Communication présentée par :

Mirale Abdelraouf Mohamed Abdelaziz Nada (représentée par un conseil, Richard Timmis)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

Date de la communication :

8 novembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 14 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

6 juillet 2020

Objet :

Discrimination à l’égard des femmes ; refus d’octroi de la nationalité en raison du sexe

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; communication manifestement mal fondée ; communication incompatible avec les dispositions de la Convention

Article(s) de la Convention :

1, 2 f) et 9

Article(s) du Protocole facultatif :

4 [par. 1 et 2 b) et c)]

* Adoptée par le Comité à sa soixante-seizième session ( 29 juin- 9 juillet 2020 ).

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : Gladys Acosta Vargas, Hiroko Akizuki, Tamader Al-Rammah, Nicole Ameline, Gunnar Bergby, Marion Bethel, Louiza Chalal, Esther Eghobamien-Mshelia, Naéla Mohamed Gabr, Hilary Gbedemah, Nahla Haidar, Dalia Leinarte, Rosario G. Manalo, Lia Nadaraia, Aruna Devi Narain, Ana Peláez Narváez, Bandana Rana, Rhoda Reddock, Elgun Safarov, Wenyan Song, Genoveva Tisheva et Franceline Toé-Bouda.

Exposé des faits

L’auteure de la communication est Mirale Abdelraouf Mohamed Abdelaziz Nada, de nationalité égyptienne, née en 1976. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article premier, de l’article 2 f) et de l’article 9 de la Convention. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur au Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord le 7 mai 1986 et le 17 mars 2005, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Richard Timmis.

Lors de la ratification de la Convention, l’État partie a émis la réserve suivante au sujet de l’article 9 : « Le British Nationality Act [loi sur la nationalité britannique] de 1981, mis en vigueur avec effet au 1er janvier 1983, est fondé sur des principes qui ne permettent aucune forme de discrimination à l’égard des femmes au sens de l’article premier en ce qui concerne l’acquisition, le changement ou la conservation de la nationalité des femmes ou de la nationalité de leurs enfants. Toutefois, l’acceptation par le Royaume-Uni de l’article 9 ne peut être interprétée comme entraînant l’annulation de certaines dispositions temporaires ou transitoires, qui resteront en vigueur au-delà de cette date. »

Le 23 juillet 2019, agissant par l’intermédiaire du Groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif à la Convention, le Comité a décidé, conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, d’accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément de la communication elle-même quant au fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure est une femme de nationalité égyptienne, née au Koweït en 1976. Elle est la petite-fille de S. W., une femme qui est née sujet britannique au Royaume-Uni en 1905. Le père de l’auteure est né de S. W. en dehors du Royaume-Uni et des colonies en 1944. Comme la citoyenneté ne pouvait pas être transmise par la mère à cette époque, il n’est pas né sujet britannique. En dépit des changements importants introduits par la loi sur la nationalité britannique de 1948, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1949, le père de l’auteure n’est pas devenu citoyen du Royaume-Uni et des colonies parce que la loi ne prévoyait la transmission de la nationalité par filiation que pour les personnes dont le père était sujet britannique au moment de leur naissance.

À la naissance de l’auteure, au Koweït, le 29 novembre 1976, la loi sur la nationalité britannique de 1948 s’appliquait toujours. L’auteure n’est donc pas née sujet britannique.

La loi sur la nationalité britannique de 1981, qui permet la transmission de la citoyenneté par la mère, est entrée en vigueur le 1er janvier 1983. En vertu de l’article 4C de cette loi, les personnes qui remplissent les conditions suivantes peuvent demander la reconnaissance de leur citoyenneté : a) elles sont nées avant le 1er janvier 1983 ; b) elles seraient devenues citoyennes du Royaume-Uni et des colonies par filiation avant le 1er janvier 1983 si, avant cette date, les femmes avaient pu transmettre la nationalité britannique de la même manière que les hommes ; c) si elles avaient été citoyennes du Royaume-Uni et des colonies, elles auraient eu le droit de résider au Royaume-Uni et seraient devenues citoyennes britanniques le 1er janvier 1983 ; d) elles sont de bonne moralité.

Le 8 mars 2016, l’auteure a demandé la citoyenneté britannique en vertu de l’article 4C de la loi sur la nationalité britanniquede 1981. Sa demande a été rejetée par le Ministère de l’intérieur le 25 mai 2016. Afin d’examiner les critères applicables, le Ministère de l’intérieur s’est référé au paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la nationalité britanniquede 1948, selon lequel les personnes nées après l’entrée en vigueur de la loi sont citoyennes du Royaume-Uni et des colonies par filiation si leur père (ou leur mère, aux fins de l’application de l’article 4C) est citoyen du Royaume-Uni et des colonies au moment de leur naissance. Il en a conclu que le père de l’auteure aurait été habilité à demander la citoyenneté en vertu de l’article 4C de la loi de 1981, mais qu’il n’en était pas de même pour l’auteure, puisque son père n’avait pas de statut de citoyen britannique qu’il aurait pu transmettre au moment où elle était née.

Le 22 juillet 2016, l’auteure a saisi le Ministère de l’intérieur d’un recours. Elle a fait valoir que l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981 restait discriminatoire envers les petits-enfants de femmes britanniques par rapport aux petits‑enfants d’hommes britanniques. Le Ministère de l’intérieur a maintenu sa décision du 25 mai 2016, estimant que l’État partie avait ajouté l’article 4C dans l’intention de permettre l’acquisition de la citoyenneté britannique aux personnes qui l’auraient acquise automatiquement le 1er janvier 1983 si l’article 5 de la loi sur la nationalité britannique de 1948 n’avait pas été discriminatoire envers les femmes. L’article 4C avait concrétisé cette intention, mais n’allait pas jusqu’à considérer une personne comme citoyenne du Royaume‑Uni et des colonies au moment de sa naissance seulement parce qu’elle pouvait prétendre à la citoyenneté en vertu de cet article.

L’auteure n’a pas formé d’autres recours.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme être victime d’une violation par l’État partie des droits qu’elle tient de l’article premier, de l’article 2 f) et de l’article 9 de la Convention.

L’auteure explique qu’avant 1983, la nationalité était automatiquement transmise par filiation paternelle aux enfants de la première génération née à l’étranger et, dans certains cas, automatiquement ou sous conditions à ceux de la deuxième génération et des générations suivantes nées à l’étranger. Elle affirme que, si les lois applicables en la matière n’avaient pas été discriminatoires au moment de la naissance de son père et avaient permis la transmission de la nationalité par la filiation maternelle au même titre que par la filiation paternelle, son père aurait acquis la nationalité britannique et elle aurait également pu devenir citoyenne du Royaume-Uni et des colonies au moyen de l’enregistrement de sa naissance au consulat du Royaume-Uni.

L’auteure affirme qu’elle aurait dû être traitée par les autorités nationales comme si elle était la descendante d’un sujet britannique de sexe masculin né au Royaume-Uni et donc comme une personne pouvant obtenir la citoyenneté britannique par filiation en vertu du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la nationalité britannique de 1948. Par conséquent, elle aurait également eu le droit de résider au Royaume-Uni en vertu de l’article 2 de la loi sur l’immigration de 1971 et aurait rempli la troisième condition posée dans l’article 4C. Elle soutient que le rejet de sa demande fait perdurer un préjudice découlant du caractère discriminatoire des lois sur la nationalité antérieures à 1983, auquel il n’a toujours pas été remédié à ce jour.

L’auteure estime qu’il n’existait aucune voie de recours permettant de contester la décision prise par le Ministère de l’intérieur de rejeter sa demande formulée au titre de l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981. Elle affirme qu’il n’est pas possible pour un tribunal national d’interpréter l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981 d’une manière conforme aux droits fondamentaux, de façon à éviter toute discrimination injustifiée fondée sur le genre. Elle affirme en outre que même si un tribunal national devait conclure qu’il était impossible de donner à la disposition contestée une interprétation compatible avec les droits fondamentaux protégés par la loi relative aux droits humains de 1998, une telle déclaration d’incompatibilité n’affecterait pas la validité ni l’application de la disposition concernée et ne serait pas contraignante pour les parties à l’affaire. Il appartiendrait alors à la Ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour prendre un décret rectificatif et renvoyer la question au Gouvernement en vue d’une modification de la législation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Dans une note verbale datée du 9 mai 2019, l’État partie a contesté la communication de l’auteure, qui devait être déclarée irrecevable selon lui parce qu’elle était manifestement mal fondée, que les recours internes n’avaient pas été épuisés et qu’elle était incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention.

L’État partie explique que le principe général qui sous-tend la législation relative à la nationalité au Royaume-Uni est le même que dans la plupart des États, à savoir que le droit à l’acquisition de la nationalité à la naissance ou par filiation dépend de la situation de la personne intéressée ainsi que de la loi applicable au moment de sa naissance. Avant le 1er janvier 1983, il existait des cas où le droit à la nationalité britannique n’était pas le même selon que la personne intéressée avait un père britannique et une mère non britannique ou un père non britannique et une mère britannique au moment de sa naissance.

L’État partie indique qu’il ressort des faits exposés dans la communication que la grand-mère paternelle de l’auteure avait le statut de sujet britannique à sa naissance en 1905, en vertu de la common law. À la naissance du père de l’auteure en Égypte en 1944, la législation applicable en matière de nationalité était le paragraphe 1 de l’article premier de la loi sur la nationalité britannique et le statut des étrangers de 1914. Le père de l’auteure n’est pas devenu sujet britannique à la naissance parce que la citoyenneté ne pouvait pas être transmise par la mère. L’État partie reconnaît toutefois que si le paragraphe 1 b) de l’article premier avait comporté le mot « mère » en plus du mot « père », le père de l’auteure aurait été sujet britannique à la naissance en vertu du paragraphe 1 b) i) de l’article premier.

Le 1er janvier 1949, la loi sur la nationalité britannique de 1948 est entrée en vigueur, mais le père de l’auteure n’est pas devenu citoyen du Royaume-Uni et des colonies, puisque ni le paragraphe 1 b) de l’article premier de la loi sur la nationalité britannique et le statut des étrangers de 1914 ni le paragraphe 2 de l’article 12 de la loi sur la nationalité britannique de 1948 ne comportaient le mot « mère » en plus du mot « père ». L’État partie ajoute que même si le père de l’auteure était devenu citoyen par filiation, l’auteure n’aurait pas acquis la citoyenneté à la naissance car la loi de 1948 limitait d’une façon générale la transmission de la nationalité par filiation à la première génération née en dehors du Royaume-Uni. Il souligne que l’application de ce principe est indépendante des restrictions imposées sur la base du sexe dans la législation antérieure. Il fait observer qu’il peut y avoir des exceptions à cette règle : dans l’hypothèse où le père de l’auteure aurait été citoyen par filiation, il aurait pu faire enregistrer la naissance de l’auteure dans un consulat du Royaume-Uni. L’enregistrement de leur naissance a permis à des personnes appartenant à la deuxième génération née en dehors du Royaume-Uni d’acquérir la citoyenneté, pour autant qu’elles remplissaient toutes les autres conditions fixées. L’État partie fait néanmoins valoir que, de fait, la naissance de l’auteure n’a pas été enregistrée dans un consulat du Royaume-Uni et que l’auteure n’a pas démontré que sa naissance aurait été enregistrée si elle avait pu l’être.

En conséquence, les supposés effets persistants de la législation contestée en matière de nationalité n’ont manifestement pas été causés par un fait de discrimination survenu une génération plus tôt.

En outre, l’État partie affirme que le fait que l’auteure soit de sexe féminin n’a aucune incidence sur la plainte. Si, par exemple, elle avait un frère jumeau, ce dernier serait exactement dans la même situation. S’il y a eu discrimination fondée sur le genre, c’est la grand-mère de l’auteure qui en a été victime. Bien que cela ait effectivement eu un effet sur le père de l’auteure, l’État partie y a remédié au moyen de l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981 tel qu’il existe aujourd’hui. D’après l’État partie, nul ne conteste que le père de l’auteure est habilité à demander la reconnaissance de sa citoyenneté en vertu de l’article 4C, mais il ne semble pas avoir entrepris de le faire. En conséquence, l’auteure n’est pas victime de discrimination et sa communication doit donc être déclarée manifestement mal fondée.

En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie indique que l’auteure a reçu une décision rejetant sa demande de citoyenneté soumise en vertu de l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981. Elle a demandé un contrôle administratif de cette décision par la Ministre de l’intérieur. La décision initiale du Ministère de l’intérieur a été confirmée. Aucune partie ne nie que l’auteure n’a pris aucune mesure, par la voie d’une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Haute Cour, pour contester devant une juridiction nationale la décision prétendument entachée d’erreur. Au vu de la jurisprudence du Comité, l’État partie est d’avis que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés.

L’État partie affirme qu’il ne peut être dérogé à la condition de l’épuisement des recours internes que si l’ineffectivité des recours possibles a été bien démontrée. Or contrairement à ce qu’affirme l’auteure, en vertu de la loi relative aux droits humains de 1998, les tribunaux nationaux sont tenus d’interpréter et d’appliquer la législation et la réglementation d’une manière compatible avec les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La valeur de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les tribunaux nationaux ne sont pas en mesure de donner à la disposition contestée de la loi sur la nationalité britannique de 1981 une interprétation compatible avec les droits fondamentaux doit être vérifiée devant les tribunaux.

Si un tribunal national juge que la législation est incompatible avec la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il peut faire une déclaration d’incompatibilité en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 de la loi relative aux droits humains de 1998. L’État partie conteste qu’une déclaration d’incompatibilité doive être considérée comme un recours utile. Pour réfuter les arguments de l’auteure concernant l’arrêt de la Cour européenne des droits dans l’affaire Hirst c. Royaume-Uni (n o  2), l’État partie fait observer que, le 4 décembre 2018, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a constaté avec satisfaction que l’État partie avait adopté toutes les mesures nécessaires pour satisfaire aux obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et a décidé de cesser de surveiller l’exécution de l’arrêt. En outre, il explique que, si une déclaration d’incompatibilité a pour effet d’imposer au Gouvernement de prendre lui-même des mesures correctives, c’est parce que celui-ci est le mieux à même de décider s’il convient de proposer au Parlement un nouveau projet de loi pour remplacer la loi jugée défectueuse. Par ailleurs, dès lors que le Gouvernement a des raisons impérieuses de modifier la loi défectueuse sans passer par le Parlement, le paragraphe 2 de l’article 10 de la loi relative aux droits humains de 1998 l’autorise à prendre un décret rectificatif pour remédier au défaut de la loi. Pour trancher entre ces deux possibilités, il faut examiner les avantages de l’une et de l’autre, en se demandant notamment si le Parlement aurait le temps d’examiner un nouveau projet de loi et s’il existe déjà un instrument approprié.

En outre, l’État partie fait référence à l’affaire The Advocate General for Scotland (Appellant) v. Romein (Respondent) (Scotland), dans laquelle la Cour suprême du Royaume-Uni a examiné le cas d’une requérante née hors du Royaume‑Uni d’une mère qui était à l’époque nationale britannique. Il s’agissait cependant d’une situation différente, puisque la mère de la requérante était citoyenne britannique au moment de la naissance de l’intéressée, contrairement au père de l’auteure. La question de savoir si le raisonnement qui avait motivé cette décision pourrait s’appliquer à la situation de l’auteure doit d’abord être examinée par une juridiction nationale. Les tribunaux nationaux n’ayant pas été saisis, l’État partie affirme que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes.

L’État partie soutient également que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention, étant donné qu’elle porte sur des faits de discrimination antérieurs à l’entrée en vigueur au Royaume-Uni à la fois de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et du Protocole facultatif s’y rapportant (voir par. 1.1). L’État partie précise qu’il ne prétend pas nier l’existence d’une discrimination fondée sur le genre dans les versions antérieures de sa législation en matière de nationalité. Cela étant, si les dispositions législatives en question ont eu une incidence sur les faits exposés par l’auteure, cela s’est produit en 1944 et le 1er janvier 1949, et la continuité ne peut être établie. À cet égard, l’État partie s’appuie sur la décision prise par le Comité de déclarer irrecevable l’affaire Ragan Salgado c.Royaume-Uni de Grande - Bretagne et d’Irlande du Nord (CEDAW/C/37/D/11/2006), dans laquelle le Comité a examiné une communication concernant l’incapacité d’une femme à transmettre sa citoyenneté britannique à son fils aîné. Le Comité a établi que les faits de discrimination dénoncés dans cette communication avaient commencé au moment de la naissance du fils de l’auteure et que l’obligation de non-discrimination établie par le paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention s’appliquait jusqu’à la majorité de l’enfant. Dans le cas de l’auteure, c’est sa grand-mère qui avait été victime de discrimination. La période dont il est question s’est donc terminée en 1965 lorsque son enfant, c’est-à-dire le père de l’auteure, est devenu adulte. L’auteure elle-même est devenue adulte en 1994, avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur au Royaume-Uni. Comme toutes ces dates sont largement antérieures à l’adoption du Protocole facultatif et à son entrée en vigueur dans l’État partie, il convient de déclarer la communication irrecevable au regard du paragraphe 2) e) de l’article 4 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

Dans sa lettre du 17 juin 2019, l’auteure conteste les arguments de l’État partie. Elle soutient que l’État partie, en arguant qu’elle n’aurait de toute façon pas pu acquérir la nationalité britannique en raison de la restriction applicable concernant la transmission de la nationalité par filiation, cherche à élargir la question à d’autres aspects de la loi britannique relative à la nationalité. Elle répond que son père n’était pas de nationalité britannique quand elle est née uniquement parce qu’il est le fils d’une femme née au Royaume-Uni et non d’un homme né au Royaume-Uni. L’incapacité de son père à faire enregistrer la naissance de l’auteure dans un consulat du Royaume-Uni, chose qui aurait pu lui éviter cette discrimination, découle directement de la discrimination dont sa grand-mère a été victime. Cela continue d’avoir des conséquences sur ses propres droits car les lois applicables en matière de nationalité l’empêchent toujours d’acquérir la nationalité britannique. L’auteure soutient que la protection offerte par la Convention serait inefficace et illusoire si elle ne permettait pas de la protéger contre une violation de ses droits qui trouve son origine dans la discrimination exercée contre sa grand-mère, mais dont l’impact persiste sur l’auteure en raison de sa filiation.

En ce qui concerne les observations de l’État partie sur la règle de l’épuisement des recours internes, l’auteure rappelle les arguments présentés dans sa communication initiale. Au sujet de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme Hirst c. Royaume-Uni (n o  2) , elle ajoute qu’il a fallu treize ans à l’État partie pour prendre des mesures effectives. Compte tenu de la précarité de sa situation financière, elle ne peut pas être contrainte de former un recours qui sera probablement inutile.

Délibérations du Comité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. Aux termes de l’article 66, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

Comme il est tenu de le faire aux termes du paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la question n’avait pas déjà fait l’objet ni ne faisait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteure a bien déposé une demande de citoyenneté auprès du Ministère de l’intérieur en 2010, mais n’a pas contesté le rejet de sa demande devant la Haute Cour, malgré la possibilité de demander un contrôle juridictionnel au titre de la loi relative aux droits humains de 1998. En réponse, l’auteure a affirmé que même si un tribunal national interprétait l’article 4C de la loi sur la nationalité britannique de 1981 d’une manière compatible avec les droits fondamentaux, ce qui était fort peu probable, une déclaration d’incompatibilité ne pouvait pas être considérée comme une réparation. L’auteure a également invoqué la précarité de sa situation financière pour justifier le fait qu’elle n’ait pas exercé de recours judiciaire.

Le Comité observe que nul ne conteste que l’auteure pouvait effectivement déposer auprès de la Haute Cour une requête de contrôle juridictionnel du refus administratif de sa demande de citoyenneté. Pour déterminer si un tel recours peut être considéré comme utile, le Comité prend note des affaires citées par l’État partie, dont une décision qui avait trait, en particulier, à des dispositions de la loi sur la nationalité britannique de 1981. Il s’avère que dans ces affaires, une déclaration d’incompatibilité a été faite par les tribunaux nationaux et que des mesures correctives ont été prises par la suite.

En outre, le Comité souscrit à l’affirmation de l’État partie selon laquelle, comme dans l’affaire The Advocate General for Scotland (Appellant) v. Romein (Respondent) (Scotland), citée en exemple, dans laquelle la Cour suprême du Royaume-Uni a examiné des questions similaires mais non identiques, il est impératif que les tribunaux nationaux aient la possibilité d’examiner les questions qui relèvent du droit interne avant qu’elles soient soumises à une instance internationale. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ainsi que l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes de genre qui sont discriminatoires à l’égard des femmes, et qu’elle était donc manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice.

En l’espèce, le Comité est d’avis que l’auteure n’a pas établi que la procédure de recours devant les tribunaux de l’État partie excéderait des délais raisonnables ou qu’il était improbable qu’elle aboutisse à une réparation. La situation financière de l’auteure ne peut pas en soi avoir d’incidence sur cette évaluation et ne la dispense pas de l’obligation prévue au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif. Le Comité estime par conséquent que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes et déclare la communication irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Ayant conclu à l’irrecevabilité de la communication au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité décide de ne pas examiner les autres motifs d’irrecevabilité.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.