Nations Unies

CAT/C/68/D/718/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22, concernant la communication no 718/2015 * , **

Communication présentée par :

S. P. (représenté par Companion House)

Victime(s) présumée(s) :

S. P.

État partie :

Australie

Date de la requête :

18 novembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en vertu des articles114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée àl’État partie le 2décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 novembre 2019

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure:

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est S.P., ressortissant sri-lankais né en 1985. Sa demande d’asile en Australie a été rejetée et il était menacé d’expulsion forcée vers Sri Lanka. Il affirme que, si l’Australie procédait à son expulsion, elle violerait les obligations qui lui incombent au titre de l’article 3 de la Convention. L’Australie a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 2 décembre 2015, conformément à l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. Le 19 décembre 2016, le Comité a accédé à la demande de levée des mesures provisoires présentée par l’État partie. En août 2017, l’État partie a expulsé le requérant vers Sri Lanka.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, ressortissant sri-lankais d’origine tamoule, est né dans le district de Jaffna, dans la province du nord de Sri Lanka. De mai à octobre 2009, il a vécu dans le camp de réfugiés Seven Four dans la ville de Vavuniya (Sri Lanka) avec ses parents et ses frères aînés et cadets. Il soutient que son frère aîné a travaillé de 1998 à 2008 comme mécanicien dans un atelier situé près de Killinochchi et appartenant à un membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (Tigres tamouls). Peu après l’arrivée de la famille du requérant au camp de réfugiés, celui‑ci et son frère aîné, ainsi que d’autres jeunes hommes, ont été interrogés par des officiers de l’armée sri‑lankaise sur leurs éventuels liens avec les Tigres tamouls. Ils ont été soumis à des fouilles corporelles, les militaires cherchant à trouver des traces de blessures à titre de preuves.

2.2En août 2009, les officiers sont revenus au camp de réfugiés pour arrêter le frère aîné du requérant. L’intéressé affirme que son frère aîné était soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres tamouls en raison de l’emploi qu’il avait occupé et qu’il a été arrêté dans le camp de réfugiés et emmené dans un lieu indéterminé, où il a été détenu par les autorités pendant quatorze mois, période pendant laquelle il a été soumis à la torture.

2.3Craignant que le requérant ne soit également arrêté par l’armée, ses parents ont versé un pot-de-vin au groupe paramilitaire Karuna pour obtenir que leur fils quitte le camp de réfugiés pour ensuite l’envoyer à l’étranger. Avec l’aide du groupe paramilitaire Karuna, l’intéressé a obtenu un passeport et un visa touristique pour la Malaisie et a réussi à quitter le camp de réfugiés. Le 30 octobre 2009, il a fui Sri Lanka pour la Thaïlande. Il est resté quelques jours à Bangkok avant de se rendre en Malaisie, où il a vécu jusqu’en mars 2011, et d’où il est parti pour l’Indonésie, dernier pays de transit avant d’arriver en Australie.

2.4Le 1er décembre 2011, le requérant est arrivé par bateau sur l’île Christmas, en Australie. Le 4 février 2012, il a déposé une demande de visa de protection, qui a été rejetée le 29 février 2012 par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté. Ultérieurement, son dossier a été examiné dans le cadre d’une évaluation indépendante des besoins de protection. Le 11 octobre 2012, le requérant a été informé par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté qu’il était considéré comme ne remplissant pas les critères requis pour obtenir un visa de protection. L’agent concerné a accepté comme un fait établi que, comme l’avait déclaré le requérant, le frère de celui-ci avait travaillé dans un atelier ayant des liens avec les Tigres tamouls. Il a également été admis qu’en août 2009, le frère du requérant avait été arrêté et détenu par les autorités pendant quatorze mois en raison de l’emploi qu’il avait occupé. Il a aussi été jugé plausible que le requérant ait fui Sri Lanka en raison de sa crainte subjective d’être persécuté dans son pays d’origine du fait des opinions politiques qu’on lui prêtait eu égard à ses liens avec les Tigres tamouls. Les craintes du requérant étaient liées à la situation de son frère, à son appartenance à l’ethnie tamoule et au fait qu’il était originaire de la province du nord de Sri Lanka. Toutefois, l’agent a estimé que si les autorités avaient eu de véritables inquiétudes concernent le requérant au moment de l’arrestation de son frère aîné ou peu après, elles l’auraient également arrêté, et le requérant n’aurait pas pu obtenir un passeport et quitter Sri Lanka sans problème. Par conséquent, l’agent a conclu que les faits allégués n’étaient pas suffisants pour amener les autorités à s’intéresser au requérant. Compte tenu également des renseignements dont il disposait sur le pays, l’agent a conclu que le requérant ne serait pas pris pour cible en raison de son origine tamoule ou en tant que partisan présumé des Tigres tamouls. De même, rien ne portait à croire qu’en tant que demandeur d’asile débouté, le requérant serait exposé au risque d’être soumis à la torture à son retour.

2.5Par la suite, le requérant a saisi le tribunal de circuit fédéral d’Australie d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision du 11 octobre 2012. Le 13 décembre 2013, celui‑ci a rejeté la demande.

2.6Étant donné que le requérant ignorait qu’il disposait d’un délai de vingt et un jours pour faire appel de la décision du tribunal de circuit fédéral devant la Cour fédérale d’Australie, il a choisi une autre voie de droit et demandé au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières d’exercer son pouvoir de lui accorder un visa de protection, demande qui a été rejetée le 19 juin 2014.

2.7Par la suite, le requérant a décidé de demander une prorogation de délai pour faire appel de la décision du tribunal de circuit fédéral, ce qui lui a été partiellement accordé. Le 22 octobre 2015, son appel devant la Cour fédérale a été rejeté. Le requérant a ensuite demandé à son conseil un avis juridique sur ses chances d’obtenir de la Haute Cour d’Australie une autorisation spéciale de former recours, et a été informé que celles‑ci étaient minces. Il soutient par conséquent qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait placé en détention, tué et/ou soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les autorités sri-lankaises. En particulier, il allègue qu’en tant que jeune homme tamoul originaire du district de Jaffna, dont les parents ont versé des pots-de-vin pour l’aider à fuir le pays, il courrait un risque réel de subir des mauvais traitements à son retour. Il affirme que, même si, à titre personnel, il n’a aucun lien avec les Tigres tamouls, le fait que son frère ait été placé en détention et torturé pour avoir été soupçonné d’être partisan de cette organisation porte à croire qu’il serait lui‑même également considéré comme ayant des liens avec les Tigres tamouls.

3.2Le requérant ajoute qu’il serait soumis à un interrogatoire à son retour, et que, s’il admettait avoir soudoyé des membres de la faction Karuna, il aurait « des problèmes » avec les forces de sécurité sri-lankaises et avec cette faction. Il affirme en outre qu’en tant que demandeur d’asile débouté qui a vécu à l’étranger pendant au moins quatre ans il serait exposé au risque de subir un préjudice.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des notes en date des 2 et 12 juin 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il soutient que le grief soulevé par le requérant au titre de l’article 3 est manifestement dénué de fondement et devrait donc être déclaré irrecevable au regard de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité car il n’est pas suffisamment étayé. L’État partie soutient également que les griefs du requérant sont dénués de fondement car ils ne sont pas étayés par des éléments montrant qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’à son retour à Sri Lanka, celui-ci risquerait d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention. L’État partie a prié le Comité de lever la demande de mesures provisoires demandée au titre de l’article 114 de son règlement intérieur.

4.2L’État partie fait valoir que la plupart des griefs du requérant ont été soigneusement examinés dans le cadre d’une série de processus décisionnels internes et qu’ils ont été considérés comme ne mettant pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement que lui fait la Convention. L’État partie renvoie au paragraphe 4 de l’observation générale no 1 (1997) du Comité relative à l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 (par. 9), dans laquelle le Comité indique qu’étant donné qu’il n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie.

4.3L’État partie donne ensuite des informations détaillées sur les décisions adoptées par les autorités nationales. En ce qui concerne la procédure devant le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, il fait observer que l’autorité responsable a soigneusement examiné la situation du requérant, notamment son appartenance à l’ethnie tamoule, les liens présumés de son frère avec les Tigres tamouls, le fait que ses parents ont versé un pot-de-vin à la faction Karuna pour obtenir sa libération du camp de réfugiés, ainsi que son statut de demandeur d’asile débouté. Toutefois, après avoir également examiné les informations pertinentes sur le pays, l’autorité responsable a estimé qu’elle ne pouvait pas considérer comme établi que les autorités sri‑lankaises s’intéressaient au requérant.

4.4Le dossier du requérant a ensuite été renvoyé à l’examinateur indépendant chargé d’évaluer les besoins de protection afin qu’il formule une recommandation à l’intention du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières sur la question de savoir si le requérant était une personne à laquelle l’État partie devait protection en vertu de la loi sur l’immigration. L’examinateur n’a pas jugé plausible qu’à l’époque où il a quitté le camp de réfugiés, le requérant était soupçonné par les autorités d’avoir des liens avec les Tigres tamouls. À cet égard, l’examinateur estimait que ni les autorités sri-lankaises ni la faction Karuna se préoccupaient des conditions dans lesquelles le requérant avait quitté le pays, notamment du versement de pots‑de‑vin, étant donné le rôle mineur de celui-ci et le fait qu’il avait quitté Sri Lanka avec son propre passeport. En conséquence, l’examinateur n’a pas acquis la conviction que l’État partie avait des obligations de protection, notamment de non-refoulement, à l’égard du requérant.

4.5L’État partie souligne en outre que, motif pris de l’absence d’erreur dans l’application du droit, le tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de contrôle juridictionnel présentée par le requérant concernant la recommandation de l’examinateur indépendant chargé d’évaluer les besoins de protection. La requête du requérant a également été rejetée par la Cour fédérale d’Australie et par le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières.

4.6L’État partie indique que les informations pertinentes sur le pays ont déjà été examinées dans le cadre des procédures internes et que les nouveaux rapports présentés faisant état des mauvais traitements auxquels seraient soumis les demandeurs d’asile déboutés et les personnes d’origine tamoule soupçonnées d’avoir des liens avec les Tigres tamouls ne démontrent pas qu’il existe d’autres raisons pour lesquelles le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 12 août 2016, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant ne serait pas exposé au risque de subir un préjudice en cas de retour au pays, celui-ci réaffirme qu’il risquerait personnellement d’être torturé s’il était renvoyé contre son gré à Sri Lanka. Il fournit au Comité des lettres de sa mère, de sa sœur, de son frère et d’un avocat qui attestent qu’il a déclaré qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé par l’armée sri-lankaise à son retour − comme cela était arrivé à son frère aîné. Le requérant soutient en outre que, bien que son frère ait été remis en liberté, l’armée continue d’interroger celui‑ci de temps à autre, notamment pour lui demander où il se trouve.

5.2Le requérant réaffirme en outre que, bien qu’il ait nié tout lien avec les Tigres tamouls, l’armée n’en a rien cru et le soupçonne d’être lié à ce groupe. Il se réfère en outre à de nombreux rapports nationaux afin de montrer que les personnes d’origine tamoule continuent d’être prises pour cible à Sri Lanka. Il réaffirme qu’en tant que demandeur d’asile débouté il courrait un risque accru de subir des mauvais traitements, les rapports montrant que les personnes renvoyées font l’objet de mauvais traitements de la part des autorités sri-lankaises.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif. Il estime en conséquence que les dispositions de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement, le requérant n’ayant pas prouvé qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il serait personnellement exposé à un risque prévisible, actuel et réel de subir un préjudice, notamment d’être torturé, s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le Comité considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail pour que le Comité puisse statuer. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable au regard de l’article 3 et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, la question qui se pose au Comité est de savoir si le renvoi du requérant à Sri Lanka était contraire à l’obligation qui incombe à l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, rappelle qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace (par. 45). En ce qui concerne l’examen sur le fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; toutefois, il n’est pas tenu par ces constatations et apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

7.4Pour apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de ce que le requérant affirme qu’en raison de son origine tamoule, il risquerait de subir des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements de la part de l’armée sri-lankaise s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il constate que le requérant affirme qu’une fois, lorsqu’il était dans le camp de réfugiés, lui et d’autres hommes ont été interrogés par l’armée sri-lankaise, qui voulait savoir s’ils avaient des liens avec les Tigres tamouls. Une autre fois, le frère du requérant, qui avait travaillé auparavant dans un atelier appartenant aux Tigres tamouls, a été arrêté, placé en détention et maltraité par l’armée sri-lankaise en raison de l’emploi qu’il avait occupé. Ces faits démontrent, selon le requérant, que l’armée sri-lankaise estime que le requérant avait des liens avec les Tigres tamouls et qu’il en aurait à nouveau s’il revenait à Sri Lanka. Le Comité note également que le requérant affirme qu’il s’est échappé du camp et a réussi à fuir Sri Lanka après que ses parents ont versé un pot-de-vin à la faction Karuna pour qu’il soit libéré, et qu’il risque donc de subir un préjudice pour avoir quitté Sri Lanka illégalement et avoir été débouté de sa demande d’asile.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon laquelle le requérant fonde ses allégations sur des informations d’ordre général tirées de différents rapports publics et renvoie à des informations générales sur Sri Lanka, mais qu’il ne prouve pas qu’il risquerait personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi. Le Comité constate que l’État partie fait valoir que les griefs du requérant ont été soigneusement examinés dans le cadre de procédures internes et qu’il a été conclu que ces griefs ne mettaient pas en jeu les obligations en matière de non-refoulement que lui fait la Convention. Bien que le récit que le requérant a livré à propos des faits survenus dans le camp de réfugiés, y compris la détention de son frère, ait été accepté comme véridique, les autorités nationales n’ont pas trouvé plausible que le requérant ait été soupçonné par les autorités sri‑lankaises d’avoir des liens avec les Tigres tamouls.

7.6Le Comité prend note également de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par, entre autres, les informations indiquant que les forces de sécurité de l’État, notamment l’armée et la police, avaient continué de commettre des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les Tigres tamouls avait pris fin, en mai 2009 (CAT/C/LKA/CO/5, par. 9 à 12). Il se réfère également à des rapports dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant le traitement par les autorités sri-lankaises de personnes renvoyées à Sri Lanka. Cependant, le Comité rappelle que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Le Comité rappelle aussi que, si les événements passés peuvent avoir une importance, la principale question dont est saisi le Comité est de savoir si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

7.7En l’espèce, le Comité constate que le requérant n’a pas été recruté par les Tigres tamouls et n’a pas reçu de formation militaire à proprement parler ni participé à des combats contre l’armée sri-lankaise. En outre, rien ne prouve que sa famille ait eu des liens avec les Tigres tamouls, à l’exception de son frère, qui a travaillé dans un atelier qui leur aurait appartenu. Le Comité fait observer à cet égard que, même si des Sri-lankais de souche tamoule ayant eu des liens personnels avec les Tigres tamouls ou dont la famille a eu des tels liens et qui font l’objet d’une mesure d’expulsion forcée peuvent courir le risque d’être soumis à la torture, en l’espèce, le requérant dit avoir subi un seul interrogatoire dans le camp de réfugiés et, à la différence de son frère, il n’a jamais été arrêté ni maltraité par les autorités. En outre, étant donné que le frère du requérant a finalement été libéré par les autorités sri‑lankaises, il semble que même celui-ci a pu se disculper de l’accusation d’avoir des liens avec les Tigres tamouls. Le Comité fait aussi observer que le fait que le requérant ait pu quitter Sri Lanka sans problème avec son propre passeport montre également que les autorités sri‑lankaises ne cherchaient pas à savoir où il se trouvait. En outre, le requérant prétend que les membres de sa famille ont été harcelés après son départ de Sri Lanka mais cette affirmation n’est étayée que par des lettres écrites par ses proches et, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce et du rôle mineur de l’intéressé, cette correspondance a pu été rédigée pour la circonstance. En outre, le Comité a présent à l’esprit le temps écoulé (au moins sept ans) depuis que les faits en question se seraient produits et l’absence d’allégation concernant la question de savoir si les autorités recherchaient le requérant. Enfin, le Comité rappelle que, le 19 décembre 2016, il a fait droit à la demande de levée des mesures provisoires présentée par l’État partie. En août 2017, l’État partie a renvoyé le requérant à Sri Lanka.

8.Le Comité renvoie à son observation générale no 4 (2017), selon laquelle c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables (par. 38). Il estime qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait. En outre, le requérant n’a pas démontré que les autorités de l’État partie ne s’étaient pas livrées à un examen en bonne et due forme de ses allégations.

9.Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement un risque réel, prévisible et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention.