Communication présentée par:

Rahma Abdi-Osman (représentée par son conseil, Gabriella Tau)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Suisse

Date de la communication:

28 novembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références:

Communiquées à l’État partie le 1er décembre 2017 (non publiées sous forme de document)

Date des constatations:

6 juillet 2020

Objet:

Déportation vers l’Italie ; discrimination à l’égard des femmes ; risque de trafic, d’exploitation et de prostitution.

Question de procédure:

Communication manifestement mal fondée.

Articles de la Convention:

2 d), 3 et 6

Article du Protocole facultatif:

4 2) c)

Exposé des faits

L’auteure de la communication est Rahma Abdi-Osman, ressortissante somalienne, née le 1er janvier 1988. Sa demande d’asile a été rejetée et elle risque un renvoi vers l’Italie. Elle prétend qu’en cas de renvoi, la Suisse violerait les articles 2 d) et 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le Protocole facultatif à la Convention est entré en vigueur à l’égard de la Suisse le 29 décembre 2008. L’auteure est représentée par une avocate, Gabriella Tau.

Le 1er décembre 2017, le Comité, agissant au titre de l’article 5, paragraphe 1, du Protocole facultatif à la Convention et de l’article 63 de son règlement intérieur, par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteure vers l’Italie tant que sa communication était à l’examen. Le 7 décembre 2017, l’État partie a informé le Comité que le Secrétariat d’État aux migrations avait demandé à l’autorité compétente de n’entreprendre aucune démarche en vue du transfert de l’auteure vers l’Italie.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure est née à El Buur, province de Galgadud en Somalie. En 2008, elle a été arrachée à sa famille par un membre du groupe somalien Al-Chebab qui l’a épousée de force. Le père de l’auteure a été abattu alors qu’il essayait d’intervenir. L’auteure a ensuite été séquestrée et a subi des traitements dégradants de la part de son mari. Elle a été régulièrement battue et violée. À la suite de ces rapports forcés, l’auteure a donné naissance à un enfant qui lui a été arraché, et dont elle n’a aucune nouvelle. Elle est tombée enceinte à deux autres reprises, mais a été forcée à avorter.

L’auteure a décidé de fuir en passant par la Libye et l’Italie. Elle a demandé l’asile en Italie le 8 novembre 2013 et y a obtenu une protection subsidiaire. Durant son séjour en Italie, elle s’est mariée traditionnellement à un ressortissant italien d’origine somalienne qui résidait en Suisse, dans le canton de Saint-Gall, au titre d’une admission provisoire. Le 2 novembre 2015, l’auteure est arrivée en Suisse et le 10 novembre 2015 elle a demandé l’asile. Elle a immédiatement contacté son mari qui était dans le canton de Saint-Gall. Lors de son audition, l’auteure a indiqué qu’elle était venue en Suisse afin de rejoindre son époux. Elle a également signalé qu’elle souffrait de problèmes gynécologiques à cause des viols qu’elle avait subis et qu’elle avait besoin d’un suivi médical. L’auteure a été envoyée dans le canton de Fribourg. Vu que les époux dépendaient de l’aide sociale, ils n’avaient pas les moyens de se voir régulièrement.

Les autorités suisses ont demandé à l’Italie de réadmettre l’auteure en application du Règlement Dublin III et l’Italie a accepté sa réadmission le 26 janvier 2016. Le 1er mars 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une décision de non-entrée en matière et a ordonné le renvoi de l’auteure en Italie. Le 14 juillet 2016, l’auteure a été conduite en voiture par les autorités suisses jusqu’à la frontière italienne. L’auteure n’a pas été dirigée vers les autorités italiennes compétentes et son dossier médical n’a pas été transmis à l’Italie. L’auteure n’a pas été informée qu’elle devait se rendre à la Questura de Florence, autorité compétente pour son intégration en Italie. L’auteure, qui avait à peine 30 francs suisses en sa possession, a erré pendant douze jours dans les parcs de Côme avec d’autres migrants. En août 2016, l’auteure a finalement réussi à regagner la Suisse et s’est installée avec son époux coutumier à Saint-Gall en vue de constituer une famille.

L’auteure prétend que, depuis son renvoi, son état psychologique s’est détérioré, ce qui est attesté par des rapports psychiatriques et psychologiques. Un rapport du 13 juillet 2016 confirme qu’elle souffre de divers traumatismes et d’un état de stress post-traumatique important. Le rapport atteste qu’elle a été séquestrée par le groupe somalien Al-Chebab en Somalie, qui a fait d’elle une esclave sexuelle pendant des années, et que, durant les deux ans passés en Italie, elle a subi des violences sexuelles. Les rapports médicaux confirment également qu’elle a été victime de nombreux crimes qualifiés d’actes terroristes et qu’elle a été exposée aux horreurs liées aux hostilités et à la guerre en Somalie.

Le 12 août 2016, l’auteure a déposé une nouvelle demande d’asile en Suisse par le biais de son avocate, ainsi qu’une demande de changement de canton. Le 10 octobre 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une seconde décision de non-entrée en matière et a prononcé le renvoi de l’auteure en Italie. Le 20 octobre 2016, il a refusé la demande de changement de canton. Le 5 décembre 2016, le Tribunal administratif fédéral a annulé en appel la décision du Secrétariat d’État aux migrations et a ordonné une instruction complémentaire du dossier. Le 25 janvier 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une nouvelle décision de non-entrée en matière et a prononcé le renvoi de la requérante en Italie. Le 19 juillet 2017, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de l’auteure.

Le 16 août 2017, l’auteure a demandé au Secrétariat d’État aux migrations de reconsidérer sa décision, en particulier en ce qui concerne son renvoi. Elle a également invoqué de nouveaux faits : une grossesse dont l’accouchement était prévu pour le mois de février 2018 et la célébration d’un mariage civil en Suisse avec son mari le 7 avril 2017. Le 22 août 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une décision de non-entrée en matière. Cette décision a été confirmée en appel le 29 septembre 2017 par le Tribunal administratif fédéral, ce dernier considérant l’appel comme téméraire et constituant un abus de droit.

Le 29 mars 2018, l’auteure a soumis des informations supplémentaires au Secrétariat d’État aux migrations, indiquant qu’elle avait donné naissance à une fille le 21 février 2018, ajoutant que, dans de telles circonstances, il était inconcevable qu’elle soit renvoyée en Italie où elle serait seule avec un nouveau-né à charge. Elle affirme que la contraindre à se retrouver dans de telles conditions constituerait une violation de la Convention, puisqu’elle a déjà subi des traumatismes propres à sa condition de femme, notamment l’esclavage sexuel, le mariage forcé et les avortements, et qu’elle ferait face, à la suite de son renvoi, à une violation supplémentaire qui découlerait du fait qu’elle devrait assumer, seule et loin de son mari, la responsabilité d’élever son nouveau-né dans des conditions difficiles autant sur le plan psychologique que physique.

L’auteure fait référence à de multiples rapports relatant le contexte de l’Italie face à la crise migratoire en Méditerranéeet les cas des requérants d’asile en situation de vulnérabilité, plus particulièrement les femmes victimes de traite et de prostitution. L’auteure souligne que si l’accès aux soins est en principe possible en Italie, sa prise en charge financière par l’État n’est possible que de manière partielle durant les deux premiers mois, et son accès serait limité pour l’auteure pour cause d’exclusion sociale. Par ailleurs, l’Italie ne dispose pas de système pour identifier les victimes de la traite d’êtres humains et les centres de premier accueil pour requérants d’asile ne disposent pas de service de soutien psychologique.

L’auteure cite les conclusions d’un rapport du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), du Conseil de l’Europe, qui affirme être conscient des immenses problèmes que pose à l’Italie l’afflux sans précédent de migrants et de réfugiés et salue les importants efforts entrepris par le pays, avec l’aide des organisations internationales et de la société civile, pour relever ce défi. Le rapport, publié à la suite d’une visite effectuée en septembre 2016, révèle des lacunes dans la détection des victimes de la traite parmi les migrants. Il porte une attention particulière à la situation des femmes et des jeunes filles nigérianes qui viennent de plus en plus nombreuses en Italie et dont beaucoup sont susceptibles d’être victimes de traite à des fins d’exploitation en Europe. Le GRETA exprime sa préoccupation concernant le défaut d’identification précoce de ces personnes en tant que victimes de la traite et la manière dont sont mis en œuvre les retours forcés des victimes de la traite vers leur pays d’origine. Le GRETA exhorte par ailleurs les autorités italiennes à améliorer l’identification des victimes de la traite parmi les migrants et les demandeurs d’asile en établissant des procédures claires et contraignantes et en formant systématiquement les agents de police de l’immigration et le personnel travaillant dans les centres d’accueil et d’aide de première urgence.

L’auteure décrit également la situation des hébergements d’accueil pour les migrants en Italie. Malgré la création de places extraordinaires, la paralysie totale du système d’accueil au cours des deux dernières années n’a pu être évitée que grâce au quota important de migrants arrivants qui se sont éloignés volontairement des foyers de premier accueil étatique afin de se soustraire aux procédures d’identification et au Règlement Dublin III. Par ailleurs, même si des mesures d’accueil sont prévues pour les demandeurs d’asile, les migrants doivent attendre des semaines voire des mois avant de pouvoir déposer leur demande d’asile, sans avoir entre-temps accès à un hébergement. De plus, ceux qui ont obtenu un titre de protection internationale ou humanitaire doivent quitter les structures d’accueil. En ce qui concerne l’hébergement dans les structures étatiques, des enquêtes ont confirmé que même les personnes vulnérables, comme les victimes de tortures, n’ont pas de garanties d’être hébergées dans des foyers pour requérants d’asile et n’ont pas accès à des services d’accueil adéquats.

L’auteure fait également référence à un rapport conjoint du Danish Refugee Council et de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés sur la situation des personnes vulnérables transférées vers l’Italie en vertu du Règlement Dublin III. S’appuyant sur six études de cas, le rapport démontre qu’il existe des difficultés substantielles pour les personnes transférées vers l’Italie, qu’elles sont exposées à des risques de violations de leurs droits et que la manière dont les familles et les personnes vulnérables sont reçues par les autorités italiennes est très arbitraire.

Teneur de la plainte

L’auteure soutient qu’en la renvoyant en Italie, l’État partie violerait les obligations que lui imposent les articles 2 d) et 6 de la Convention.

L’auteure soutient qu’en application de l’article 2 d) de la Convention, le Secrétariat d’État aux migrations, le Tribunal administratif fédéral et les autorités cantonales chargées de son renvoi en Italie sont tenus d’agir en conformité avec l’obligation de s’abstenir de tout acte discriminatoire contre les femmes. L’auteure se réfère à la recommandation générale no 32 (2014) du Comité, sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, selon laquelle les États parties ne peuvent prendre une décision concernant une personne sous leur juridiction dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne consacrés par la Convention seront gravement compromis sous une autre juridiction. Elle ajoute que les États parties ont l’obligation de veiller à ce qu’aucune femme ne soit expulsée ou renvoyée dans un autre État où sa vie, son intégrité physique, sa liberté et la sécurité de sa personne seraient mises en danger et où elle risquerait de subir des formes graves de persécutions ou de violences sexistes. L’auteure indique qu’un renvoi en Italie l’exposerait à un « risque réel, personnel et prévisible » d’être victime de formes graves de discrimination contre la femme, notamment de violence fondée sur le sexe. Cette forme grave de discrimination serait une conséquence « nécessaire et prévisible » de son renvoi en Italie.

En ce qui concerne l’article 6, l’auteure fait valoir qu’au vu des informations étayées dans les paragraphes précédents, elle court un grand risque de se retrouver à la rue, sans hébergement et exposée à la prostitution, si elle venait à être expulsée une nouvelle fois en Italie. Elle prétend que ce risque a déjà été réalisé lors de ses deux séjours en Italie, ce que confirment les conclusions des rapports précités. L’auteure ajoute que l’État partie n’a pas entrepris d’évaluation individuelle suffisante de son cas et, par conséquent, n’a pas reconnu les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la requérante se trouve, ainsi que son besoin impératif de protection en tant que victime de mariage forcé et d’abus sexuels graves. L’auteure se réfère à la recommandation générale no 35 (2017) du Comité, sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19, qui dispose que le viol et l’esclavage sexuel peuvent être assimilés à de la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et qui recommande à l’État partie de « prévoir des mécanismes de protection adaptés et accessibles pour éviter toute violence supplémentaire » à l’égard des femmes.

L’auteure soutient qu’il est hautement probable, au vu de ce qui précède, qu’en cas de renvoi en Italie, elle n’aurait accès ni à un hébergement, ni à des soins médicaux, ni à une protection adéquate ou/et à un suivi en vue d’une réadaptation efficace en tant que victime de mariage forcé et de violences sexuelles et que cela aurait des conséquences particulièrement traumatisantes sur sa santé physique et psychique.

Selon l’auteure, les autorités suisses n’ont pas pris en compte de manière adéquate l’ensemble des éléments relatifs aux atteintes sexuelles dont elle s’est plainte. En ce qui concerne les violences subies en Somalie, l’État partie s’est contenté d’exposer que rien ne permettait de démontrer que l’Italie serait incapable d’offrir à l’auteure un environnement propice à soigner les traumatismes découlant de ces traitements inhumains et dégradants. Concernant les violences sexuelles subies en Italie, les autorités suisses ont remis en doute les propos de l’auteure sans procéder à une analyse approfondie en la matière. L’auteure regrette également que l’État partie se soit borné à se référer à la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, qui garantit aux requérants d’asile l’accès non discriminatoire au logement et aux soins de santé, sans examiner la mise en œuvre de cet accès dans la pratique en Italie, et ce, malgré la présence d’informations contraires, à savoir les déclarations de l’auteure et des rapports d’organisations non gouvernementales, de médias et d’organisations internationales.

L’auteure ajoute qu’il ne devrait pas être exigé de la part d’une femme souffrant de traumatismes psychiques dus à l’esclavage sexuel de se séparer de son mari alors qu’elle est enceinte, pour aller se réinstaller dans un autre pays et se retrouver seule avec son enfant à naître. Au vu de ces éléments, l’attitude de l’État partie doit être qualifiée de discriminatoire envers l’auteure.

Au vu de ce qui précède, l’auteure estime que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher qu’elle ne soit une nouvelle fois victime de traumatismes et de prostitution. Il existe un risque réel qu’elle soit exposée à des actes discriminatoires au titre de la Convention, notamment des violences sexuelles, en cas de renvoi vers l’Italie. Ainsi, sa déportation violerait les articles 2 d) et 6 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

Le 29 mai 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie rappelle les faits de l’espèce, notamment que l’auteure a obtenu une protection subsidiaire en Italie en 2013, qu’elle a été transférée en Sicile, où elle a été placée dans un camp dont la plupart des occupants sont des hommes, où elle a été victime d’harcèlements sexuels. En juin 2015, elle s’est mariée à un ressortissant somalien qui était au bénéfice d’une protection subsidiaire en Suisse. L’auteure a quitté l’Italie pour la Suisse le 2 novembre 2015 et a déposé une demande d’asile le 10 novembre 2015. Le 1er mars 2016, le Secrétariat d’État aux migrations n’est pas entré en matière et a prononcé son renvoi en Italie. Le 14 juillet 2016, l’auteure a été transférée en Italie.

L’État partie souligne que le Secrétariat d’État aux migrations a sommairement auditionné l’auteure sur ses données personnelles le 24 novembre 2015. Une comparaison des empreintes digitales avec le système Eurodac a révélé que l’auteure avait déjà été enregistrée en Italie le 8 novembre 2013 comme requérante d’asile. Le 15 décembre 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a adressé à l’Unité Dublin du Ministère de l’intérieur italien une requête aux fins de reprise de l’auteure au titre de l’article 18 du Règlement Dublin III. Le 28 décembre 2015, l’Unité Dublin a informé le Secrétariat d’État aux migrations que l’auteure était au bénéfice de la protection subsidiaire en Toscane. Le 6 janvier 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a clos la procédure Dublin et a octroyé à l’auteure le droit d’être entendue concernant la décision de non-entrée en matière et de renvoi en Italie. Le 12 janvier 2016, il a requis la réadmission de l’auteure en Italie. Le 16 janvier 2016, l’auteure a fait valoir qu’elle avait séjourné dans un camp accueillant presque exclusivement des hommes et qu’elle y avait subi des violences, en particulier sexuelles. Elle aurait essayé, en vain, de changer de centre et aurait été contrainte de vivre dans la rue. Le 29 janvier 2016, le Ministère de l’intérieur italien a accepté la requête du Secrétariat d’État aux migrations, l’auteure bénéficiant d’une protection subsidiaire en Italie valide jusqu’au 11 novembre 2019.

Le 1er mars 2016, le Secrétariat d’État aux migrations n’est pas entré en matière sur la demande d’asile de l’auteure, retenant qu’elle était au bénéfice de la protection subsidiaire en Italie, État qualifié comme sûr par le Conseil fédéral. Il a également rappelé que l’Italie était liée par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les requérants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale. Selon cette directive, les personnes au bénéfice de la protection subsidiaire bénéficient des mêmes droits que les ressortissants italiens en ce qui concerne l’accès aux soins, le marché du travail et les assurances sociales. Si ces conditions n’étaient pas remplies, l’auteure devrait faire valoir ses droits en Italie. Le Secrétariat d’État aux migrations a aussi noté que l’Italie était un État de droit doté d’une police qui est disposée et apte à protéger l’auteure et pouvant fournir les soins nécessaires à l’auteure.

Le 14 mars 2016, l’auteure a interjeté appel auprès du Tribunal administratif fédéral et a transmis une attestation médicale le 22 mars 2016 indiquant qu’elle était suivie pour un traitement psychiatrique et psychothérapique, qu’elle présentait des symptômes d’un état post-traumatique massif et que l’exécution de son renvoi vers l’Italie pourrait avoir de graves conséquences sur sa santé psychique. Le 24 mars 2016, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours aux motifs suivants : les violences qu’elles auraient subies en Italie relevaient de la compétence des autorités italiennes ; l’auteure avait essayé de tromper les autorités suisses sur son statut en Italie, en conséquence de quoi ses déclarations sur l’absence de soutien de l’État italien ne pouvaient être crédibles ; le renvoi de l’auteure ne constituerait pas une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) ; l’auteure pourrait faire une demande de regroupement familial depuis l’Italie ; l’appareil judiciaire et policier fonctionnait en Italie et il n’existait pas d’indices concrets permettant d’affirmer que cette protection n’avait pas été accordée à l’auteure par le passé ; l’auteure pourrait accéder en Italie aux soins médicaux nécessaires et son état de santé ne la faisait pas apparaître comme une personne vulnérable dont la santé ou la vie pourrait être en danger en cas de renvoi.

Le 14 juillet 2016, l’auteure a été transférée en Italie par le poste frontière Ponte Chiasso et remise à la police italienne. Le Secrétariat d’État aux migrations avait, par télécopie du 6 juillet 2016, informé les autorités italiennes que l’auteure souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique et leur avait transmis son certificat médical ainsi qu’une traduction en italien.

Le 12 août 2016, l’auteure est revenue clandestinement en Suisse et y a déposé une demande d’asile, ainsi qu’une demande de changement de canton afin de vivre avec son époux. Elle a fait valoir, en particulier, qu’après son renvoi en Italie, elle avait été livrée à elle-même à la frontière et qu’elle était restée douze jours à Côme, dormant avec d’autres migrants dans des parcs publics, que son dossier médical n’avait pas été transmis aux autorités italiennes et que son état de santé et les conditions d’accueil en Italie rendaient inexigible un retour dans ce pays. Elle a transmis un rapport médical daté du 13 juillet 2016 et a indiqué qu’elle avait fait une demande d’ouverture de procédure de préparation de mariage le 7 juillet 2016. Le 25 août 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a octroyé à l’auteure le droit d’être entendue. Par lettre du 5 septembre 2016, l’auteure a complété ses observations, estimant qu’en Italie elle n’aurait pas accès aux soins médicaux nécessaires. Elle a soumis un certificat médical du 31 août 2016 qui constatait une aggravation brutale des symptômes, le renvoi de l’auteure vers l’Italie ayant constitué un nouveau traumatisme.

Le 10 octobre 2016, le Secrétariat d’État aux migrations n’est pas entré en matière sur la demande d’asile de l’auteure, constatant qu’il ne ressortait pas du certificat médical que le traitement et le suivi requis atteignaient un degré de spécialisation tel qu’ils ne pouvaient pas être effectués en Italie, pays disposant des structures médicales permettant la prise en charge de tout type de maladie. Concernant le risque de passage à l’acte suicidaire, le Secrétariat d’État aux migrations a rappelé qu’une tendance à l’acte auto-agressif lorsqu’un renvoi de Suisse est ordonné ne saurait constituer un motif d’inexigibilité de renvoi.

Le 20 octobre 2016 l’auteure a interjeté appel auprès du Tribunal administratif fédéral. Le 5 décembre 2016, le Tribunal a renvoyé le dossier au Secrétariat d’État aux migrations pour cause d’omission de demande d’accord avec l’Italie. Le 12 janvier 2017, le Ministère de l’intérieur italien a accepté la réadmission de l’auteure. Le 25 janvier 2017, le Secrétariat d’État aux migrations n’est pas entré en matière et a confirmé le renvoi de l’auteure en Italie, notant que les allégations de l’auteure selon lesquelles elle n’avait pas été prise en charge lors de son transfert en Italie le 14 juillet 2016 n’étaient pas étayées, et que l’auteure était désormais consciente qu’il lui appartenait de se présenter à la Questura de Florence après sa remise aux autorités italiennes. Le Secrétariat d’État aux migrations a ajouté que rien ne montrait que l’auteure avait demandé sans succès de l’aide aux autorités italiennes, ce qui l’avait obligée à quitter l’Italie, et qu’aucun élément ne permettait de déterminer que l’Italie refuserait la prise en charge sociale et médicale de cette dernière.

Le 2 février 2017, l’auteure a interjeté recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations du 25 janvier 2017. Elle a ajouté plusieurs attestations et a allégué la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles 3, 14 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; se référant à des rapports de Médecins sans frontières, elle prétendait que l’Italie n’était pas en mesure de répondre à ses besoins en tant que personne vulnérable. Le 9 mai 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a attribué l’auteure au canton de Saint-Gall pour la durée de la procédure d’asile. Par arrêt du 19 juillet, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours de l’auteure. Le 16 août 2017, l’auteure a demandé la reconsidération de son cas, au motif de sa grossesse et de son mariage civil en Suisse. Le 22 août 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande. L’auteure a interjeté appel auprès du Tribunal administratif fédéral. Par arrêt du 29 septembre 2017, le Tribunal a rejeté le recours considérant qu’il poursuivait un but dilatoire et s’avérait abusif ; qu’hormis sa grossesse invoquée tardivement, l’auteure n’avait apporté aucun élément nouveau ; que la procédure de reconsidération visait en fait un réexamen d’éléments de fait et de droit déjà examinés par le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal.

L’État partie fait valoir que les arguments avancés devant le Comité ont été appréciés à plusieurs reprises de manière circonstancielle et que la communication ne contient aucun élément ou moyen de preuve nouveau de nature à modifier les considérants contenus dans les décisions du Secrétariat d’État aux migrations et du Tribunal administratif fédéral. L’État partie note que le seul grief nouveau est celui de la traite d’êtres humains, sans donner d’explication précise sur son cas particulier. Le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont pris position et ont examiné les griefs invoqués par l’auteure dans plusieurs décisions et arrêts. En particulier, l’État partie a examiné si, compte tenu de sa situation, l’auteure serait exposée en Italie au risque de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, aux articles 3, 14 et 16 de la Convention contre la torture, ou à l’article 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le Tribunal administratif fédéral a également examiné le respect du principe de l’unité familiale et le respect de la protection de la vie familiale.

L’État partie rappelle qu’il incombe aux autorités des États parties d’apprécier les éléments de preuve ou l’application qui est faite de la législation nationale dans un cas particulier, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes liés au sexe constituant une discrimination à l’égard des femmes, relevait manifestement de l’arbitraire ou représentait un déni de justice.

L’État partie observe que, dans sa communication, l’auteure ne se cantonne pas à des allégations générales et stéréotypées, mais avance aussi des éléments contradictoires, affirmant dans un premier temps avoir été amenée en voiture jusqu’à la frontière italienne pour y être abandonnée, et ajoutant dans un deuxième temps que l’assurance, par les autorités italiennes, d’une prise en charge adaptée à sa situation lui permettrait peut-être de pouvoir envisager de demeurer en Italie dans des conditions adéquates et conformes à la prise en compte des traumatismes spécifiques dont elle a été victime.

En ce qui concerne l’hébergement et l’accès à des soins médicaux spécialisés en Italie, l’État partie note que l’auteure n’a pas démontré l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe, n’établissant aucun lien entre le fait que les autorités italiennes ne lui offraient pas des conditions d’accueil adéquates et les violations de la Convention qu’elle invoque. L’auteure ne démontre pas non plus de manière crédible qu’elle se serait adressée aux autorités italiennes pour obtenir une protection adéquate.

L’État partie estime qu’en substance, l’auteure vise à contester la manière dont les autorités suisses ont apprécié les éléments de fait de son cas, ont appliqué les dispositions de la législation et ont tiré des conclusions. Les autorités suisses ont conclu que le récit de l’auteure manquait de crédibilité et n’était pas suffisamment motivé. Les informations limitées fournies par l’auteure pour appuyer sa communication ne permettent pas de parvenir à une autre conclusion. Au vu de ce qui précède, l’État partie invite le Comité à déclarer la communication irrecevable comme insuffisamment étayée au titre de l’article 4, paragraphe 2, du Protocole facultatif.

Si toutefois le Comité estime que les articles invoqués par l’auteure sont considérés comme applicables par la Suisse, la Suisse considère qu’elle n’a pas violé la Convention, pour les raisons détaillées ci-dessous.

En ce qui concerne l’article 2 de la Convention, l’État partie rappelle que le Comité a conclu à des violations de cet article dans d’autres affaires que celles de non-refoulement. Par ailleurs, dans deux communications récentes concernant le Danemark et traitant de non-refoulement – renvoi des auteures vers la Somalie –, le Comité a considéré, sans sous-estimer les inquiétudes qui pouvaient être légitimement exprimées quant à la situation générale des droits fondamentaux en Somalie, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes, que les autorités de l’État partie avaient porté toute l’attention voulue aux demandes d’asile formées par les auteures. Il a donc estimé que les autorités de l’État partie avaient procédé à l’examen des demandes d’asile des auteures dans le respect des obligations qui leur incombent au titre de la Convention. L’État partie soutient que, dans le cas présent, les autorités suisses ont examiné la demande d’asile de l’auteure dans le respect des obligations qui leur incombent au titre de la Convention.

L’État partie souligne aussi que les griefs relatifs au manque de prise en charge adéquate des requérants d’asile vulnérables en Italie en général et en particulier les conséquences de la crise en Méditerranée, l’accès aux soins en Italie, les conditions d’hébergement – arguments que l’auteure a déjà invoqués devant le Tribunal administratif fédéral – touchent la population dans son ensemble et ne relèvent pas du champ d’application de l’article 2 de la Convention. En outre, il n’appartient pas aux autorités suisses d’assurer que, à la suite d’un transfert vers l’Italie, les personnes au bénéfice d’une protection internationale disposent de moyens de subsistance suffisants. Après avoir examiné les griefs de l’auteure, les autorités suisses compétentes ont conclu qu’il n’existait pas d’indices permettant d’affirmer que l’auteure courrait un risque d’être soumise à de graves violences fondées sur le sexe en Italie ou que les autorités italiennes ne lui assureraient pas une protection efficace contre d’éventuelles violences fondées sur le sexe. L’auteure n’a pas apporté, dans sa communication, d’éléments propres à renverser cette constatation.

L’État partie rappelle que l’Italie en tant qu’État partie à la Convention et au Protocole facultatif est tenue d’en appliquer les dispositions. L’Italie est également liée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que divers autres traités et règlements de droits fondamentaux, dont la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, ainsi que la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil. Ainsi, l’Italie est tenue de respecter la sécurité des requérants d’asile et doit notamment garantir aux bénéficiaires une protection internationale, l’accès aux soins, à un logement et à un emploi dans les mêmes conditions qu’aux ressortissants nationaux. Par ailleurs, l’Italie dispose d’un système judiciaire efficace permettant d’établir des faits et, le cas échéant, de sanctionner des auteurs de violences. Par conséquent, l’État partie conclu qu’il n’a pas violé l’article 2 de la Convention.

L’État partie note ensuite que l’auteure allègue qu’en cas de renvoi, en tant que victime de mariage forcé et de violences conjugales, dans un pays où elle n’aurait pas accès aux soins spécialisés nécessaires, tout en la séparant de son mari et père de son enfant, la Suisse violerait l’article 3 de la Convention. L’auteure a déjà soulevé ces griefs au niveau national et ils ont été soigneusement examinés. L’État partie soutient que l’auteure serait en mesure d’obtenir les soins requis en Italie, y compris, si nécessaire, un traitement des troubles mentaux, et pourrait y poursuivre sa thérapie. D’après l’État partie, et sans sous-estimer l’état de santé de l’auteure, celui-ci n’a pas évolué depuis l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 29 septembre 2017 et l’Italie s’est engagée pour la prise en charge spécifique de personnes vulnérables bénéficiant d’une protection internationale. Ainsi, rien ne permet de démontrer que l’Italie ne serait pas capable d’offrir à l’auteure un environnement propice aux soins des traumatismes subis. Il appartiendra aux autorités suisses d’informer leurs homologues italiens de la situation médicale de l’auteure lors de l’exécution du renvoi, comme elles l’ont fait lors de son précédent transfert.

Concernant le grief invoqué par l’auteure établissant qu’un transfert ne pourrait pas être exigé car il la séparerait, elle et son enfant, de son mari, l’État partie note qu’il a déjà été examiné par les autorités nationales, qui ont conclu qu’une alternative de séjour pour le couple existait en Italie. Par ailleurs, le mari peut engager une procédure de regroupement familial dont l’auteure pourrait attendre l’issue en Italie, où elle pourrait alternativement enclencher une procédure de regroupement familial avec son mari en Italie. Ni la complexité, ni la durée incertaine de la procédure ne sont des obstacles insurmontables à la réalisation à terme de la vie familiale du couple, en Suisse ou en Italie. En conséquence, l’article 3 de la Convention n’a pas été violé.

Enfin, l’État partie argue qu’il n’y a pas de violation de l’article 6 de la Convention puisque les autorités nationales ont soigneusement examiné ce grief et constaté que l’auteure n’avait jamais fait valoir qu’elle avait subi des violences sexuelles entre son transfert le 14 juillet 2016 et son retour en Suisse. Pour ce qui concerne les allégations de violences sexuelles subies lors du premier séjour de l’auteure en Italie, les autorités suisses ont constaté qu’il appartenait à l’auteure de faire valoir d’éventuelles violences sexuelles aux autorités italiennes et de demander leur aide. Les autorités suisses ont constaté que l’appareil judiciaire et policier en Italie était fonctionnel et qu’il n’existait pas d’indices permettant d’affirmer que cette protection n’aurait pas été accordée à l’auteure par le passé. De plus, l’auteure n’a jamais invoqué la traite d’êtres humains auprès des autorités suisses durant la procédure d’asile.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

Le 22 octobre 2018, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

Concernant l’applicabilité des dispositions de la Convention en Suisse, l’auteure note que le Comité a constaté avec préoccupation un manque de clarté relatif à l’applicabilité directe de ces dispositions et a exhorté l’État partie à apporter des éclaircissements quant à l’applicabilité directe de la Convention dans le cadre juridique national. De plus, le Comité s’est dit préoccupé par le fait que, conformément au principe du monisme, la décision d’appliquer directement les dispositions de la Convention soit laissée à la discrétion du tribunal fédéral et d’autres autorités judiciaires au niveau fédéral ou cantonal. Le Comité avait par ailleurs recommandé à l’État partie d’assurer l’application effective des droits énoncés dans la Convention et de permettre aux femmes de disposer des voies de recours appropriées devant les tribunaux lorsque les droits protégés par ladite Convention sont violés.

L’auteure rejette l’argumentation de l’État partie selon laquelle la communication n’a pas été suffisamment motivée et réitère ses allégations au titre des articles 2 d) et 6 de la Convention. Elle rappelle être une requérante d’asile déboutée, vulnérable, avec un bébé à charge, ancienne victime d’abus sexuels, et souligne qu’elle encourt un risque réel et prévisible de se retrouver à la rue, sans hébergement et exposée à la prostitution si elle était renvoyée en Italie. Elle affirme que les autorités suisses ont négligé ses allégations du fait qu’elle bénéficiait de la protection subsidiaire en Italie. Elle réaffirme avoir été renvoyée en Italie sans que les autorités italiennes ne soient informées de sa situation médicale. La télécopie du 6 juillet 2016 présentée par l’État partie mentionne expressément que le document n’est pas parvenu aux autorités italiennes ; l’auteure ajoute que même si les autorités italiennes avaient reçu ce document, l’État partie avait l’obligation de s’assurer de la bonne réception de ces informations.

L’auteure se réfère à la jurisprudence du Comité contre la torture qui a conclu en 2018 que le système actuel d’accès aux soins spécifiques pour requérants d’asile souffrant de traumatismes et autres affections de nature mentale en Italie est insuffisant. Selon l’auteure, les conditions de vie en Italie pour les requérants d’asile, plus particulièrement pour les personnes vulnérables comme l’auteure qui souffrent de problèmes psychiques, devraient être qualifiées d’intolérables. Ces mauvaises conditions d’accueil sont confirmées par une multitude de sources, citées dans la communication initiale. À la lecture de ces rapports, il est évident qu’aucune réadaptation efficace en tant que victime de violences sexuelles et de mauvais traitements ne sera mise en place en Italie au bénéfice de l’auteure. Un tel traitement engendrerait une situation d’angoisse et aurait des conséquences particulièrement traumatisantes sur sa santé psychique et physique. Compte tenu de sa fragilité et de sa situation actuelle, les conditions d’existence en Italie auxquelles elle serait exposée en cas de renvoi témoignent d’un manque de respect pour sa dignité et constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant.

L’auteure argue que les observations de l’État partie selon lesquelles elle n’a pas cherché de l’aide auprès des autorités italiennes est dénuée de fondement. En effet, l’auteure n’a pas été accompagnée vers l’autorité de référence italienne ni été informée de l’endroit où elle devait se rendre. Victime de traumatismes graves et abandonnée à la frontière dans un État où elle risque de subir de nouvelles violences sexuelles, l’auteure a été contrainte de suivre d’autres migrants, espérant être guidée, son seul espoir étant de rejoindre son conjoint en Suisse. Son séjour dans les parcs publics de Côme s’est produit dans des conditions inhumaines et dégradantes.

Selon l’auteure, l’État partie a ainsi négligé son obligation découlant de la Convention en concluant qu’en raison de sa protection subsidiaire en Italie, le renvoi de l’auteure était exécutoire. S’il avait entrepris une évaluation individuelle suffisante du cas d’espèce, l’État partie aurait reconnu les circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’auteure se trouve et son besoin impératif de protection en tant que victime de mariage forcé et d’abus sexuels graves.

L’auteure note qu’elle a impérativement besoin d’un environnement stable, dont elle pourra bénéficier en Suisse où vit son mari avec lequel elle a un enfant et une vie familiale effective. L’auteure se réfère à nouveau à la jurisprudence du Comité contre la torture qui a conclu que séparer une personne vulnérable du soutien familial dont elle bénéficie et la priver de soins spécifiques entraîne une violation de la Convention contre la torture. Quant à l’argument de l’État partie indiquant que l’auteure pourrait s’installer en Italie avec son mari et son enfant, l’auteure soutient qu’elle ne dispose d’aucune structure pouvant les accueillir en Italie et qu’elle n’y recevra aucune aide étatique malgré la protection subsidiaire dont elle bénéficie. Elle ajoute que les époux sont intégrés au système suisse où le mari exerce une activité lucrative. Elle souligne qu’il est inconcevable d’exiger d’un couple qu’il s’installe avec un enfant en bas âge en Italie, pays dont l’auteure garde un souvenir amer et l’associe à des traumatismes similaires à ceux vécus en Somalie.

L’auteure prétend avoir suffisamment étayé les traumatismes qu’elle a subis, invoquant à nouveau le contenu de ses certificats médicaux, y compris le risque de passage à l’acte suicidaire en cas de renvoi. En se référant aux observations finales concernant le septième rapport périodique de l’Italie dans lesquelles le Comité avait conclu au manque de services aux réfugiés, en particulier aux femmes ayant des besoins et des vulnérabilités spécifiques, l’auteure conclut que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher qu’elle ne soit une nouvelle fois victime de traumatismes et de traite d’être humain, qu’il existe un risque réel qu’elle soit livrée à des actes discriminatoires au sens de la Convention, et réaffirme que son renvoi constituerait une violation des articles 2 d) et 6 de la Convention.

Concernant l’application de l’article 2 d) de la Convention, l’auteure répète que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, celui-ci prend le risque qu’elle se retrouve discriminée, au motif que cela arrive à l’ensemble de la population. Or, l’auteure rappelle qu’il incombe à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter toute discrimination à l’égard de l’auteure. Le Comité a déjà noté avec préoccupation : l’absence en Italie de cadre complet et harmonisé, y compris de procédures, lignes directrices et normes claires en vue de l’identification et de l’assistance en faveur des personnes ayant des besoins et des vulnérabilités spécifiques, notamment les réfugiées et les demandeuses d’asile. Il a également noté avec préoccupation : le nombre insuffisant de centres d’accueil et la surpopulation dans les centres existants qui se trouvent, par ailleurs, dans des conditions déplorables, en raison du nombre croissant de réfugiés et de demandeurs d’asile qui entrent dans le pays ; le manque de services aux réfugiés et demandeurs d’asile placés en détention administrative, en particulier aux femmes ayant des besoins et des vulnérabilités spécifiques ; et l’insuffisance du soutien financier accordé aux organisations de la société civile travaillant avec des femmes réfugiées et des demandeuses d’asile.

Concernant les violences sexistes, le Comité a déclaré être préoccupé par : la forte prévalence de la violence sexiste à l’égard des femmes et des filles en Italie ; la sous-déclaration de la violence sexiste à l’égard des femmes et les faibles taux de poursuites et de condamnations, qui entraînent l’impunité des auteurs ; l’impact cumulé et le chevauchement d’actes racistes, xénophobes et sexistes à l’égard des femmes ; et les disparités régionales et locales dans la disponibilité et la qualité des services d’assistance et de protection, notamment les refuges, pour les femmes victimes de violence, ainsi que les formes croisées de discrimination à l’égard des femmes issues de groupes minoritaires qui sont victimes de violence.

Concernant la traite d’êtres humains, le Comité a constaté avec préoccupation : l’absence d’une législation complète tenant compte des disparités entre les sexes ; le faible taux de poursuites et de condamnations ; l’absence de mécanismes appropriés d’identification et d’orientation des victimes de traite ayant besoin de protection ; l’insuffisance des ressources pouvant permettre la mise en œuvre effective du système de protection, en particulier pour les femmes migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile qui sont victimes ou exposées au risque de traite ; l’absence de mécanismes de réhabilitation et de réintégration systématiques.

Au vu de ces préoccupations, la présomption selon laquelle la sécurité des requérants d’asile est respectée en Italie est renversée dans le cas de l’auteure. Le fait qu’on dispose d’un système judiciaire ne suffit pas, puisqu’il est nécessaire également que ce dernier fonctionne. Dans le cas d’espèce, le risque de dysfonctionnement demeure latent. En acceptant ce risque, l’État partie faillit à son obligation au titre de la Convention.

Concernant l’article 3 de la Convention, l’auteure réfute les arguments de l’État partie quant à la capacité de l’Italie en matière d’assistance aux requérants d’asile victimes de torture, puisque des rapports d’organisations non gouvernementales indiquent que l’accès aux soins pour des victimes de trauma est quasi inexistant et que le Comité, dans ses observation finales concernant le septième rapport périodique de l’Italie, s’inquiète de la réduction des fonds publics affectés aux soins de santé, qui a un effet préjudiciable sur la santé des femmes, en particulier celles appartenant à des groupes défavorisés et marginalisés.

Quant à l’article 6 de la Convention, l’auteure réfute l’argument de l’État partie selon lequel il lui appartenait de faire valoir qu’elle avait besoin d’aide auprès des autorités italiennes en raison des violences sexuelles qu’elle avait subies. En effet, cette éventualité n’est pas assurée en Italie d’autant que le Comité se préoccupe, dans ses observations finales concernant le septième rapport périodique de l’Italie, des difficultés rencontrées par les femmes dans la revendication de leurs droits en raison de la méconnaissance juridique, des coûts et de la durée des procédures, de l’insuffisance de l’assistance juridique, du sexisme dans le système judiciaire et de l’absence de réparation.

Au vu de ce qui précède, l’auteure fait valoir qu’il existe un risque réel qu’elle soit livrée à des actes discriminatoires au sens de la Convention en cas d’expulsion en Italie et conclut que son expulsion violerait les articles 2 d) et 6 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Conformément à l’article 66, le Comité peut décider d’examiner séparément la question de la recevabilité d’une communication et la communication elle-même quant au fond.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. En conséquence, rien ne s’oppose, en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce que le Comité examine la présente communication.

Le Comité note également que, selon sa jurisprudence, la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsque la femme que l’on entend expulser court un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste.

Le Comité note, en ce qui concerne l’article 3, que l’auteure allègue qu’en cas de renvoi en Italie, l’État partie n’assurerait pas son plein épanouissement en vue de lui garantir l’exercice et la jouissance des droits de l’homme. Le Comité note que ces allégations n’ont pas été étayées dans la communication et les commentaires de l’auteure. En l’absence de tout autre élément pertinent du dossier, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

Le Comité observe que l’auteure, en se fondant sur les articles 2 d) et 6 de la Convention, soutient que si l’État partie la renvoyait en Italie, elle risquerait d’être exposée à de graves formes de violence sexiste et à la prostitution. Le Comité observe aussi que l’État partie a fait valoir que la communication devait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif car insuffisamment étayée.

Le Comité note les allégations de l’auteure selon lesquelles elle a été victime d’esclavage sexuel et de mauvais traitement en Somalie, et d’agressions sexuelles lors de son premier passage en Italie. Le Comité note également les préoccupations de l’État partie concernant l’absence de fondement des allégations formulées par l’auteure, puisqu’elle aurait pu se tourner vers les autorités italiennes afin qu’elles assurent sa protection ; il note, en outre, qu’elle n’apporte pas de preuves quant à un manquement de protection de la part des autorités italiennes. Le Comité rappelle que les États parties doivent appliquer le principe de preuve de manière plus flexible dans le cas de femmes victimes de violence tenant compte du fait que dans de nombreux pays certaines femmes n’ont pas les moyens d’établir toutes les preuves. Le Comité conclut que l’auteure a suffisamment motivé sa demande pour ce qui est de la recevabilité et que rien ne s’oppose donc à examiner celle-ci quant au fond en ce qui concerne les articles 2 d) et 6 de la Convention.

Examen au fond

Conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et par l’État partie.

Le Comité observe que l’auteure affirme avoir été séquestrée et avoir subi des traitements dégradants de la part d’un membre du groupe Al-Chabab en Somalie, à qui elle a été mariée de force, qu’elle a été régulièrement battue et violée pendant sa séquestration, qu’un enfant est né de ces rapports forcés, qu’il lui a été arraché, qu’elle est tombée enceinte à deux autres reprises, mais a été forcée à avorter. Le Comité note que l’auteure a décidé de fuir en passant par la Libye pour rejoindre l’Italie, où elle a demandé l’asile le 8 novembre 2013 et y a obtenu une protection subsidiaire. Elle déclare que, durant son séjour en Italie, elle a été victime de violences sexuelles dans un camp de réfugiés et qu’elle a vécu un certain temps dans la rue. L’auteure fait valoir que sa demande d’asile n’a pas été évaluée à la lumière des éléments qu’elle a apportés, et qu’il n’a pas été tenu compte du fait qu’elle encourt un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de discrimination contre la femme, notamment de violence fondée sur le sexe, et d’être exposée à la prostitution, vu la crise des migrants en Italie et le manque de structures susceptibles de lui assurer une protection.

Le Comité note que l’État partie soutient que l’auteure n’a pas démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’elle risquait d’être victime de graves violences sexistes si elle était renvoyée en Italie où elle a obtenu une protection subsidiaire en 2013 ; qu’il n’existe pas d’indices concrets permettant d’affirmer qu’ une protection en Italie n’aurait pas été accordée à l’auteure par le passé ; que l’auteure pourrait accéder en Italie aux soins médicaux nécessaires et que son état de santé ne lui confère pas le statut de personne vulnérable dont la santé ou la vie pourrait être en danger en cas de renvoi ; et que les autorités de l’État partie ont examiné la demande d’asile de l’auteure dans le respect des obligations qui leur incombent au titre de la Convention. En outre, le Comité note que l’État partie affirme qu’une alternative de séjour pour le couple existe en Italie et que l’époux de l’auteure, qui exerce une activité lucrative, pourrait engager une procédure de regroupement familial en Suisse, dont l’auteure pourrait attendre l’issue en Italie et que ni la complexité, ni la durée incertaine de la procédure ne sont des obstacles insurmontables à la réalisation à terme de la vie familiale du couple.

Le Comité note qu’en substance, l’auteure conteste la manière dont les autorités nationales ont apprécié les faits de la cause, appliqué les dispositions du droit national et formulé leurs conclusions. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties à la Convention d’évaluer les faits et éléments de preuve ou l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est partiale ou fondée sur des stéréotypes sexistes qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Le Comité note que rien dans le dossier ne prouve que l’examen auquel ont procédé les autorités en ce qui concerne les craintes de l’auteure quant aux risques qu’elle encourt à son retour en Italie ait été entaché de telles irrégularités. Il note qu’en dépit des déclarations généralisées de l’auteure concernant les lacunes perçues dans les procédures d’asile de l’État partie, celles-ci ne semblent pas avoir constitué ou provoqué une discrimination, et les décisions prises par les autorités au sujet de l’auteure n’en sont pas pour autant arbitraires. En outre, il incombe à chaque État partie souverain de définir et de mettre en place ses propres procédures d’asile, dès lors que les garanties de procédure fondamentales énoncées dans le droit international sont prévues.

Compte tenu de ce qui précède, et sans sous-estimer les inquiétudes qui peuvent être légitimement exprimées quant à la situation générale des services aux requérants d’asile et aux personnes vulnérables en Italie, le Comité considère que les autorités de l’État partie ont porté toute l’attention voulue aux demandes d’asile formulées par l’auteure, lui offrant des alternatives raisonnables. Il estime donc que les autorités de l’État partie ont procédé à l’examen des différentes demandes d’asile de l’auteure dans le respect des obligations qui leur incombaient au titre de la Convention. Le Comité rappelle toutefois que l’État partie est tenu de veiller à ce que les autorités italiennes soient informées de l’état de santé psychique dans lequel l’auteure se trouve vu les traumatismes qu’elle a subis, afin qu’elle puisse être encadrée en conséquence par les services appropriés.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif, conclut que la procédure d’examen de la demande d’asile de l’auteure et la décision de la renvoyer en Italie ne constituent pas une violation des articles 2 et 6 de la Convention.