Communication présentée par:

O.M. (représentée par ses conseils, Valentina Mudrik et Mariana Yevsyukova)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

1er septembre 2014

Références:

Transmises à l’État partie le 5 mai 2015 (non publiées sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

19 juillet 2019

Contexte

L’auteure de la communication est O.M., ressortissante ukrainienne née en 1978. Elle affirme que l’Ukraine a violé ses droits au titre des articles 2 a) à d) et f), 5 a) et b), et 16 c) à e) et g) de la Convention, en tenant compte à cet égard des recommandations générales no 19 du Comité (de 1992) sur la violence à l’égard des femmes, no 21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux et no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention. Elle est représentée par ses conseils, Valentina Mudrik et Mariana Yevsyukova.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure a rencontré son futur époux, M. Abdelmajid, ressortissant jordanien, lorsqu’ils étudiaient la médecine en Ukraine. Ils se sont mariés en avril 2003 en Ukraine et se sont installés en Jordanie en août de la même année. En mai 2004, Mme Melnik a donné naissance à leur première fille. Avec l’autorisation du père, le nouveau-né a été enregistré comme citoyen ukrainien à l’ambassade d’Ukraine à Amman. En octobre de la même année et toujours avec l’autorisation du père, Mme Melnik et sa fille se sont établies en Ukraine. En mars 2005, avec l’accord du père, l’auteure est retournée vivre en Jordanie mais sans son enfant qu’elle a confiée à ses parents en Ukraine.

En janvier 2006, l’auteure a donné naissance à une deuxième fille, également enregistrée à l’ambassade d’Ukraine à Amman, encore une fois avec l’autorisation du père.

L’auteure affirme qu’au début, la relation entre les époux était affectueuse et sans violence. Ce n’est qu’après son emménagement en Jordanie qu’elle a subi des maltraitances psychologiques, physiques et financières de la part de son mari. Par exemple, en janvier 2006, lorsque l’auteure était enceinte de leur deuxième enfant, son mari lui a refusé l’accès à une maternité, faisant valoir qu’il était diplômé en médecine et capable de pratiquer l’accouchement à domicile, vu le coût élevé des services médicaux jordaniens. Le mari n’étant pas gynécologue, ce refus risquait de mettre en danger la vie de l’auteure et de son enfant en cas de complications.

L’auteure affirme qu’après la naissance de la deuxième enfant, son mari est devenu violent à son encontre. Après lui avoir confisqué son portable, il l’a séquestrée avec le bébé au sous-sol du domicile familial lui interdisant tout contact avec l’extérieur. Il ne lui a donné que le minimum à manger et a refusé de lui fournir des médicaments ou des vêtements chauds pour le nourrisson. Il hurlait contre l’auteure et l’humiliait quotidiennement, arguant qu’elle n’était pas capable d’élever un enfant jordanien correctement, puisqu’elle était chrétienne orthodoxe. Si elle protestait, il la menaçait de la tuer et de lui retirer son enfant. Lorsqu’il estimait qu’elle lui parlait d’une manière désobligeante, il la battait, la giflait, lui tordait les bras, lui donnait des coups dans le ventre et à la tête, et la poussait contre le mur et à terre. La famille du mari privait régulièrement de son bébé l’auteure, qui se retrouvait enfermée au sous-sol. La famille du père ne faisait aucun cas des supplications qu’elle proférait lorsque le bébé se mettait à pleurer. Pareille situation a duré plusieurs mois.

À la fin du mois de février 2006, l’auteure a réussi à joindre par téléphone des responsables de l’ambassade d’Ukraine à Amman. Elle leur a expliqué sa situation et leur a demandé de l’aider à quitter le pays et à rentrer en Ukraine avec sa fille. Les fonctionnaires de l’ambassade l’ont informée qu’ils n’étaient pas en mesure de résoudre ces différends familiaux.

Fin février 2006 également, à la demande des parents de l’auteure, les autorités ukrainiennes ont contacté les responsables de l’ambassade d’Ukraine à Amman, à la suite de quoi une plainte a été déposée auprès des autorités jordaniennes par cette dernière pour violences familiales. En mars, l’affaire a été jugée selon la charia par un muhafed (représentant régional de la monarchie), qui s’est prononcé en faveur d’une période de réconciliation de trois mois. À la demande du mari, le tribunal a en outre estimé que l’aînée des filles devait quitter l’Ukraine et retourner en Jordanie. L’auteure n’a pas reçu copie de la décision. Aucun fonctionnaire de l’ambassade n’a suivi la procédure et l’auteure n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat ou d’un interprète.

Par la suite, le mari a refusé de se rendre en Ukraine ou de permettre à l’auteure de voyager avec sa fille cadette. Il a insisté pour que les parents de l’auteure renvoient l’aînée des filles seule en Jordanie et en avion. Les violences à l’encontre de l’auteure ayant repris de plus belle, celle-ci s’est adressée à l’ambassade d’Ukraine, mais il lui a été conseillé de quitter le pays seule, abandonnant ainsi sa fille cadette en Jordanie. L’auteure a refusé et a continué de faire l’objet de violences.

En 2008, après un acte de maltraitance physique particulièrement grave, l’auteure a contacté les responsables de l’ambassade, qui lui ont conseillé de porter plainte auprès de la police théologique et de la Maison de la concorde familiale, un organisme public. L’auteure et sa fille ont été placées durant un mois dans un foyer géré par cet organisme. Une deuxième procédure selon la charia a été entamée, toujours en l’absence de représentant de l’ambassade, d’avocat ou d’interprète. Au cours de cette procédure, le mari a présenté un faux certificat médical attestant que l’auteure lui avait fait subir des violences et lui avait infligé des blessures graves. Le tribunal a estimé que les deux parents étaient coresponsables de la situation, et que le mari devait s’occuper de l’auteure et de leur fille, louer un logement en dehors du domicile familial et autoriser l’auteure à obtenir un titre de séjour permanent et à travailler en Jordanie. Le conjoint ne s’est jamais conformé à ces exigences, et les violences domestiques se sont poursuivies.

De mai et à juillet 2009, une procédure relative à la garde des enfants a eu été engagée par l’époux devant un tribunal de la charia à Mahis, en Jordanie. L’auteure a été informée de la procédure deux jours avant sa tenue et elle a sollicité en vain l’aide de l’ambassade d’Ukraine. Le conjoint était représenté par deux avocats. Aucun représentant de l’ambassade n’était présent. Sans assistance juridique ni interprète, l’auteure n’a pas été en mesure de se défendre correctement. Au bout de 30 jours, le tribunal a rendu son jugement : la fille cadette devait être confiée à la garde de la mère et l’aînée, du père. Toutefois, le mari de l’auteure n’a pas consenti à ce qu’elle se rende en Ukraine avec leur plus jeune fille. L’auteure a décidé de rester en Jordanie avec sa fille. Elle explique que le tribunal n’a proposé aucune mesure pour mettre un terme aux violences familiales qu’elle subissait.

L’auteure argue que l’ambassade d’Ukraine ne lui a pas fourni d’informations sur le système judiciaire jordanien ni sur les droits dont jouissait une chrétienne selon la charia ou ses droits de mère d’une enfant ukrainienne. Lorsque, sur la recommandation de ses amis jordaniens vivant en Ukraine, elle a cherché à faire appel de la décision du tribunal de la charia, elle a appris qu’il y avait déjà prescription. Le tribunal a rejeté son recours et le jugement est devenu exécutoire. L’auteure a argué devant le tribunal qu’elle et ses filles étaient chrétiennes et n’avaient jamais consenti volontairement à être jugées selon la charia, mais cet argument n’a pas non plus été retenu.

Une semaine après le jugement, l’auteure a été informée qu’elle disposait de 10 jours pour se rendre en Ukraine et regagner la Jordanie avec sa fille aînée. Au cours de cette période, son mari l’a battue à maintes reprises. Elle a alors décidé de rester en Jordanie, afin de ne pas laisser sa seconde fille seule.

Une fois le délai de dix jours écoulé, le mari de l’auteure s’est présenté avec elle aux autorités de police, indiquant qu’elle n’avait pas respecté le jugement. La police l’a placée en détention, et l’auteure a sollicité l’assistance de l’ambassade d’Ukraine. Elle est demeurée en détention pendant 24 heures avec 15 autres femmes dans des « conditions inhumaines ». Elle a ensuite comparu devant le tribunal, où un représentant de l’ambassade était présent. L’auteure a été priée de signer une déclaration en vertu de laquelle elle s’engageait légalement à ramener sa fille aînée en Jordanie. Cependant, le mari n’a pas autorisé l’auteure à se déplacer et a insisté pour que les parents de cette dernière envoient l’enfant seule en Jordanie, menaçant de tuer toute la famille s’ils n’obtempéraient pas.

Lorsque l’auteure est rentrée au domicile conjugal, son mari et la famille de celui-ci l’ont battue en présence de sa fille. Le mari a ensuite pris leur fille et quitté la maison. L’auteure a appelé la police et demandé à être amenée au Centre de réconciliation familiale, mais elle a essuyé un refus. Elle a contacté l’ambassade d’Ukraine, qui l’a invitée à quitter le domicile conjugal pour se réfugier au Centre de réconciliation familiale. L’auteure a ensuite pu bénéficier des services d’un interprète et d’un avocat jordanien. Au terme d’une longue attente, elle a été finalement admise au foyer. Elle a demandé au Centre de l’aider à retrouver sa fille cadette, mais en vain. Le mari n’a autorisé l’auteure à s’entretenir au téléphone avec sa fille qu’une seule fois et il n’a emmené cette dernière au Centre pour une heure qu’en une seule occasion. Au cours de cette visite, l’enfant a pleuré, mais le personnel du Centre a refusé de l’autoriser à rester. Après la visite, le mari de l’auteure lui a refusé tout contact avec sa fille. Le Centre a demandé au mari de payer à l’auteure son déplacement en avion pour l’Ukraine. Le 10 février 2010, sous la pression du Centre et de l’ambassade d’Ukraine, l’auteure est partie en Ukraine.

Le 5 décembre 2010, la procédure pénale engagée par l’auteure contre son mari pour violences familiales a été close étant donné que cette dernière était absente de Jordanie. L’ambassade d’Ukraine et le Ministère des affaires étrangères lui ont déconseillé de retourner en Jordanie, car elle risquait d’y être détenue pour n’avoir pas donné suite à la décision du tribunal de la charia.

En mars et avril 2010, l’auteure a été admise à l’hôpital de Marioupol en raison des lésions cérébrales causées par les coups reçus à maintes reprises en Jordanie. En mars 2010 également, elle a déposé plainte auprès du tribunal du district d’Ordzhonikidzevsky à Marioupol, en vue d’obtenir le divorce d’avec son mari et la garde exclusive de ses filles. En décembre 2010, le tribunal a prononcé le divorce, mais a refusé de priver le père des deux enfants de ses droits parentaux. La garde de la fille aînée a été accordée à l’auteure et celle de la cadette, au père. En appel, la Cour d’appel a confié la garde exclusive de la cadette à l’auteure.

Cependant, depuis septembre 2011, l’auteure ne parvient pas à faire exécuter les jugements des tribunaux ukrainiens en Jordanie. Elle s’est pourvue à deux reprises en appel devant le Ministère ukrainien de la justice, mais ses demandes d’exécution lui ont été renvoyées sans explication ni orientation quant à la poursuite de son action. En novembre 2011, elle a écrit au Ministère des affaires étrangères en vue d’obtenir des informations sur l’exécution effective des décisions judiciaires, mais le Ministère lui a retourné son courrier à trois reprises, demandant des éclaircissements et des documents complémentaires. L’auteure a dû prendre à sa charge la totalité des coûts de traduction.

De mars à novembre 2011, toutes les tentatives de l’auteure pour prendre contact avec le Ministère des affaires étrangères et l’ambassade d’Ukraine à Amman sont restées vaines. En novembre 2012, elle a demandé au Ministère des affaires étrangères d’empêcher son ex-mari d’emmener leur fille cadette vivre avec lui dans l’État de Palestine, où il s’était remarié. Toutefois, l’ambassade d’Ukraine en Jordanie n’a réussi ni à joindre l’ex-époux ni à prendre des mesures pour l’empêcher de déménager à l’étranger avec leur fille cadette. Le Ministère ukrainien des affaires étrangères s’est contenté de signifier à l’auteure que les décisions des tribunaux ukrainiens et des tribunaux de la charia avaient été renvoyées par le Ministère jordanien des affaires étrangères et que celles des tribunaux ukrainiens étaient restées sans effet.

Entre-temps, l’auteure a porté plainte auprès des autorités ukrainiennes pour violence domestique et enlèvement de sa fille cadette par son ex-mari. L’affaire a été confiée au Département du Bureau ukrainien de l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL), à Marioupol, mais a été rejetée, et l’auteure a été invitée à poursuivre ses efforts par la voie diplomatique.

De mai à juillet 2012, l’auteure a pris contact avec le médiateur pour les enfants et avec la Reine de Jordanie, mais elle n’a pas reçu de réponse.

En novembre 2012, elle a sollicité l’aide du Ministère de la justice pour l’aider à se voir restituer sa fille cadette. Ce dernier l’a informée de l’absence de tout accord international entre l’Ukraine et la Jordanie réglementant le retour d’un enfant mineur en Ukraine ou encore la reconnaissance ou l’exécution des décisions de justice. Néanmoins, il a renvoyé la plainte de l’auteure au Ministère des affaires étrangères.

L’auteure précise que tous les efforts faits par les autorités ukrainiennes pour veiller à l’exécution des décisions de justice et assurer sa protection contre toute violence domestique sont demeurés sans effet. Elle demeure en Ukraine avec sa fille aînée et ne peut pas se rendre en Jordanie, car elle est susceptible d’y être appréhendée. Sa fille cadette vit avec son père, et elle n’a absolument aucun contact avec elle. En 2014, le père de son ex-époux a permis à l’auteur l’envoi de vêtements chauds et de cadeaux à sa cadette et l’a informée que son ex-mari avait menacé de ne plus jamais la laisser adresser la parole à sa plus jeune fille. Depuis lors, l’auteure n’a pas été en mesure de contacter le père de son ex-mari.

En ce qui concerne les obligations juridiques nationales et internationales de l’Ukraine, l’auteure note que la Convention de Vienne sur les relations consulaires prévoit que les États parties protègent les intérêts de leurs ressortissants à l’étranger, les aident et les assistent et leur garantissent une représentation adaptée devant les tribunaux ou autres autorités lorsqu’ils ne sont pas à même d’obtenir cette représentation par leurs propres moyens. Elle invoque également des articles de la Commission du droit international ou la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, qui définissent la protection diplomatique. Ainsi, selon la Cour, en raison de l’enrichissement substantiel du droit international sur les droits concédés aux personnes au cours des dernières décennies, la protection diplomatique, à l’origine limitée à des violations présumées des normes minimales de traitement des étrangers, a ensuite été élargie de manière à inclure, entre autres, les droits de la personne internationalement protégés. L’auteure fait observer que si, à l’heure actuelle, il n’existe pas de droit international à la protection diplomatique à l’étranger, la délibération sur son utilisation par l’État d’envoi est devenue obligatoire, de même que sur chaque demande d’assistance consulaire ou de protection diplomatique, conformément aux normes en vigueur concernant la garantie d’un procès équitable.

En outre, en vertu de l’article 25, paragraphe 3, de sa Constitution, l’Ukraine garantit les soins et la protection de ses citoyens à l’étranger. Selon le Ministère des affaires étrangères, la fonction principale de son Département des affaires consulaires consiste à assurer les tâches et la coordination du Ministère pour protéger les droits et les intérêts des citoyens ukrainiens à l’étranger.

Ainsi, d’après l’auteure, elle pouvait être légitimement en droit de s’attendre à une assistance consulaire et une protection diplomatique maximales en Jordanie. Tel devait être également le cas si de graves violations des droits de la personne avaient été commises, comme en l’espèce, une femme ayant été victime de violences familiales et son enfant ayant été enlevée. Les femmes victimes de violences familiales qui se battent pour obtenir la garde de leurs enfants à l’étranger sont particulièrement exposées à des formes concrètes de discrimination interdites par la Convention. Si les femmes qui connaissent une telle situation ne font l’objet d’aucune attention particulière quant à l’octroi d’un soutien consulaire ou d’une protection diplomatique, leurs droits ne pourront pas être garantis. Le personnel consulaire doit pouvoir comprendre le type de violations auxquelles ces femmes sont exposées. Il s’agit notamment de la non-exécution de décisions rendues par des autorités locales, de la non-inclusion de faits pertinents dans l’évaluation des questions de garde d’enfants, en particulier les faits qui ont des incidences néfastes sur les partenaires des femmes, de la non-reconnaissance du statut de victime de violence de la femme, ou de l’incapacité des autorités locales à vérifier correctement des accusations fabriquées de toute pièce. Ces facteurs peuvent faire obstacle au droit des femmes à un procès équitable.

L’auteure fait également observer que l’Ukraine est liée par d’autres obligations, nationales et internationales. En vertu des articles 55, paragraphe 2, et 56 de sa Constitution, chacun et chacune se voit garantir le droit de contester les omissions des organes de l’État, des collectivités locales, de leurs dirigeants et fonctionnaires pour les dommages matériels et moraux infligés par les décisions, actions ou omissions illégales de ces organes dans l’exercice de leurs attributions. Dans la loi de 2006 sur l’égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes, l’Ukraine a manifesté son engagement de mettre fin à toute discrimination. Elle est partie aux principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (également appelée Convention européenne des droits de l’homme). Elle est également signataire de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et doit veiller à ce que les droits qui y sont énoncés soient réalisés.

L’auteure énumère également ses tentatives pour épuiser les recours internes. Ses parents ont porté plainte auprès de services de police à Marioupol, qui n’ont pas été en mesure d’agir, car ils ne disposaient d’aucune autorité en Jordanie. Certes, la loi sur l’égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes, autorisait l’auteure à former un recours auprès du Commissaire aux droits de l’homme pour discrimination fondée sur le genre. Toutefois, dans la présente affaire, une telle plainte n’aurait pu qu’aboutir à sa reconnaissance en tant que victime de discrimination indirecte en Jordanie. L’option d’un recours devant un tribunal ne présentait pas en l’espèce, de l’avis de l’auteure, en dépit du fait qu’en vertu de cette loi, tout citoyen a le droit d’introduire une plainte pour discrimination fondée sur le genre. L’auteure estime que, parce qu’elle était victime de discrimination indirecte et étant donné qu’aucune définition de la discrimination indirecte fondée sur le genre n’existait dans la législation ukrainienne, aucun tribunal n’aurait été en mesure de faire en sorte qu’une telle discrimination puisse être établie par l’ambassade d’Ukraine en Jordanie. L’auteure fait également valoir l’échec des actions judiciaires intentées contre de hauts fonctionnaires pour discrimination fondée sur le genre, preuve, selon elle, de l’absence de tout mécanisme de protection efficace en Ukraine contre les discriminations fondées sur le genre, tant directes qu’indirectes.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme qu’elle est victime d’une discrimination fondée sur le genre, en violation des articles 2 a), c), d) et f), 5 a) et b), et 16 c), d) et g) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en tenant compte à cet égard des recommandations générales no 19, paragraphe 24 b), i) et t), i) et iii), no 21, paragraphe 40, et no 28. En vertu de ces dispositions, l’Ukraine doit garantir la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination par la mise en œuvre pratique de dispositions juridiques de non-discrimination, la protection des droits des victimes dans l’exécution des décisions de justice et l’accès à des tribunaux nationaux ou autres institutions compétents. L’auteure estime que l’Ukraine ne s’est pas conformée à ces dispositions étant donné la non-exécution des décisions judiciaires qui lui accordaient la garde de ses filles.

En vertu du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, les États prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, assurer, sur la base de l’égalité des femmes et des hommes, les mêmes droits et les mêmes responsabilités en tant que parents, quel que soit leur statut matrimonial, pour les questions se rapportant à leurs enfants ; dans tous les cas, l’intérêt des enfants est la considération primordiale. Compte tenu des violences subies par l’auteure, la Cour d’appel ukrainienne lui a accordé la garde de ses filles. L’Ukraine n’a toutefois pas donné suite à cette décision.

L’auteure affirme qu’elle a été exposée à une procédure judiciaire inutilement prolongée, excessivement coûteuse et inefficace. Étant donné son statut de rescapée de violences en quête de justice et de sécurité pour son enfant, le manque de mesures de réparation appropriées et d’informations adéquates ainsi que le mépris de ses droits n’ont fait qu’intensifier son état de victime. Le fait qu’aucun organisme ou représentant gouvernemental ne l’ait conseillée ni ne l’ait aidée à communiquer avec les divers organismes et organes auxquels elle devait s’adresser lui a fait ressentir son impuissance face à un système judiciaire marqué par son incompétence à s’occuper d’une rescapée de violences ou à gérer le non-respect du droit de garde par un parent. Les représentants du système judiciaire et le Ministère des affaires étrangères ont enfreint ses droits en n’apportant pas de réponses concluantes à ses nombreuses demandes d’information et en essayant au contraire de la dissuader d’agir, par le retard pris à lui répondre et leur demandes d’informations ou de documents supplémentaires. L’auteure estime qu’une telle attitude bureaucratique constitue une violation par l’Ukraine de ses obligations en matière de protection efficace et immédiate des femmes ayant subi des violences conjugales.

En outre, de l’avis de l’auteure, l’Ukraine, pourtant informée de la discrimination à l’encontre des femmes chrétiennes qui contestent des questions relatives à la famille devant les tribunaux de la charia, n’a pas pris les mesures nécessaires pour établir un dialogue avec ses homologues jordaniens dans cette affaire, ni signé aucun accord avec la Jordanie, tel qu’un mémorandum d’entente ou un traité bilatéral, afin de promouvoir la protection des victimes de violences domestiques ou de faciliter l’exécution des décisions de justice dans les deux pays.

L’auteure affirme qu’en vertu des articles 2 d) et e), et 5 a), en tenant compte à cet égard des recommandations générales no 19, paragraphe 24 i), et no 28, paragraphes 17, et no 22, l’Ukraine est tenue de considérer la violence domestique comme une violation des droits de la personne et de faire en sorte que les autorités publiques s’abstiennent de toute discrimination et prennent toutes mesures propres à éliminer la discrimination à l’égard des femmes. En l’espèce, l’auteure a sollicité la protection de l’ambassade d’Ukraine à Amman au regard des violences domestiques subies, mais la réponse apportée et les mesures prises par les autorités se sont révélées inappropriées et inefficaces. Le personnel de l’ambassade a refusé de l’aider, soutenant qu’il s’agissait là d’une question familiale à laquelle l’ambassade n’était pas tenue de réagir. L’ambassade n’a fourni aucune information à l’auteure sur la question des violences familiales en Jordanie, les procédures judiciaires connexes et leurs issues éventuelles, ou sur d’autres sources d’assistance. Ce faisant, l’ambassade a manqué à son obligation de détecter les actes de violence familiale et de protéger l’auteure et sa fille contre de nouvelles violences. Non seulement l’ambassade n’a pas empêché que l’auteure fasse l’objet de violences fondées sur le genre, mais elle a autorisé l’existence d’une telle discrimination. L’inaction initiale de l’ambassade témoigne d’une attitude discriminatoire typique qui consiste à considérer la violence domestique comme une question d’ordre privé.

L’auteure affirme en outre qu’en vertu des articles 2 c), d), e) et f), et 5 a) et b) de la Convention, en tenant compte à cet égard des recommandations générales no 19, paragraphe 24 r) iii), no 21 et no 28, paragraphes 34 et 36, l’Ukraine est tenue de mettre en place des politiques propres à assurer la protection de ses ressortissants lorsqu’ils sont victimes de violences familiales, au moyen d’une représentation juridique, y compris devant les autorités étrangères. Lorsque l’auteure a comparu devant le tribunal de la charia dans le cadre de l’action intentée contre son ex-mari pour violence à l’égard de sa fille et d’elle-même, aucun représentant de l’ambassade à Amman n’était présent. En fait, l’ambassade a refusé de lui fournir un représentant légal, faisant valoir qu’il n’y avait pas d’avocat au sein de son personnel, et n’a pas mis à sa disposition de consultation juridique sur ses droits procéduraux ni ne lui a donné accès à un interprète. L’ambassade ne lui a pas non plus communiqué le nom d’un avocat à contacter. Les intérêts qui étaient les siens en tant que citoyenne ukrainienne et mère d’un enfant ukrainien n’ont donc pas été respectés. En conséquence, le tribunal de la charia a conclu qu’une période de réconciliation de trois mois était nécessaire, ce qui a fait peser une menace encore plus grande sur la sécurité, la santé et l’intégrité physique de l’auteure.

Par la suite, le mari s’étant arrogé la garde de la fille cadette de l’auteure, et ce, en dépit du fait que seule celle de l’aînée lui avait été accordée, l’ambassade n’a déployé que des efforts minimes ou inefficaces pour réunir la plus jeune des filles et sa mère, comme en avait décidé le tribunal de la charia. Au lieu de cela, l’ambassade a proposé que l’auteure retourne en Ukraine sans sa fille et a déclaré qu’elle assurerait le retour de cette dernière en Ukraine ultérieurement, ce que l’ambassade n’a pas fait.

L’auteure affirme en outre qu’elle est victime de discrimination fondée sur le genre, en violation des articles 1, 2 a) et 5 a), en tenant compte à cet égard des recommandations générales no 19, paragraphes 6, 7, 23 et 24 c), e), r) iii) et t) ii), no 21, paragraphe 49, et no 28, paragraphes 17 à 19, 22, 34 et 36. L’auteure n’a reçu aucune information du Ministère des affaires étrangères concernant d’éventuels risques de discrimination avant son emménagement en Jordanie. D’après l’auteure, l’Ukraine avait connaissance des pratiques de violences discriminatoires systématiques à l’égard des femmes et des enfants ukrainiens en Jordanie, et elle était tenue de signaler de telles pratiques et de prévenir et protéger ses ressortissants contre toute discrimination. Des consultations adéquates avec l’auteure auraient pu empêcher que ne soient violés son droit de ne pas subir de traitements cruels, inhumains ou dégradants, son droit à une protection égale devant la loi, et son droit à l’égalité dans la famille. L’auteure note que le Ministère avait connaissance − comme il est mentionné sur son site Internet – du fait que la majorité des ressortissants ukrainiens en Jordanie étaient des femmes qui avaient épousé des Jordaniens. Le site précisait même que, dans de nombreux cas, des mères ukrainiennes avaient dû quitter la Jordanie sans leurs enfants. Le fait que les tribunaux de la charia s’appuient sur des règles religieuses pour statuer sur les affaires de garde d’enfants est une source potentielle de discrimination des femmes chrétiennes. Le Ministère reconnaît que les femmes ukrainiennes risquent manifestement d’être discriminées en Jordanie, et que ce risque doit être pris en compte avant de s’y installer, encore que l’auteure n’ait jamais été informée de cette question.

En vertu de la Constitution jordanienne, les tribunaux de la charia sont compétents pour connaître de diverses sortes de différends familiaux, notamment en matière de mariage, de divorce, d’héritage et de garde d’enfants. Selon la Jordanian Women’s Union, les femmes ne comparaissent pas devant les tribunaux de la charia sur un pied d’égalité avec les hommes. En cas de conflit conjugal, une femme doit être représentée par son père ou son tuteur légal, alors qu’un homme se représente lui-même. En outre, l’article 3 de la loi sur la nationalité dispose que toute personne dont le père est de nationalité jordanienne est considérée comme un citoyen jordanien. De plus, les ordonnances et les jugements rendus par des tribunaux étrangers en matière de garde d’enfants n’ont pas valeur exécutoire en Jordanie si, pour un motif ou pour un autre, ils entrent en contradiction ou en violation avec les lois et les pratiques du pays. Le Comité a fait référence au nombre élevé de cas de violence envers les femmes étrangères en Jordanie dans ses observations finales sur le cinquième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/JOR/CO/5).

Observations de l’État partie sur la recevabilité

L’État partie a présenté ses observations dans une note verbale datée du 20 juillet 2015, contestant la recevabilité de la communication. Il note que l’auteure a soutenu que les efforts déployés par l’ambassade d’Ukraine à Amman pour ramener la plus jeune fille auprès de sa mère, et ce, conformément à la décision du tribunal de la charia avaient été minimes et inefficaces. L’État partie note qu’en vertu de la décision en question, la fille n’a pas été confiée à la garde de sa mère et que la décision du tribunal ne formule rien en ce sens. La fille a été de facto confiée à la garde de son père, sa mère ne se trouvant pas en Jordanie à ce moment-là et n’ayant pas entrepris d’action en justice pour obtenir la garde de sa fille.

L’auteure a également argué que l’Ukraine n’avait pas donné suite à la décision du tribunal ukrainien de confier la garde des deux filles à leur mère. À défaut d’accord bilatéral, les décisions des tribunaux ukrainiens ne sont pas contraignantes en Jordanie. En vertu de la loi jordanienne sur l’exécution des décisions de tribunaux étrangers, les ordonnances et les jugements rendus par les tribunaux étrangers en matière de garde d’enfants n’ont pas valeur exécutoire en Jordanie si, pour un motif ou pour un autre, ils entrent en contradiction ou en violation avec la législation ou les pratiques du pays. Les autorités jordaniennes ont rejeté les décisions ukrainiennes en l’espèce.

L’auteure affirme en outre que l’ambassade d’Ukraine n’a pas pris les mesures nécessaires en vue de parvenir à la signature d’un accord bilatéral avec la Jordanie. L’État partie explique que son ambassade a entamé à plusieurs reprises la procédure de conclusion d’un accord bilatéral sur l’entraide judiciaire dans le domaine des questions relatives à la famille, lors des consultations avec le Ministère des affaires étrangères de Jordanie. Toutefois, les homologues jordaniens concernés n’étaient pas favorables à cette idée, faisant valoir qu’un tel accord soulèverait de nombreux conflits juridiques par rapport au droit de la famille jordanien, qui s’appuie sur la charia et les traditions islamiques. L’Ukraine poursuit ses efforts pour parvenir à un tel accord.

Selon l’État partie, au cours des audiences devant le tribunal de la charia, l’auteure a été assistée d’un avocat jordanien et a bénéficié des recommandations de l’ambassade sur ses droits en tant que chrétienne en Jordanie.

L’État partie souligne en outre que l’auteure n’a pas encore introduit de requête auprès du tribunal de la charia en Jordanie afin d’obtenir la garde de sa fille cadette. Étant donné que la présence de l’auteure en Jordanie risquait de la mettre en danger en raison de la non-exécution d’une décision antérieure du tribunal de la charia, l’auteure pouvait introduire sa requête en donnant procuration à un avocat jordanien. L’avocat pouvait aussi rendre visite à la fille de l’auteure et s’assurer de ses conditions de vie. Dans ses courriers, l’ambassade a invité, à maintes reprises, l’auteure à entamer une telle procédure, mais elle s’y est refusée, mettant en revanche l’accent sur l’application des décisions de justice ukrainiennes par la voie diplomatique, ou estimant, à tort, que la décision du tribunal de la charia lui avait accordé la garde de sa fille cadette et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire d’engager une nouvelle procédure.

L’État partie note en outre que l’auteure n’a pas fait appel devant la police de la famille jordanienne et le Département de défense des droits de l’homme jordanien par l’intermédiaire d’un avocat local. Or les services de police peuvent s’assurer des conditions de vie de la fille de l’auteure. Si la police de la famille juge insatisfaisantes ces conditions, la garde de l’enfant peut être transférée à sa mère.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie quantà la recevabilité

Le 21 janvier 2016, l’auteure a présenté des commentaires sur les observations de l’État partie. Elle prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle la décision du tribunal de la charia n’a pas attribué la garde de sa fille cadette au père et que l’auteure n’a pas volontairement réclamé la garde de sa fille devant les tribunaux, mais a quitté le pays pour se rendre en Ukraine. Elle note qu’en droit le père et la mère sont égaux devant la loi quant à leurs droits sur leurs enfants et qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une décision du tribunal de la charia motivant spécifiquement que la mère a la garde de la plus jeune des filles. Le père s’est emparé de force de sa fille et l’a arrachée à sa mère. Lors de son séjour au Centre de réconciliation familiale, l’auteure a fait appel à l’ambassade et au Centre pour obtenir une représentation légale devant le tribunal de la charia afin de contraindre son mari à lui remettre leur fille et d’en obtenir la garde. L’avocat du Centre a plaidé devant le tribunal de la charia pour que la mère se voie accorder la garde de son enfant, mais l’affaire a été classée sans suite parce que l’auteure avait quitté la Jordanie.

L’auteure note que le Centre de réconciliation familiale est un établissement fermé qui laisse à ses occupants une liberté de circulation limitée. L’auteure affirme qu’elle a été contrainte par l’ambassade et le Centre à retourner en Ukraine, et qu’elle a été conduite à l’aéroport par la police. Par conséquent, elle conteste l’affirmation selon laquelle elle n’a pas demandé en justice la garde de sa fille la plus jeune et celle selon laquelle son départ était volontaire.

L’auteure affirme qu’à l’époque, l’ambassade ne lui a pas fourni de conseils adéquats sur le droit de la famille jordanien et sur ses droits en tant que mère, ni de services d’interprétation ou d’assistance juridique pour la protéger en sa qualité de mère et de femme. Au lieu de cela, l’ambassade a insisté pour que l’auteure retourne en Ukraine et accepte la décision prise par le tribunal de la charia concernant sa fille aînée, tout en sachant pertinemment que cette décision violait les droits de l’auteure, étant donné qu’elle n’était pas représentée et ne pouvait pas avoir accès à sa fille cadette. Ce faisant, l’ambassade a violé son obligation d’agir avec la diligence requise et de garantir les droits consacrés par l’article 16, paragraphes d) et f) de la Convention, en assurant à l’auteure une consultation juridique et une représentation devant les autorités jordaniennes tout au long de la procédure.

En réponse à l’argumentation de l’État partie selon laquelle l’auteure n’a pas introduit de nouvelle action devant un tribunal de la charia concernant la garde de sa fille cadette après son retour en Ukraine, l’auteure note qu’en Ukraine, elle a été informée par un avocat du Centre de réconciliation familiale que le tribunal ne lui avait pas accordé la garde de sa fille, au motif qu’elle avait quitté la Jordanie. Elle a donc tenté d’obtenir en justice cette garde, mais sa demande a été rejetée.

Quant à la suggestion de l’État partie d’engager un avocat en Jordanie pour engager une nouvelle procédure, l’auteure note que le coût d’une telle représentation s’élève au minimum à 1 000 dollars des États-Unis. L’auteure fait observer qu’elle travaille comme médecin dans un hôpital local de Marioupol et élève sa fille aînée seule, et qu’elle ne peut donc pas se permettre une telle représentation juridique. Elle a demandé à plusieurs reprises à l’ambassade d’Ukraine à Amman de lui accorder l’assistance d’un avocat et de s’assurer des conditions de vie de sa fille la plus jeune. Ce n’est que récemment qu’elle a reçu des informations concernant sa fille. Toutefois, l’ambassade n’a accédé à ses demandes qu’à partir de la mi-2015, à la suite d’une rotation du personnel.

Observations complémentaires de l’État partie

Le 8 août 2017, l’État partie a communiqué les copies et traductions d’un certain nombre de documents relatifs au dossier de l’auteure.

Par une note verbale datée du 7 novembre 2017, l’État partie a ajouté que, depuis 2012, l’auteure a contacté à maintes reprises le Ministère de la justice ukrainien en vue de faciliter le retour de sa fille cadette en Ukraine, et faire en sorte que la décision rendue par le tribunal ukrainien soit reconnue en Jordanie.

L’État partie explique qu’à cet égard, le Ministère de la justice souligne qu’il n’existe pas de traité bilatéral entre la Jordanie et l’Ukraine qui aurait permis de résoudre la question par l’intermédiaire des autorités compétentes des deux États ou de créer un mécanisme juridique approprié. De plus, la Jordanie n’est pas partie aux conventions internationales pertinentes. En conséquence, l’enfant demeure en Jordanie et la question soulevée par l’auteure ne peut être résolue que conformément à la législation jordanienne.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du fait que le père, qui aurait enfreint les droits de l’auteure et de sa fille, est un ressortissant jordanien, le Ministère de la justice ukrainien considère que le mécanisme envisagé au paragraphe 5 de l’article 69 du règlement intérieur du Comité en ce qui concerne l’objection de l’État partie de déclarer la communication irrecevable, s’applique.

Commentaires de l’auteure sur les observations complémentaires de l’État partie

Le 21 novembre 2017, l’auteure a présenté des commentaires complémentaires. Pour ce qui est de l’argument relatif à l’irrecevabilité de la communication, elle note qu’il s’agit de la deuxième exception d’irrecevabilité de l’État partie et qu’elle avait déjà formulé certaines observations s’agissant de la première. L’État partie fait valoir qu’il n’existe pas de traité bilatéral entre la Jordanie et l’Ukraine, que la Jordanie n’est pas partie aux conventions internationales applicables et que le père est un citoyen jordanien. Ces arguments, de l’avis de l’auteure, n’empêchent pas l’État partie de s’acquitter de ses obligations nationales et internationales de fournir à ses ressortissants à l’étranger une assistance consulaire et une protection diplomatique au mieux de ses capacités, et que son incapacité à le faire a déjà été mise en avant par l’auteure dans sa première communication. Cette assistance et cette protection devraient s’appliquer en particulier en cas de graves violations des droits de la personne garantis au niveau international, comme en l’espèce concernant une victime de violences domestiques à long terme et une parente qui a souffert d’être privée de son enfant.

L’auteure rappelle que, lorsqu’elle vivait en Jordanie, elle a été victime de violences familiales et de discriminations en tant que femme. Elle a sollicité l’assistance de l’ambassade d’Ukraine à Amman et la protection de cette dernière contre les violences domestiques perpétrées à son encontre. La réponse de l’ambassade a été inappropriée et inefficace : non seulement elle n’a pas empêché que l’auteure fasse l’objet de discriminations fondées sur le genre, mais elle a également autorisé l’existence d’une telle discrimination. L’État partie n’a pris aucune mesure pour que les autorités publiques s’abstiennent d’actes discriminatoires et agissent avec la diligence nécessaire pour protéger l’auteure contre tout acte de discrimination à l’égard des femmes, qu’il soit commis par un particulier ou par les autorités publiques en Jordanie.

L’auteure considère que l’objection de l’État partie sur la recevabilité de la communication est infondée et invite le Comité à prendre une décision sur le fond en s’appuyant sur les éléments du dossier.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit statuer sur la recevabilité de la communication en vertu du Protocole facultatif. En application de l’article 72, paragraphe 4 dudit Protocole, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité prend note des observations de l’auteure selon lesquelles l’Ukraine n’aurait pas garanti l’exécution des décisions des tribunaux ukrainiens en Jordanie. Il prend également note de l’action menée par l’État partie pour conclure un accord sur l’aide juridique et les questions de garde d’enfants avec la Jordanie. Il considère qu’en l’absence d’un accord bilatéral sur l’aide juridique et les questions de garde d’enfants entre la Jordanie et l’Ukraine, l’argument de l’auteure selon lequel les autorités ukrainiennes n’ont pas garanti l’exécution des décisions des tribunaux ukrainiens en Jordanie ne peut pas être retenu contre l’Ukraine. Il remarque également que la Jordanie n’est pas partie à la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable pour défaut de fondement au regard du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Le Comité prend note du fait que l’auteur invoque une violation de ses droits, reconnus aux articles 2 a) à d) et f), 5 a) et b), et 16 c) à e) et g) de la Convention, en tenant compte à cet égard des recommandations générales du Comité nos 19, 21 et 28. Il considère cependant que les faits présentés soulèvent des questions au regard des articles 2 a), d) et f), 3 et 5 de la Convention, en tenant compte à cet égard des recommandations générales nos 19 et 28 et de la recommandation générale no 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19. Il estime donc que cette partie de la communication a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, bien qu’en vertu de différentes dispositions. En conséquence, il déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

Le Comité précise que son examen se limite aux violations imputées aux autorités de l’État partie et qu’il ne porte pas sur celles imputées aux autorités jordaniennes.

Le Comité souligne que l’État partie a des obligations à l’égard des personnes qui relèvent de sa juridiction et que l’on ne saurait le tenir responsable d’une discrimination commise par une juridiction d’un autre pays. Le Comité rappelle sa recommandation générale no 28. Il fait observer que la protection consulaire en tant que telle n’entre pas dans le champ d’application de la Convention. Cependant, l’État partie, dans le cadre de ses prérogatives, en particulier les prérogatives constitutionnelles concernant ses citoyens, doit agir avec la diligence voulue pour protéger ceux-ci lorsqu’ils sont victimes d’une violation de leurs droits fondamentaux, en particulier lorsque l’État partie est représenté à l’étranger. Le Comité considère que l’absence de traité bilatéral avec le pays dans lequel se trouve son ressortissant n’exonère pas l’État partie de cette obligation, en particulier en cas de violation de droits fondamentaux universellement reconnus.

Le Comité prend note de ce que, dans la présente affaire, l’auteure estime que les autorités ukrainiennes, notamment l’ambassade d’Ukraine à Amman et ses services consulaires, ne l’ont pas aidée en temps voulu et de manière efficace depuis le début de la procédure portant sur le différend qui l’opposait, en tant que mère chrétienne étrangère, à son époux jordanien concernant la garde de leurs enfants, question régie par la charia en Jordanie. Elle affirme qu’en tant que victime de violence familiale, elle n’a bénéficié d’aucune véritable assistance de l’ambassade durant une longue période, malgré sa demande d’assistance, et lors des phases cruciales de la procédure devant le tribunal de la charia qui a suivi. L’auteure fait observer à cet égard qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 25 de la Constitution de l’Ukraine, les citoyens de ce pays ont droit à une protection consulaire adéquate à l’étranger. L’État partie fait valoir que, tout au long des audiences devant le tribunal de la charia, l’auteure a bénéficié de l’assistance d’un avocat jordanien et de recommandations de l’ambassade concernant ses droits en Jordanie en tant que chrétienne. En outre, l’État partie note que l’auteure a refusé d’introduire une action devant le tribunal de la charia en Jordanie pour tenter de recouvrer la garde de l’une de ses filles. L’État partie souligne également que l’auteure n’a pas fait appel à la police de la famille jordanienne ni au Département des droits de l’homme de la Jordanie par l’intermédiaire d’un avocat local et que la police de la famille peut s’assurer des conditions de vie de la fille de l’auteure. Si elle juge ces conditions insatisfaisantes, la garde de l’enfant peut être transférée à la mère.

Le Comité considère que la protection consulaire peut revêtir une importance particulière dans les affaires de violence familiale ou sexiste ou en cas de différend concernant la garde des enfants. La protection diplomatique ou consulaire intervient pour l’essentiel lorsqu’un État défend un de ses ressortissants qui a subi ou risque de subir une violation de ses droits par un autre État, à l’étranger. En outre, dans les pays comme l’Ukraine, un droit personnel et subjectif à la protection diplomatique est consacré dans la législation nationale et la Constitution, le paragraphe 3 de l’article 25 de la Constitution disposant que l’Ukraine garantit la prise en charge et la protection de ses citoyens qui se trouvent au-delà de ses frontières. Les citoyens ont donc droit à une protection effective de leurs missions diplomatiques à l’étranger, en particulier dans les affaires de violence familiale ou sexiste ou en cas de différend concernant la garde des enfants.

Le Comité fait en outre observer que l’Ukraine est partie à la Convention de Vienne sur les relations consulaires, à laquelle elle a adhéré le 27 avril 1989. Cet instrument consacre un certain nombre de principes reconnus par le droit international. En particulier, l’article 5 de la Convention définit l’expression « fonctions consulaires », lesquelles sont exercées par les services consulaires à l’étranger.

Le Comité estime qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas reçu en temps voulu d’assistance adéquate de la part de l’ambassade ukrainienne à Amman pendant une longue période, au cours de laquelle elle a été victime de violences domestiques et alors que la procédure relative à la garde de son enfant était en cours devant le tribunal de la charia. Aucun représentant de l’ambassade ne l’a assistée durant la procédure, et l’ambassade ne lui a proposé aucune aide juridique, expliquant qu’aucun agent consulaire ne connaissait comme il convenait la charia. À cet égard, le Comité remarque que l’on ne comprend pas très bien pourquoi, en l’absence d’avocats compétents au sein de l’ambassade, les autorités n’ont pas adressé l’auteure à un conseil juridique en Jordanie et n’ont pas non plus engagé un avocat pour la représenter. De même, l’auteure ne s’est pas vu proposer les services d’un interprète, en dépit du fait que la procédure était menée en arabe, langue qu’elle ne parle pas suffisamment bien.

En l’espèce, l’auteure, en tant qu’étrangère en situation de vulnérabilité et mère de conviction chrétienne dans un État gouverné par la charia, a été livrée à elle-même sans une connaissance suffisante de la langue ou de la charia, face au tribunal et à la famille de son ex-mari. En conséquence, elle a perdu la garde de l’une de ses filles et a dû quitter la Jordanie, un acte qui a mis un terme à la procédure judiciaire. Le Comité estime qu’en l’espèce, les omissions des autorités ukrainiennes ont enfreint les droits que l’auteure tient des articles 3 et 5 de la Convention à une protection, une assistance et un appui en tant que victime de violence fondée sur le genre.

Agissant en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteure tient des articles 2 a), d) et f), 3 et 5 de la Convention, en tenant compte à cet égard des recommandations générales du Comité nos 19, 28 et 35. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’examinera pas les autres griefs de l’auteure.

À la lumière de ce qui précède, le Comité recommande à l’État partie :

a)En ce qui concerne l’auteure de la communication : de lui accorder réparation, y compris la reconnaissance des dommages moraux qu’elle a subis du fait de ne pas avoir reçu en temps voulu une assistance adéquate des services consulaires ukrainiens en Jordanie ;

b)En général :

i)De veiller à ce que la protection consulaire, telle que définie dans la Convention et consacrée dans la Constitution ukrainienne, soit effectivement fournie aux femmes ukrainiennes qui se trouvent en situation de vulnérabilité à l’étranger ;

ii)De fournir à ses ressortissantes à l’étranger qui affirment être victimes et avoir besoin d’assistance une aide juridique afin de leur permettre d’accéder à la justice et de bénéficier de toutes les garanties légales de protection, y compris contre la discrimination fondée sur le genre et dans les différends portant sur la garde d’enfants ;

iii)De veiller à ce que les agents consulaires aient suivi des formations complètes aux questions relatives aux conventions que le pays a ratifiées ou auxquelles il a adhéré, y compris la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ;

iv)De prendre des mesures pour parvenir à un accord entre la Jordanie et l’Ukraine sur l’entraide judiciaire et la garde d’enfant.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera comme il se doit les constatations et recommandations du Comité, auxquelles il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie devra également publier les constatations et recommandations du Comité et les diffuser largement afin d’atteindre tous les secteurs concernés de la société.