’à une prison de Yopougon. Pendant le trajet, ils l’ont durement frappée dans le dos avec une batte chaque fois qu’elle essayait de bouger et de poser des questions.

2.5La requérante a été traînée dans une cellule de prison dans laquelle elle a été détenue pendant quatre ans. Elle n’a jamais été présentée à un juge. La cellule, qu’elle partageait avec deux autres détenues, ne mesurait que 2 mètres sur 3. La requérante n’avait ni lit ni matelas et dormait sur un tapis tissé posé à même le sol en béton. La cellule n’était jamais nettoyée et n’était pas dotée d’installations sanitaires. Une cellule pour hommes se trouvait de l’autre côté du couloir. Les détenus recevaient la même nourriture tous les jours, à savoir du riz avec une sauce salée, et n’avaient pas accès aux soins médicaux. La requérante n’a jamais été autorisée à sortir de sa cellule ni à recevoir des visiteurs ou du courrier.

2.6Au début de sa détention, la requérante était régulièrement interrogée au sujet des activités politiques de son mari. Lorsqu’elle résistait ou posait des questions (à propos de son arrestation et de son placement en détention par exemple), elle était frappée durement, parfois avec des objets. Elle recevait fréquemment des coups de pied et de poing sans raison, y compris sur la tête. Elle était régulièrement gravement blessée et contusionnée. Deux gardiens la violaient brutalement à tour de rôle, tant vaginalement qu’analement, l’un se livrant à ces actes tandis que l’autre la maintenait au sol. Cela se produisait approximativement trois fois par semaine durant la première phase de la détention de la requérante. Les interrogatoires ont cessé au bout d’un certain temps, mais les viols se sont poursuivis, à raison de quatre par mois environ. La requérante se sentait impuissante et désespérée. Elle ne parlait pas des violences qu’elle subissait à ses codétenues. Elle était très inquiète pour son mari et ses enfants et faisait des cauchemars et des crises de panique. Elle avait fréquemment des crises d’épilepsie, alors que cela ne lui était jamais arrivé avant son placement en détention.

2.7Le 7 août 2009, la requérante s’est échappée de prison avec l’aide d’un gardien. Celui-ci lui a donné des vêtements militaires et lui a dit de le suivre. Il l’a emmenée hors de la prison et lui a dit de s’enfuir. Elle a couru jusqu’à trouver la voiture dans laquelle une amie l’attendait. Cette amie lui a dit que ses enfants étaient en sécurité avec elle et lui a expliqué qu’elle avait fini par découvrir où elle était détenue et qu’elle avait soudoyé le gardien pour qu’il l’aide à s’échapper. L’amie l’a emmenée voir un passeur qui l’a aidée à quitter le pays le jour même. Alors qu’elle était chez le passeur, la requérante a fait une autre crise d’épilepsie. Le passeur s’est procuré de puissants médicaments pour qu’elle n’ait pas une autre crise pendant le voyage en avion.

2.8Le 9 août 2009, la requérante est arrivée aux Pays-Bas sans ses enfants et a été conduite chez un particulier. Le passeur a demandé à être payé mais la requérante n’avait pas d’argent. Le passeur l’a violée et lui a dit d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes pour gagner sa vie. La requérante s’est échappée le lendemain de son arrivée, alors que le passeur l’avait laissée seule. Elle a demandé de l’aide à un inconnu, qui l’a emmenée à la gare et l’a aidée à trouver le Centre de traitement des demandes d’asile de Ter Apel.

2.9Le 23 octobre 2009, la requérante a déposé une demande de permis de séjour temporaire au titre de l’asile aux Pays-Bas. À l’époque, en raison de la guerre civile en Côte d’Ivoire, tous les réfugiés ivoiriens recevaient un permis de séjour temporaire aux Pays-Bas. En conséquence, la demande d’asile de la requérante n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi. Lorsqu’elle a fait sa demande de permis de séjour temporaire, la requérante a été prise en charge par l’établissement médical du centre d’asile. Des médecins lui ont prescrit des antiépileptiques, que la requérante a pris en plus des médicaments que lui avait fournis le passeur.

2.10Aux Pays-Bas, les demandeurs d’asile sont généralement soumis à un examen médical pour déterminer s’ils sont aptes à entamer une procédure d’asile. Toutefois, cette pratique n’existait pas encore lorsque la requérante est arrivée dans le pays. Les 26 et 28 octobre 2009, les services de l’immigration ont interrogé la requérante. Au cours de ces entretiens, elle a raconté ce qu’elle avait vécu, mais n’a pas dit qu’elle avait été violée. Elle a également dit qu’elle prenait des antiépileptiques. Après les entretiens, dans une lettre datée du 29 décembre 2009, l’avocate de la requérante a informé les services de l’immigration que sa cliente avait été maltraitée et violée.

2.11Le 8 février 2010, le Service d’immigration et de naturalisation a remis à la requérante un permis de séjour temporaire au titre de l’asile, titre dont la durée de validité maximum est de cinq ans, au motif de la violence généralisée (guerre civile) qui régnait en Côte d’Ivoire. Le permis était valide d’août 2009 à août 2013. En 2013, la requérante avait pu renouer le contact avec ses enfants, qui vivaient au Mali. Elle a fait une demande de regroupement familial.

2.12Le 30 octobre 2013, le Service d’immigration et de naturalisation a rendu une décision annonçant qu’il prévoyait de retirer à la requérante son permis de séjour, car les circonstances sur la base desquelles le permis avait été délivré avaient changé. Dans sa décision, le Service précisait qu’il allait être mis un terme à la politique générale consistant à offrir une protection aux ressortissants ivoiriens, étant donné que la situation de violence généralisée dans le pays avait pris fin le 30 juin 2010. Il expliquait en outre que la requérante ne pouvait prétendre à un permis de séjour fondé sur les risques qu’elle courait personnellement. Son récit manquait de crédibilité parce qu’elle n’avait fourni aucun document d’identité ou de voyage et qu’elle était incapable de donner des précisions sur l’itinéraire suivi pour venir aux Pays-Bas. Le Service indiquait qu’en vertu de la « doctrine de persuasion positive », toute incohérence, imprécision ou contradiction dans le récit d’un demandeur donnait lieu à une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. Étant donné que les déclarations de la requérante sur ce qui lui était arrivé dans son pays d’origine étaient étonnantes, vagues, peu détaillées et incohérentes sur de nombreux points, l’intéressée a été jugée peu crédible.

2.13À une date non précisée, la requérante a fait appel de la décision de lui retirer son permis de séjour. Dans son appel, elle a déclaré qu’elle était soumise à un traitement médicamenteux très lourd pendant ses entretiens avec les services de l’immigration en octobre 2009, et que cela expliquait pourquoi elle avait été incapable de se rappeler des détails de son itinéraire ou de relater clairement ce qui lui était arrivé. Elle a également déclaré qu’elle avait été emprisonnée et torturée par le passé et a souligné qu’on lui avait diagnostiqué un trouble de stress post-traumatique chronique, pour lequel le traitement administré n’avait pas été efficace.

2.14Le 27 janvier 2014, la requérante, accompagnée de son avocate, a comparu lors d’une audience en appel devant le Service d’immigration et de naturalisation. Elle a informé le Service de ses problèmes médicaux antérieurs et actuels et a précisé qu’elle était disposée à subir un examen médical mais qu’elle ne voulait pas que le Service reporte sa décision la concernant. Elle souhaitait connaître la décision le plus tôt possible, étant donné qu’elle avait fait une demande de regroupement familial pour ses quatre enfants. Les agents du Service lui ont posé de nombreuses questions sur ce qu’elle avait vécu en Côte d’Ivoire, mais ses réponses étaient incohérentes. Elle a expliqué qu’elle avait très peur de retourner dans son pays à cause des violences horribles qu’elle y avait subies. Elle craignait de rencontrer à nouveau ses agresseurs, puisqu’ils n’avaient jamais été poursuivis ni condamnés pour le mal qu’ils lui avaient fait. Au cours de son audience, la requérante a été saisie de palpitations violentes et désagréables et a commencé à souffrir d’hyperventilation. Un agent chargé des urgences a été appelé pour l’examiner. L’audience a repris après une courte pause.

2.15Le 17 mars 2014, le Service d’immigration et de naturalisation a rejeté l’appel de la requérante et a décidé de lui retirer son permis de séjour temporaire au titre de l’asile. Dans sa décision, le Service a souligné que la requérante n’avait toujours pas présenté de document d’identité ou de voyage, que ses déclarations lors de l’audience n’étaient pas cohérentes avec celles qu’elle avait faites en 2009 à propos de ce qui lui était arrivé en Côte d’Ivoire, qu’il n’y avait pas de certificat médical qui viendrait étayer ses allégations selon lesquelles les incohérences dans son récit étaient dues à des problèmes de santé physique et mentale et que ses allégations d’emprisonnement, de torture et de viol n’étaient pas crédibles.

2.16Le 14 avril 2014, la requérante a saisi le tribunal de district de La Haye d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par le Service d’immigration et de naturalisation. L’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale a procédé à un examen médical de la requérante et a soumis son rapport au tribunal de district. Dans ce rapport, il indique que l’état psychologique de la requérante était caractéristique du type de traumatisme subi et que ses blessures cadraient avec la nature des violences infligées. L’Institut a aussi souligné qu’on ne pouvait attendre de la requérante qu’elle raconte dans le détail et avec cohérence tout ce qu’elle avait vécu.

2.17Le 8 janvier 2016, le tribunal de district a déclaré que la demande de contrôle judiciaire déposée par la requérante était fondée. Dans sa décision, il a fait référence aux conclusions de l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale, selon lesquelles les symptômes psychologiques de la requérante étaient caractéristiques du type de traumatisme qu’elle avait vécu. Il a estimé que le rapport de l’Institut constituait un avis d’expert sur la question et que le Service d’immigration et de naturalisation n’avait pas accordé assez d’importance à la situation médicale de la requérante et à son incidence sur les déclarations de celle-ci.

2.18Le 12 février 2016, le Ministre de l’immigration a fait appel de la décision du tribunal de district devant la chambre administrative du Conseil d’État. Le 21 septembre 2016, la chambre administrative a autorisé l’appel du Ministre, considérant que les dires de la requérante manquaient de « persuasion positive » puisqu’ils étaient incohérents avec le fond de son récit et avec certains détails. La chambre a annulé la décision du tribunal de district et a déclaré infondée la demande de contrôle judiciaire déposée par la requérante.

2.19Dans le cadre d’une procédure parallèle distincte, le 23 octobre 2014, la requérante a demandé au Service d’immigration et de naturalisation de prolonger son permis de séjour, arguant qu’elle avait des raisons impérieuses d’être autorisée à rester aux Pays-Bas et qu’elle avait trop souffert pour retourner dans le pays dans lequel elle avait été violentée et torturée pendant une période prolongée. La législation nationale prévoit qu’un permis de séjour peut être délivré si des raisons impérieuses sont avancées. Toutefois, le 21 octobre 2016, le Service a rejeté la demande de la requérante au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions imposées par la loi pour le renouvellement de son titre de séjour. Le 16 juin 2017, le tribunal de district de La Haye a rejeté la demande de contrôle judiciaire que la requérante avait déposée concernant la décision du Service. Il a estimé qu’au cours de la procédure devant les juridictions inférieures, la requérante aurait dû faire valoir l’argument selon lequel le refus de prestations sociales constituait un traitement cruel et inhumain. Le 6 juillet 2017, la requérante a fait appel de la décision du tribunal de district devant la Chambre administrative. Celle-ci a rejeté le recours le 21 juillet 2017 sans motiver sa décision.

2.20La requérante affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes et qu’elle n’a pas soumis la même question à une autre instance internationale pour examen.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que l’État partie violerait les droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention en la renvoyant en Côte d’Ivoire, où elle a subi de graves traumatismes, des actes de torture et des traitements cruels et inhumains. Des agents de l’État l’ont arbitrairement arrêtée, ont fait un usage excessif de la force lorsqu’ils l’ont conduite en prison, l’ont arbitrairement emprisonnée, l’ont forcée à endurer des conditions de détention inhumaines pendant quatre ans et l’ont violée à de nombreuses reprises pendant son incarcération. La requérante est traumatisée à la simple idée de retourner dans son pays d’origine.

3.2En outre, la requérante craint d’être à nouveau violée si elle est renvoyée en Côte d’Ivoire. Elle pourrait rencontrer les individus qui l’avaient agressée et, bien qu’une telle rencontre ne soit pas prévisible, la peur de devoir les affronter est accablante. Des lieux, des situations ou des odeurs aussi pourraient la traumatiser à nouveau.

3.3En Côte d’Ivoire, la violence sexuelle fait rarement l’objet de poursuites et de sanctions. Lorsque des poursuites pour viol sont engagées, les auteurs sont généralement accusés du chef moins grave d’agression sexuelle. Les violations des droits de l’homme commises avant ou pendant la guerre civile n’ont, pour ainsi dire, donné lieu à aucun jugement et à aucune condamnation, à l’exception des violences qui ont suivi les élections en 2010 et en 2011. Étant donné les problèmes de santé physique et mentale dont souffre la requérante à cause des violences qu’elle a subies, il ne serait ni raisonnable ni humain d’attendre d’elle qu’elle demande la protection des autorités ivoiriennes.

3.4La requérante réside illégalement aux Pays-Bas, est sans emploi et n’a ni domicile, ni revenu, ni assurance maladie. Traitements d’urgence mis à part, elle ne peut pas bénéficier des soins de santé. Elle a besoin d’un endroit sûr où vivre, d’une prise en charge médicale adaptée et d’une situation stable. Elle devrait être libérée de la crainte constante d’être renvoyée en Côte d’Ivoire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des observations en date du 19 septembre 2018, l’État partie ne conteste pas la recevabilité du grief formulé par la requérante au titre de l’article 3 de la Convention. Il considère que si les griefs de la requérante soulèvent des questions au regard de l’article 16 de la Convention, ces griefs ne sont pas recevables, parce que non étayés et parce que la requérante n’a pas épuisé tous les recours internes. En ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle elle ne peut pas retourner en Côte d’Ivoire à cause de son état de santé, il fait observer que la requérante n’a jamais demandé l’application de l’article 64 de la loi de 2000 sur les étrangers. Lorsque ce type de demande est déposé, les autorités évaluent si le ressortissant étranger est médicalement apte à voyager ou s’il existe un risque réel que les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) soient violés du fait de son état de santé.

4.2La communication est dénuée de fondement. Au cours de la procédure d’asile concernant la requérante, il a été dûment tenu compte de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La requérante a eu la possibilité de prouver la véracité de son récit par des déclarations orales, étant donné qu’elle n’a pas été en mesure de fournir des documents à cette fin. Pendant la procédure, elle a été interrogée plusieurs fois, avec l’assistance d’un interprète. Elle a notamment été interrogée sur les faits et circonstances entourant son départ de Côte d’Ivoire. Un conseil juridique et un membre du personnel du Conseil néerlandais pour les réfugiés étaient présents pendant ces entretiens. La requérante a également eu la possibilité de proposer des corrections et des ajouts aux comptes rendus de ces entretiens, et de répondre aux notifications de l’intention des autorités de rejeter les demandes d’asile. Assortie des garanties nécessaires, la procédure d’asile offrait donc à la requérante suffisamment de possibilités de prouver la véracité de ses dires de manière satisfaisante. Le tribunal de district et la Chambre administrative ont soigneusement examiné ses requêtes.

4.3Bien que la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire soit source de préoccupations, elle ne permet pas d’établir que dans ce pays la requérante courrait personnellement et actuellement le risque d’être victime de violences. De surcroît, la situation s’y est considérablement améliorée depuis que la requérante est partie en 2009. À l’époque, Laurent Gbagbo était au pouvoir. En 2011, il a été arrêté et transféré à la Cour pénale internationale à La Haye. Toujours en 2011, M. Ouattara est devenu Président de la Côte d’Ivoire, fonction qu’il exerce encore aujourd’hui. Si la requérante affirme avoir eu des problèmes en raison des activités menées par son mari au nom du parti de M. Ouattara, il ne serait donc pas logique qu’elle rencontre à nouveau de tels problèmes si elle retournait dans son pays.

4.4Le récit de la requérante n’est pas crédible. Elle n’a présenté aucun document permettant d’établir sa nationalité, son identité ou son itinéraire, ou de prouver la véracité de son récit. Elle n’a pas donné d’informations détaillées, cohérentes et vérifiables sur l’itinéraire emprunté. Ainsi, elle n’a précisé ni la compagnie aérienne qui effectuait le vol au départ de la Côte d’Ivoire, ni l’aéroport et le pays dans lesquels elle était arrivée. Il est raisonnable d’attendre d’elle qu’elle soit en mesure de communiquer ces renseignements de base. En outre, elle a fourni des informations étranges, vagues, sommaires et contradictoires sur bon nombre des points fondamentaux de son récit. Ainsi, pendant son deuxième entretien, le 28 octobre 2009, la requérante n’a pu fournir aucun renseignement sur le parti que soutenait son mari, ni sur les activités qu’il menait pour ce parti, à l’exception du fait qu’il organisait des réunions et distribuait des tee-shirts. Elle ne savait pas si le parti en question était interdit ou non. Il est raisonnable de s’attendre à ce que la requérante soit en mesure de communiquer des informations plus précises sur le parti et les activités de son mari pour celui-ci, d’autant plus qu’ils étaient mariés depuis longtemps et qu’elle avait aidé son mari à distribuer des tee-shirts à plusieurs reprises lors de réunions.

4.5Les déclarations que la requérante a faites à l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale et au Comité sont en contradiction avec ce qu’elle a déclaré au Service d’immigration et de naturalisation. La requérante a dit au Service que les soldats qui avaient fouillé sa maison ne l’avaient pas trouvée et qu’elle était restée chez des voisins après la fouille. Elle a ajouté qu’elle était retournée chez elle deux jours plus tard pour récupérer des affaires pour ses enfants et que c’est à ce moment-là que les soldats l’avaient arrêtée. Elle n’a donné aucune explication concernant ses déclarations contradictoires, qui concernent l’un des points fondamentaux de son récit.

4.6La requérante a également fourni des informations sommaires, contradictoires et invraisemblables concernant sa détention et son évasion. Elle n’a par exemple pas été capable de décrire la prison dans laquelle elle prétend avoir été détenue pendant près de quatre ans. Elle n’a pas non plus été en mesure de dire pour quelles infractions ses codétenues, avec qui elle a été emprisonnée pendant plusieurs années, étaient incarcérées. Elle n’a pas pu dire si les gardiens de la prison étaient armés. Elle n’a donné que peu d’informations sur la manière dont son amie avait organisé son évasion. Étant donné que la requérante est restée en contact avec son amie, il est difficile de comprendre pourquoi elle ne lui a pas posé de questions à ce sujet. Qui plus est, il est invraisemblable qu’un gardien soit disposé à prendre des risques considérables pour aider la requérante à s’enfuir, d’autant plus que celle-ci était emprisonnée depuis près de quatre ans. Compte tenu des incohérences et des lacunes de son récit, on ne peut tenir pour établi que la requérante a été victime de viols. La requérante n’a fait état d’aucune circonstance qui viendrait étayer la conclusion selon laquelle elle courrait personnellement le risque de subir un tel traitement si elle retournait en Côte d’Ivoire.

4.7Le rapport de l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale ne confère aucune crédibilité au récit de la requérante. Au cours des procédures de demande d’asile, le Service d’immigration et de naturalisation a souvent affaire à des demandeurs d’asile présentant des problèmes psychologiques ou d’autres problèmes d’ordre médical. Lorsqu’il s’est prononcé sur le cas de la requérante, il s’est fondé sur l’Instruction de travail no 2008/6, qui a été établie pour fournir au Service les informations les plus pertinentes sur la manière d’interagir avec les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Cette Instruction de travail a été élaborée en consultation avec le Conseil néerlandais pour les réfugiés, le Conseil d’aide juridique, Pharos (le centre consultatif national spécialisé dans les questions de santé concernant les réfugiés, les demandeurs d’asile et les autres nouveaux arrivants), l’Agence centrale pour l’accueil des demandeurs d’asile et le centre de signalement des demandeurs d’asile présentant des problèmes psychologiques.

4.8L’Instruction de travail énonçait, tout comme la politique en vigueur au moment des faits, que selon leur état de santé mentale et compte tenu des effets d’un éventuel syndrome de stress post-traumatique, il était possible que les demandeurs d’asile ne soient pas toujours en mesure de faire des déclarations cohérentes. Lorsque la requérante a été interrogée et qu’une décision a été prise concernant sa demande d’asile, les membres du personnel du Service d’immigration et de naturalisation étaient au courant de cette possibilité et disposaient des outils nécessaires pour les aider à faire face à de telles situations.

4.9La requérante n’a présenté aucun document médical ou avis indiquant qu’elle n’était pas apte à être interrogée avant ses premier et deuxième entretiens des 26 et 28 octobre 2009. Au cours de son premier entretien, elle n’a pas déclaré qu’elle n’était pas apte à être interrogée, et le membre du personnel du Conseil néerlandais pour les réfugiés qui était présent pendant l’entrevue n’a rien mentionné de tel. Lors de cet entretien, la requérante a simplement dit qu’elle perdait parfois connaissance (en raison de crises d’épilepsie). Elle n’a fait état d’aucun problème médical ou autre qu’il l’empêcherait d’être interrogée. Avant le deuxième entretien, on lui a expressément demandé s’il existait des raisons médicales qui empêchaient la tenue de l’entretien. Elle a répondu par la négative et a déclaré qu’elle était en mesure de passer l’entretien et que si une question posait problème ou qu’elle avait besoin d’une pause, elle le dirait. Une pause a été faite pendant l’entretien. À l’issue de celui-ci, la requérante a déclaré qu’elle était satisfaite de la manière dont il s’était déroulé. Le compte rendu de l’entretien ne mentionne aucun événement qui aurait pu amener le personnel du Service d’immigration et de naturalisation à conclure que la requérante n’était pas capable de donner des informations cohérentes et détaillées pendant l’entretien. En outre, étant donné que la requérante n’a pas demandé au Service d’ordonner un examen médical, il n’y avait aucune raison d’engager un tel processus pendant la première procédure. De surcroît, la décision d’accéder à la demande de protection de la requérante était fondée sur la protection automatiquement offerte à l’époque aux ressortissants de la Côte d’Ivoire. C’est sur cette base que la requérante a obtenu un permis de séjour.

4.10Ce n’est qu’en décembre 2013, après qu’elle eut été informée de l’intention des autorités d’annuler son permis de séjour, que la requérante a déclaré qu’elle n’avait pas été apte à être interrogée. Elle a soumis une copie de son dossier médical, dans lequel il était indiqué qu’elle souffrait de crises d’épilepsie et de troubles liés au stress. Il ressortait aussi du dossier médical qu’elle avait dit au service médical du centre pour demandeurs d’asile qu’elle avait été traumatisée.

4.11Le 27 janvier 2014, la requérante a eu un troisième entretien, cette fois lié à l’intention annoncée d’annuler son permis de séjour. Au cours de l’entretien, elle était très troublée et a dit qu’elle avait mal à la tête et des vertiges. Elle était aussi essoufflée et se tenait la tête. Après consultation de la requérante et de son représentant autorisé, l’entretien s’est poursuivi. Le 11 septembre 2014, la requérante a présenté le rapport établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale selon lequel elle souffrait d’un syndrome de stress post‑traumatique et de dépression. Même si ce rapport pourrait expliquer pourquoi la requérante n’a pas été en mesure de donner des informations cohérentes concernant certains détails de son récit pendant le deuxième entretien d’octobre 2009, il n’explique pas pourquoi elle a fourni des renseignements étranges, vagues, sommaires et contradictoires sur des points fondamentaux de son récit. L’État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans M. O. c .  Danemark, selon lesquelles il n’y avait aucune raison, à la lumière des preuves médicales concordantes, de supposer que les déclarations du requérant étaient vraies ou de conclure que le Danemark avait eu tort de ne pas enquêter plus avant. En l’espèce, il n’y avait pas de raison de procéder à un autre examen médical ou à une autre enquête, ni lors de l’examen de la demande d’asile de la requérante (puisqu’il n’était pas question de la renvoyer dans son pays d’origine à ce moment-là), ni lorsque son permis de séjour a été annulé (puisqu’à cette époque, la situation politique s’était considérablement améliorée dans son pays d’origine).

4.12Selon l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale, la cicatrice sur l’épaule de la requérante est compatible avec une blessure à l’arme blanche. Selon le paragraphe 187 du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), cette qualification signifie que nombre d’autres causes pourraient être à l’origine de la cicatrice. La lésion sur son avant-bras gauche, qui aurait été causée par les coups violents portés par les gardiens de la prison, pourrait aussi être une marque de naissance ou pourrait avoir été causée par des égratignures ou des contusions profondes. Le rapport fait aussi état de varices, qui peuvent avoir plusieurs causes non traumatiques. La petite zone décolorée et atrophiée sur le mollet droit, décrite par la requérante comme une plaie ouverte résultant des mauvais traitements subis pendant sa détention, est compatible avec une coupure cicatrisée ou une déchirure qui se serait refermée sans suture. Il n’est donc pas possible d’écarter les causes autres que la maltraitance. Le prolapsus vaginal décrit dans le rapport est récent et il est donc peu probable qu’il y ait un lien de causalité clair avec les violences sexuelles que la requérante prétend avoir subies. Étant donné que ses cicatrices pourraient avoir plusieurs autres causes et que la lésion sur son bras gauche et les varices avaient probablement une autre origine, on ne peut conclure que ces marques résultent des mauvais traitements qui lui auraient été infligés pendant sa détention. Les crises d’épilepsie pourraient elles aussi avoir d’autres causes. Les cicatrices et symptômes de la requérante ne constituent donc pas des preuves suffisantes pour étayer ses allégations de torture. En outre, l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale a fondé ses conclusions sur les déclarations de la requérante, en supposant qu’elles étaient vraies. Il arrive que des ressortissants étrangers fassent de fausses déclarations à l’Institut pour améliorer leur situation. L’État partie n’était pas tenu de procéder à un examen médical pour les raisons suivantes : a) un examen plus approfondi des cicatrices de la requérante n’aurait été d’aucune utilité, car il aurait abouti à la conclusion que les cicatrices pourraient avoir d’autres causes que celles avancées par la requérante ; b) la requérante n’a pas demandé, au début de la procédure, qu’un examen médical soit réalisé ; c) la situation en Côte d’Ivoire a changé et la requérante ne devrait pas craindre d’être victime de mauvais traitements si elle y retournait.

Commentaires de la requérante sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans des commentaires en date du 21 novembre 2018, la requérante répète ses arguments et souligne que dans le cadre des procédures internes, les autorités de l’État partie n’ont jamais contesté le contenu du rapport de l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale. Le Conseil d’État a fondé son appréciation sur la conclusion selon laquelle le récit de la requérante manquait totalement de crédibilité. La tentative de l’État partie de discréditer les conclusions de l’Institut en affirmant que les incohérences des déclarations de la requérante ne concernent pas de simples détails mais « les points fondamentaux » de son récit constitue un débat théorique.

5.2Jusqu’en 2010, la loi néerlandaise relative aux étrangers disposait qu’un permis de séjour temporaire au titre de l’asile pouvait être délivré pour des raisons humanitaires impérieuses liées aux motifs ayant conduit à quitter le pays d’origine. Le 1er janvier 2014, ce principe a été supprimé car la disposition était rarement appliquée (elle ne concernait que 4 % des permis de séjour au titre de l’asile). Les victimes de torture ou de traitements cruels peuvent bénéficier d’une protection internationale au titre de l’article 29 de la loi révisée, qui offre une protection aux ressortissants étrangers qui ont vécu des situations traumatisantes dans leur pays d’origine. Cet article se fonde sur le raisonnement selon lequel les ressortissants étrangers ne devraient pas avoir à faire face aux personnes qui ont violé leurs droits de l’homme en toute impunité. La requérante devrait bénéficier d’une protection internationale au titre de cette disposition. Les autorités de l’État partie étaient au courant de ses craintes, mais elles ont refusé de lui accorder une protection. La peur et l’angoisse que ressent la requérante à l’idée de quitter les Pays-Bas aggravent ses problèmes de santé mentale existants, qui découlent des actes de torture dont elle a été victime. En conséquence, le fait que l’État partie insiste pour que la requérante quitte le territoire néerlandais constitue une violation de l’article 3 de la Convention.

5.3La requérante réaffirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Concernant l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait pu demander un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au titre de l’article 64 de la loi de 2000 sur les étrangers, elle affirme qu’elle ne remplit pas les conditions requises. L’article 64 exige qu’une urgence médicale soit susceptible de se déclarer dans les trois mois suivant l’expulsion. Les problèmes psychologiques graves, les angoisses et l’affliction ne seraient pas pris en considération dans cette appréciation. Cependant, la requérante est suivie par un psychologue et un psychiatre pour son trouble de stress post-traumatique.

5.4La situation des droits de l’homme s’est certes améliorée en Côte d’Ivoire, mais les auteurs des violations des droits de l’homme commises par le passé n’ont pas été punis. Bien que l’État partie affirme que la requérante n’a présenté aucun document d’identité ou de voyage, les autorités de l’État partie semblent avoir accepté qu’elle était ivoirienne, puisqu’elles lui ont accordé un permis de séjour temporaire sur la base de sa nationalité. On ne peut attendre d’une victime de torture que ses déclarations soient cohérentes et on ne saurait lui reprocher les incohérences dues à des traumatismes et à des problèmes de santé mentale.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans des observations complémentaires datées du 22 janvier 2019, l’État partie répète son argument relatif au non-épuisement des recours internes s’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle elle ne peut pas retourner en Côte d’Ivoire en raison de son état de santé. L’article 64 de la loi de 2000 sur les étrangers autorise le non‑renvoi dans des cas particuliers dans lesquels il est déconseillé aux personnes concernées de voyager en raison des effets sur leur santé des traumatismes vécus. Ce recours n’est donc pas inutile comme le prétend la requérante.

6.2L’État partie réaffirme qu’à aucun des différents stades des procédures internes il n’était nécessaire de procéder à un examen médical. En outre, pendant l’entretien du 27 janvier 2014 et dans sa lettre datée du 13 février 2014, la requérante a expressément déclaré qu’elle voulait que les autorités prennent dès que possible une décision sur le retrait de son permis de séjour, sans attendre que l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale rende son rapport. L’État partie juge étonnant que la requérante reproche à présent aux autorités de ne pas avoir attendu le rapport de l’Institut pour décider de lui retirer son permis de séjour. Il réaffirme également ses arguments au sujet de la teneur du rapport et des informations contradictoires données par la requérante concernant les points fondamentaux de son récit.

6.3Un renvoi ne peut constituer en soi un traitement cruel, inhumain ou dégradant que dans des circonstances très exceptionnelles. La requérante n’a pas démontré qu’elle se trouvait dans de telles circonstances. La requérante elle-même a dit qu’aucune urgence médicale n’était susceptible de se déclarer dans les trois mois suivant son renvoi. En outre, les informations qu’elle a fournies ne permettent pas de conclure qu’il n’existe pas de traitement adapté dans son pays d’origine.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité du grief que la requérante tire de l’article 3 de la Convention. L’État partie conteste la recevabilité de tout grief tiré de l’article 16 de la Convention, mais le Comité note que la requérante n’a pas invoqué cette disposition. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare donc la requête recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion de la requérante vers la Côte d’Ivoire constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si la personne courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture dans le pays où elle serait renvoyée. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), sur l’application de l’article3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non‑refoulement existe chaque fois qu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé risquerait d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Il rappelle en outre que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique et l’appartenance religieuse du requérant ; b) les actes de torture subis antérieurement ; c) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; d) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ; e) l’arrestation ou la mise en détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; f) les violations du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; g) la fuite clandestine du pays d’origine suite à des menaces de torture (par. 45).

8.5Le Comité rappelle également que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le danger d’être personnellement soumis à la torture est prévisible, actuel et réel (par. 38). Toutefois, lorsque le requérant n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas la possibilité d’obtenir des documents venant étayer ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de liberté, la charge de la preuve est inversée et il appartient à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

8.6Aux fins de l’appréciation du risque de torture en l’espèce, le Comité note que la requérante affirme qu’elle a été arrêtée en 2005 et que des gardiens de prison l’ont violée plusieurs fois par mois pendant sa détention en Côte d’Ivoire, entre 2005 et 2009. Il note en outre qu’elle craint d’être à nouveau violée si elle est renvoyée dans son pays et qu’elle est traumatisée à la simple idée d’y retourner. Le Comité prend note de ses allégations selon lesquelles le fait de rencontrer ses violeurs, de se retrouver dans certains lieux ou certaines situations ou de sentir certaines odeurs pourrait la traumatiser à nouveau. Il note enfin que la requérante affirme que, dans son pays, les auteurs de violences sexuelles sont rarement punis.

8.7Le Comité constate que les autorités de l’État partie ont estimé que la requérante n’était pas crédible car elle avait fourni des informations incohérentes et vagues à propos de points fondamentaux de son récit. Le Comité note que l’État partie a fait observer que, pendant les procédures liées à l’asile, la requérante, qui était représentée par un conseil, n’a pas demandé au Service d’immigration et de naturalisation d’ordonner un examen médical. Il note également que l’État partie considère que le rapport rendu par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale ne prouve pas que la requérante a été soumise à la torture, car les cicatrices qui y sont décrites pourraient avoir d’autres causes.

8.8La Comité rappelle qu’il doit déterminer si la requérante courrait actuellement le risque d’être soumise à la torture en Côte d’Ivoire. Il relève que la requérante avait la possibilité de fournir aux autorités nationales des informations supplémentaires et des éléments de preuve à l’appui de sa requête, et que les autorités ont examiné ses déclarations orales en l’absence de document établissant sa nationalité, son identité ou l’itinéraire suivi. Il note aussi que les incohérences et lacunes de ces déclarations orales ont conduit les autorités néerlandaises à la conclusion que la requérante n’avait pas prouvé qu’elle courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Côte d’Ivoire. Le Comité note en particulier que la requérante a initialement dit aux services de l’immigration de l’État partie qu’elle avait fui le domicile familial avec ses enfants lors de l’arrestation de son mari et qu’elle était restée chez des voisins pendant deux jours. Elle a déclaré qu’elle avait été arrêtée après, lorsqu’elle était retournée chez elle pour récupérer des affaires pour ses enfants. En revanche, dans sa communication au Comité, elle a dit qu’elle se cachait sous le lit dans la pièce voisine lorsque son mari avait été arrêté chez eux, et qu’elle avait été découverte et arrêtée dès que son mari avait été emmené. Le Comité constate également qu’une fois devant les autorités nationales, la requérante n’a pas été en mesure de décrire de manière appropriée la prison dans laquelle elle aurait été détenue pendant quatre ans, ne savait pas si les gardiens étaient armés et n’a pas pu expliquer comment son amie savait où elle était détenue et avait réussi à organiser son évasion. Le Comité rappelle que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de torture soit parfaitement exact et fait observer que la requérante a fourni des documents indiquant qu’elle souffrait d’un trouble de stress post-traumatique et de dépression en 2014. Cependant, tout en faisant observer que l’état de santé mentale de la requérante peut être à l’origine de certaines des contradictions et insuffisances de son récit aux autorités chargées des demandes d’asile, le Comité estime qu’il ne permet pas d’expliquer de manière satisfaisante les lacunes et incohérences susmentionnées, qui concernent des points fondamentaux de son récit.

8.9En outre, tenant compte du rapport dans lequel l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale a affirmé que les cicatrices de la requérante étaient compatibles avec le récit qu’elle avait fait, le Comité fait observer que, même s’il faisait abstraction des incohérences du récit de la requérante concernant ce qu’elle a vécu en Côte d’Ivoire et considérait ses déclarations comme véridiques, la requérante n’a fourni aucune information crédible qui porterait à croire que les autorités ivoiriennes s’intéresseraient à elle à l’heure actuelle. À cet égard, le Comité constate que la requérante affirme avoir été arbitrairement arrêtée en 2005 en raison de l’affiliation de son mari au parti de M. Ouattara, qui est Président de la Côte d’Ivoire depuis 2010. Les informations portées à la connaissance du Comité ne laissent pas supposer que neuf ans après les faits allégués, la requérante risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans son pays d’origine.

8.10S’agissant des allégations de la requérante selon lesquelles elle ne devrait pas être renvoyée dans son pays d’origine en raison du grand nombre d’actes de violence sexuelle qui y sont commis, le Comité est gravement préoccupé par les informations selon lesquelles le viol reste souvent impuni en Côte d’Ivoire. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence, dans laquelle il a établi que tout viol commis par des agents de l’État constitue un acte de torture. Il fait toutefois observer que, même si des événements passés peuvent avoir leur importance, la principale question dont il est saisi est celle de savoir si la requérante courrait actuellement un risque d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Côte d’Ivoire. Il estime que la fréquence des cas de violence sexuelle en Côte d’Ivoire n’est pas telle qu’il soit établi que la requérante courrait personnellement le risque d’être victime de violence sexuelle si elle y était renvoyée aujourd’hui.

8.11Le Comité rappelle également que la charge de la preuve incombe au requérant ou à la requérante, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon circonstanciée qu’il ou elle court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis(e) à la torture, sauf s’il ou elle se trouve dans une situation dans laquelle il ou elle n’est pas en mesure de donner des précisions. Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles la requérante a donné des informations vagues, sommaires et contradictoires au sujet d’éléments clefs de son récit. Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par la requérante et l’État partie, y compris sur la situation générale des droits de l’homme en Côte d’Ivoire, le Comité considère que la requérante n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour qu’il puisse conclure que si elle était renvoyée en Côte d’Ivoire, elle serait personnellement exposée à un risque prévisible, actuel et réel d’être soumise à la torture au sens de l’article 3 de la Convention. En outre, la requérante n’a pas établi que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités de l’État partie ne satisfaisait pas aux critères prévus par la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que le renvoi de la requérante en Côte d’Ivoire par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.