Communication présentée par :

Société polonaise de la législation antidiscrimination (représentée par des conseils, Krzysztof Smiszek et Karolina Kędziora)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Pologne

Date de la communication :

13 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise conformément à l’alinéa 3 de l’article 69 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

19 juillet 2019

Exposé des faits

1.1L’auteure est la Société polonaise de la législation antidiscrimination, organisation non gouvernementale qui présente la communication en son nom propre. L’auteure affirme que la Pologne a violé les droits qu’elle tient des alinéas c), e) et f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa c) de l’article 10 de la Convention lorsque ses tribunaux ont jugé qu’elle n’avait pas qualité pour notifier un crime concernant un livre qui contenait des passages approuvant le crime de viol. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention est entré en vigueur en Pologne le 22 mars 2004. L’auteure est représentée par des conseils, son Président Krzysztof Smiszek, et sa Vice‑Présidente Karolina Kędziora.

1.2La communication a été enregistrée le 27 novembre 2018. Le 5 avril 2019, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications soumises en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité a fait droit à la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 17 juillet 2012, l’auteure de la communication a notifié un crime auprès du Bureau du procureur du district de Varsovie, dont relève l’arrondissement Ochota. Ce crime consistait en une apologie du crime de viol faite par une maison d’édition dans un livre de cours d’anglais qu’elle avait publié, intitulé Angielskie czasy: już prościej się nie da (Les temps en anglais : rien de plus simple). Selon l’auteure de la communication, le crime d’apologie s’entend d’une conduite, verbale ou non, consistant à approuver un type particulier de crime, que celui-ci ait déjà été commis ou non. La publication en question contenait plusieurs passages blessants qui banalisaient et encourageaient le viol.

2.2Selon la notification du crime, les expressions et phrases susmentionnées constituaient un crime au sens du paragraphe 3 de l’article 255 du Code pénal de Pologne, en lien avec l’article 197 dudit Code où le viol est sanctionné pénalement. Le paragraphe 3 de l’article 255 dispose que quiconque fait l’apologie publique de l’exécution d’un crime sera passible d’une amende d’un montant pouvant atteindre cent quatre-vingts jours-amendes, d’une peine de restriction de liberté ou d’une peine privative de liberté.

2.3Le 31 juillet, le Bureau du procureur du district de Varsovie a rendu une décision portant rejet de l’ouverture d’une enquête en application des paragraphes 1 et 2 de l’article 17 du Code de procédure pénale de Pologne. La décision se fondait sur l’absence d’intention directe de la part des auteurs et sur le fait que le choix des exemples expliquant les structures temporelles de la langue anglaise était tout au plus malheureux.

2.4Le 7 août, l’auteure de la communication a formé un recours contre la décision rendue, en arguant que l’apologie d’un crime avait été commise au motif que le livre avait utilisé le verbe « violer » dans un contexte particulier où était mis en avant le prétendu plaisir de la personne violée et où était banalisé le crime de viol assimilé à un phénomène bon et souhaitable.

2.5Le 14 décembre, la troisième chambre pénale du tribunal du district de Varsovie a rendu une décision qui annulait la décision du Bureau du procureur et renvoyait le dossier pour réexamen.

2.6Le 3 avril 2013, après que le Procureur a eu réexaminé l’affaire, l’auteure de la communication a été informée par le Bureau du procureur du district de Varsovie que l’enquête avait été abandonnée et que nulle violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 17 du Code de procédure pénale n’avait été constatée. Toutefois, cette décision sur la question, datée du 29 mars, n’a pas été signifiée à l’auteure de la communication au motif qu’une organisation ne pouvait être réputée partie lésée en l’espèce.

2.7Le 12 avril, l’auteure de la communication a formé un recours contre la décision en indiquant que la question de la protection dans les affaires d’apologie de crime relevait de l’ordre public et non des intérêts personnels d’un particulier. Conformément au paragraphe 1 de l’article 49 du Code de procédure pénale, le statut de partie lésée existe seulement en cas de lien direct entre le crime et la violation de l’intérêt juridique d’une personne ou bien une menace à cet intérêt.

2.8Le 18 avril, le Bureau du procureur du district de Varsovie a rendu une ordonnance rejetant le recours au motif que celui-ci avait été formé par une personne non autorisée, l’auteure de la communication ne pouvant avoir le statut de partie lésée.

2.9Le 30 avril, l’auteure de la communication a formé un recours contre le refus du Bureau du procureur du district de Varsovie de recevoir le premier recours en remettant en cause le refus de lui accorder le statut de partie lésée. Le 15 mai, le Bureau du procureur de district de Varsovie a décidé de ne pas faire droit au recours et l’a renvoyé devant la troisième chambre pénale du tribunal du district de Varsovie.

2.10Le 9 juillet, la troisième chambre pénale du tribunal du district de Varsovie a rendu une décision visant à ne pas faire droit au recours du 30 avril 2013 et confirmant l’ordonnance rendue par le Bureau du procureur du district de Varsovie refusant de l’entendre. La cour a jugé que la Société polonaise de la législation antidiscrimination ne pouvait être réputée partie lésée au sens de l’article 49 du Code procédure pénale, au motif que les droits de la Société n’étaient pas directement bafoués par l’acte d’apologie publique du crime de viol. La Société avait alors épuisé tous les recours internes.

2.11L’auteure de la communication soutient que l’affaire n’a pas été soumise pour examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Teneur de la plainte

3.1En jugeant que l’auteure de la communication, qui agissait dans l’intérêt général, n’était pas une partie lésée au sens du paragraphe 1 de l’article 49 du Code de procédure pénale, et n’était à ce titre pas autorisée à déposer plainte contre l’éditeur d’un ouvrage éducatif pour apologie du crime de viol, l’État partie a porté atteinte aux droits que l’auteure tient des alinéas c), e) et f) de l’article 2, ainsi que de l’alinéa a) de l’article 5 et de l’alinéa c) de l’article 10 de la Convention.

3.2En particulier, l’État partie n’a pas garanti, par le truchement des tribunaux nationaux publics compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire, en violation de l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention ; n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination exercée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque en violation de l’alinéa e) de l’article 2 ; n’a pas pris des dispositions législatives et toutes autres mesures appropriées, y compris, s’il y a lieu, des sanctions ou interdictions d’une quelconque discrimination à l’égard des femmes, en violation de l’alinéa f) de l’article 2 ; n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur des rôles stéréotypés des hommes et des femmes, en violation de l’alinéa a) de l’article 5 ; n’a pas pris les mesures appropriées pour éliminer toutes conceptions stéréotypées des rôles de l’homme et de la femme dans le domaine de l’éducation, en particulier, en révisant les livres scolaires, en violation de l’alinéa c) de l’article 10. Pour remplir ses obligations découlant de ces dispositions, l’État partie devrait introduire des modifications dans sa procédure pénale pour reconnaître le statut de partie lésée à une organisation qui agit dans l’intérêt général légitime en réponse à des crimes commis contre l’ordre public.

3.3Contrairement aux cas d’apologie de crimes contre des particuliers, la législation actuelle ne permet pas d’obtenir justice au pénal dans les affaires d’apologie de crimes contre les femmes en général. La procédure pénale permet aux particuliers d’introduire un acte d’accusation seulement lorsqu’une personne fait l’apologie, par exemple, du viol d’un particulier nommément désigné, mais non lorsqu’une personne approuve publiquement le viol des femmes en général. L’alinéa 3 de l’article 255 du Code pénal, qui vise à protéger l’ordre public, est ainsi sans efficacité, étant impossible d’engager des poursuites pour incitation généralisée à la violence à l’égard des femmes ou bien pour représentation stéréotypée négative généralisée renforçant l’assimilation des femmes à des victimes. Le droit pénal a pour fonction de protéger l’état de droit et de stigmatiser les atteintes qui lui sont faites. De son côté, la procédure pénale a pour fonction de garantir des moyens efficaces de protection. L’apologie de la violence à l’égard des femmes appelle sans conteste une réponse appropriée du système juridique.

3.4Dans l’État partie, la tolérance de l’opinion publique vis-à-vis de la violence sexuelle à l’égard des femmes est un problème très grave. Selon les statistiques de la police, chaque année, on détecte environ 2 500 crimes de viol alors que, selon l’auteure, seulement 10 % des victimes les signaleraient. Selon les statistiques publiées par le Ministère du travail et des affaires sociales en 2010, pas moins de 19 % des Polonais estiment que le viol conjugal n’existe pas. C’est pour ces raisons que l’État partie devrait lutter activement contre les stéréotypes concernant la violence sexuelle, notamment en réprouvant et en érigeant en infraction de manière claire toute apologie du viol.

3.5Le livre en question n’est pas un livre de cours homologué par le Gouvernement à des fins didactiques ; il constitue une aide pédagogique à la disposition de tout apprenant de la langue anglaise. L’anglais est la langue étrangère qui compte le plus d’apprenants en Pologne. La publication en question a donc un lectorat potentiel extrêmement vaste, d’autant plus que le livre est toujours en vente après avoir été édité une première fois en 1993. Il peut ainsi être utilisé par exemple comme un complément pédagogique dans les écoles et distribué sous forme de photocopies. Il demeure en circulation et ses éditeurs sont demeurés impunis.

3.6L’auteure de la communication dépose plainte en son nom propre et affirme avoir, en tant que groupe de particuliers, le statut de victime aux fins de la recevabilité en vertu du Protocole facultatif. Elle est une partie lésée car les décisions correspondantes rendues par les tribunaux nationaux ont été préjudiciables à ses membres. En particulier, les membres de la Société n’ont pu prétendre à une protection efficace contre l’apologie de la violence fondée sur le genre ni à des voies de recours susceptibles d’empêcher l’apologie de crimes contre les femmes. La persistance du statu quo juridique affecte personnellement les membres de la Société dans la mesure où le manque de protection contre le renforcement des stéréotypes négatifs concernant entre autres la violence sexuelle a des conséquences majeures sur le public, notamment la banalisation du viol. Par le sentiment d’impunité qu’elle entraîne, cette manière de sensibiliser le public accroît le risque de criminalité. En outre, le terme « victime » est interprété au sens large dans le Protocole facultatif et dans les autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 25 juin et du 28 février 2019, l’État partie a jugé la communication irrecevable en vertu de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 4, et des alinéas d) et e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

4.2La communication est irrecevable ratione temporis en vertu de l’alinéa e) du deuxième paragraphe de l’article 4 du Protocole facultatif, la première et la toute dernière édition de l’ouvrage en question ayant été publiées respectivement en 1991 et 2003. C’est après cette date que le Protocole facultatif a été ratifié par l’État partie le 22 décembre 2003, avant d’y entrer en vigueur le 22 mars 2004. L’information concernant la date de la dernière publication de l’ouvrage en 2003 a été fournie le 6 février 2019 par le Bureau du procureur du district de Varsovie, qui avait conduit l’interrogatoire du copropriétaire de la maison d’édition Naja Press. En guise de preuve, le copropriétaire a produit un exemplaire de la facture de l’impression du dernier tirage de l’ouvrage.

4.3La communication est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, son auteure n’ayant pas le statut de victime. Il n’est pas aisé de déterminer en quelle qualité l’auteure a présenté la communication. Les déclarations de l’auteure en la matière ne sont pas claires. Dans sa communication datée du 17 octobre 2014, elle a indiqué avoir déposé plainte en son nom propre. Toutefois, dans le cadre des procédures nationales, elle a agi dans l’intérêt général, et aucun élément recueilli au cours de ces procédures n’atteste que la Société elle-même ou chacun de ses membres a fait l’objet d’une discrimination fondée sur le genre en relation avec les passages du livre ou le refus ultérieur d’enquêter en la matière. Le Comité a estimé dans sa jurisprudence que les plaintes actio popularis sont irrecevables. L’auteure ne peut revêtir le statut de victime et déposer plainte en son nom propre alors même qu’elle entend lutter contre la discrimination et offrir aux victimes de discrimination une aide ou une représentation juridiques.

4.4En outre, dans sa plainte déposée le 12 janvier 2015, l’auteure s’est présentée en victime de la violation présumée, prétendant agir non seulement dans l’intérêt général mais également au nom de ses membres et salariées, qui avaient été directement affectées par l’absence de protection contre la violence fondée sur le genre. Ceci est inadmissible car l’auteure est tenue d’obtenir de toutes les victimes leur consentement à une communication présentée en leurs noms en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif et de l’article 68 du Règlement intérieur du Comité. En l’espèce, l’auteure n’y a pas énuméré le nom de toutes les victimes présumées et n’a pas produit les formulaires d’autorisation d’agir en leur nom.

4.5La communication est également irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif car les victimes présumées n’ont pas épuisé tous les recours internes. L’issue de la procédure aurait pu être différente si les membres ou salariées directement touchées par le contenu du livre avaient elles-mêmes notifié l’infraction. Elles auraient alors pu affirmer que leurs droits avaient été violés par l’auteur ou l’éditeur de l’ouvrage et auraient eu le statut de partie lésée. Dans la mesure où aucune femme n’a de fait notifié ou intenté une action en justice pour avoir été victime de discrimination fondée sur le genre, les autorités nationales n’ont pas eu l’occasion d’examiner l’affaire et de rendre une décision. De plus, si elles estimaient avoir été victimes de discrimination fondée sur le genre, les membres et salariées de la Société auraient pu engager une procédure civile en vertu de la législation sur la protection des droits de la personne, l’article 23 du Code civil notamment, qui énonce les droits de la personne, notamment le droit à la liberté, à la santé, à la dignité et à la liberté de conscience. En outre, elles auraient pu chercher à obtenir une injonction en vertu de l’article 24 du Code civil pour prévenir le risque d’atteinte à leurs droits de la personne et demander une indemnité pécuniaire. Autant de recours qui n’étaient pas épuisés.

4.6La communication est irrecevable au regard de l’alinéa d) du deuxième paragraphe de l’article 4 du Protocole facultatif car elle constitue un abus de droit. Elle a été soumise vingt-sept ans après que l’ouvrage a été rédigé et publié pour la première fois en 1991. L’ouvrage n’a jamais constitué une aide pédagogique officielle ni un livre de cours homologué par les autorités dans le cadre de l’enseignement scolaire ou universitaire officiel. De même, ni le Ministère de l’éducation ni aucun bureau d’éducation n’a jamais reçu de plaintes concernant l’utilisation de l’ouvrage à des fins didactiques. En outre, l’auteur de l’ouvrage est décédé en 1997 et son héritier légal a informé les autorités que le livre n’avait pas été publié pendant de nombreuses années. L’héritier s’est engagé à faire effacer les passages mis en cause si la maison d’édition envisageait jamais de publier une nouvelle édition. L’ouvrage connaissait une utilisation déjà marginale dans le passé et son accessibilité est encore plus limitée aujourd’hui.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans ses commentaires datés du 29 mars 2019, l’auteure de la communication réaffirme avoir le statut de victime. En particulier, elle y fait valoir que l’article 2 du Protocole facultatif autorise ceux qui souhaitent agir au nom des victimes à présenter une communication pour protéger la dignité et les droits des victimes. En outre, selon le raisonnement consistant à passer d’une situation A plus générale à une situation B plus particulière, si une entité est en droit de soumettre une communication avec le consentement des victimes, elle devrait l’être d’autant plus sans avoir à déclarer quoi que ce soit sur le mode de subsistance des victimes.

5.2Le statut de victime de l’auteure est manifeste en sa qualité d’organisation non gouvernementale qui promeut le respect des normes d’égalité et de lutte contre la discrimination énoncées dans la Convention. En n’introduisant pas les changements ô combien nécessaires dans son Code pénal concernant l’apologie de crime, l’État partie n’a pas empêché la discrimination à l’égard des femmes et n’a pas garanti des voies de recours efficaces en la matière. En outre, l’interprétation restrictive que les autorités de l’État partie donnent à la loi sur l’apologie de crime en vue de bien identifier une victime directement lésée ôte toute protection juridique efficace aux victimes de discrimination.

5.3Dans sa jurisprudence, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale estime que les organisations non gouvernementales ont qualité pour présenter des communications. En particulier, l’auteure cite l’opinion du Comité dans les affaires La communauté juive d ’ Oslo c. Norvège (CERD/C/67/D/30/2003) et Zentralrat Deutscher Sinti und Roma et consorts c. Allemagne (CERD/C/72/D/38/2006).

5.4La communication est également recevable ratione temporis dans la mesure où la violation continue d’avoir lieu : l’ouvrage en question est toujours accessible au public en ligne et demeure disponible à l’achat.

5.5L’auteure affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes. On ne peut savoir ce qui se serait produit si les victimes individuelles avaient déposé plainte auprès d’organismes nationaux en leur nom propre. En agissant ainsi, elles se seraient heurtées à l’obligation pour elles de prouver la violation de leurs droits de la personne. L’auteure constate que les droits de la personne au sens civil n’ont pas été soulevés dans le cadre des procédures nationales. L’auteure a préféré invoquer les questions d’ordre public et l’obligation pour l’État de respecter et d’appliquer les normes internationales et nationales de lutte contre la discrimination.

Délibérations du Comité

6.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. En application de l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond. En application de l’alinéa 4 de l’article 72, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

6.2En application du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité a établi que la question n’a pas déjà été examinée ou n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, entre autres, parce que les membres de la Société, qui ne sont pas nommées, n’ont pas produit de formulaires d’autorisation indiquant leur consentement à être représentées par la Société. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle ces déclarations de consentement ne sont pas nécessaires. Il prend en outre note que, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, les communications peuvent être présentées par des particuliers ou groupes de particuliers, ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers, relevant de la juridiction d’un État partie. Le Comité estime que le seul fait pour l’auteure d’être une organisation ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication. Toutefois, le Comité rappelle avoir, dans sa jurisprudence, pris note du fait que le Protocole facultatif a interdit de présenter des communications au nom de groupes de particuliers sans le consentement préalable de ces particuliers, à moins que l’absence de consentement puisse être justifiée. En l’espèce, le Comité prend note que les membres de la Société, parties lésées présumées, ne sont pas nommées dans la communication et n’ont pas transmis de formulaires d’autorisation indiquant leur consentement à être représentées par l’auteure. Présentée au nom des membres de la Société, la communication est irrecevable dans la mesure où les critères visés à l’article 2 du Protocole facultatif n’ont pas été satisfaits.

6.4Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité rappelle que, dans sa jurisprudence, les auteurs d’une communication doivent se prévaloir de tous les recours internes disponibles et avoir saisi les tribunaux nationaux sur le fond du grief qu’ils souhaitent soumettre au Comité afin que les autorités ou les juridictions nationales puissent se prononcer sur ce grief.

6.5Dans la mesure où la communication est présentée au nom de l’auteure, en tant qu’organisation qui combat la discrimination, le Comité constate que l’auteure déclare n’avoir pas agi, durant les procédures nationales, en son nom propre mais au nom de l’intérêt général et n’avoir pas prétendu être victime d’une violation de la Convention. L’auteure a préféré, dans le cadre des procédures nationales, soulever la question de la protection de l’ordre public et l’obligation pour l’État partie de remplir ses obligations découlant de la Convention. Le Comité rappelle sa jurisprudence qui établit que le Protocole facultatif interdit les requêtes actio popularis et qu’un auteur d’une communication est une victime au sens de l’article 2 du Protocole facultatif, lorsqu’il ou elle subit personnellement les conséquences négatives d’un acte ou d’une omission de l’État partie. Dans la mesure où l’auteure n’a pas agi en son nom propre, en tant que personne morale, devant les autorités nationales, le Comité considère qu’elle n’a pas épuisé tous les recours internes et que cet aspect de la communication également la rend irrecevable au regard de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

7.Le Comité décide donc que :

a)La communication est irrecevable au regard de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.