Communication présentée par:

J. D. et consorts (représentées par un conseil, European Roma Rights Centre)

Au nom des:

Auteures de la communication

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

17 février 2016 (date de la lettre initiale)

Références:

Communiquée initialement à l’État partie le 22 mars 2016

Date des constatations:

16 juillet 2019

* Adoptée par le Comité à sa soixante-treizième session (1-19 juillet 2019).

** Les membres du Comité ayant participé à l’examen de la présente communication sont les suivants  : Gladys Acosta Vargas, Hiroko Akizuki, Tamader Al-Rammah, Nicole Ameline, Gunnar Bergby, Marion Bethel, Louiza Chalal, Esther Eghobamien-Mshelia, Naéla Gabr, Hilary Gbedemah, Dalia Leinarte, Rosario G. Manalo, Aruna Devi Narain, Elgun Safarov, Genoveva Tisheva, Franceline Toé-Bouda et Aicha Vall Verges.

Contexte

Les auteures, J.D. et consorts, sont Tchèques d’origine rom, nées en 1966, 1969, 1960, 1960, 1964 et 1963 respectivement. Elles affirment avoir été victimes de stérilisation sans avoir donné leur consentement éclairé et qu’elles sont, par conséquent, victimes d’une violation persistante de l’article 2 b) et e) de la Convention, compte tenu des articles 5, 10 h), 12 et 16.1 e) de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur en République tchèque le 26 février 2001.

Rappel des faits présentés par les auteures

J.D. a donné naissance à quatre enfants par accouchement naturel. À 34 ans, après la naissance de son dernier fils, elle a décidé de se faire poser un dispositif intra‑utérin comme méthode de contraception. Après quelques difficultés, elle a rendu visite à son gynécologue, qui a changé le dispositif intra-utérin mais n’a pas vu qu’elle était enceinte. Elle s’en est aperçu seulement lorsqu’elle a sollicité un traitement pour ses complications. Le 27 juillet 2001, elle a été hospitalisée à l’hôpital municipal d’Ostrava. Après avoir diagnostiqué une grossesse ectopique, le gynécologue lui a annoncé qu’elle devait être opérée immédiatement afin d’interrompre la grossesse, sans lui parler de stérilisation. Le personnel de l’hôpital l’a préparée pour la procédure et lui a fait signer des documents dont elle a oublié la teneur du fait de douleurs physiques dues à une hémorragie interne et parce qu’il y avait beaucoup de personnes autour d’elle. Après avoir signé le formulaire, elle a été emmenée au bloc opératoire et stérilisée. Le médecin ne l’a informée de sa stérilisation que lorsqu’il lui a donné son compte rendu d’hospitalisation. Sur ce document, seules deux phrases font référence à son consentement à la stérilisation : « La patiente doit être stérilisée. 27 juillet 2001 » et « J’accepte l’intervention dans la mesure de ce qui a été convenu avec le médecin ». Rien n’indique que le médecin lui ait fourni des informations au sujet de la stérilisation. Le consentement du « comité de stérilisation », qui doit être obtenu avant la procédure, date du 31 août 2001, soit un mois après. Le Médiateur a enquêté sur l’affaire et en a conclu que les médecins avaient enfreint la loi parce qu’ils n’avaient pas obtenu le consentement éclairé de J.D. Il a renvoyé l’affaire devant la police mais celle-ci n’a pas mené une enquête complète. La Chambre des médecins, l’organisme de régulation de la profession, n’a constaté aucune faute.

G. a donné naissance à son premier enfant en 1988 par césarienne. Deux ans plus tard, elle est tombée enceinte à nouveau et un obstétricien spécialiste l’a informée du fait que ce deuxième accouchement pourrait également avoir lieu par césarienne. Personne n’a parlé de stérilisation. Le 23 septembre 1990, elle a constaté des saignements et a senti des douleurs. Après son admission à l’hôpital Vitkovice d’Ostrava, les médecins ont laissé l’accouchement progresser naturellement, mais le lendemain, à la suite de complications, il a été décidé de procéder à une césarienne. Une infirmière lui a donné un « formulaire anténatal » et un formulaire de consentement pour la stérilisation. On lui a simplement dit : « Vous devez signer ça ! » sans lui donner plus de détails. Elle souffrait, se sentait oppressée et craignait pour sa vie et celle de son enfant ; elle n’a donc pas eu le temps de lire le formulaire correctement pendant qu’elle était transférée vers le bloc opératoire. Sur ce document, on peut lire : « J’accepte la procédure que l’on m’a présentée et toute autre mesure qui pourrait apparaître nécessaire lors de l’intervention chirurgicale. La patiente demande qu’on la stérilise durant l’intervention » . La deuxième phrase est rédigée dans une autre police et a donc possiblement été rajoutée après que la patiente a signé. Le formulaire n’indique pas si le médecin a fourni à G. des informations au sujet de la stérilisation. Seulement 25 minutes se sont écoulées entre le moment où le médecin a pris la décision d’opérer et la naissance de l’enfant. G. précise qu’elle n’a pas demandé de stérilisation. Le dossier médical indique le contraire : « Lorsque des informations lui sont données sur son état de santé et l’intervention chirurgicale prévue, la patiente, devant le médecin et les infirmières, demande à être stérilisée afin de ne pas avoir d’enfant.» C’est la personne qui l’a examinée en salle de réveil qui l’a avertie de sa stérilisation, mais elle n’a pas bien compris de quoi il s’agissait en raison du langage technique utilisé. G. n’a découvert les conséquences de la procédure que le lendemain de l’intervention, lorsque le médecin est venu lui expliquer. Elle avait 21 ans et elle et son mari souhaitaient avoir un autre enfant. L’enquête menée par le Médiateur a confirmé que les médecins avaient enfreint la loi parce qu’ils n’avaient pas obtenu le consentement éclairé de la patiente pour la stérilisation ; le dossier a été transféré à la police mais celle-ci n’a pas mené d’enquête complète.

B. avait deux enfants lorsqu’elle est tombée enceinte en 1981. Au cinquième mois de grossesse, le « comité de stérilisation » l’a invitée à un entretien et lui a proposé de se faire stériliser, en présentant cela comme une méthode de contraception réversible et temporaire. Elle a refusé. Ses jumeaux sont nés par accouchement naturel le 27 mars 1982, sans aucune complication. Deux mois plus tard, le médecin lui a fait savoir que les tumeurs découvertes lors de la naissance de ses enfants devaient être retirées sans délai. Peu de temps avant l’intervention et alors qu’elle était sous l’emprise des médicaments, on lui a donné un formulaire de consentement pour la stérilisation ; elle ne se rappelle pas ce qu’elle a signé. B. a été stérilisée pendant l’intervention. Après cela, aucun médecin n’a plus mentionné de tumeur et elle n’a pas eu de rendez-vous de suivi. Elle avait 22 ans. Elle a appris qu’elle avait été stérilisée des années plus tard lors d’un examen médical. En 1982, elle a reçu une allocation de 2 000 couronnes tchèques, probablement pour la stérilisation. À l’époque, elle a pensé qu’il s’agissait d’une prestation sociale liée à l’accouchement. Il ressort clairement des documents de son médecin traitant qu’elle a été stérilisée. Toutefois, il n’existe aucun document concernant l’intervention chirurgicale ; l’hôpital affirme que le dossier a dû être détruit parce qu’il avait été détruit par une inondation.

F. avait 27 ans lorsqu’elle a donné naissance à son quatrième enfant, le 16 mars 1987. Peu de temps après, des travailleurs sociaux lui ont proposé de se faire stériliser, en décrivant cela comme une procédure réversible, et lui ont proposé une allocation. Elle a d’abord refusé, puis a changé d’avis parce qu’elle n’avait pas l’intention d’avoir des enfants dans un avenir proche. Elle a accepté la stérilisation uniquement car elle pensait qu’elle pourrait concevoir à nouveau à l’avenir. Lorsqu’elle a été admise à l’hôpital à Most, aucun membre du personnel médical ne lui a parlé de sa stérilisation et elle n’a pas non plus signé de formulaire de consentement. Peu de temps après la procédure, elle a commencé à ressentir des douleurs pendant l’allaitement. Ensuite, elle a reçu l’allocation liée à la stérilisation. L’hôpital lui a dit que son dossier médical concernant l’intervention avait été égaré, à l’exception d’un document non daté d’un comité de stérilisation autorisant la procédure, qui semble avoir été rédigé après le 10 décembre 1966.

M. avait quatre enfants lorsqu’un travailleur social lui a parlé de stérilisation, en décrivant cette procédure comme temporaire et réversible et en indiquant que cela durerait trois ou quatre ans. M. a refusé mais le travailleur social l’a menacée de renforcer la surveillance dont elle faisait l’objet et de lui retirer ses enfants pour les placer dans des foyers publics. Elle a été admise à l’hôpital à Most pour subir cette intervention. Elle n’a reçu aucune information, n’a rencontré aucun comité et n’a pas non plus signé de formulaire de consentement. Une fois de retour chez elle, M. a reçu l’allocation promise par le travailleur social. Elle était censée se rendre à l’hôpital pour une visite de suivi après avoir laissé passer un cycle menstruel. Lorsqu’elle s’est aperçue qu’elle n’avait pas ses règles, elle a rendu visite à son gynécologue qui, au départ, ne pensait pas qu’elle puisse être enceinte en raison de la stérilisation, mais qui a confirmé la grossesse après un examen. M. était déjà enceinte au moment de la stérilisation mais n’avait pas été examinée avant la procédure. Elle ne peut pas fournir son dossier médical concernant la stérilisation parce que l’hôpital lui a dit qu’il avait été égaré. Le seul document que l’hôpital affirme avoir trouvé est l’autorisation non datée du comité de stérilisation, qui semble avoir été rédigée après le 10 décembre 1966.

C. a donné naissance à son troisième enfant le 5 novembre 1986. Lorsqu’un travailleur social s’est rendu chez elle pour lui offrir la possibilité de se faire stériliser, elle a été tentée par l’allocation financière car elle n’envisageait pas d’avoir d’autres enfants. Elle a décidé de signer le formulaire de consentement uniquement car la procédure avait été décrite comme réversible. Elle a été admise à l’hôpital de Krnov le 8 février 1989 et peu de temps après, elle a reçu l’allocation de stérilisation. Environ sept ans plus tard, elle a souhaité avoir un enfant et a demandé à son gynécologue de lui « déligaturer les trompes ». Pour la première fois, le gynécologue lui a expliqué qu’elle ne pouvait plus avoir d’enfants. Cela n’était pas indiqué dans la documentation concernant l’intervention et C. prétend que personne à l’hôpital ne lui a fourni d’information à ce sujet. Le dossier médical comporte sa signature sur du papier vierge avec la déclaration suivante : « Je consens à subir une intervention chirurgicale. » Au verso de la décision du comité de stérilisation, il est indiqué que le comité a approuvé la procédure parce que C. avait déjà trois enfants et était d’origine rom.

Le droit interne ne prévoit aucun recours spécifique pour les victimes de stérilisation forcée. Une personne qui a fait l’objet d’une intervention médicale illicite peut demander réparation en engageant une action pour la protection des « droits de la personne ». Toutefois, en raison du délai de prescription, il est impossible pour les femmes d’avoir accès à un recours effectif et de demander une indemnisation financière. En effet, le délai de prescription général pour les actions civiles est de trois ans. Dans les cas se rapportant au droit à la vie, à la dignité, à un nom, à la santé, à la vie privée ou à d’autres droits de la personne, le Code civil précise qu’après l’expiration du délai, on peut encore présenter une demande, mais qu’il est impossible d’obtenir une indemnisation financière. La loi ne le précise pas, mais les tribunaux ont confirmé que les victimes de telles violations peuvent demander une réparation non pécuniaire (c’est-à-dire des excuses) si elles introduisent une demande après l’expiration du délai. Les auteures ont donc la possibilité d’engager une procédure civile et de demander des excuses. Pendant une période, il est apparu que les victimes de stérilisation forcée pouvaient quand même demander une indemnisation même si elles présentaient leur demande après l’expiration du délai, en dépit de la disposition du Code civil. La jurisprudence n’était pas cohérente sur ce point, même au plus haut niveau de l’appareil judiciaire. À un moment donné, la Cour suprême a interprété cette disposition comme permettant aux personnes se trouvant dans ce cas de réclamer une indemnisation financière. Cette décision a été annulée par la Grande Chambre de la Cour suprême. Cette deuxième interprétation a été confirmée par la Cour constitutionnelle en 2013, qui a considéré que le Code civil ne permettait effectivement pas aux victimes de stérilisation forcée de réclamer une indemnisation financière si elles portaient plainte pour violation des droits de la personne après l’expiration du délai, à moins qu’une telle restriction ne soit contraire aux « bonnes mœurs » (dobré mravy).

La loi ne définit pas expressément la notion de « bonnes mœurs ». Cette notion peut être appliquée dans les affaires où le requérant ne peut être tenu responsable du fait que le délai de prescription ait expiré, par exemple lorsqu’une femme découvre qu’elle a été stérilisée après l’expiration de la période de trois ans. Toutefois, elle doit engager une procédure civile dans les trois ans à compter du moment où elle a appris qu’elle avait été stérilisée.

Les auteures n’étaient pas en mesure d’introduire une demande de réparation immédiatement après la stérilisation. Elles ne comprenaient pas tout à fait ce qui leur était arrivé, et pendant le régime communiste, engager ce type d’action n’était pas chose courante. Certaines d’entre elles ne peuvent pas déterminer le moment exact où elles ont compris qu’elles avaient été stérilisées ; la dernière auteure s’en est rendu compte sept ans après les faits. Au moment où elles ont enfin pu comprendre et expliquer ce qui était arrivé pour introduire une demande de réparation et où elles ont reçu des conseils juridiques pour savoir comment procéder, le délai de prescription avait expiré depuis longtemps.

Certains des cas de stérilisation forcée se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie. Toutefois, les auteures font valoir que cela n’empêche pas le Comité d’examiner leur cas, puisqu’en vertu de l’article 4.2 e) du Protocole facultatif, le fait que les victimes de stérilisation forcée ne parviennent pas à obtenir d’indemnisation constitue une violation continue de leurs droits qui se poursuit à ce jour.

Teneur de la plainte

Les auteures affirment être victimes d’une violation persistante de l’article 2 b) et e) de la Convention, compte tenu des articles 5, 10 h), 12 et 16.1 e) de la Convention. Au moment de leur stérilisation, quatre éléments sont apparus comme les principales caractéristiques de cette pratique : l’absence de libre arbitre, le manque d’informations fournies aux patientes, l’absence de critères formels et l’absence totale de consentement. Souvent, la victime a formellement consenti à être stérilisée, mais ce consentement était invalide du fait des pressions exercées par les travailleurs sociaux ou les professionnels de la santé, ce qui a débouché sur une absence de libre arbitre. Les travailleurs sociaux ont souvent obtenu le consentement des victimes en les menaçant de placer leurs enfants dans des foyers publics ou de les priver de prestations sociales. Ces stratégies ont été utilisées spécifiquement contre les femmes roms. L’allocation de stérilisation avait un attrait particulier pour les membres les plus pauvres de la société. Il était courant de demander le consentement des femmes juste avant l’opération, alors qu’elles étaient sous l’emprise d’analgésiques et dans un état de souffrance et d’angoisse extrême.

Les auteures avancent que l’alinéa b) de l’article 2 de la Convention « impose aux États parties de s’assurer que les lois interdisant la discrimination et favorisant l’égalité entre femmes et hommes offrent des voies de recours appropriées aux femmes qui sont victimes de discrimination en violation de la Convention ». Conformément à l’alinéa e) de l’article 2, les États doivent prendre des mesures pour « que les femmes puissent porter plainte pour violation des droits énoncés dans la Convention et avoir accès à des recours utiles ». Le Comité a souligné que « l’offre de voies de recours signifie que les femmes doivent pouvoir recevoir des systèmes de justice une véritable protection et bénéficier d’une juste réparation en cas de préjudice quel qu’il soit ».

Les auteures affirment ne pas avoir accès à des voies de recours appropriées pour demander réparation à la suite de leur stérilisation forcée, car la législation tchèque ne prévoit aucune voie de recours de ce type. Il ressort que l’État partie n’a pas adopté de mesures appropriées pour interdire la discrimination à l’égard des femmes et n’a pas pris toutes les mesures requises pour éliminer cette forme de discrimination. Étant donné que la stérilisation forcée constitue une forme de discrimination interdite par les articles 5, 10 h), 12 et 16.1 e) de la Convention, la demande des auteures porte sur l’obligation de fournir des voies de recours prévue par les alinéas b) et e) de l’article 2.

Selon les auteures, le Comité n’a pas besoin de se prononcer sur la violation des articles susmentionnés entraînée par leur stérilisation pour constater des violations des alinéas b) et e) de l’article 2. Conformément aux principes bien établis du droit international des droits de l’homme concernant l’interprétation des dispositions garantissant des voies de recours utiles, les auteures font valoir que, pour invoquer les alinéas b) et e) de l’article 2 de la Convention, il leur suffit de montrer qu’elles ont un grief défendable prétendant qu’elles ont été victimes d’un traitement discriminatoire violant d’autres dispositions de la Convention.

Selon les auteures, il est incontestable qu’elles présentent un grief défendable en prétendant qu’elles ont été victimes de violations de la Convention lorsqu’elles ont été stérilisées de force. Leurs cas font apparaître des stéréotypes sur les femmes roms, invoquant l’article 5 de la Convention : elles ont été prises pour cible parce qu’elles avaient des familles nombreuses, ce qui est un stéréotype tellement commun sur les Roms qu’il est impossible de le séparer de tout débat sur la stérilisation forcée. L’objectif de cette pratique mise en place par l’État était de « contrôler la population rom, en très mauvaise santé, grâce à la planification familiale et à la contraception». Dans deux des six cas, le Médiateur a conclu à des violations des droits légaux des victimes. Toutes les auteures ont été victimes d’une stratégie bien rôdée de stérilisation forcée des femmes roms qui existe depuis des décennies. L’État partie a traité des affaires similaires devant la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ses observations finales de 2006 et de 2010 (CEDAW/C/CZE/CO/3 et CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité a demandé à l’État partie de « prévoir le versement d’une indemnité financière aux victimes de stérilisations forcées ou non consenties, pratiquées en particulier sur des femmes roms et des femmes handicapées mentales » et a noté avec inquiétude que « la plupart des demandes d’indemnisation présentées par les victimes de stérilisations forcées ont été rejetées parce que les tribunaux ont interprété la règle de la prescription, à savoir trois ans, comme s’appliquant à compter du préjudice et non à compter de la découverte de la signification réelle de la stérilisation et de toutes ses conséquences ».

Comme l’État partie n’a pas adopté de loi pour faire en sorte que les victimes de stérilisation forcée ne soient pas soumises au délai de prescription ordinaire, cela prive les auteures d’une voie de recours utile, en violation des alinéas b) et e) de l’article 2 de la Convention. Le Comité a estimé que les victimes de stérilisation forcée ont le droit de recevoir « une indemnisation appropriée […] à la mesure de la gravité de la violation de [...] [leurs] droits ». Le fait d’imposer aux femmes roms stérilisées de force le même délai de prescription que pour toute autre action civile visant à obtenir réparation ne tient pas compte de la situation particulière de ces femmes et constitue une forme de discrimination croisée qui les prive d’une voie de recours utile. Le manque d’accès à la justice de ces femmes est aggravé par l’impact psychologique de la stérilisation forcée, par leur sentiment d’infériorité et de honte et par la stigmatisation : tous ces facteurs font qu’elles se montrent réticentes à contester l’autorité et à appeler l’attention sur leur cas. Le fait que l’État partie impose à ces femmes le même délai de prescription qu’aux autres citoyens signifie qu’il a failli à son obligation d’adopter des lois pour lutter contre la discrimination à l’égard des femmes.

L’existence de voies de recours utiles et l’obligation d’épuisement de ces recours sont étroitement liées : lorsqu’il n’existe pas de recours utile pour une violation, il n’est pas nécessaire d’épuiser les recours avant de présenter une demande. Le principe d’épuisement des recours internes est lié à la question de savoir s’il y a véritablement eu une violation de l’article 2.

En théorie, les victimes de stérilisation forcée pourraient chercher à obtenir réparation en engageant des poursuites en vertu du Code de procédure pénale et pourraient peut-être, dans le cadre d’une telle procédure, recevoir une indemnisation. Selon le Code pénal, la stérilisation forcée peut constituer un crime d’« attaque contre l’humanité » ou d’atteinte à la santé par négligence grave. Le Code pénal impose des sanctions plus lourdes aux auteurs d’infractions qui violent une obligation découlant de leur emploi ou de leur profession (les médecins, en cas de stérilisation forcée). La police a ouvert des enquêtes dans certains cas, mais les poursuites pénales ont été abandonnées et n’ont donc pas été concluantes. Le Médiateur a enquêté sur ce sujet et a recensé 87 cas de stérilisation forcée. Dans son rapport de 2005, il a souligné que « même si les organes chargés de diriger les enquêtes pénales arrivent à la conclusion qu’aucune infraction n’a eu lieu dans ces cas précis, cela ne signifie pas qu’aucune faute n’a été commise et que [la stérilisation] était légitime ». Dans les affaires examinées par le Médiateur ou dans les cas impliquant les auteures, il n’y a aucune information concernant l’imposition de toute sanction pénale aux auteurs des faits.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Le 22 septembre 2016, l’État partie a fait savoir qu’il ne pouvait ni confirmer ni contester la véracité du récit des auteures concernant les circonstances de leur stérilisation. Aucune d’entre elles n’a engagé des procédures au niveau interne, ce qui aurait permis de recueillir des preuves et de les faire évaluer par un tribunal. Les cas de J.D. et de G. ont été examinés en partie par le Médiateur et par la police. Toutefois, cela a eu lieu bien longtemps après les stérilisations et il s’est avéré difficile de rassembler des preuves.

Selon un rapport médical daté du 1er février 2002, B. a été stérilisée en 1982. F. a affirmé qu’elle avait été stérilisée en 1987, mais sans preuve à l’appui, à l’exception de la décision d’un comité de stérilisation, laquelle remonte à 1987 et autorise la procédure de stérilisation sur demande de la patiente. M. a été stérilisée en mai ou juin 1987 et a joint la décision d’un comité de stérilisation, laquelle date de cette même année et autorise la procédure de stérilisation sur demande de la patiente. C. a fait parvenir une décision similaire, ainsi qu’un dossier médical concernant sa stérilisation, qui a eu lieu en février 1989. Elle affirme n’avoir eu connaissance des entières conséquences de sa stérilisation que sept ans plus tard. G. a été stérilisée le 24 septembre 1990 et affirme avoir découvert « toutes les conséquences » de la procédure le jour suivant l’intervention. J.D. a été stérilisée le 27 juillet 2001 et maintient qu’elle n’a découvert avoir été stérilisée qu’à sa sortie de l’hôpital, le 2 août 2001. C’est à ce moment-là qu’elle a dit à son mari qu’elle ne pourrait probablement plus avoir d’enfants. Il a déclaré qu’ils ont ramené le dossier médical chez eux et qu’ils ont compris alors ce que signifiait le mot « stérilisation ». Le Médiateur a enquêté sur les stérilisations des deux auteures restantes, mais n’a pas établi la mauvaise foi du personnel médical et/ou son intention de maltraiter les auteures.

L’État partie donne des précisions sur le droit interne (le Code civil en vigueur du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2013) et sur le droit jurisprudentiel de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle relatifs à l’interprétation de l’application du droit à la protection des droits de la personne et du délai général de prescription aux demandes de réparation en cas de dommage moral. L’État partie explique que le délai de prescription n’était pas appliqué à ces demandes jusqu’en 2008. Cette année-là, la Cour suprême a émis un nouvel avis sur ce point juridique : « Si la demande de réparation pour dommage moral comprend une demande de versement d’une quelconque somme d’argent, le principe de sécurité juridique veut que le délai écoulé entraîne des effets juridiques. » Les demandes d’indemnisation pour dommage moral ont donc été soumises au délai de prescription. Toutefois, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le principe selon lequel les droits doivent être exercés dans le respect des bonnes mœurs, qui permet de contrebalancer la rigidité parfois disproportionnée du délai de prescription. La Cour suprême a annulé des jugements de juridictions inférieures, soulignant qu’elles n’avaient pas examiné si le délai de prescription était bien conforme aux bonnes mœurs.

L’État partie affirme que la portée de la communication ne concerne pas les circonstances de la stérilisation des auteures et se limite à une violation présumée du droit à un recours dans le contexte donné. En conséquence, il se concentre sur la violation présumée de ce droit à un recours.

L’État partie fait valoir que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est incompatible ratione temporis avec le Protocole facultatif. Il y a eu un retard considérable dans la présentation du document, ce qui constitue un abus du droit de présenter une communication. Les auteures n’ont pas épuisé les recours internes puisqu’elles n’ont pas engagé de procédure judiciaire appropriée à l’échelon national. Les tribunaux nationaux n’ont pas réellement pu recueillir et examiner des preuves pour établir véritablement les circonstances de ces affaires. La possibilité de faire examiner l’affaire par le Comité est limitée en raison de l’absence de procédures engagées au niveau national et par le fait que les auteures elles-mêmes n’ont présenté qu’une partie des preuves.

Les auteures auraient dû apporter des indices raisonnables démontrant une atteinte à leurs droits et fournir une base défendable pour justifier une violation. Si elles avaient voulu porter plainte auprès d’un organe quasi judiciaire au niveau international, elles auraient dû supporter un quantum de preuves prima facie. Il semble que B., F. et M. n’aient pas respecté cette exigence. Il n’est guère possible de vérifier les circonstances entourant leur stérilisation à partir des quelques éléments joints à leur communication, puisqu’elles n’ont pas engagé de procédure au niveau national. Le Comité « ne remplace pas les autorités nationales dans l’appréciation des faits » et « il appartient généralement aux juridictions des États parties à la Convention d’évaluer les faits et les éléments de preuve ».

L’État partie doute que B., F. et M. aient « suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité », les circonstances entourant leur stérilisation et l’échec présumé des autorités nationales à leur offrir un recours efficace. C. a présenté certaines preuves au Comité, et les cas de J.D. et de G. ont été examinés par le Médiateur. L’État partie reconnaît que ces trois auteures ont présenté des commencements de preuve aux fins de la recevabilité.

L’État partie rappelle l’affaire A. S. c. Hongrie, dans laquelle le Comité a considéré que « les faits évoqués dans la communication sont de nature continue et que l’admissibilité ratione temporis se justifie ». L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, la stérilisation a été pratiquée moins de trois mois avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif en Hongrie et que A. S. s’en est remise aux voies de recours internes disponibles peu après (dans un délai raisonnable de 10 mois après la stérilisation).

L’État partie se demande si la conclusion du Comité dans cette affaire est applicable aux cas présentés dans la présente communication, car les faits en question (concernant cinq des auteures) se sont produits bien longtemps avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie. Les faits se sont déroulés même bien avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur à l’échelle internationale. Le facteur temps joue un rôle important dans l’examen de la recevabilité ratione temporis. Le laps de temps qui s’écoule entre l’événement déclencheur et la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie ne doit pas être excessivement long. Le délai s’écoulant entre la stérilisation des auteures et la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie doit être pris en compte et même lorsqu’un fait, une omission ou une décision a des « effets durables, [cela] n’engendre pas une situation continue ».

La communication est irrecevable pour incompatibilité ratione temporis dans le cas de toutes les auteures, sauf J.D. Dans A. S. c. Hongrie, l’auteure se plaint d’avoir « fait l’objet d’une stérilisation forcée de la part du personnel médical dans un hôpital hongrois » mais ne mentionne pas l’absence présumée de recours internes. La présente communication porte seulement sur une violation alléguée du droit à un recours, qui ne peut pas être considérée comme une violation « de nature continue » et sans aucune limite de temps, compte tenu du principe fondamental de sécurité juridique.

Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 26 février 2001. En ce qui concerne les communications individuelles, le Comité n’a eu compétence ratione temporis pour examiner l’existence de recours utiles à l’échelon national qu’après cette date. Cela définit l’époque à considérer aux fins de la présente affaire.

Dans ses observations finales de 2010, le Comité a recommandé que le délai de prescription pour la présentation de demandes de réparation en cas de stérilisation forcée devrait commencer à courir « à compter de la date de la découverte par la victime de la signification réelle de la stérilisation et de toutes ses conséquences ». Aux fins des considérations ratione temporis et à la lumière de ce qui précède, il est impératif d’établir à quel moment B., F., M., C. et G. ont découvert « la signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation. Le point de départ doit être la date effective de la procédure. Il semble qu’elles aient été stérilisées en 1982, 1987, 1987, 1989 et 1990, respectivement. G. a découvert « toutes les conséquences » de la procédure peu de temps après l’intervention, le 25 septembre 1990 au plus tard. C. affirme qu’elle a découvert toutes les conséquences de la stérilisation sept ans après l’intervention, en 1996. Ces deux auteures ont découvert « la signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation bien avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif.

Concernant B., F. et M., il n’y a pas d’éléments de preuve indiquant le moment où elles ont découvert « la signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation. Elles n’ont pas communiqué ces informations. Néanmoins, étant donné que les trois auteures ont été stérilisées dans les années 1980, soit plus de 12 ans avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, l’État partie peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles aient découvert la « signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation bien avant 2001. On peut raisonnablement supposer que les auteures avaient en leur possession la documentation médicale pertinente au moment de quitter l’hôpital et qu’elles avaient bien compris qu’elles ne pourraient pas avoir d’enfants en raison de leur stérilisation. Les examens gynécologiques réguliers font partie des services de soins de santé largement accessibles et gratuits dispensés par l’État partie. Il est donc probable que durant le laps de temps écoulé, les auteures aient découvert « la signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation.

En somme, B., F., M. et G. ont découvert leur stérilisation et les conséquences de la procédure bien avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie, vraisemblablement au début des années 1990. Pour C., cela s’est fait au plus tard en 1996. L’État partie maintient que cette affaire ne relève pas de la compétence ratione temporis du Comité.

Le retard dans la présentation de la communication équivaut à un abus du droit de présenter une communication. En effet, les auteures ont soumis la demande 15 ans après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. La plupart d’entre elles ont été stérilisées il y a plus de 25 ans. Étant donné qu’elles n’ont pas épuisé tous les recours internes, le « délai raisonnable » pour la présentation de leur communication devrait être déterminé en fonction du moment où elles ont découvert « la signification réelle et toutes les conséquences de la stérilisation ». Pour cinq d’entre elles, cela a eu lieu bien avant 2001 et, pour J.D., en août 2001. Bien que la définition d’un « délai raisonnable » soit un exercice délicat, le laps de temps entre la stérilisation et le dépôt de la communication n’était pas « raisonnable ». Il n’a pas été trouvé de juste équilibre entre le droit des auteures à se défendre en présentant une communication au Comité et le droit des États Parties de ne pas être tenus pour responsables au-delà d’un « délai raisonnable ». Le fait de présenter une communication au Comité après une période aussi longue viole les principes juridiques de base, tels que la sécurité juridique et la facilitation de l’administration de la justice.

Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie se concentre exclusivement sur les recours utiles disponibles depuis le 26 février 2001, date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie, et date à partir de laquelle le Comité a eu compétence ratione temporis pour examiner l’existence de voies de recours utiles. La jurisprudence du Comité établit que la stérilisation est « de nature continue ». Ce raisonnement pourrait laisser penser que l’État partie est tenu de fournir des recours utiles y compris aux femmes stérilisées avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. C’est le cas de toutes les auteures sauf J.D. Elles ont très probablement découvert la signification de leur stérilisation dans les années 1990. Le 26 février 2001, date à laquelle le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie, cinq des six auteures avaient probablement découvert depuis longtemps « la signification réelle et toutes les conséquences » de leur stérilisation. Quant à J.D., elle en a pris conscience en août 2001 au plus tard. L’époque considérée pour examiner l’épuisement des voies de recours internes découle de ces dates.

Aucune des auteures n’a engagé de procédure judiciaire au niveau national au moment où elles ont découvert la signification réelle de la stérilisation, ni après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Les plaintes de J.D. et G. déposées auprès du Médiateur ne peuvent être considérées comme des recours internes au sens du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, car à la lumière de la jurisprudence du Comité, ce mécanisme ne constitue pas une voie de recours efficace, pas plus qu’il ne donne lieu à une réparation adéquate.

Depuis l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la possibilité d’engager une action civile pour la protection des droits de la personne, prévue par l’article 11 de l’ancien Code civil (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013), constituait une voie de recours disponible et utile pour les auteures de la communication. Dans son rapport de 2005, le Médiateur a confirmé que l’action civile était un recours approprié pour les stérilisations illicites. Les auteures avaient la possibilité de se prévaloir de cette voie de recours depuis l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie en 2001. La jurisprudence des tribunaux internes a confirmé l’efficacité concrète de cette voie de recours dans les cas de stérilisation et a établi qu’elle était tout à fait adaptée pour constater des violations des droits de la personne des femmes ainsi que pour octroyer une indemnisation financière. Dans le cadre de la procédure civile, les auteures avaient le droit de présenter leurs arguments avec l’assistance d’un avocat, de fournir les preuves qu’elles jugeaient pertinentes et appropriées, de participer à une audience contradictoire sur le fond et de demander une indemnisation. Elles avaient la possibilité de faire examiner les actions du personnel de l’hôpital qu’elles considéraient comme illégales par les tribunaux internes, et si ceux-ci statuaient en leur faveur, de recevoir une réparation appropriée.

L’État partie réfute les allégations selon lesquelles F., M., C. et J.D. n’avaient pas accès à une assistance juridique et souligne que depuis 2001, les auteures avaient deux possibilités pour obtenir une aide juridictionnelle. En vertu de l’article 30 du Code de procédure civile, le président du tribunal doit désigner un représentant légal pour un participant qui en fait le demande et qui remplit les conditions requises pour être exempté de frais de justice, si cela est nécessaire pour protéger les intérêts dudit participant. Conformément à l’article 18 (2) de la loi n° 85/1996 sur la profession d’avocat, une personne qui ne peut bénéficier de services juridiques en vertu de cette loi a le droit de voir son avocat désigné par le barreau, à sa demande. L’Ordre des avocats propose des services gratuits de conseil juridique à l’intention du grand public dans certaines régions de l’État partie.

Les auteures affirment que le délai de prescription les a empêchées d’engager une action civile, mais cela est inexact. Jusqu’en 2008, aucun délai de prescription ne s’appliquait à cette voie de recours. L’État partie a conscience d’incohérences dans la jurisprudence des juridictions inférieures. Toutefois, les auteures avaient des chances relativement élevées d’obtenir réparation car la Cour suprême, qui est une cour ordinaire de dernière instance, a maintes fois statué que le délai de prescription ne devait pas être applicable dans de tels cas.

Durant les sept ans qui ont suivi l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, soit jusqu’en 2008, il n’y avait aucun délai de prescription applicable aux actions civiles visant à protéger les droits de la personne, y compris pour les demandes de réparation pour dommage moral. L’État partie affirme que les auteures auraient dû épuiser les voies d’action civile dans un délai raisonnable à partir du moment où elles ont découvert « la signification réelle et toutes les conséquences » de leurs stérilisations.

Après 2008, cette voie de recours était toujours efficace en dépit de la nouvelle approche adoptée par la Cour suprême, qui a statué que le délai de prescription général s’appliquait aux demandes d’indemnisation. La loi prévoit que les droits doivent être exercés dans le respect des bonnes mœurs, une disposition qui peut permettre aux requérants de surmonter le délai de prescription, lorsqu’il est perçu comme démesurément rigide. Cela s’applique lorsque la partie lésée n’a pas laissé volontairement le délai de prescription expirer et lorsque le rejet de la réclamation constituerait une peine démesurément élevée. Les tribunaux sont tenus de déterminer si le rejet du dossier en raison du délai de prescription entre en conflit avec les bonnes mœurs, de trouver une solution équitable et d’étudier si la prise en compte du délai de prescription constitue une peine démesurément sévère lorsque des lésions graves et permanentes ont été causées à la santé des victimes.

L’État partie donne des exemples de cas où la demande d’indemnisation pour stérilisation illégale a été satisfaite dans le cadre d’une action civile, bien que la procédure ait été engagée après l’expiration du délai de prescription. L’action civile demeure un recours efficace et approprié. La Cour constitutionnelle et la Cour suprême ont renforcé la pratique judiciaire atténuant les conséquences potentielles du délai de prescription en cas de stérilisation.

Les particuliers peuvent également déposer un recours devant la Cour constitutionnelle pour dénoncer les violations de leurs droits fondamentaux. Les auteures auraient pu explicitement alléguer une violation de la Convention devant la Cour constitutionnelle car un recours constitutionnel constitue a priori un recours effectif.

Même si les auteures ont estimé qu’il y avait peut-être certaines incohérences dans la jurisprudence des tribunaux internes, cela ne signifie pas nécessairement qu’une procédure civile n’avait que peu de chance de déboucher sur une réparation effective, notamment dans une situation où les auteures n’ont « pas fait le moindre effort pour [se] prévaloir des recours internes disponibles ». L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle « un simple doute quant à l’efficacité des procédures ne dispense pas l’intéressé de l’obligation d’épuiser les recours internes ».

En ce qui concerne le fond, l’État partie fait valoir que la plainte des auteures porte sur l’absence alléguée de recours effectifs et appropriés. Les dispositions de la Convention en ce qui concerne le droit de recours sont très proches de l’obligation d’épuisement des recours internes en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif. La recevabilité de la communication en cas de non-épuisement des voies de recours internes est étroitement liée à l’examen sur le fond. La question centrale reste de savoir si les auteures avaient accès à un recours effectif et approprié en ce qui concerne leur stérilisation. L’État partie renvoie à ses observations relatives au non-épuisement des recours internes, où il a examiné cette question en détail.

L’État partie est conscient que la pratique d’une stérilisation illicite constitue une atteinte aux droits très grave. Toutefois, dans les cas de stérilisation, la Convention ne contient pas d’obligation expresse de fournir un recours. La notion de droit à un recours donne aux États parties une certaine latitude pour concevoir leurs systèmes de recours. Selon les auteures, un consensus serait en train d’émerger sur la nécessité d’adopter une législation spéciale concernant les réparations en cas de stérilisation illicite. Ce n’est pas exact, étant donné que cela concerne un très petit nombre d’États, qui ont dû faire face, sur le plan historique et sur le fond, à des situations différentes. Le fait que les auteures n’aient pas engagé de procédure au niveau national ne signifie pas que l’État partie soit tenu d’adopter une voie de recours extraordinaire. Plutôt qu’une voie de recours spécifique, il faudrait privilégier une voie de recours ordinaire suffisamment adaptée pour constater une violation des droits de la personne des femmes, car cette option garantirait l’égalité devant la loi et ne serait pas à première vue discriminatoire.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partie

Le 12 décembre 2016, les auteures ont fait valoir que le Comité n’était pas tenu de déterminer si elles avaient été victimes individuellement de stérilisations forcées, mais plutôt d’établir qu’elles n’avaient pas à leur disposition un recours adapté à la pratique systémique des stérilisations forcées sur les femmes roms. Cela n’a pas de sens de s’attendre à ce que des personnes se plaignant de l’absence de recours devant les juridictions nationales engagent une procédure qu’elles pensent vouée à l’échec. Une fois que l’État partie aura introduit un recours approprié, les autorités pourront vérifier la véracité des éléments de preuve fournis par les auteures et statuer sur leurs cas. Le fait que les auteures manquent de preuves confirme bien que toute action civile qu’elles pourraient engager, et au cours de laquelle elles devraient assumer la charge de la preuve, serait vouée à l’échec.

Il est incompatible avec la Convention de s’attendre à ce que des victimes vulnérables, par exemple des membres de minorités ethniques opprimées, demandent réparation pour une stérilisation forcée en se prévalant d’un recours ordinaire où s’applique un délai de prescription de trois ans, ou le fassent à un moment où la jurisprudence concernant ces réclamations est incohérente. La jurisprudence des tribunaux confirme que la demande de réparation des auteures n’a aucune chance d’aboutir.

Plusieurs institutions nationales et organes internationaux reconnaissent la nécessité de disposer de voies de recours spécifiques pour les victimes de stérilisation forcée. L’État partie a une longue tradition de stérilisation forcée sur les femmes roms et de preuves manquantes concernant ces stérilisations. Les auteures maintiennent que leurs allégations sont vraies et qu’elles ont fourni tous les éléments de preuve à leur disposition.

En vertu du droit international des droits de l’homme, une femme introduisant une plainte concernant l’absence de voies de recours utiles doit simplement démontrer qu’elle a un « grief défendable » prétendant qu’elle a subi le préjudice pour lequel elle cherche à obtenir un redressement. C’est la position de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’application de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le degré de preuve exigé par l’État partie, à savoir des preuves « au-delà de tout doute raisonnable », prête à confusion, car il s’applique à un ensemble de cas différents concernant des victimes de mauvais traitements qui demandent au tribunal de déterminer si les faits en question constituaient une violation de leurs droits. Les auteures doivent simplement faire valoir qu’elles ont un grief défendable prétendant qu’elles ont été victimes de stérilisation forcée. La nature continue de la violation signifie que leurs droits sont encore bafoués actuellement, indépendamment de la date à laquelle la stérilisation a eu lieu. L’objet de la plainte des auteures concerne le droit à un recours effectif pour les graves violations qu’elles ont subies lors de leur stérilisation. Leur droit à un recours est toujours valable à l’heure actuelle.

Les auteures contestent le fait que le retard de soumission de leur plainte constitue un abus du droit de présenter une communication. L’idée de mettre en place un système d’indemnisation pour les victimes de stérilisation forcée est débattue dans les sphères politique, publique et législative depuis des années. Entre 2009 et 2015, ce débat a permis d’amener ce sujet au grand jour et de pousser les victimes à demander justice. Néanmoins, le 30 septembre 2015, le Gouvernement a rejeté un projet de loi demandant la création d’un comité d’expertise indépendant destiné à examiner les réclamations individuelles concernant des cas de stérilisation non consentie et à donner des avis sur les recours appropriés. Les auteures ont porté plainte devant le Comité après le rejet du projet de loi, dans les six mois suivant la décision du Gouvernement, ce qu’elles considèrent comme un délai raisonnable. Elles rappellent qu’il n’y a pas de délai limitant la présentation de plaintes au Comité.

Lorsqu’un État partie a violé l’obligation qui lui incombe en vertu du droit international des droits de l’homme de mettre en place un recours utile en cas de violation des droits de l’homme, les victimes ne peuvent être tenues d’avoir épuisé tous les autres recours, car ces recours auraient été insuffisants ou inutiles. Les auteures réfutent l’argument selon lequel elles auraient dû engager une action civile une fois qu’elles avaient découvert les pleines conséquences de la stérilisation. L’État partie ne tient pas compte de leur marginalisation sociale ni de leurs sentiments d’humiliation et de peur qui expliquent leur réticence initiale à évoquer leur situation.

L’État partie ignore également le principe du droit des droits de l’homme selon lequel une interprétation stricte du droit interne en matière de prescription peut entraver les droits des victimes vulnérables. La personne engageant la plainte doit assumer la charge de la preuve. Les femmes stérilisées il y a longtemps ne disposent pas de preuves puisque celles-ci ont été « perdues » par les établissements de santé. Les auteures n’ont aucun espoir de voir une action civile aboutir car elles ne peuvent pas produire le type de preuve qu’un tribunal civil s’attend à recevoir d’un requérant.

Les auteures ont rencontré plusieurs obstacles en matière d’accès à la justice. La stérilisation faisait partie intégrante d’une stratégie globale de contrôle démographique, appuyée par l’État et les autorités médicales. En l’absence de consensus concernant l’illégalité de telles pratiques, il n’est guère concevable d’introduire une demande de réparation devant les autorités. L’État partie n’a pas su tendre la main aux victimes en leur donnant des informations sur les recours qui leur étaient accessibles sur les plans physique, économique, social et culturel. Ce n’est qu’à partir du moment où les autorités ont commencé à envisager de fournir un recours que les auteures ont gagné en confiance et commencé à penser qu’elles pourraient obtenir justice. Lorsque ce processus a échoué, elles ont décidé de soumettre leur plainte.

Les médecins et les établissements de santé devraient être tenus responsables de certaines stérilisations. Toutefois, c’est à l’État partie qu’il incombe de mettre en place des voies de recours permettant d’établir la responsabilité de chacun et d’offrir réparation aux victimes. Dans le cas A. S. c. Hongrie, le Comité a conclu que la Hongrie était tenue de surveiller et de vérifier la bonne application des sanctions dans les cas de stérilisation forcée qui ont eu lieu dans des hôpitaux publics et privés.

Des femmes stérilisées dans les années 2000 ont pu obtenir une indemnisation en vertu du droit civil. Cela n’a aucune répercussion sur la situation des femmes qui ont été stérilisées des années plus tôt et qui n’ont pas été en mesure de se prévaloir de cette procédure. L’État partie insiste sur le fait que des formulaires gratuits contenant des conseils juridiques étaient disponibles, mais cela n’a aucune incidence ; comme aucune stratégie de sensibilisation n’a été mise en œuvre auprès des victimes de stérilisation forcée, et que celles-ci ont également un faible statut social, ces démarches ne sont d’aucune utilité. L’idée que les auteures auraient d’abord dû se présenter devant un tribunal civil dans un délai de trois ans après leur stérilisation, sans l’aide d’un avocat, mais dans le but d’en obtenir un, ne tient absolument pas compte de la réalité de leur situation. L’État partie est conscient des lacunes de son système d’aide juridictionnelle ; en effet, un nouveau projet de loi sur l’aide juridictionnelle a été présenté en mars 2016.

Les États parties sont tenus de fournir des voies de recours accessibles. L’État partie a reconnu que la jurisprudence n’était pas cohérente et offrait seulement aux auteures une « chance » d’obtenir une indemnisation. Bien que des victimes de stérilisation forcée aient pu être en mesure d’obtenir une indemnisation avant 2008, il n’était en aucun cas évident pour les auteures que la voie civile constituait une voie de recours appropriée.

Le principe de respect des « bonnes mœurs » n’est d’aucune utilité pour aider les auteures à résoudre la question du délai de prescription. Cette exception discrétionnaire aux règles n’impose pas de véritables obligations aux tribunaux ; il s’agit simplement d’une règle de procédure à suivre lorsqu’il est envisagé d’accorder une dérogation. Les tribunaux n’ont généralement pas recours à ce principe de respect des « bonnes mœurs » pour surmonter des obstacles tels que ceux auxquels les auteures sont confrontées. Les deux affaires citées par l’État partie sont différentes, étant donné que les procédures ont été engagées durant la période (entre 2003 et 2008) où les tribunaux accordaient une indemnisation à des victimes de stérilisation forcée même si le délai de prescription avait expiré. Il n’aurait pas été possible pour les auteures de voir leur cas arriver jusqu’à la Cour suprême avant que la jurisprudence n’évolue et que l’expiration du délai de prescription n’empêche de déposer une demande d’indemnisation.

L’affirmation de l’État partie selon laquelle « la Cour suprême a estimé que le rejet des demandes d’indemnisation pour stérilisation illicite en raison du délai de prescription était contraire aux bonnes mœurs et a annulé les jugements des juridictions inférieures» est trompeuse. La Cour suprême a estimé qu’il convenait d’envisager d’appliquer le principe de « bonnes mœurs » dans le cadre des procédures concernant des victimes de stérilisation forcée. Elle a ordonné aux juridictions inférieures de rouvrir les affaires, mais pas de statuer en faveur des victimes. Étant donné que la jurisprudence a désormais tranché sur cette question et que les autorités ont rejeté la mise en place d’un recours spécifique, les auteures n’ont qu’une chance théorique et illusoire d’obtenir une indemnisation devant les tribunaux grâce à l’application discrétionnaire du principe des « bonnes mœurs ».

Les particuliers qui engagent des procédures civiles pour obtenir réparation doivent payer des frais de justice, lesquels correspondent à un pourcentage du montant réclamé. Il est peu probable que les auteures soient en mesure d’assumer ces frais ; et même si tel était le cas, le montant dont elles pourraient s’acquitter serait si faible qu’elles seraient obligées de revoir le montant demandé à la baisse. Le tribunal ne peut exempter une personne de payer les frais juridiques que s’il existe des « raisons particulièrement graves ».

La Cour constitutionnelle peut intervenir lorsque qu’une procédure civile longue n’a pas abouti mais elle peut seulement recommander aux tribunaux d’envisager l’application du principe des « bonnes mœurs » dans les affaires concernant les auteures. Dans leurs cas, rien n’indique que cette exception discrétionnaire à la règle interdisant l’introduction de demandes d’indemnisation après l’expiration du délai de prescription serait appliquée.

Sur le fond, les auteures contestent l’argument selon lequel il n’existe aucune obligation de fournir des recours spécifiques pour les victimes de stérilisation forcée. Les auteures estiment avoir droit à un recours spécifique compte tenu du moment où leur stérilisation a été réalisée, de l’exclusion dont elles sont victimes et de leur situation marginale. Les autres pays ayant une histoire semblable (Allemagne, Autriche, Pérou, Suède et certains États des États-Unis d’Amérique) ont mis en place des voies de recours externes au système juridique ordinaire. Le fait que l’État partie refuse de le faire, alors même que d’autres dispositifs existent pour les victimes de mauvais traitements durant des régimes précédents aujourd’hui discrédités, équivaut à une discrimination à l’égard des femmes roms stérilisées de force.

Le droit interne et la jurisprudence ont contribué à la revictimisation des auteures et ont entraîné une forme de discrimination croisée à leur égard fondée sur l’appartenance ethnique, le sexe et la condition sociale. En effet, ils n’établissent pas de distinction entre les femmes roms victimes de stérilisation forcée et d’autres plaignants demandant une indemnisation dans le cadre d’une procédure civile pour mauvais traitements. En outre, le même quantum de preuves est exigé de toutes les victimes et le délai de prescription est le même pour tous. Les voies de recours en cas de violations des droits de l’homme devraient être adaptées pour tenir compte de la vulnérabilité de certaines catégories de la population. Les auteures, en tant que victimes de violations flagrantes des droits de l’homme, maintiennent que l’État partie est tenu de mettre en place un système d’indemnisation adapté aux victimes de stérilisation forcée.

Observations complémentaires de l’État partie

Le 5 mai 2017, l’État partie a réaffirmé que les auteures n’avaient pas tenté de faire la lumière sur les circonstances entourant leur stérilisation et a estimé que leur silence venait confirmer sa version des évènements. L’État partie rejette l’affirmation selon laquelle « plusieurs milliers » de femmes ont été illégalement stérilisées et affirme que celle-ci est non avérée. Le Médiateur a recensé plusieurs douzaines de cas.

La présente affaire ne porte pas sur la stérilisation des auteures, mais sur l’absence d’un recours utile, ainsi que les deux parties en ont convenu. L’État partie s’est concentré exclusivement sur la violation présumée du droit à un recours. Toutefois, les auteures demandent au Comité d’examiner la communication in abstracto, sans tenir compte des circonstances individuelles de chaque personne. Une telle approche dans le cadre d’une procédure de plainte individuelle n’est pas justifiée, car ce sont justement les circonstances individuelles de chaque personne qui sont examinées, et non pas un refus allégué de suivre les recommandations formulées par les organes conventionnels de l’ONU lors de l’établissement de rapports périodiques. L’établissement de rapports et la soumission de plaintes individuelles suivent des règles différentes et exigent des approches différentes.

Les faits concernant cette affaire ne peuvent pas avoir d’incidences permanentes sur le droit à un recours utile, en raison de la nature de ce droit et des règles de procédure concernant les voies de recours internes et le système judiciaire, y compris le principe de sécurité juridique. Les auteures mentionnent le cas Mariam Sankara et al c. Burkina Faso, présenté devant le Comité des droits de l’homme, mais cette référence prête à confusion. Même si la procédure judiciaire a été engagée avant l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Protocole facultatif s’y rapportant au Burkina Faso, elle s’est poursuivie après l’entrée en vigueur du Pacte et n’avait pas encore abouti au moment de l’adoption des constatations du Comité. Dans la présente affaire, les auteures n’ont engagé aucune procédure interne avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, alors qu’elles avaient pleinement connaissance des conséquences de leur stérilisation à ce moment-là. Par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis pour ce qui est des auteures figurant sur la liste.

En ce qui concerne la charge de la preuve dans un procès civil, les plaignants sont simplement tenus de signaler les preuves qui étayent leurs affirmations. Ensuite, il appartient au tribunal de décider quelles preuves doivent être apportées. Le fait que des femmes stérilisées aient vu leur procédure civile aboutir confirme bien que les auteures n’avaient pas à assumer une charge de la preuve démesurément importante. Ne pas obliger les requérants à assumer la charge de la preuve reviendrait à affaiblir les recours juridiques ordinaires disponibles au sein du système juridique national.

Les auteures ont eu sept ans après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif dans l’État partie pour engager une action civile, y compris pour introduire une demande d’indemnisation, et durant cette période, elles n’avaient pas à craindre que leur plainte soit rejetée pour non-respect du délai général de prescription. Leurs critiques persistantes à l’égard du délai de prescription sont donc dénuées de fondement. Les auteures elles-mêmes ont confirmé que certaines des femmes stérilisées avaient peut-être « pu être en mesure d’obtenir une indemnisation » grâce aux voies de recours en droit civil. Les auteures ont jugé qu’avoir seulement une « chance » d’obtenir réparation n’était pas suffisant pour qu’un recours soit jugé utile. Toutefois, la jurisprudence du Comité laisse penser le contraire. Par conséquent, l’État partie s’est acquitté de son obligation de garantir le droit à un recours des auteures.

L’État partie réfute l’argument des auteures selon lequel le principe de respect des « bonnes mœurs » n’a pas été appliqué dans des cas similaires depuis 2008. Il se réfère à une décision du 22 octobre 2014, dans laquelle la Cour suprême a annulé les jugements de juridictions inférieures car elles n’avaient pas suffisamment pris en compte la question du respect des bonnes mœurs en appliquant le délai de prescription. La Cour suprême a également mis en avant la situation professionnelle très différente des deux parties, à savoir un hôpital et une patiente. Elle a mis l’accent sur la vulnérabilité des femmes stérilisées.

La Cour constitutionnelle est une institution garante des libertés et des droits fondamentaux ; ses règles concernant l’épuisement des voies de recours sont analogues à celles de la Cour européenne des droits de l’homme ou à celles des organes conventionnels de l’ONU. Elle exige que les recours internes soient épuisés. Les auteures ont implicitement reconnu que pour parvenir à l’épuisement des recours internes, elles auraient dû engager une procédure civile.

L’État partie maintient que les auteures se méprennent sur les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention ainsi que sur les principes de fonctionnement de base de la procédure de présentation de communications individuelles, notamment en ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, puisqu’elles justifient le fait de ne pas avoir épuisé les recours internes disponibles en prétendant qu’elles s’attendaient à ce qu’une voie de recours spécifique soit créée. Le fait que les auteures ne soient pas satisfaites des recours disponibles et doutent de leur efficacité ne les dispense pas de l’obligation de les épuiser.

L’État partie conteste l’affirmation des auteures selon laquelle elles n’étaient pas tenues d’épuiser les recours existants car elles ne disposaient pas de suffisamment de preuves pour engager une action civile. Elles ont fait valoir que c’est pour cette raison qu’il est nécessaire de mettre en place une voie de recours spécifique. Même si un recours spécifique venait à être mis en place pour les victimes de stérilisations illicites, les auteures devraient quand même s’acquitter de la charge de la preuve et démontrer que la stérilisation a été effectuée de manière illégale.

La proposition de loi était prévue comme un acte de bonne volonté et n’a jamais été destinée à remplacer les voies de recours existantes, qui sont de nature judiciaire et assurent des garanties procédurales solides, l’égalité d’accès aux tribunaux, y compris pour les personnes marginalisées, et un examen indépendant des affaires. L’État partie a décidé de ne pas mettre en place le système d’indemnisation proposé car il est arrivé à la conclusion qu’un mécanisme « extrajudiciaire » ne constituerait pas un complément utile aux moyens de recours existants pour répondre à des échecs individuels passés concernant des procédures de stérilisation.

Observations complémentaires des auteures

Le 23 août 2017, les auteures ont fait valoir que l’État partie n’avait fourni ni référence ni document concernant toute autre « procédure civile ayant abouti » engagée par une femme rom afin d’obtenir une indemnisation, bien qu’il y fasse allusion dans ses observations complémentaires. Le fait que des femmes roms se sont prévalues de cette voie de recours ne signifie pas pour autant qu’elle soit compatible avec la Convention. La communication concerne des violations flagrantes des droits de l’homme ; selon les estimations, le nombre de femmes roms et de femmes issues d’autres groupes vulnérables victimes de stérilisation forcée se compte en milliers.

Le 27 novembre 2017, les auteures ont déposé un avis d’expert émis par le Centre des droits reproductifs faisant valoir que des mesures spéciales doivent être prises pour faire en sorte que les femmes roms marginalisées aient, en pratique, un accès effectif à la justice et soulignant la nature inflexible du délai général de prescription.

Le 29 mars 2018, l’État partie a contesté le nombre allégué de femmes stérilisées illégalement. L’estimation faisant état de jusqu’à 1 000 femmes s’appuyait sur le cas de la Suède et n’était qu’une une simple hypothèse.

Le 23 juillet 2018, les auteures ont répondu que le nombre estimé de victimes est pertinent et fiable, et que l’État partie n’a apporté aucune preuve, telles que des données statistiques ou des affaires où les tribunaux ont accordé une indemnisation aux femmes qui ont introduit des demandes après l’expiration du délai de prescription. Actuellement, il y a un cas concernant une victime de stérilisation en instance devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce que l’État partie qualifie de possibilité « raisonnable » de réussite n’est rien de plus que de la théorie.

Délibérations du Comité concernant la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Conformément à l’article 66, il peut décider d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il est toutefois tenu de se prononcer sur la recevabilité avant de se prononcer sur le fond.

Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité note que les deux parties affirment que la présente affaire ne porte pas sur la stérilisation des victimes mais sur le droit des auteures à disposer d’un recours effectif et sur l’absence présumée de ce type de recours. Il prend note de l’argument avancé par les auteures selon lequel les voies de recours ordinaires en vigueur dans l’État partie ne sont pas utiles et du fait qu’il n’y a pas de voie de recours extraordinaire à leur disposition. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la procédure civile de protection des droits de la personne, par exemple le recours constitutionnel, constitue une voie de recours appropriée et efficace pour demander réparation, y compris une indemnisation, et que l’État partie n’est pas tenu de fournir des voies de recours extraordinaires ou pénales. Il note en outre l’explication de l’État partie sur le fait que le délai de prescription de trois ans n’était pas appliqué au recours en droit civil susmentionné jusqu’en 2008, et qu’après 2008, ses possibles effets disproportionnés sur les victimes étaient atténués par l’interprétation de la Cour constitutionnelle concernant la doctrine des bonnes mœurs. Le Comité note que l’État partie cite des exemples de jurisprudence afin de montrer que le recours en droit civil aurait été utile pour garantir les droits des auteures, et y compris pour obtenir une indemnisation financière.

Le Comité constate que cinq des auteures ont été stérilisées entre 1982 et 1990, et une en 2001, et qu’elles ont eu connaissance des conséquences de leur stérilisation plusieurs années avant 2008. Il constate en outre qu’aucune d’entre elles n’a tenté d’épuiser les recours internes disponibles, ni avant ni après l’année 2008. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle « un simple doute quant à l’efficacité des procédures ne dispense pas l’intéressé de l’obligation d’épuiser les recours internes ». Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les auteures n’ont pas épuisé les recours internes disponibles et que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteures de la communication.