Communication présentée par:

M.K.M. M.K.M. (représentée par son conseil, Jytte Lindgard)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Danemark

Date de la communication:

29 janvier 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Communiquée à l’État partie le 2 février 2015

Date de la décision:

29 octobre 2018

1.L’auteure est une ressortissante de la Fédération de Russie, née en 1985. Elle a demandé l’asile au Danemark, mais sa demande a été rejetée. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des alinéas d) à f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteure est représentée par un conseil, Jytte Lindgard, du cabinet NHG Advokater (Danemark).

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une ressortissante russe d’origine tchétchène. Elle est arrivée au Danemark le 12 novembre 2013 et a fait une demande d’asile. Le 5 octobre 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 16 janvier 2015, statuant en appel, la Commission danoise des recours des réfugiés a confirmé cette décision.

2.2Devant les autorités danoises compétentes en matière d’asile, l’auteure a affirmé qu’elle avait eu des problèmes en Tchétchénie durant son premier mariage, alors qu’elle habitait avec son mari et les parents de celui-ci. En octobre 2005, pendant que son mari et les parents de celui-ci étaient partis travailler, des rebelles tchétchènes sont venus chez elle réclamer de la nourriture, puis sont repartis. Le lendemain, le mari de l’auteure et le père de celui-ci ont été arrêtés et auraient été torturés par les autorités pendant trois jours. L’auteure a voulu déménager chez ses parents, mais son père lui a donné l’ordre de rentrer chez son mari. Environ six semaines plus tard, les rebelles sont revenus pour réclamer de la nourriture, et se sont emparés de tous les vêtements, chaussures et autres objets appartenant au mari de l’auteure. L’auteure a appelé son beau-père, qui était au travail, et lui a demandé de rentrer immédiatement à la maison, ce qu’il a refusé de faire, et il n’est rentré, ainsi que son fils, que le week‑end suivant.

2.3En 2006, après la deuxième visite des rebelles, le père de l’auteure a accepté qu’elle emménage chez ses parents et qu’elle demande le divorce. Les autorités tchétchènes ont commencé à convoquer l’auteure toutes les six semaines pour l’interroger. Elles lui ont demandé de leur fournir des informations sur les rebelles, notamment les endroits où ils se trouvaient, leurs déplacements et leurs éventuelles recrues. Elles l’ont également interrogé sur des individus bien précis et lui ont demandé de se renseigner à leur sujet. Au début, elle a refusé, mais elle a fini par accepter face aux menaces exercées par les autorités.

2.4Le père de l’auteure a été arrêté à la mi-2010. Alors que l’auteure était au domicile de ses parents, en compagnie de sa mère et de sa fille, son père a téléphoné pour l’informer qu’il avait été arrêté et lui dire de se présenter au Département des affaires intérieures à Grozny. Lorsqu’elle est arrivée, l’auteure a été reçue par deux soldats russes qui l’ont emmenée dans la cellule où son père était détenu. La cellule se trouvait dans une grande pièce où l’auteure a vu six ou sept agents. Les soldats sont sortis et le père de l’auteure a été libéré. Les agents ont ensuite commencé à interroger l’auteure au sujet des rebelles. Ils l’ont torturée pieds et poings liés et l’ont violée un par un. Ils l’ont laissée allongée par terre et ligotée environ une heure. Puis, ils l’ont autorisée à aller aux toilettes pour se laver, avant de la libérer. Un mois plus tard, souffrant de nausées, l’auteure, a supposé qu’elle était enceinte et pris des pilules abortives.

2.5Quelque six semaines plus tard, l’auteure a de nouveau été convoquée et interrogée. Refusant de révéler quoi que ce soit, elle a une nouvelle fois été ligotée et violée. Elle leur a dit en pleurant qu’elle était tombée enceinte la fois précédente et qu’elle ne fournirait pas de renseignements sur d’autres personnes. Les agents ont répondu qu’ils lui réserveraient le même traitement à chaque convocation si elle refusait de coopérer. Lorsqu’elle a accepté de coopérer, ils ont cessé de la torturer et lui ont fait signer un papier qu’elle n’a pas lu. Ils ont continué à l’appeler toutes les six semaines, et soit elle inventait des informations soit elle fournissait des renseignements sur les visites des rebelles. En 2011, à une date indéterminée, les autorités l’ont appelée et elle a de nouveau fourni de fausses informations. Ayant découvert que l’auteure mentait, les agents lui ont rasé les sourcils et coupé les cheveux très courts. Par la suite, l’auteure a toujours fourni des informations sur les visites que les rebelles rendaient à ses voisins.

2.6L’auteure s’est remariée en avril 2013. Les autorités ne l’ont plus convoquée et ne lui ont plus rendu visite jusqu’en septembre, lorsque des agents se sont présentés chez elle pour lui demander de la nourriture. Le lendemain, alors que son mari était au marché, les agents se sont présentés chez elle et ont demandé à voir son mari. Ils sont allés au marché et ont arrêté son mari qui a été placé en détention deux jours et torturé, le forçant ainsi à coopérer avec les autorités. Après cela, l’auteure, qui était enceinte, a fui le pays.

2.7L’auteure a eu une fille avec son premier mari et un fils avec son second mari. Son fils est né au Danemark et vit actuellement avec elle. Après s’être remariée, l’auteure a laissé sa fille avec la famille de son premier mari, comme le veut la tradition en Tchétchénie, d’après l’auteure. Au moment de la présentation de la communication, elle n’avait pas de contact avec son second mari, mais supposait qu’il avait obtenu le divorce, étant donné son absence.

2.8L’auteure affirme qu’elle n’a pas informé le Service danois de l’immigration qu’elle avait été violée car elle avait honte, les victimes de viol étant stigmatisées en Tchétchénie. Elle n’a évoqué ces faits qu’en appel, devant la Commission des recours des réfugiés.

Plainte

3.1L’auteure affirme que son expulsion vers la Fédération de Russie constituerait une violation par le Danemark des droits qui lui sont conférés par l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, car la famille de son second mari lui retirerait la garde de son fils, comme le veut la tradition en Tchétchénie où, en cas de divorce, les enfants restent avec la famille du mari.

3.2L’auteure affirme également que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des alinéas d) et f) de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5, car en cas d’expulsion vers la Fédération de Russie, elle courrait le risque d’être victime de viol et d’autres types d’atteintes et de discriminations par les autorités tchétchènes et russes, et que sa famille refuserait probablement de la protéger à cause du déshonneur causé par son viol.

3.3L’auteure affirme que son expulsion constituerait également une violation de l’alinéa e) de l’article 2, car elle craint des représailles de la part des rebelles pour avoir servi d’informateur. Pour étayer son propos, elle renvoie à la recommandation générale no19 (1992) du Comité relative à la violence contre les femmes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 3 août 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond et demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires de protection. Il fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’auteure n’ayant pas été en mesure d’établir, à première vue, le bien-fondé de ses arguments et sa plainte étant manifestement mal-fondée. Il soutient en outre que même si la communication était déclarée recevable, l’auteure n’a pas établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que son renvoi en Fédération de Russie constituerait une violation de la Convention.

4.2L’État partie rappelle les faits en l’espèce et fournit des informations sur la composition, l’indépendance et les prérogatives de la Commission, et le fondement juridique de ses décisions et les affaires dont elle est saisie, eu égard notamment à l’évaluation des éléments de preuve et des renseignements généraux sur la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine concerné.

4.3L’État partie fait remarquer que l’auteure s’appuie sur la portée extraterritoriale de la Convention, qui ne s’applique que lorsqu’une femme que l’on entend expulser court un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste. L’auteure n’ayant pas donné de preuves suffisantes qu’elle serait exposée à un tel risque en cas de retour forcé en Fédération de Russie, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, parce qu’elle est manifestement mal-fondée.

4.4L’État partie considère que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, l’auteure n’a pas présenté de renseignements nouveaux et précis concernant sa situation par rapport à ceux sur lesquels la Commission des recours des réfugiés s’est fondée pour rejeter sa demande d’asile. Selon l’État partie, le fait que la Commission n’ait pas fait expressément référence à la Convention dans sa décision ne signifie pas qu’elle n’ait pas pris ses dispositions en considération. La majorité des membres de la Commission a jugé improbables et invraisemblables les déclarations faites par l’auteure, car ses déclarations à propos de ce qui se serait passé entre 2005 et de 2013 se contredisaient. Ils ont également estimé que, dans son formulaire de demande d’asile et lors de sa première audition par le Service danois de l’immigration le 11 février 2014, l’auteure s’était limitée à évoquer les faits qui s’étaient produits en 2013, tandis que lors de sa deuxième audition par le Service, le 11 août 2014, et à l’audience tenue devant la Commission le 16 janvier 2015, elle avait fourni des informations sur d’autres faits survenus entre 2005 et 2013, affirmant avoir été violée et torturée par les autorités tchétchènes et forcée de fournir aux autorités des renseignements sur les rebelles.

4.5L’État partie estime que l’auteure n’a pas expliqué de manière crédible pourquoi elle n’avait évoqué les faits qui se seraient produits entre 2005 et 2013 que lors de son audition de demande d’asile ayant eu lieu le 11 août 2014. Il doute également de la crédibilité de l’argument invoqué par l’auteure qui dit avoir éprouvé des difficultés à décrire, par l’entremise d’un interprète masculin, les atteintes sexuelles qu’elle aurait subies et qui a choisi de ne pas faire de déclaration à ce sujet plus tôt alors qu’elle en avait eu l’occasion plusieurs fois. En outre, l’auteure a déclaré lors de sa première audition par le Service danois de l’immigration, le 11 février 2014, qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’une arrestation, d’une mise en détention, d’un mandat d’arrêt, d’une inculpation ou d’une condamnation dans son pays d’origine et qu’elle n’était en conflit ni avec les autorités ni avec qui que ce soit, hormis les faits survenus en septembre 2013.

4.6L’État partie réfute l’argument avancé par l’auteure selon lequel la Commission n’a pas tenu compte de la Convention et a fait fi des droits que celle-ci lui confère. L’État partie souligne que la Commission examine toutes les demandes à la lumière des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels le Danemark est partie, y compris la Convention. Il fait observer à cet égard que la Commission tient toujours compte de la situation particulière du demandeur d’asile, notamment les différences culturelles, l’âge et l’état de santé, et qu’en cas de doute sur la crédibilité du demandeur d’asile, la Commission évalue dans quelle mesure le principe du bénéfice du doute devrait être appliqué. Il réfute l’argument avancé par l’auteure selon lequel la Commission n’a pas tenu compte des faits violents et effrayants décrits par l’auteure, puisqu’il ressort de sa décision que la Commission a pris en considération la possibilité qu’il y ait eu des problèmes d’interprétation et que l’auteure ait eu du mal à décrire les atteintes sexuelles qu’elle aurait subies.

4.7L’État partie estime également improbable qu’après avoir subi des atteintes d’une gravité et d’une violence extrêmes l’auteure ait continué de refuser de servir d’informateur. Il estime par ailleurs improbable que, pendant environ sept ans, l’auteure, qui « semblait être une personne plutôt discrète » et ne semblait pas être affiliée à un mouvement rebelle, ait pu fournir de nouvelles informations tous les deux mois et ait été en possession d’informations intéressant les autorités. Il fait observer que, dans la décision rendue, la Commission a tenu compte des informations que l’auteure avait fournies dans son rapport.

4.8L’État partie conclut que le renvoi de l’auteure et de son enfant en Fédération de Russie ne constitue pas une violation des alinéas d) à f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention car il n’y a aucune raison de contester l’appréciation de la Commission selon laquelle l’auteure n’a pas suffisamment prouvé l’existence d’un risque de persécution ou d’atteintes en Fédération de Russie, puisqu’elle est fondée sur une évaluation approfondie de la crédibilité de l’auteure, les informations de référence disponibles et de la situation particulière de l’auteure. L’État partie rappelle également que, dans sa communication avec le Comité, l’auteure n’a pas présenté de renseignements nouveaux par rapport à ceux déjà pris en compte par la Commission. Il considère en outre que l’auteure tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour qu’il réexamine les faits invoqués à l’appui de sa demande d’asile.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 11 décembre 2015, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Concernant la recevabilité, elle souligne qu’il n’est pas possible de savoir ce qui se passerait si elle devait retourner en Fédération de Russie mais il est évident qu’elle y courrait le risque d’être l’objet de violences sexistes.

5.2L’auteure réfute l’argument selon lequel la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsqu’une femme que l’on entend expulser court un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence sexiste et renvoie au libellé de la décision du 15 juillet 2013 rendue par le Comité dans l’affaire M.N.N .c. Danemark. Elle estime qu’en l’espèce, compte tenu de sa situation, il devrait être évident qu’il y a un risque prévisible. Elle note que des membres de la Commission ont jugé ses explications crédibles, puisque la décision a été prise à la majorité et non par consensus.

5.3Lors de la première audition, l’auteure n’a pas mentionné qu’elle avait été violée car, en Tchétchénie, la culture et la tradition font qu’une personne ne peut quasiment pas parler ouvertement des atteintes sexuelles qu’elle a subies sans être stigmatisée ou exclue de la société. Elle soutient qu’il est compréhensible qu’elle n’ait expliqué la totalité des faits qu’à l’audience de la Commission, à laquelle elle était accompagnée de son conseil juridique, qui était une femme.

5.4L’auteure réfute l’argument de l’État partie selon lequel les États sont les mieux placés pour apprécier les éléments de fait d’un dossier. Elle estime que le Comité est le mieux placé, puisque c’est l’organe chargé des questions et des situations auxquelles les femmes font face et qui a une vue d’ensemble de ce qui se passe dans tous les pays.

5.5L’auteure réfute également l’argument selon lequel les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée. Elle souligne qu’elle a été brutalement violée à plusieurs reprises et soumise à un traitement cruel et inhumain constitutif de torture et, partant, que son dossier aurait dû être confié à des personnes ayant reçu une formation approfondie en matière d’évaluation des victimes de torture.

5.6L’auteure assure ne pas avoir été en contact avec sa famille et son époux car cela pourrait les mettre en danger. Elle explique qu’elle ne peut pas dire à sa famille qu’elle a été violée à plusieurs reprises car, dans la culture tchétchène, une femme dont on sait qu’elle a été violée est stigmatisée et exclue de la société, de même que sa famille.

5.7L’auteure affirme que l’État partie ne renvoie pas à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 qu’elle a invoqué dans sa première communication. Elle répète que si elle est expulsée vers la Fédération de Russie, la famille de son mari lui retirera la garde de son fils.

5.8L’auteure conclut qu’elle court un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes très graves de violence sexiste et de discrimination en Fédération de Russie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une note verbale datée du 19 août 2016, l’État partie a fourni des observations supplémentaires.

6.2L’État partie réfute les allégations de l’auteure selon lesquelles il n’a pas pris en compte la question de la violation de l’article 16, car il a fourni, dans ses observations du 3 août 2015 (voir par. 4.4 à 4.8), suffisamment d’arguments démontrant qu’il ne violait pas les alinéas d) à f) de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 5 et l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16.

6.3L’État partie rappelle que l’exposé des motifs sur lequel l’auteure fonde sa demande d’asile ne peut être considéré comme un fait établi. Il rappelle également qu’il a approuvé la décision de la Commission des recours des réfugiés, dans laquelle elle a estimé que l’auteure n’avait pas démontré qu’en cas de renvoi en Fédération de Russie, elle serait en conflit avec les autorités, les rebelles, sa belle-famille ou sa propre famille. Il réfute l’argument selon lequel la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la difficulté de l’auteure à parler des viols qu’elle avait subis.

6.4L’État partie fait observer par ailleurs que la Commission des recours des réfugiés prend ses décisions à la majorité simple, comme le prévoit son règlement intérieur. La majorité n’a retenu comme fait établi aucun des éléments de l’exposé des motifs sur lequel l’auteure a fondé sa demande d’asile.

6.5L’État partie fait observer également que la Commission a pris connaissance des renseignements fournis par l’auteure et, partant, qu’elle en a tenu compte dans son appréciation de l’appel.

6.6L’État partie maintient que l’auteure n’ayant pas démontré que sa communication était de prime abord recevable, celle-ci devrait donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 4 du Protocole facultatif. Quand bien même la communication serait déclarée recevable, il réitère les observations qu’il a déjà formulées, à savoir que l’auteure n’a pas établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que son renvoi en Fédération de Russie constituerait une violation de la Convention. Il demande de nouveau que les mesures provisoires de protection soient levées. L’État partie appelle l’attention sur les statistiques portant sur la jurisprudence des autorités danoises de l’immigration, qui indiquent des taux importants de reconnaissance des demandes d’asile formulées par les 10 plus grands groupes nationaux de demandeurs d’asile, sur lesquelles la Commission s’est prononcée entre 2013 et 2015.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie et sur le fond

7.Le 24 octobre 2016, l’auteure a soumis des commentaires supplémentaires. Elle renvoie à un rapport établi par le Centre norvégien d’informations sur les pays d’origine, en date du 4 octobre 2016, pour démontrer qu’elle ne sera pas en sécurité en Fédération de Russie et qu’elle court un risque élevé d’être l’objet de violence sexiste et de discrimination car, d’après le rapport en question, un climat de peur perdure en Tchétchénie. Il ressort de ce rapport que le nombre d’insurgés a diminué, ce qui a réduit la pression exercée sur les familles. Toutefois, les membres des familles des insurgés subissent toujours des menaces de la part des autorités tchétchènes.

Observations supplémentaires de l’État partie

8.Par une note verbale datée du 30 mars 2017, l’État partie a fourni des observations complémentaires. Il souligne que l’auteure n’a pas fourni de renseignements supplémentaires concernant ses allégations par rapport à ceux sur lesquels la Commission a fondé sa décision. Par conséquent, l’État partie renvoie à ses précédentes observations, tout en notant que le rapport cité par l’auteure dans sa précédente communication ne permet pas d’aboutir à une évaluation différente de l’affaire.

Commentaires supplémentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

9.1Par une lettre datée du 10 juillet 2017, l’auteure a soumis des commentaires supplémentaires. Elle répète que l’affaire relève de la Convention.

9.2L’auteure soutient que l’État partie n’a pas évalué le contenu du rapport auquel elle avait fait référence dans ses précédents commentaires.

9.3L’auteure souligne qu’au moins un ou deux membres de la Commission l’ont jugée crédible et soutient qu’elle n’a pu parler de ses viols que lorsqu’elle a réalisé qu’il était possible de parler d’atteintes sexuelles au Danemark, tandis que dans son pays elle aurait été couverte de honte.

9.4L’auteure renvoie également à un nouveau rapport sur les informations relatives aux pays d’origine, publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile en mars 2017. D’après la traduction du rapport fournie par l’auteure, les mesures prises par les autorités tchétchènes pour préserver la tradition et les bonnes mœurs affectent plus les femmes que les hommes, celles-ci étant davantage exposées aux crimes d’honneur, aux mariages d’enfants et à la violence.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

10.2Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour ce motif. Il constate que, par son indépendance, sa compétence et ses fonctions quasi‑judiciaires, la Commission fonctionne dans les faits comme une cour d’appel et qu’il est donc impossible de faire appel de ses décisions auprès d’un tribunal national. Par conséquent, il considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif d’examiner la question.

10.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.4Le Comité note le grief de l’auteure selon lequel son expulsion avec son enfant vers la Fédération de Russie constituerait une violation par le Danemark des alinéas d) à f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, pour défaut de fondement. À cet égard, il rappelle les craintes formulées par l’auteure concernant les actes de violence qu’elle risque de subir de la part des autorités tchétchènes/russes et des rebelles, si elle est expulsée vers la Fédération de Russie, sachant que, à l’époque où elle était avec son premier mari, des rebelles tchétchènes se sont rendus là où elle habitait, à la suite de quoi elle a été forcée à servir d’informateur pour les autorités et à fournir des renseignements concernant les activités des rebelles. L’auteure craint qu’en cas d’expulsion, la famille de son second mari lui retire la garde de son fils ; elle suppose en effet que son second mari a obtenu le divorce et, comme il est de coutume en Tchétchénie, en cas de divorce les enfants restent avec la famille du mari.

10.5Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsque la femme que l’on entend expulser court un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste.

10,6Le Comité rappelle sa recommandation générale no 32 (2014) relative aux aspects liés au genre des questions touchant les réfugiées, les demandeuses d’asile et la nationalité et l’apatridie des femmes, dans laquelle il a indiqué, au paragraphe 21, qu’en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, le principe de non‑refoulement faisait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risquait de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il renvoie également à sa recommandation générale no 19, dans laquelle il a constaté, au paragraphe 7, que la violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constituait une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention, et que ces droits comprenaient le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à la torture. Il a encore précisé son interprétation de la violence à l’égard des femmes en tant que forme de discrimination sexiste dans sa recommandation générale no35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19, dans laquelle il a réaffirmé, au paragraphe 21, l’obligation qu’avaient les États parties d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence fondée sur le genre, obligation qui créait une double responsabilité pour les États, à savoir celle qui découle des actes ou omissions de l’État partie ou de ses acteurs, d’une part, et celle qui résulte des actes ou omissions des acteurs non étatiques, d’autre part.

10.7En ce qui concerne les craintes formulées par l’auteure concernant les actes de violence qu’elle risque de subir de la part des autorités tchétchènes et des rebelles, le Comité note que les autorités compétentes en matière d’asile ont jugé incohérentes les différentes déclarations de l’auteure portant sur l’année durant laquelle son père a été arrêté par les autorités, les convocations de la police et la date à laquelle son second époux a été arrêté étaient incohérentes. La Commission a fait observer que, dans son formulaire de demande d’asile et lors de sa première audition de demande d’asile, menée par le Service danois de l’immigration le 11 février 2014, l’auteure s’est limitée à décrire l’arrestation de son mari en septembre 2013, tandis que lors de la deuxième audition, le 11 août 2014, elle a évoqué un autre fait survenu en octobre 2005 lorsque les rebelles se sont présentés chez elle. La Commission a également fait observer que, lors de la deuxième audition, l’auteure avait affirmé que les rebelles étaient venus chez elle une seule fois et, lors de l’audience devant la Commission, elle avait en outre déclaré que, de 2006 à décembre 2012, les autorités l’avaient convoquée 19 ou 20 fois car elles voulaient qu’elle leur serve d’informateur. La Commission a fait observer par ailleurs que l’auteure avait déclaré avoir été violée par plusieurs agents à deux reprises au cours de ces interrogatoires et que sa tête avait été rasée une fois.

10.8Le Comité note que la Commission a estimé, après avoir pris en compte la possibilité qu’il y ait eu des problèmes d’interprétation et le fait que l’auteure ait pu avoir, pour des raisons culturelles, des difficultés à parler ouvertement des viols qu’elle avait subis, que les déclarations de l’auteure semblaient improbables, invraisemblables et forgées de toutes pièces. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la Commission a pris en considération, dans son évaluation, les informations générales relatives au pays, notamment le rapport publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile en septembre 2014 et les deux rapports publiés par le Centre norvégien d’informations sur les pays d’origine en 2014. Par ailleurs, il prend note des observations de l’État partie, que l’auteure n’avait pas contestées, selon lesquelles il semblait improbable que, pendant sept ans, l’auteure, qui « semblait être une personne plutôt discrète » et ne semblait pas affiliée à un mouvement rebelle, ait pu fournir de nouvelles informations sur les rebelles tous les deux mois et ait été en possession d’informations intéressant les autorités. Il rappelle l’argument avancé par l’auteure lors de ses premières auditions, selon lequel elle n’avait pas évoqué les faits survenus entre 2005 et 2010 car, dans la culture tchétchène, une victime qui parle des atteintes sexuelles qu’elle a subies se couvre de honte et qu’elle s’était sentie en sécurité pour parler de cela uniquement lorsqu’elle avait été accompagnée de son conseil juridique, qui était une femme, lors de l’audience devant la Commission.

10.9En ce qui concerne les craintes de l’auteure sur la possibilité que la garde de son fils lui soit retirée par la famille de son second mari, le Comité fait remarquer que, sur la base des conclusions des autorités compétentes en matière d’immigration concernant l’absence de contact entre l’auteure et son second mari ou d’autres membres de sa famille et le fait qu’elle n’a pas tenté de prendre contact avec eux, rien n’indique concrètement qu’en cas de retour en Fédération de Russie, la famille du mari de l’auteure obtiendrait la garde de son fils.

10.10Le Comité fait observer que l’auteure conteste essentiellement la manière dont les autorités de l’État partie ont apprécié les éléments de fait de son affaire, appliqué les dispositions de la législation pertinente et abouti à leurs conclusions. Le Comité rappelle que l’appréciation des faits et des éléments de preuve ou de l’application de la législation nationale dans une affaire précise appartient généralement aux autorités des États parties à la Convention, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation est entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes sexistes constituant une discrimination à l’égard des femmes, relève manifestement de l’arbitraire ou représente un déni de justice. Le Comité constate qu’après avoir examiné tous les éléments présentés par l’auteure, les autorités de l’État partie ont jugé que son récit manquait de crédibilité en raison d’incohérences et de l’absence de preuves suffisantes. Il note qu’aucun élément du dossier ne prouve que des irrégularités dans l’examen des arguments de l’auteure conduit par les autorités danoises permettraient de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas évalué correctement les risques auxquels l’auteure serait exposée en cas d’expulsion.

10.11Dans ces conditions et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment motivé, aux fins de recevabilité, son argumentation selon laquelle le fait de la renvoyer, accompagnée de son fils mineur, en Fédération de Russie l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible d’être soumise à des formes graves de violence sexiste. La communication est donc irrecevable en vertu de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.