Communication présentée par :

A. N. A. (représentée par un conseil, Rabih Azad‑Ahmed)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

14 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 16 septembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

15 juillet 2019

Exposé des faits

L’auteure de la communication est A. N. A., de nationalité somalienne, née en 1988. Sa demande d’asile au Danemark ayant été rejetée, elle risque d’être expulsée vers la Somalie. Elle affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des articles 3 et 5 et de l’alinéa b) de l’article 16 de la Convention. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 21 mai 1983, pour la première, et le 22 décembre 2000, pour le second. L’auteure est représentée par un conseil, Rabih Azad-Ahmed.

Dans sa lettre initiale, l’auteure priait le Comité de demander au Danemark de suspendre son expulsion. Le 16 septembre 2015, lors de l’enregistrement de la communication, le Comité a demandé au Danemark de ne pas procéder à l’expulsion de l’auteure tant que son dossier n’aurait pas été examiné. Le 25 septembre 2015, la Commission danoise des recours des réfugiés a suspendu la procédure d’expulsion engagée contre l’auteure.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure, de nationalité somalienne, est originaire de Masagaway, région du Galguduud, dans le centre de la Somalie. Elle est mariée et mère de trois enfants. En juillet 2014, un membre des Chabab a demandé sa main à son père, qui la lui a refusée. La demande a été renouvelée à plusieurs reprises et la famille, persécutée du fait du refus du père. Un jour, alors que l’auteure rentrait du marché local, un membre des Chabab a tenté de l’enlever de force à son père. Elle est parvenue à s’échapper mais, à son retour, elle a appris que son père avait été assassiné.

Des membres des Chabab sont revenus dix jours après l’assassinat de son père. L’auteure était absente, mais son mari, sa belle-mère et ses enfants étaient présents. Les Chabab ont emmené son mari. À son retour, elle a compris qu’il lui fallait fuir avec ce dernier et ses enfants si elle ne voulait pas être tuée ou mariée de force.

L’auteure a demandé l’asile au Danemark en août 2014. Sa première demande d’asile a été rejetée par le Service danois de l’immigration, ce dont elle a été informée par une lettre en date du 21 juillet 2015. Cette décision a été confirmée le 4 septembre 2015 par la Commission des recours des réfugiés. Les autorités danoises ont motivé leur décision par des considérations liées à la crédibilité. La Commission a conclu qu’il était peu probable que les Chabab aient attendu six ans après le mariage de l’auteure pour lui rendre visite. De plus, les raisons avancées par l’auteure pour expliquer les visites des membres des Chabab paraissaient contradictoires et elle s’était montrée évasive sur les circonstances entourant le décès de son père, ne sachant pas dire si elle ou quelqu’un d’autre en avait été témoin. En outre, les autorités danoises se sont dites non convaincues qu’elle avait vécu toute sa vie dans le centre de la Somalie et, partant, qu’elle était originaire de Masagaway. Elles doutaient également de la véracité des propos de l’auteure, qui semblait évasive quant aux raisons qui avaient conduit des représentants des Chabab à lui rendre visite après le décès de son père.

L’auteure rappelle que le Danemark a conclu avec les autorités somaliennes un accord aux termes duquel la Somalie a l’obligation de rapatrier ses nationaux, en dépit des objections formulées par les organismes des Nations Unies concernant les retours forcés vers le sud et le centre du pays, toujours en proie à un conflit, le groupe terroriste continuant d’y mener des combats militaires. Il n’a pas été établi que la région d’origine de l’auteure avait été libérée et il est possible que la Commission des recours des réfugiés n’ait pas envisagé l’éventualité que la région soit toujours sous l’emprise du groupe terroriste.

L’auteure a été soumise à un test linguistique par le Service de l’immigration, qui ne croyait pas qu’elle venait du centre de la Somalie. Elle conteste cette conclusion, ajoutant que, selon un rapport établi par une autorité indépendante spécialisée dans l’analyse des dialectes des réfugiés, les résultats du test n’étaient pas fiables. La Commission des recours des réfugiés n’a pas tenu compte de ces informations et a refusé toute objection relative au test linguistique. En conséquence, l’auteure affirme que son droit à un procès équitable a été violé.

La Commission des recours des réfugiés a également indiqué que le récit de l’auteure semblait avoir été forgé pour l’occasion et ne pas relever du vécu. L’auteure affirme qu’elle était en proie à une grande tension lors de son entretien avec le Service de l’immigration, puisqu’elle courait le risque imminent de subir des représailles si l’asile lui était refusé, et que ses explications ont donc pu paraître peu convaincantes. Elle ajoute qu’elle court un réel risque de persécution en Somalie, étant donné qu’elle s’est soustraite à un mariage forcé avec un membre haut placé des Chabab. En outre, la Commission n’a pas tenu compte des conséquences psychologiques et physiques des événements qu’elle avait vécus en Somalie, pas plus qu’elle n’a évalué la gravité du danger auquel elle était exposée.

L’auteure craint également d’être persécutée par les Chabab dans sa ville natale ou d’être mariée de force.

L’auteure indique que, les décisions rendues par la Commission des recours des réfugiés ne pouvant faire l’objet d’un recours sous le régime de la loi relative aux étrangers, elle a épuisé tous les recours internes.

Le 23 septembre 2015, l’auteure a produit des éléments prouvant que la Commission des recours des réfugiés avait accordé l’asile à une autre femme dans une situation analogue à la sienne.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme que les autorités n’ont pas examiné sa demande d’asile comme la Convention les obligeait à le faire.

L’auteure affirme également que son expulsion vers la Somalie constituerait une violation par le Danemark des articles 3 et 5 et de l’alinéa b) de l’article 16 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond dans une note verbale datée du 15 mars 2016. Il informe le Comité que, à la suite de la demande de mesures provisoires que ce dernier lui a présentée, la Commission des recours des réfugiés a suspendu, le 25 septembre 2015, le délai fixé pour l’expulsion de l’auteure. Il rappelle les faits : l’auteure, de nationalité somalienne et née en 1988, est entrée au Danemark le 13 août 2014 sans papiers en règle et a demandé l’asile. Le 21 juillet 2015, le Service de l’immigration a rejeté sa demande. Le 4 septembre 2015, la Commission a confirmé cette décision.

L’État partie examine le raisonnement suivi par la Commission des recours des réfugiés dans sa décision du 20 août 2015. Il relève que la Commission n’a pu accepter comme véridique la déclaration faite par l’auteure pour justifier sa demande d’asile, laquelle lui paraissait incohérente, et qu’elle n’était pas convaincue de la véracité de son récit. Lors d’un entretien avec le Service de l’immigration, le 10 octobre 2014, l’auteure a déclaré que son père avait été contacté pour la première fois par des membres des Chabab en juillet 2014 et que ceux-ci l’avaient informé que son mariage était « interdit » parce que son mari ne travaillait pas au service des Chabab, et qu’il devait donc être lapidé. Elle a alors déclaré que son père avait été abattu ce jour-là par des membres des Chabab. Toutefois, lors de son entretien du 10 juillet 2015, elle a déclaré que son père avait été assassiné environ deux jours après cette visite, parce qu’il avait refusé de la laisser partir. Lorsque le Service de l’immigration l’a interrogée à ce sujet, elle a confirmé que son père n’avait pas été assassiné lors de la première visite. Elle a donné plusieurs versions quant au moment où sa sœur et son neveu avaient été enlevés par les Chabab ainsi qu’en ce qui concerne les motifs de cet enlèvement. Elle a tout d’abord déclaré que les Chabab voulaient la marier à un de leurs membres, puis que sa sœur avait été enlevée parce qu’on l’avait confondue avec elle. Des incohérences ont également été relevées s’agissant de savoir si elle était présente lorsque son époux a été enlevé. Dans sa première version des faits, elle a déclaré qu’elle était chez elle à ce moment-là mais, dans sa deuxième version, elle a dit qu’elle était absente et que c’était sa belle-mère qui l’avait informée du sort de son mari. S’agissant des blessures subies par son mari, elle a déclaré, dans une version des faits, qu’elles étaient liées à sa détention et, dans une autre version, que sa belle-mère lui avait dit que son mari avait été battu quand il avait été emmené. En outre, lors de son premier entretien, elle a déclaré que le membre des Chabab qu’elle était censée épouser était un responsable haut placé, mais elle n’a fourni aucun élément pour le prouver. Elle a également déclaré à plusieurs reprises ne connaître aucun membre des Chabab.

L’État partie communique des informations détaillées sur l’organisation, les compétences, la composition, les prérogatives, le fonctionnement et l’indépendance de la Commission des recours des réfugiés, ainsi que sur le fondement juridique de ses décisions, la prise de celles-ci, l’administration de la preuve et la documentation dont elle disposait. Il explique que, au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, la personne de nationalité étrangère se voit délivrer un permis de séjour sur demande si elle remplit les conditions énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, ou encore si elle risque la peine de mort ou d’être soumise à la torture ou à des peines ou traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. La Commission considère généralement que les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sont remplies lorsque des éléments précis et spécifiques donnent à penser que la personne qui demande l’asile sera réellement exposée à de tels risques.

L’État partie ajoute que le rejet d’une demande d’asile doit être accompagné d’une décision sur le point de savoir si la personne intéressée peut être expulsée du Danemark dans l’hypothèse où elle ne quitterait pas volontairement le pays conformément aux dispositions de l’article 31 et de l’alinéa a) de l’article 32 de la loi relative aux étrangers. Il découle du paragraphe 2 de l’article 31 qu’aucune personne étrangère ne peut être renvoyée vers un pays où elle risquerait d’être persécutée pour les motifs énoncés à l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés ou ne serait pas protégée du risque d’être renvoyée vers un tel pays. Les décisions de la Commission des recours des réfugiés sont fondées sur un examen spécifique et précis de chaque dossier. C’est à la personne qui en fait la demande qu’il incombe de démontrer que les conditions d’octroi de l’asile sont remplies.

L’État partie fait observer qu’il ressort de la jurisprudence de la Commission des recours des réfugiés que, pour que celle-ci octroie un titre de séjour en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, la situation précise et spécifique de la personne demandeuse doit être telle qu’il est probable qu’elle sera exposée à un risque réel d’être condamnée à mort ou soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants si elle est renvoyée dans son pays d’origine.

À aucun moment la Commission des recours des réfugiés n’a exclu la possibilité que, en raison d’actes de violence généralisés, les conditions générales de sécurité dans un pays deviennent si mauvaises que le renvoi d’une personne demandeuse d’asile dans ce pays emporte violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et que, pour cette seule raison, cette personne remplisse les conditions requises pour l’obtention d’un permis de séjour en vertu de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie est d’avis que l’auteure n’a pas été en mesure d’établir une présomption sérieuse devant le Comité. En d’autres termes, elle n’a pas apporté suffisamment de preuves à l’appui de sa communication et il n’a pas été démontré qu’elle courrait en Somalie un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de formes graves de violence fondée sur le genre. Par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, parce qu’elle est manifestement mal fondée.

L’État partie rappelle la prétention avancée par l’auteure selon laquelle son expulsion constituerait une violation des articles 3 et 5 et de l’article 16 b) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, parce qu’elle craignait d’être tuée ou mariée de force à un membre des Chabab à son retour en Somalie, ainsi que de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il rappelle également qu’elle affirme qu’il est de notoriété publique que les membres des Chabab se montrent violents à l’égard des personnes qui leur désobéissent et considèrent les demandeurs d’asile déboutés comme des traîtres, et que pour cette seule raison elle risque d’être torturée. Il rappelle en outre que l’auteure a affirmé que les incohérences qui auraient été relevées dans ses déclarations s’expliquaient par les pressions qui s’exerçaient sur elle. Il signale que l’auteure a fait valoir que les avocats danois se plaignaient fréquemment de ce que la Commission des recours des réfugiés rejetait les demandes sur le fondement de divergences mineures relevées dans les multiples entretiens menés par le Service de l’immigration, concluant inévitablement que les demandeurs d’asile mentaient.

L’État partie se réfère à l’accord secret qui aurait été signé entre le Danemark et la Somalie (voir supra, par. 2.4), aux informations fournies par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés concernant le retour des demandeurs d’asile dans la région de Somalie d’où l’auteure est originaire et aux observations formulées par les organisations Asylum Research Consultancy et Dutch Council for Refugees sur le rapport sur le pays d’origine établi par le Bureau européen d’appui en matière d’asile, publiées le 21 novembre 2014 par les deux organisations, qui confirment que le centre de la Somalie est encore majoritairement sous le contrôle des Chabab. L’État partie prend acte de l’allégation de l’auteure selon laquelle la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que la région du Galguduud était contrôlée par les Chabab.

L’État partie fait observer que les griefs formulés par l’auteure au titre des articles 3 et 5 et de l’article 16 b) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ne concernent que la situation à laquelle elle pourrait être exposée si elle était renvoyée en Somalie. Elle s’appuie donc sur une application extraterritoriale de ces dispositions. Citant la décision rendue par le Comité dans l’affaire M. N. N. c. Danemark (CEDAW/C/55/D/33/2011), l’État partie reconnaît que les États ont l’obligation positive de protéger les femmes contre l’exposition à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le genre, que cette violence ait lieu ou non dans les limites territoriales de l’État partie d’envoi : l’État partie qui prend, concernant une personne qui se trouve sous sa juridiction, une décision ayant pour conséquence nécessaire et prévisible la violation, dans un autre État, des droits que cette personne tient de la Convention pourrait lui-même contrevenir à celle-ci. Ainsi, il enfreindrait la Convention en renvoyant la personne dans un autre État dans des circonstances où il serait prévisible que cette personne soit victime d’actes graves de violence fondée sur le genre.

L’État partie observe également que l’application de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne relève pas de la compétence du Comité et que les griefs exprimés sous leur régime doivent donc être tenus pour irrecevables.

Sur le fond, l’État partie indique que, dans la communication à l’examen, l’auteure n’a fourni aucune information qu’elle n’avait pas déjà communiquée au Service de l’immigration et à la Commission des recours des réfugiés. L’expulsion de l’auteure ne serait pas contraire à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. S’agissant de la crédibilité de l’auteure, l’État partie fait observer que la Commission apprécie la crédibilité des demandeurs d’asile en s’appuyant sur une évaluation globale, notamment, des déclarations et du comportement de la personne demandeuse lors de son audition devant elle, qu’elle met en regard des autres informations figurant dans le dossier, y compris les renseignements sur la situation du pays dont est originaire la personne et des informations recueillies dans le cadre de l’affaire. Si les déclarations de la personne demandeuse d’asile semblent cohérentes, la Commission les considère en principe comme véridiques. Si elles sont caractérisées par des contradictions, des inconstances, des ajouts ou des omissions, la Commission cherchera à obtenir des éclaircissements.

Dans sa décision concernant l’affaire à l’examen, la Commission des recours des réfugiés a tenu compte, pour apprécier la crédibilité de l’auteure, du fait qu’elle n’avait fréquenté que l’école coranique et qu’elle avait été éduquée par son père, qui lui avait appris à lire et à écrire. Elle a également pris en considération son jeune âge et l’absence d’entourage en Somalie. Concernant son état de santé, l’auteure a déclaré lors de ses entretiens être en bonne santé et ne souffrir que d’allergies. L’affirmation selon laquelle elle faisait l’objet de pressions à l’époque de son entretien avec les services de l’immigration n’est en outre pas corroborée puisqu’elle n’en a pas dit autant pendant l’entretien lui-même. Au cours du long processus d’entretien et des audiences, l’auteure a été représentée par un conseil et a été autorisée à formuler des observations finales. Ses incohérences ont été signalées au cours de l’entretien et il lui a été donné la possibilité d’aller plus loin dans ses explications.

Selon la décision prise par la Commission des recours des réfugiés le 5 septembre 2015, les déclarations faites par l’auteure pour justifier sa demande d’asile ne pouvaient être considérées comme véridiques. Étant donné que la présente communication ne comporte aucune nouvelle information attestant la crédibilité de l’auteure, l’État partie ne saurait considérer comme véridiques les déclarations de celle-ci. En outre, dans la communication qu’elle a adressée au Comité, l’auteure n’a pas remis en cause l’évaluation que la Commission a menée pour apprécier sa crédibilité, ni la décision de la Commission. Conformément à l’article 48 du règlement intérieur de la Commission, un demandeur d’asile peut demander la réouverture d’une affaire à tout moment après la décision. Or, l’auteure n’a signalé à la Commission aucune erreur ou omission dans le compte rendu de sa déclaration orale.

L’État partie considère également peu probable que les Chabab aient attendu six ans après avoir pris le contrôle de la ville, que l’auteure décrit comme un très petit village, pour contester son mariage et qu’ils renoncent par deux fois à l’arrêter. En outre, en ce qui concerne l’accord secret, la police nationale est chargée de renvoyer les demandeurs d’asile déboutés dans leur pays d’origine et pourrait avoir conclu un accord avec les autorités somaliennes en vue de rapatrier les ressortissants somaliens non autorisés à rester au Danemark. Toutefois, cela n’a rien à voir avec le cas présent.

En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Somalie, l’État partie note que l’auteure a affirmé être une femme célibataire, sans entourage, et risquer, compte tenu de son appartenance clanique, d’être victime de persécutions fondées sur le genre en Somalie. Il signale que la Commission des recours des réfugiés, lors de sa décision du 5 septembre 2015, avait connaissance du document de juin 2014 dans lequel le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés expose sa position concernant les renvois vers les régions du sud et du centre de la Somalie et l’a pris en considération, de même que d’autres documents d’information. Toutefois, l’État partie estime qu’aucun des éléments d’information générale actuellement disponibles ne permet de conclure que la situation générale dans la région du Galguduud est d’une nature telle que, pour cette seule raison, l’auteure risquerait, si elle était renvoyée en Somalie, d’être victime de persécutions de nature à justifier une demande d’asile.

L’État partie ajoute que, compte tenu des informations les plus récentes figurant dans le rapport du Secrétaire général sur la Somalie (S/2015/702) et dans le rapport de septembre 2015 sur la mission d’établissement des faits que le Service de l’immigration a menée à Nairobi et à Mogadiscio, il semble que les Chabab, bien que présents dans la région du Galguduud, ne soient pas la principale source du conflit et des violences. L’État partie renvoie également à une carte de la situation en matière de sécurité publiée par le Bureau fédéral autrichien de l’immigration et de l’asile le 12 octobre 2015, sur laquelle il apparaît que la région du Galguduud est contrôlée par les forces gouvernementales.

L’État partie ajoute que, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire R. H. c. Suède, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré qu’il pouvait être établi qu’une femme célibataire retournant à Mogadiscio sans disposer de la protection d’un réseau masculin serait exposée à un risque réel de vivre dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Toutefois, selon l’État partie, la présente affaire ne saurait être appréciée autrement à la lumière de cet arrêt, l’auteure n’ayant pas apporté la preuve qu’elle ne disposerait pas du soutien d’un réseau masculin.

Selon l’État partie, dans la présente affaire, la Commission des recours des réfugiés a pris en considération toutes les informations pertinentes. La présente communication n’a mis en lumière aucune nouvelle information indiquant que l’auteure risquerait d’être victime de persécutions ou de violences justifiant l’octroi de l’asile. L’État partie se réfère aux constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire P. T. c. Danemark (CCPR/C/113/D/2272/2013, par. 7.3), dans lesquelles le Comité a rappelé sa jurisprudence dont il ressortait qu’il convenait d’accorder un poids important à l’analyse qu’avait faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il pouvait être établi que cette appréciation avait été manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice, et que, d’une manière générale, c’était aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque. Il appelle également l’attention sur les constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire K.c.Danemark (CCPR/C/114/D/2393/2014, par. 7.4), dans lesquelles le Comité a rappelé que d’une manière générale, c’était aux organes des États parties au Pacte qu’il appartenait d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation avait été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou représentait un déni de justice. Dans la même affaire, la Commission avait examiné attentivement chacune des allégations de l’auteur, et analysé tout particulièrement celles qui concernaient les menaces que l’auteur aurait reçues en Afghanistan, et qu’elle les avait jugées contradictoires et invraisemblables à plusieurs égards (ibid., par. 7.5). L’auteur avait contesté les conclusions de fait de la Commission ainsi que l’appréciation que celle-ci avait faite des éléments de preuve, mais sans expliquer en quoi cette appréciation aurait été arbitraire ou aurait constitué un déni de justice (ibid.).

L’État partie fait également observer que, dans ses constatations relatives à l’affaire M. et M me X c. Danemark (CCPR/C/112/D/2186/2012, par. 7.5), le Comité des droits de l’homme a constaté que la demande de statut de réfugié présentée par les auteurs avait été soigneusement évaluée par les autorités de l’État partie, qui avaient conclu que les déclarations des auteurs concernant le motif de la demande et le compte rendu des événements qui étaient à l’origine de leur crainte d’être torturés ou tués n’étaient pas crédibles. Il a aussi constaté que les auteurs n’avaient mis en évidence aucune irrégularité dans la prise de décisions ni aucun facteur de risque que les autorités de l’État partie n’auraient pas dûment pris en compte. Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne pouvait pas conclure que les auteurs seraient exposés à un risque réel de traitement contraire aux articles 6 ou 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’ils étaient renvoyés.

L’État partie affirme que les mêmes garanties de procédure régulière s’appliquent dans la présente affaire. Il renvoie également à la décision adoptée par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire N. c. Danemark (CCPR/C/114/D/2426/2014, par. 6.6), dans laquelle le Comité a rappelé qu’il appartenait en général aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve, sauf s’il pouvait être établi que cette appréciation avait été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou qu’elle avait représenté un déni de justice. Dans cette affaire, l’auteur n’avait pas expliqué en quoi la décision rendue par la Commission des recours des réfugiés n’aurait pas rempli les critères susmentionnés, et n’avait pas non plus fourni de motif sérieux de croire, comme il l’affirmait, que son renvoi l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité a conclu que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et déclaré la communication irrecevable.

L’État partie souligne que la Commission des recours des réfugiés, organe quasi judiciaire, a estimé, à l’issue d’une analyse approfondie de la crédibilité de l’auteure, de la documentation disponible et de la situation particulière de l’auteure, que celle-ci n’avait pas démontré de façon convaincante qu’elle courrait le risque d’être victime de persécutions ou de violences en cas de retour en Somalie. Il souscrit à cette conclusion.

À cet égard, l’État partie rappelle également les conclusions tirées par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Z. c. Danemark (CCPR/C/114/D/2329/2014, par. 7.4), dans lesquelles il est relevé qu’en l’absence d’élément indiquant que les décisions de la Commission des recours des réfugiés étaient manifestement déraisonnables ou arbitraires eu égard aux allégations de l’auteur, le Comité ne pouvait pas conclure que les renseignements dont il disposait montraient que l’expulsion de l’auteur l’exposerait à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

L’État partie rappelle que, dans la présente communication, l’auteure n’a pas fourni de nouvelles informations sur sa situation. Elle cherche plutôt à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments factuels de son dossier. L’État partie estime que le Comité doit accorder une importance déterminante aux conclusions factuelles tirées par la Commission des recours des réfugiés, qui est la mieux placée pour apprécier les éléments de fait du dossier de l’auteure. Selon lui, il n’y a aucune raison de remettre en cause, et moins encore de rejeter l’appréciation de la Commission, selon laquelle l’auteure n’a pas été en mesure de prouver de façon convaincante qu’elle encourrait un risque réel, personnel et prévisible d’être victime de persécutions si elle était renvoyée en Somalie et que son renvoi aurait pour conséquence nécessaire et prévisible la violation des droits qui lui sont conférés par la Convention. Par conséquent, le renvoi de l’auteure en Somalie ne constituerait pas une violation des articles 3, 5 ou 16 b) de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 27 mai 2016, le conseil de l’auteure a formulé des commentaires. D’abord, il prend note des observations de l’État partie sur les éléments de preuve à l’appui de la communication et soutient que cette question semble étroitement liée au fond de l’affaire. Il conteste l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas apporté d’éléments suffisants pour établir la recevabilité en vertu de la Convention et qu’il n’y a aucun motif sérieux de croire que son renvoi en Somalie constituerait une violation de la Convention.

Le conseil de l’auteure fait valoir que le retour forcé de celle-ci à une situation dans laquelle son intégrité physique et sa vie sont clairement menacées constitue un motif suffisant. À cet égard, il renvoie aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires R. H. c. Suède et Tarakhel c. Suisse, dans lesquels la Cour a estimé qu’une femme célibataire retournant dans une société dysfonctionnelle sans disposer de la protection d’un réseau masculin se trouverait dans des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant interdit au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le conseil de l’auteure réaffirme que la Commission des recours des réfugiés n’a mené aucune enquête pour déterminer les dangers auxquels l’auteure est exposée et qu’il trouve le témoignage de cette dernière très crédible. Il ajoute que le renvoi de l’auteure vers la région somalienne du Galguduud constituerait une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et que l’État partie n’a pas veillé à ce que l’ordre d’expulsion laisse ouverte la possibilité d’un recours effectif, ce qui, en l’occurrence, constitue une violation de la Convention.

Le conseil de l’auteure soutient que la communication est recevable et que le Comité devrait maintenir sa décision d’accorder des mesures provisoires.

Observations complémentaires de l’État partie

Le 2 décembre 2016, l’État partie a présenté des observations complémentaires. Il note que, dans ses observations complémentaires du 27 mai 2016, l’auteure ne fournit apparemment pas de nouvelles précisions essentielles quant à sa demande d’asile, par rapport aux informations sur lesquelles s’appuie la décision de la Commission des recours des réfugiés du 4 septembre 2015.

En ce qui concerne la référence que fait le conseil de l’auteure à l’affaire R. H. c. Suède, l’État partie renvoie aux observations initiales qu’il a soumises au Comité. Quant à la référence à l’affaire Tarakhel c. Suisse, l’État partie fait observer que l’auteure n’a pas expliqué en détail la pertinence de celle-ci dans son propre cas ; en outre, cette affaire concerne un renvoi vers l’Italie et n’avait donc aucun rapport avec le cas présent.

En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la Commission des recours des réfugiés n’a pas tenu compte du danger auquel l’auteure serait exposée en Somalie, l’État partie maintient que les conditions générales en Somalie, notamment dans la région du Galguduud, ne sont pas d’une nature telle qu’une personne y retournant risque de subir des violences relevant de la section 7 de la loi relative aux étrangers.

L’État partie soutient de nouveau que l’auteure n’a pas apporté suffisamment d’éléments permettant d’établir la recevabilité de sa communication, et que celle-ci devrait par conséquent être considérée comme irrecevable au titre du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, puisqu’elle est manifestement mal fondée. Même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure en Somalie constituerait une violation de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations complémentaires de l’État partie

Le 25 mai 2017, le conseil de l’auteure a formulé des commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Gravement préoccupé par l’argument de l’État partie concernant la recevabilité de la communication, il affirme que l’auteure a établi que sa communication était recevable à première vue en vertu du Protocole facultatif et que, si elle était renvoyée en Somalie, elle serait exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le genre et au risque d’être mariée de force, en violation de l’article 16 b) de la Convention.

Le conseil de l’auteure affirme que l’État partie n’a pas fourni d’éléments suffisants pour déterminer que la communication était irrecevable, ni démontré en quoi le risque que court l’auteure d’être mariée de force ne constituerait pas une violation des articles 3 et 16 b) de la Convention.

Le conseil de l’auteure se réfère également à une résolution récente du Parlement européen, adoptée le 18 mai 2017, dans laquelle le Parlement indiquait que, compte tenu de la situation actuelle en Somalie, où les problèmes de sécurité se poursuivaient et la famine menaçait, tout retour devrait être volontaire, et invitait à un meilleur partage des responsabilités en matière d’accueil des réfugiés et à trouver des moyens supplémentaires d’aider les réfugiés à accéder à d’autres pays, y compris à des États membres de l’Union européenne.

L’auteure réaffirme que l’expulsion envisagée viole les articles 3, 5 et 16 b) de la Convention et que tous les recours internes ont été épuisés, la décision de la Commission des recours des réfugiés ne pouvant faire l’objet d’un recours en justice en vertu de la loi relative aux étrangers.

Délibérations du Comité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. En application de l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas actuellement l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, au motif que les allégations de l’auteure sont manifestement mal fondées et insuffisamment motivées.

Le Comité note qu’en substance, les allégations de l’auteure visent à contester la manière dont les autorités de l’État partie ont apprécié les éléments factuels de sa demande, appliqué les dispositions de la législation nationale et tiré leurs conclusions. Il rappelle qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie à la Convention d’apprécier les faits et éléments de preuve ou l’application du droit interne dans un cas donné, à moins qu’il puisse être établi en particulier que cette appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes de genre qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, était clairement arbitraire, ou constituait un déni de justice. Il note que rien dans le dossier ne prouve que l’examen auquel ont procédé les autorités en ce qui concerne les craintes de l’auteure quant aux risques qu’elle encourrait si elle devait retourner en Somalie ait été entaché de telles irrégularités. Il note aussi qu’en dépit des déclarations généralisées du conseil de l’auteure concernant les lacunes perçues dans les procédures d’asile de l’État partie, on ne peut prétendre que celles-ci ont constitué ou provoqué une discrimination, ni que les décisions prises par les autorités au sujet de l’auteure en sont pour autant arbitraires. En outre, dès lors qu’ils respectent les garanties de procédure prévues par le droit international, les États souverains sont en principe libres de déterminer la nature et la structure de leur système de détermination du statut de réfugié et d’en établir les procédures.

Le Comité fait observer qu’il doit accorder un poids important à l’appréciation faite par les autorités nationales, à moins qu’elle ne soit manifestement arbitraire ou ne constitue un déni de justice. Il constate qu’après avoir examiné les éléments présentés par l’auteure, les autorités de l’immigration de l’État partie ont jugé que son récit manquait de crédibilité en raison d’incohérences et de l’absence de preuves suffisantes. Il note qu’aucun élément du dossier n’indique que l’examen des arguments de l’auteure conduit par les autorités danoises ait été entaché d’irrégularités qui mèneraient à conclure que celles-ci n’ont pas évalué correctement les risques auxquels l’auteure serait exposée si elle était renvoyée en Somalie. En conséquence, et tout en restant préoccupé par la situation générale des droits de l’homme en Somalie, le Comité estime qu’en l’espèce, rien dans le dossier ne permet de conclure que les autorités danoises de l’immigration, dont la Commission des recours des réfugiés, ont manqué à leur devoir au moment d’examiner la demande de l’auteure, ou que leurs décisions ont été arbitraires ou ont constitué un déni de justice contrevenant aux dispositions de la Convention.

Le Comité décide donc que :

a)La communication est irrecevable, en vertu de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.