Communication présentée par :

K. S. (représentée par un conseil, Ireneusz C. Kamiński)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Pologne

Date de la communication :

11 avril 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 4 avril 2018 (non publiées sous forme de document)

Date de la décision :

6 juillet 2020

Objet :

Manquement de l’État partie à l’obligation d’agir avec la diligence requise pour protéger l’auteure contre la violence domestique

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; examen de la même question devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Article(s) de la Convention :

2 a) et c) à f), 3, 5 a) et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

4 (par. 1 et 2 a))

Exposé des faits

L’auteure de la communication est K. S., de nationalité polonaise, née en 1944. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des alinéas a) et c) à f) de l’article 2, de l’article 3, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’article 16 de la Convention. Le Protocole facultatif à la Convention est entré en vigueur pour l’État partie le 22 mars 2004. L’auteure est représentée par un conseil, Ireneusz C. Kamiński.

Rappel des faits présentés par l’auteure

Le 27 mars 1989, l’auteure a épousé E. S. Ils avaient chacun des enfants de précédents mariages et ont vécu ensemble au domicile de l’auteure. E. S. aidait l’auteure à gérer son entreprise. Par la suite, il a commencé à abuser de l’alcool et est devenu agressif et violent à l’égard de l’auteure et de ses filles.

Le 14 juillet 2005, le tribunal régional de Varsovie a prononcé le divorce de l’auteure et d’E. S., en attribuant le tort exclusif à ce dernier. Le mari de l’auteure a fait appel de cette décision. Le 21 avril 2006, la cour d’appel de Varsovie a confirmé le divorce. Elle a mis en évidence les antécédents d’alcoolisme du mari et a décrit certains actes de violence domestique qu’il avait commis.

Poursuites pénales engagées contre le mari de l’auteure, y compris les plaintes non abouties déposées par celle-ci

Le 26 décembre 2003, alors qu’il était sous l’emprise de l’alcool, le mari a menacé l’auteure et ses filles. Elles ont été contraintes de s’enfermer dans la chambre de l’une des filles, le mari de l’auteure se trouvant de l’autre côté de la porte. L’auteure n’a pas pu appeler les forces de l’ordre à ce moment-là car elle a dû attendre que son mari se calme, mais elle a porté plainte auprès de la police le lendemain. Le 7 janvier 2004, le mari de l’auteure a retiré 200 000 zlotys du compte de placement de l’auteure sans l’en informer. Par la suite, il a dit à l’auteure qu’il ne lui rendrait l’argent que si elle retirait sa plainte. L’auteure a retiré sa plainte et, le 30 janvier 2004, le bureau du procureur du district de Piaseczno a mis fin à la procédure.

Le 15 mars 2004, l’auteure a de nouveau porté plainte, affirmant que son mari les avait menacées, elle et ses filles, et qu’il lui avait volé 204 783 zlotys. Interrogée par la police, l’auteure a expliqué qu’elle avait retiré sa précédente plainte sous la menace de son mari. Le 5 avril 2004, la police du district de Piaseczno a refusé d’ouvrir une enquête, déclarant que l’auteure n’avait pas suffisamment étayé ses allégations concernant les menaces dont elle aurait fait l’objet.

Les 4 et 13 janvier 2005, l’auteure a déposé, auprès du bureau du procureur du district de Piaseczno, une autre plainte dans laquelle elle affirmait que son mari était alcoolique, qu’il les avait, à plusieurs reprises, menacées de mort, elle et ses filles, et qu’il avait aussi menacé d’incendier leur maison. Elle a également affirmé qu’il la maltraitait psychologiquement et physiquement en l’empêchant d’utiliser l’eau chaude, le chauffage et le téléphone. Le 7 février 2005, l’auteure a été interrogée ; pendant l’entretien, elle a dit craindre pour sa sécurité. Elle a également déclaré à la police qu’elle n’avait jamais demandé de certificat médical après avoir été maltraitée physiquement par son mari, parce qu’elle avait honte d’être victime de violence domestique. Le 8 février 2005, le bureau du procureur du district de Piaseczno a engagé une procédure pénale.

Bien que les filles de l’auteure aient confirmé les allégations de celle-ci au cours d’un interrogatoire mené le 3 mars 2005, la police de district a abandonné la procédure le 19 mai 2005, par manque de preuves. L’auteure a fait appel de cette décision de la police de district, qui a été annulée par le bureau du procureur de Varsovie le 12 juillet 2005.

Le 19 août 2005, l’auteure a déposé une autre plainte, affirmant que son mari l’avait menacée de mort et avait dit qu’il incendierait la maison. L’auteure a été interrogée le 7 septembre 2005 et a confirmé les faits signalés dans sa plainte initiale. Le 30 septembre 2005, le mari de l’auteure a été accusé d’avoir détourné 250 000 zlotys du compte bancaire qu’il détenait conjointement avec l’auteure, en violation du paragraphe 1 de l’article 284 et du paragraphe 1 de l’article 294 du Code pénal, et d’avoir infligé des mauvais traitements à l’auteure, sous la forme de menaces et de violences, entre le 1er mars 2003 et le 7 septembre 2005, en violation du paragraphe 1 de l’article 207 du Code pénal. L’auteure, qui vivait encore avec son mari et se sentait menacée par sa conduite, a demandé que la procédure orale soit accélérée.

Le 7 mars 2006, l’auteure a de nouveau demandé qu’une procédure pénale soit ouverte contre son mari pour des violences physiques commises en juin 2005, des menaces de mort proférées en février et en août 2005 et de mauvais traitements généralisés qui l’avaient empêchée de mener une vie normale. Lors de l’interrogatoire de police, elle a affirmé que son mari avait désigné une hache et déclaré qu’il leur couperait la tête, à elles et à ses filles. En outre, elle a affirmé qu’il avait intentionnellement endommagé sa voiture. Le 26 avril 2006, la police de district a abandonné l’enquête faute de témoins objectifs, et ce malgré les témoignages des filles de l’auteure. Cette décision a été confirmée par le bureau du procureur de district, le 28 avril 2006, et par le tribunal du district de Varsovie‑Mokotów, le 25 octobre 2006.

Le 8 mars 2006, le tribunal de district de Varsovie a ordonné que deux experts procèdent à l’examen psychiatrique du mari et déterminent son aptitude à être jugé. Le 13 avril 2006, les experts ont conclu qu’ils avaient besoin de prolonger la période d’observation clinique pour pouvoir prendre une décision éclairée. Le 19 avril 2006, le tribunal de district a ordonné que le mari soit placé en hôpital psychiatrique pendant six semaines.

Le 4 mai 2006, avant que le mari de l’auteure ne soit placé en hôpital psychiatrique, un incendie s’est déclaré dans leur maison commune et le mari est décédé. La police a trouvé une lettre que le mari avait rédigée avant de se suicider, dans laquelle il accusait l’auteure et ses filles d’être responsables de ses « tourments ». Le 30 mai 2008, l’enquête pénale à cet égard a été abandonnée et le bureau du procureur de district a estimé qu’aucun élément de preuve ne permettait de conclure à l’implication d’un tiers dans l’incendie.

Selon l’auteure, en résumé, le comportement violent de son mari a été reconnu par les autorités puisque : a) le 14 juillet 2005, le tribunal régional de Varsovie a jugé que, tout au long de leur mariage, son mari avait commis des actes de violence physique et verbale contre elle et ses filles ; b) le 30 septembre 2005, un acte d’accusation a été émis contre son mari pour des violences commises entre le 1er mars 2003 et le 7 septembre 2005 ; c) le 30 mai 2008, le procureur de district a abandonné l’enquête sur l’incendie de leur maison au motif que le mari de l’auteure avait lui-même mis le feu, opinion qui a été confirmée par le tribunal régional de Varsovie le 7 mai 2010.

Procédure civile contre l’État partie

Le 20 juin 2007, l’auteure a intenté une action pour responsabilité délictuelle contre l’État partie, réclamant une indemnité couvrant la valeur de la maison (595 170 zlotys) et des dommages-intérêts pour préjudice non pécuniaire (50 000 zlotys). L’auteure a allégué que, bien que les autorités aient eu connaissance du comportement violent de son mari, elles ne lui avaient pas fourni la protection dont elle avait besoin.

Le 7 mai 2010, le tribunal régional de Varsovie a rejeté la plainte, estimant que l’auteure n’avait pas réussi à prouver l’illégalité des actes de l’État partie. S’il a conclu que la police avait commis une erreur en décidant d’abandonner ses enquêtes le 19 mai 2005 et le 26 avril 2006, le tribunal a estimé que l’auteure n’était pas parvenue à établir un lien de causalité entre la conduite illégale de la police et l’incendie.

L’auteure a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Varsovie, recours qui a été rejeté le 5 mai 2011. La cour d’appel a confirmé les conclusions du tribunal régional, à l’exception de l’affirmation selon laquelle le mari de l’auteure avait provoqué l’incendie, ce qui n’avait pu être le cas puisque l’homme était déjà mort quand le feu a pris. La cour d’appel a conclu que le recours formé par l’auteure était infondé et qu’elle n’avait subi aucun préjudice moral.

Le 26 octobre 2011, quelques jours avant la date limite de dépôt d’un pourvoi en cassation, l’avocat de l’auteure l’a informée qu’il ne formerait pas de pourvoi. Il lui a dit qu’il estimait que le pourvoi serait jugé irrecevable car, selon le Code de procédure civile, les questions relatives à la recevabilité des preuves ou aux faits ne pouvaient être examinées dans le cadre d’un pourvoi en cassation. L’auteure fait en outre remarquer que, selon le code de déontologie contraignant qui était alors en vigueur en Pologne, un avocat n’avait pas le droit de faire appel si cela enfreignait manifestement les exigences réglementaires applicables à ce type de recours. Elle soutient que, de ce fait, c’est à l’avocat qu’il appartenait de décider en dernier lieu si un recours pouvait et devait être introduit, en particulier lorsque l’assistance d’un avocat était légalement requise.

Le 26 mars 2012, l’auteure a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré sa requête irrecevable le 30 août 2016. La Cour a estimé que la requête avait été introduite trop tard et l’a rejetée conformément aux paragraphes 1 et 4 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme que les autorités de l’État partie ne l’ont pas protégée efficacement contre son mari, violant ainsi les droits qu’elle tient des alinéas a) et c) à f) de l’article 2, lus conjointement avec l’article 3 de la Convention. Plus précisément, elles n’ont pas arrêté le mari, ne l’ont pas séparé de son épouse et n’ont pas fait en sorte qu’il soit jugé dans les meilleurs délais. Elle affirme que les autorités avaient connaissance des violences qu’elle avait subies, et, ce au moins depuis le 10 mars 2004, date à laquelle elle avait porté plainte pour la deuxième fois. En outre, elle fait valoir que les autorités ont pris acte du comportement violent de son mari à plusieurs reprises. Bien qu’ayant eu connaissance des faits, les autorités n’ont pas agi avec la diligence voulue pour prévenir la violation des droits de l’auteure ou enquêter sur les actes de violence et les punir.

L’auteure fait valoir que les autorités ont violé l’alinéa e) de l’article 2, lu conjointement avec l’article 1er de la Convention, lorsqu’elles ont failli à leur obligation de la protéger, en ce qu’elles ne lui ont pas accordé d’indemnité civile, alors qu’elles avaient reconnu, le 7 mai 2010, l’illégalité de certains actes de la police.

L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les alinéas d) et e) de l’article 2, lus conjointement avec l’alinéa f) de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 5 et l’article 16 de la Convention, car il n’a pas pris de mesures efficaces pour éliminer les stéréotypes fondés sur le genre qui font obstacle à la protection des femmes victimes de violence domestique. Elle affirme que ce problème systémique a contribué à l’attitude discriminatoire des autorités à son égard et à leur incapacité de la protéger efficacement contre son mari.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Le 4 juin 2018, l’État partie a fait valoir que la communication était irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

L’État partie fait tout d’abord remarquer que l’auteure n’a pas formé de pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre l’arrêt de la cour d’appel. En outre, elle n’a pas intenté d’action contre la compagnie d’assurance en ce qui concerne la destruction de sa maison. Sa maison était assurée contre les accidents, y compris les incendies. La compagnie d’assurance lui a versé une indemnité d’un montant de 106 634 zlotys, soit 50 % de la valeur estimée du bien. Le restant de l’indemnité devait être versé après l’achèvement de la procédure de partage des biens liée au divorce de l’auteure. L’État partie note que si l’auteure conteste le montant de l’indemnisation qui lui a été versé, elle peut engager une procédure civile contre la compagnie d’assurance en vertu des articles 23 et 24 du Code civil. Il fait également valoir que, durant la procédure interne, l’auteure n’a pas formulé d’allégation de discrimination fondée sur le genre. Si elle estimait être victime de discrimination, elle aurait pu intenter une action devant les juridictions nationales en vertu du Code civil. Or, l’auteure ne s’est pas prévalue de cette possibilité.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

Le 20 juillet 2018, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle n’aurait pas épuisé les recours internes car elle n’a pas formé de pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre l’arrêt de la cour d’appel. Elle signale que dans le cadre de la procédure judiciaire, elle a été représentée par un avocat de son choix au titre de l’aide juridictionnelle. Le 26 août 2011, une copie de l’arrêt de la cour d’appel a été présentée à cet avocat. Le 5 octobre 2011, l’auteure a demandé à son avocat s’il envisageait de former un pourvoi en cassation. Le 26 octobre 2011, soit le jour de l’expiration du délai de deux mois fixé pour former ledit pourvoi, l’avocat a répondu que rien ne justifiait ce recours. L’auteure fait valoir que l’État partie n’a fourni aucune explication sur la manière dont elle aurait pu former un pourvoi en cassation une fois ce délai expiré. Par ailleurs, elle fait remarquer que l’État partie a présenté, le 17 juin 2015, des observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête que l’auteure avait soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’à cette occasion il avait adopté, au sujet de la possibilité de former un pourvoi en cassation, un point de vue opposé à celui qu’il a avancé dans le cadre de ses observations devant le Comité. L’État partie avait alors déclaré qu’un tel pourvoi aurait porté sur un jugement définitif et exécutoire et qu’il aurait donc constitué un recours en appel extraordinaire. Il avait fait valoir que la Cour suprême ne devait pas être considérée comme une juridiction de troisième degré et que le pourvoi en cassation constituait une exception plutôt qu’une règle. Il avait affirmé qu’en droit polonais, ce recours se limitait à des cas exceptionnels et ne présentait qu’un caractère complémentaire vis-à-vis d’une procédure devant des juridictions de premier et de second degré. Il avait alors conclu que la requérante n’était pas tenue de former un pourvoi en cassation devant la Cour suprême, car son affaire avait été examinée par des juridictions de premier et de second degrés. L’auteure estime qu’une requérante n’est pas tenue de former un pourvoi en cassation lorsque son avocat l’informe que sa requête n’a aucune chance d’aboutir devant la Cour suprême.

L’auteure prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle aurait dû engager une action en justice contre sa compagnie d’assurance concernant les dommages résultant de la destruction de la maison par l’incendie provoqué par son ex-mari. Elle fait valoir qu’une telle plainte serait dirigée contre une société de droit privé donnée et ne permettrait pas de remédier aux omissions et aux lacunes des organes publics concernés.

En outre, l’auteure prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle aurait dû porter plainte pour discrimination. Elle signale qu’elle a engagé une action en justice contre l’État en vertu de l’article 417 du Code civil. Dans le cadre de ces procédures, les juridictions ont constaté que les autorités publiques avaient commis des omissions et que leurs actions présentaient certaines lacunes et irrégularités ; toutefois, elles ont conclu qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre ces actions et omissions et le fait que le mari de la requérante avait incendié la maison. En conséquence, la plainte de l’auteure a été rejetée. Elle soutient que ce recours serait donc inefficace ou redondant au vu des résultats de la procédure qu’elle a déjà engagée. Elle fait également remarquer que la discrimination fait partie intégrante de la violence fondée sur le genre. Il est donc redondant ou, en termes juridiques, excessivement formaliste d’exiger que les victimes de violence fondée sur le genre invoquent expressément la discrimination dans leurs allégations. Elle fait valoir que, dans le cadre de l’action en justice qu’elle a intenté contre l’État pour responsabilité délictuelle à l’égard des préjudices qu’elle a subis en tant que victime de violence domestique fondée sur le genre, ainsi que des allégations qu’elle a présentées à ce titre, elle a implicitement soulevé la question de la discrimination résultant de l’absence de protection adéquate et a donc épuisé tous les recours internes disponibles.

Observations de l’État partie sur le fond

Le 24 novembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, réitérant sa précédente observation concernant l’irrecevabilité de la communication.

Les violations de la Convention auraient eu lieu entre 2004 et 2006. Depuis lors, l’État partie a mis en place un cadre juridique global pour assurer la protection la plus large possible des femmes contre la violence domestique. Le droit pénal, le droit de la famille et les politiques sociales ont été modifiés à plusieurs reprises. Toutefois, l’État partie reconnaît que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de 2005 relative à la lutte contre la violence domestique, son système juridique ne comptait aucun acte de ce niveau dans ce domaine.

L’État partie soutient qu’à l’époque considérée, la procédure des « cartes bleues » (Niebieskie Karty) engagée lors d’interventions à domicile dans les cas de violence domestique était régie par l’ordonnance no 21 du directeur général de la police du 31 décembre 2002. Toutefois, s’il n’y avait pas d’intervention à domicile et qu’une victime de violence domestique se rendait elle-même au poste pour signaler les faits, le personnel de police n’était pas tenu de remplir le formulaire de la « carte bleue – A ». L’obligation de coopérer avec les organismes publics, les administrations locales et les organisations de la société civile incombait au seul fonctionnaire de police de quartier chargé du dossier. Au cours des 15 dernières années, la procédure des « cartes bleues » a été modifiée de manière à couvrir toutes les démarches entamées et accomplies par les représentants des services d’assistance sociale, les comités municipaux chargés de la lutte contre les problèmes liés à l’alcool, la police et le personnel éducatif et médical lorsqu’il existe des raisons valables de croire que des actes de violence domestique ont été commis.

La loi relative à la lutte contre la violence domestique, entrée en vigueur le 21 novembre 2005 et modifiée en 2010, est le premier texte législatif fondamental qui réglemente de manière exhaustive les questions liées à la prévention de la violence domestique. L’État partie fournit une description détaillée du champ d’application de la loi, des définitions de la violence domestique et des membres de la famille, de la réglementation du système de prévention, des responsabilités et des tâches qui incombent aux organes de l’administration centrale et aux services de l’administration locale, ainsi que de l’aide apportée aux personnes touchées par la violence domestique. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er août 2010, de la version modifiée de la loi, une victime de violence domestique peut demander à une juridiction d’ordonner à l’auteur de ces actes de quitter la résidence commune. En outre, le nouvel article 275a du Code de procédure pénale prévoit des mesures préventives qui permettent d’ordonner à une personne accusée d’avoir commis une infraction violente contre un membre de son ménage de quitter la résidence qu’elle partage avec la partie lésée.

L’État partie mentionne également la modification de la loi sur la police du 6 avril 1990 par l’ajout de l’article 15a, en vertu duquel un policier peut détenir un auteur de violences domestiques qui constitue une menace directe pour la vie et la santé d’une victime.

Entré en vigueur le 18 octobre 2011, le règlement du Conseil des ministres du 13 septembre 2011 relatif à la procédure des « cartes bleues » et aux formulaires associés détermine les domaines de compétences des cinq entités qui participent à la procédure. L’État partie explique en détail la démarche et les interventions des fonctionnaires de police dans le cadre de cette procédure.

Le lancement des activités prévues par la loi relative à la lutte contre la violence domestique figure dans les programmes nationaux de prévention de la violence domestique pour les périodes 2006-2016 et 2014-2020.

À l’époque considérée, des dispositions générales aux fins de la protection des victimes de violence domestique étaient en vigueur, notamment celles figurant au chapitre XXVI du Code pénal concernant les infractions contre la famille et la tutelle. En outre, conformément au paragraphe 2 de l’article 58 du Code de la famille et de la tutelle, qui était en vigueur au moment des faits, dans le cadre d’une procédure de divorce, dans des cas exceptionnels, lorsque le comportement manifestement répréhensible d’un conjoint rend la cohabitation impossible, une juridiction peut ordonner l’expulsion de ce dernier, à la demande de l’autre conjoint. L’État partie souligne qu’il ressort du dossier de la procédure de divorce que l’auteure n’avait pas demandé que son mari soit expulsé de leur domicile commun. Lorsqu’elle a confirmé le divorce, le 21 avril 2006, la cour d’appel n’a pas statué sur une telle demande. Si une telle demande avait été formulée, la cour aurait été tenue de se prononcer sur la question. L’État partie fait observer que l’auteure a été représentée par un avocat professionnel pendant la procédure de divorce.

L’État partie affirme que sa législation actuelle prévoit un cadre normatif efficace en matière de protection contre la violence domestique et que, même au moment des faits, il existait un cadre juridique général visant à protéger les victimes de violence domestique. En conséquence, il fait valoir qu’il n’a pas violé les alinéas a) à c) et e) de l’article 2, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention.

En ce qui concerne les allégations de violation des droits que l’auteure tient des alinéas a), c), e) et f) de l’article 2 et de l’article 3, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention, l’État partie fait valoir que les autorités ont agi conformément à la loi. Même s’il y a eu des manquements de la part de la police concernant l’application de l’ordonnance no 21 du directeur général de la police du 31 décembre 2002, les conséquences de cette omission n’étaient pas liées au préjudice pécuniaire (argent volé, incendie de la maison) et n’étaient pas une source de préjudice non pécuniaire. À cet égard, l’État partie partage le point de vue du tribunal régional de Varsovie et de la cour d’appel de Varsovie pour ce qui est des motifs de leurs jugements respectifs du 7 mai 2010 et du 5 mai 2011. Dans le cadre de la procédure civile, l’auteure a déposé une demande d’indemnisation auprès du Trésor public (595 170 zlotys à titre de dommages et intérêts et 50 000 zlotys à titre de réparation pour les actes illégaux commis par les organes publics).

Les juridictions nationales ont dûment analysé les circonstances et ont établi qu’il n’existait pas de lien de causalité probant entre la négligence dont la police, le bureau du procureur et le tribunal de district ont fait preuve dans l’exercice de leurs fonctions, d’une part, et les pertes subies, d’autre part. L’auteure n’a pas prouvé l’illégalité de la procédure menée par le tribunal de district. La première audience s’est tenue le 8 mars 2006, dans le respect de l’obligation d’agir sans retard déraisonnable. Le 19 avril 2006, sur la base de l’expertise de deux psychiatres, le tribunal de district a ordonné que le mari de l’auteure soit admis en observation psychiatrique, conformément à l’article 203 du Code de procédure pénale, afin d’établir s’il était apte à assumer la responsabilité pénale de ses actes. Comme cette décision pouvait faire l’objet d’un appel, le tribunal ne pouvait la faire exécuter tant qu’elle n’était pas définitive. Le mari de l’auteure n’a pas fait obstacle à la procédure, a comparu aux deux audiences et a subi l’examen psychiatrique. Le tribunal de district a déclaré que durant la procédure pénale, il n’y avait aucun motif raisonnable de croire que le mari de l’auteure aurait pu concrétiser ses menaces.

Les juridictions ont toutefois conclu que les actes de la police et du procureur du district de Piaseczno étaient partiellement justifiés. L’auteure et ses filles ont retiré leur demande d’engagement de poursuites et le bureau du procureur de district a abandonné la procédure, ce que l’auteure n’a pas contesté. De plus, les juridictions ont fait observer que, dans la plainte qu’elle avait déposée le 15 mars 2004, l’auteure avait demandé que des poursuites soient engagées contre son mari non pas parce que ce dernier avait proféré des menaces, mais parce qu’il avait volé des fonds. Par conséquent, ni la police ni le procureur n’avaient de motif d’engager des poursuites contre le mari pour des actes visés au paragraphe 1 de l’article 190 du Code pénal. En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle la police n’a pas déclenché la procédure des « cartes bleues », l’État partie souligne que les juridictions ont élargi l’interprétation de l’ordonnance no 21 et la portée littérale de l’obligation incombant aux fonctionnaires de police à ce titre ; selon elles, l’ordonnance aurait dû s’appliquer à la situation de l’auteure, aux fins d’assurer la sécurité de la victime de violence domestique dans les cas où la police n’intervient pas à domicile.

La décision d’abandonner l’enquête, prise le 19 mai 2005 et confirmée par le procureur de district le 23 mai 2005, n’a pas eu de retombées négatives permanentes sur l’auteure, puisque le procureur de district de Varsovie a annulé cette décision le 12 juillet 2005 et que le mari de l’auteure a été inculpé de plusieurs infractions. Les juridictions ont conclu que l’incendie ne pouvait être considéré comme une conséquence typique des omissions des forces de l’ordre. Cet incendie était de nature extraordinaire et n’aurait pu être anticipé dans la succession habituelle des évènements. Même si la procédure engagée contre le mari de l’auteure pour mauvais traitements et détournement de fonds a initialement été abandonnée, le recours que l’auteure a formé s’est révélé justifié et efficace, de sorte que la décision d’abandon de la procédure, jugée incorrecte, a été annulée.

Afin de protéger son droit à un procès équitable, et sur la base des éléments communiqués par les psychiatres, le mari de l’auteure a été admis en observation dans un hôpital psychiatrique. Il ressort du compte rendu de l’audience du 8 mars 2005 que ce n’est qu’à ce moment-là que l’auteure a révélé que son mari souffrait de schizophrénie paranoïde. Comme l’a confirmé le tribunal régional de Varsovie, durant la procédure en première instance, rien ne justifiait d’appliquer des mesures préventives, telles que la détention provisoire, à l’égard du mari de l’auteure puisque ce dernier avait rempli ses obligations procédurales et n’avait pas entravé la procédure pénale de quelque manière que ce soit. Le tribunal n’a pas pu établir avec certitude que le mari de l’auteure avait incendié la maison car, selon les résultats de son autopsie, il n’était plus en vie au moment où le feu a pris. Par conséquent, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu de violation des droits que l’auteure tient des articles précités de la Convention.

En ce qui concerne les allégations de l’auteure selon lesquelles l’État partie, faute d’avoir pris des mesures efficaces pour éliminer les stéréotypes fondés sur le genre qui entravent la protection des droits des femmes victimes de violence domestique, a violé les droits que l’auteure tient des alinéas d) à f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’article 16 de la Convention, l’État partie affirme qu’il attache une grande importance aux mesures visant à éliminer tous les stéréotypes négatifs à l’égard de tous les groupes protégés par la loi en accordant son appui et son patronage à des projets réalisés par des organisations non gouvernementales. Il énumère également les instruments juridiques internationaux qu’il a ratifiés, dont la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul).

Les forces de l’ordre prennent des mesures pour que leur personnel bénéficie d’une préparation professionnelle approfondie en matière de prévention de la violence domestique. Tous les fonctionnaires de police sont tenus de suivre une formation professionnelle de base qui aborde les droits humains. En novembre 2013, la question de la violence domestique a été inscrite au programme de formation de base et de formation à l’encadrement de la police. Le programme national pour l’égalité de traitement 2013-2016 comporte des objectifs et des priorités en matière de lutte contre la violence domestique et de protection des victimes. Un manuel destiné aux fonctionnaires qui interviennent dans les cas de violence domestique, ainsi que des outils et des procédures d’évaluation des risques ont été élaborés et mis en place en décembre 2013, à la suite d’une formation dispensée à l’échelle nationale (35 000 membres du personnel formés). En 2013 et 2014, l’Agence nationale de prévention des problèmes liés à l’alcool a organisé des séances de formation sur la question de la violence domestique et sexuelle liée à l’alcool. De 2013 à 2015, la Représentante du Gouvernement pour l’égalité de traitement a réalisé un projet sur les droits des victimes d’infractions sexuelles. L’État partie a également mené diverses initiatives par l’intermédiaire du Ministère de la famille, du travail et de la politique sociale en 2014 et 2015.

L’État partie fait valoir que la demande d’indemnisation présentée par l’auteure pour les pertes liées à la destruction de la maison est infondée, car le préjudice subi ne résulte pas de violations de la Convention, ni d’actes ou d’omissions des autorités publiques. De plus, la demande de l’auteure concernant le versement d’un montant correspondant à la valeur totale de la maison est injustifiée, car l’auteure ne saurait être considérée comme l’unique propriétaire de ce bien. Elle et son mari était copropriétaires de la maison à parts égales. Selon la législation de l’État partie relative à la cessation de la propriété commune, une propriété commune devient une propriété partagée à laquelle s’appliquent les dispositions concernant la propriété commune héritée. Le jugement de divorce définitif peut servir de base à l’inscription de la propriété partagée au registre foncier et hypothécaire au profit des ex-époux. Dans le cas d’un partage de la propriété commune, l’auteure aurait reçu la moitié de la valeur du bien ou aurait dû verser à son mari une somme correspondant à la valeur de sa part.

Rien ne permet de conclure que l’auteure aurait eu le droit de disposer de la maison à titre exclusif, car elle n’en aurait pas été l’unique propriétaire même si le bien n’avait pas été détruit. Quand le mari de l’auteure, E. S., est décédé, les enfants de ce dernier sont devenus ses héritiers de plein droit. D’après les dossiers, E. S. ne semble pas avoir laissé de testament. Dans ce cas de figure, les dispositions de la succession légale s’appliquent : les enfants et l’épouse héritent à parts égales des biens du défunt, la part de l’épouse correspondant à au moins un quart de l’ensemble de la succession. Or, le divorce de l’auteure et d’E. S. est devenu définitif le 21 avril 2006 et E. S. est décédé le 4 mai 2006. L’auteure n’était plus son épouse et, conformément à la loi, elle ne pouvait hériter de ses biens. Il est probable que les deux enfants d’E. S. soient ses héritiers. Par conséquent, l’auteure n’est pas en droit de demander une indemnité correspondant à la valeur totale de la maison.

L’État partie fait en outre remarquer que le montant demandé par l’auteure est exorbitant, compte tenu de la valeur estimative des biens brûlés communiquée par la compagnie d’assurance. L’auteure conteste cette valeur estimative et adresse le reste de sa demande à l’État partie. À cet égard, l’État partie soutient qu’elle n’a pas intenté d’action contre la compagnie d’assurance pour les préjudices résultant de la destruction de la maison. La maison était assurée, y compris contre le risque d’incendie, pour un montant de 507 000 zlotys. La compagnie d’assurance a versé à l’auteure une indemnité de 106 634,45 zlotys, soit 50 % de la valeur estimée, le reste de l’indemnité devant être versé une fois la procédure de partage des biens achevée. L’auteure n’a pas formulé d’autres requêtes à cet égard, alors qu’elle avait le droit d’intenter une action contre la compagnie d’assurance devant une juridiction civile. L’État partie fait valoir que l’auteure demande au Comité de lui accorder une indemnité qu’elle aurait dû solliciter dans le cadre d’une procédure interne. En outre, elle n’a pas fourni d’éléments de preuve pour étayer le montant du préjudice et, pour obtenir le droit de disposer de la totalité des biens communs, elle aurait été tenue de présenter une décision de justice sur le partage des biens communs, le partage de l’héritage et l’annulation de la copropriété, dans le cadre d’une procédure dont les parties auraient été les héritiers d’E. S. L’État partie affirme que l’auteure n’a pas entrepris de telles démarches.

L’État partie réitère sa position selon laquelle la communication devrait être considérée comme irrecevable pour non-épuisement des recours internes au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, et comme irrecevable pour défaut manifeste de fondement au regard de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

Le 7 avril 2019, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond.

Elle affirme que, si des progrès considérables ont été accomplis, l’État partie n’a pas adopté de mesures efficaces pour éliminer les stéréotypes fondés sur le genre, qui portent atteinte aux droits des femmes victimes de violence domestique.

L’État partie a violé les droits que l’auteure tient des alinéas a) à c) et e) de l’article 2, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention, en ce qu’il ne lui a pas donné accès à des voies de recours efficaces aux fins de sa protection contre la violence domestique. À plusieurs reprises, elle a informé la police qu’elle avait été victime de violence domestique. Le 27 décembre 2003, elle a signalé à la police que son mari l’avait attaquée et menacée. Le 15 mars 2004, elle a déclaré à la police que son mari lui avait volé de l’argent et les avaient menacées, elle et ses filles. Le 18 août 2005, elle a signalé que son mari avait menacé de la tuer et d’incendier leur maison. La police a soit refusé d’ouvrir une enquête, soit abandonné la procédure en raison de formalités juridiques. Cette absence de réaction illustre une perception stéréotypée de l’égalité, qui a permis au mari de l’auteure de garder sa position dominante en dépit de son comportement abusif. Les autorités de police ont minimisé la situation de l’auteure en tant que victime de violence domestique, ce qui l’a rendue vulnérable.

Le mari de l’auteure a finalement été inculpé après une série de faits survenus en 2004. Cependant, la police a initialement abandonné l’enquête par manque de preuves. L’auteure a contesté cette décision. En décembre 2005, elle a dû presser le tribunal de fixer une date pour l’audience pénale de son mari. Cette audience s’est tenue le 8 mars 2006, après quoi le mari a dû subir un examen psychiatrique.

L’auteure souligne qu’au moment des faits, l’État partie ne disposait pas d’un cadre juridique qui lui aurait permis d’assurer une protection juridique efficace contre la violence domestique. La loi relative à la lutte contre la violence domestique est entrée en vigueur le 21 novembre 2005. Ce texte comprend la première définition juridique de la violence domestique.

Aucune disposition juridique n’imposait à la police d’enclencher la procédure des « cartes bleues » si elle constatait des actes de violence domestique dans un contexte autre qu’une intervention à domicile. Les plaintes déposées par les victimes de violence domestique après les faits ne donnaient jamais lieu au lancement de cette procédure.

L’État partie n’a pas pris les mesures préventives nécessaires pour protéger l’auteure contre la violence domestique. Le comportement violent du mari de l’auteure s’est soldé par l’incendie de leur maison commune, le 4 mai 2006. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Pologne le 22 mars 2004. Par conséquent, le Comité est compétent pour examiner la présente communication dans sa quasi-totalité. Certains faits se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif ; néanmoins, le Comité peut tenir compte de ces faits, dans la mesure où ils permettent de contextualiser ceux qui sont survenus après le 22 mars 2004.

L’auteure conteste l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait dû demander l’expulsion de son mari en invoquant le paragraphe 2 de l’article 58 du Code de la famille et de la tutelle. Elle soutient que ce mécanisme est inefficace. En vertu de cet article, une juridiction peut, dans des circonstances exceptionnelles, ordonner l’expulsion d’un conjoint du domicile commun. L’auteure fait remarquer que cette ordonnance d’expulsion s’inscrit dans une procédure de divorce et ne peut en être dissociée. Elle n’est pas immédiatement exécutoire – elle ne le devient que lorsque le divorce est définitivement prononcé. En outre, l’expulsion prévue au paragraphe 2 de l’article 58 du Code de la famille et de la tutelle n’est que temporaire. La juridiction décide, dans le cadre d’une procédure distincte, de la manière dont les biens doivent être répartis entre les deux parties.

Une modification de la loi relative à la lutte contre la violence domestique, qui prévoit de nouveaux mécanismes d’expulsion en faveur des victimes de violence domestique, est entrée en vigueur le 1er août 2010. Elle permet à un procureur ou à une juridiction d’ordonner qu’un individu ayant commis des actes de violence domestique soit expulsé d’une résidence commune. Elle permet également de procéder à une expulsion en dehors du contexte d’une procédure pénale. Au moment des faits susmentionnés, l’auteure ne pouvait avoir recours ni au mécanisme de droit pénal ni à celui de droit civil.

L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des alinéas a) et c) à f) de l’article 2 et de l’article 3, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention, en ne lui accordant pas de protection adéquate contre son mari. À l’époque, aucune disposition législative ne permettait à l’État partie de respecter pleinement les obligations qui lui incombaient au titre de la Convention. Ce n’est que le 1er août 2010 que sont entrées en vigueur des dispositions qui prévoyaient l’expulsion de membres d’une famille qui commettaient des actes de violence domestique.

L’auteure fait valoir que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des alinéas d) et e) de l’article 2, lus conjointement avec l’alinéa f) de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 5 et de l’article 16, lus conjointement avec l’article 1er de la Convention. L’État partie a violé ses droits en ne prenant aucune mesure efficace pour éliminer les stéréotypes fondés sur le genre qui portent atteinte aux droits des femmes victimes de violence domestique. L’auteure souligne que les femmes victimes de violence domestique rencontrent encore de nombreuses difficultés lorsqu’il s’agit d’obtenir une protection efficace.

La violence domestique est répandue dans l’État partie. Selon une étude, en Pologne, 19 % des femmes ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire, actuel ou ancien, ou de la part d’autres personnes. En outre, 37 % des femmes ont subi des violences psychologiques de la part d’un partenaire actuel ou ancien.

L’adoption et la ratification par la Pologne de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) continuent de faire débat. En 2016, le Ministère de la justice a rédigé une demande préliminaire de retrait de la Convention d’Istanbul, laquelle n’avait été ratifiée qu’en 2015. Les organes législatifs de l’État partie ont présenté un projet de loi visant à renforcer la protection des victimes de violence domestique, mais le texte n’a pas été adopté. Par ailleurs, la municipalité de Zakopane refuse depuis des années de mettre en œuvre un programme de prévention de la violence domestique et de nommer un groupe de travail interdisciplinaire, comme le prévoit la loi relative à la lutte contre la violence domestique. Elle a même contesté la constitutionnalité de la loi, mais aucune date n’a été fixée pour l’ouverture de la procédure orale.

Le droit interne n’érige pas expressément la violence domestique en infraction. L’article 207 du Code pénal comporte une définition des actes de violence constituant des infractions pénales qui ne couvre pas tous les éléments caractéristiques de la violence domestique, ni ceux d’autres infractions impliquant des violences domestiques. Selon la doctrine, cette définition est trop étroite et ne constitue donc pas un instrument efficace pour prévenir la violence domestique. Tous les actes de violence domestique ne présentent pas les caractéristiques des actes de violence constituant des infractions pénales, tels que définis dans cet article.

L’auteure demande : a) que lui soient versées une indemnité pour préjudice pécuniaire, conformément au résultat de la procédure interne concernée, et une indemnité pour préjudice non pécuniaire proportionnelle aux violations de ses droits ; b) que l’État partie s’abstienne de dénoncer la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l’Europe (Convention d’Istanbul) ; c) que l’État partie veille à ce que la législation de lutte contre la violence domestique soit pleinement appliquée dans l’ensemble du pays ; d) que l’État partie prenne toutes les mesures nécessaires pour que des violations similaires ne se reproduisent pas ; e) que l’État partie examine et modifie la législation nationale concernée, y compris le Code pénal, en érigeant la violence domestique en infraction, ainsi que le régime relatif aux mesures de précaution (article 275a du Code de procédure pénale et article 11a de la loi relative à la lutte contre la violence domestique) ; f) que l’État partie renforce l’application du cadre juridique en vigueur pour veiller à ce que les autorités compétentes fassent preuve de la diligence voulue pour traiter de manière adéquate et en temps utile les cas de violence domestique ; g) que l’État partie participe à des campagnes de sensibilisation à la question et mène une politique de tolérance zéro tant à l’égard de la violence contre les femmes que de la violence domestique ; h) que l’État partie poursuive les auteurs d’actes de violence domestique pour montrer que ces actes sont condamnés par la société dans son ensemble et pour garantir que des recours tant pénaux que civils sont engagés dans les cas où un auteur représente une menace grave pour une victime ; i) que l’État partie veille à ce que la sécurité des femmes soit dûment prise en considération, en s’assurant que les droits des auteurs d’infractions ne l’emportent pas sur les droits à la vie et à l’intégrité physique et mentale des femmes ; j) que l’État partie lutte contre les idées et les stéréotypes péjoratifs fondés sur le genre qui favorisent la discrimination croisée à l’égard des femmes.

Délibérations du Comité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention. Conformément à l’article 66, il peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond. En application au paragraphe 4 de l’article 72, il est tenu de prendre cette décision avant d’examiner la communication quant au fond.

Le Comité constate que l’auteure a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a toutefois jugé la requête irrecevable, du fait de son introduction hors délai, et ne l’a donc pas examinée quant au fond. Le Comité s’est assuré que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et estime que l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner cette question.

Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, les auteurs d’une communication doivent se prévaloir de tous les recours internes disponibles et avoir saisi les tribunaux nationaux sur le fond du grief qu’ils souhaitent soumettre au Comité afin que les autorités ou les juridictions nationales puissent se prononcer sur ce grief.

À cet égard, le Comité prend acte de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, car : a) elle n’a pas formé de pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre l’arrêt de la cour d’appel ; b) elle n’a pas intenté d’action contre la compagnie d’assurance ; c) elle n’a formulé aucune allégation de discrimination fondée sur le genre au cours de la procédure interne. Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel elle a engagé, en 2007, une action pour responsabilité délictuelle contre l’État partie, réclamant une indemnité couvrant la valeur de la maison et des dommages-intérêts pour un préjudice non pécuniaire lié au fait que l’État partie ne lui aurait pas accordé de protection adéquate contre le comportement violent de son mari, et selon lequel cette requête a été rejetée par les juridictions nationales. Il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel elle était représentée par un avocat et n’a pas formé de pourvoi en cassation car son avocat avait estimé que ce recours n’aurait aucune chance d’aboutir, sachant que, selon le code de déontologie applicable, un avocat ne peut faire appel en cas de non-respect des exigences réglementaires en la matière. En ce qui concerne le deuxième recours, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel il ne se rapporte pas à la plainte dont elle a saisi le Comité. Toutefois, le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure, si elle n’était pas satisfaite de l’indemnité qui lui avait été versée, aurait pu intenter une action contre la compagnie d’assurance en vertu du Code civil.

En outre, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme qu’au cours de la procédure interne, l’auteure n’a pas formulé d’allégation concernant des actes discriminatoires ou des stéréotypes fondés sur le genre qui lui auraient porté préjudice, et qu’elle aurait pu, si elle s’estimait victime de discrimination, engager une action devant les juridictions internes en vertu du Code civil, mais qu’elle ne s’est pas prévalue de ce droit. Le Comité constate que les griefs que l’auteure lui expose au titre de la Convention n’ont pas été présentés au niveau national ; aussi les juridictions internes n’ont-elles pas eu la possibilité d’examiner ces griefs ni y donner suite, le cas échéant. En l’absence de toute autre information ou explication pertinente dans le dossier, le Comité considère que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.