Communication présentée par :

L. A. et al. (représentées par un conseil du Centre européen pour les droits des Roms)

Au nom de :

Les auteures

État partie :

Macédoine du Nord

Date de la communication :

21 décembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 29 décembre 2016 (non publiées sous forme de document)

Date des constatations :

24 février 2020

Contexte

Les auteures de la communication, L. A., D. S., R. A. et L. B., sont des nationales de Macédoine du Nord d’origine rom, nées respectivement en 1990, 1999, 1996 et 1994. Elles se déclarent victimes d’une violation, par la Macédoine du Nord, des droits consacrés aux articles 2 [al. d) et f)], 4 (par. 1 et 2), 12 (par. 1 et 2) et 14 [par. 2 b) et h)] de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 17 janvier 2004. Les auteures sont représentées par un conseil du Centre européen pour les droits des Roms.

Le 29 décembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications soumises en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention et conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de fournir aux auteures un hébergement d’urgence convenable, de veiller à ce qu’elles aient de quoi manger et accès à de l’eau propre et de leur permettre de bénéficier immédiatement des services de santé, notamment les services de santé maternelle.

Rappel des faits présentés par les auteures

L. A. est une mère célibataire sans abri âgée de 26 ans qui en est à son quatrième mois de grossesse. Il s’agit de sa quatrième grossesse et elle a trois enfants mineurs. Comme elle ne peut payer les frais du transport vers le centre de gynécologie le plus proche, elle n’a jamais consulté un gynécologue pendant sa grossesse. Elle est sans emploi et elle touche pour ses enfants des prestations sociales mensuelles d’un montant de 8 000 denar (environ 130 euros). Elle ne peut respecter les règles d’hygiène élémentaires, faute d’accès à de l’eau propre.

D. S. est une mère de 17 ans qui en est au premier mois de sa deuxième grossesse. Elle vit actuellement dans la rue avec son enfant. Elle ne touche pas de prestations sociales. Comme elle n’a pas les moyens de consulter un médecin ni d’acheter des médicaments, elle n’a jamais consulté un gynécologue pendant sa grossesse. Elle n’a pas accès à de l’eau propre et ne peut donc pas respecter les règles d’hygiène élémentaires.

R. A. a 20 ans et en est au premier mois de sa grossesse. Elle vit dans la rue avec son conjoint et des membres de sa famille. Elle est sans emploi et ne touche pas de prestations sociales. Elle a consulté deux fois un gynécologue, notamment à la clinique de gynécologie la plus proche, dans la municipalité de Chair, où elle a payé 200 denar (environ 3,25 euros) pour un examen médical sommaire et 500 denar (environ 8,10 euros) pour les frais de transport. Elle vit dans l’extrême pauvreté et n’a pas accès à de l’eau propre, en conséquence de quoi elle ne peut pas respecter les règles d’hygiène élémentaires.

L. B. est mère de cinq enfants mineurs. Elle a donné naissance à un enfant le 24 novembre 2016. Elle n’a vu un gynécologue que le jour de son accouchement. Tant L. B. que son nouveau-né ont des problèmes de santé en raison des températures extrêmement basses qu’il leur faut supporter, d’une mauvaise alimentation et du fait qu’ils n’ont pas accès à de l’eau propre.

Jusqu’au 1er août 2016, les auteures vivaient dans un campement baptisé « Polygon » qui était situé en contrebas de la forteresse de Kale, à Skopje, près du fleuve Vardar, au sein d’une communauté d’environ 130 personnes d’origine rom, dont quelque 70 enfants. La plupart de ces personnes vivaient là depuis cinq à neuf ans, mais n’avaient aucune sécurité d’occupation et habitaient dans des maisons construites de leurs mains avec les matériaux disponibles, dans de mauvaises conditions de vie.

Le Ministère des transports et des communications de l’État partie était propriétaire du terrain sur lequel la communauté vivait jusqu’en novembre 2011, lorsqu’il l’a vendu à une société privée. De temps en temps, au fil des ans, les autorités avaient enlevé les biens et détruit les maisons des habitants du campement, sans toutefois proposer à ceux-ci un logement de remplacement. Les habitants, parmi lesquels les auteures, avaient reconstruit leurs maisons avec les matériaux qu’ils pouvaient trouver. Certains avaient demandé des logements sociaux, mais leurs demandes avaient été rejetées. Les auteures n’ont jamais demandé à se voir attribuer un logement social car elles ne disposaient pas des documents nécessaires.

Le 11 juillet 2016, les services d’inspection de la ville de Skopje ont décidé de « nettoyer » le campement au motif que le plan d’urbanisme prévoyait la construction d’une route à cet emplacement. Les membres de la communauté n’ont jamais été officiellement informés du fait qu’ils devaient être expulsés, quoi que certains aient été avertis verbalement qu’il leur fallait déménager leurs effets personnels. La décision du 11 juillet n’a été adressée ni transmise à aucun des membres de la communauté. En outre, si ceux-ci avaient fait appel, la procédure n’aurait pas automatiquement eu un effet suspensif, ce qui signifie que les autorités auraient quand même pu procéder à l’expulsion.

Sans préavis, dans la matinée du 1er août 2016, la police est entrée dans le campement et a détruit la seule source d’eau qui s’y trouvait. Plus tard dans la journée, des bulldozers ont démoli toutes les maisons. La municipalité n’a pas fourni de logement de remplacement aux auteures, à qui elle a dit de s’adresser à la municipalité de Šuto Orizari. Après l’expulsion, le centre de services sociaux, organisme public desservant la ville de Skopje, a informellement proposé à certains des expulsés de les héberger au centre d’accueil Čičino Selo pour les réfugiés, les déplacés et les sans-abri. Aucun membre de la communauté n’a accepté cette proposition, tant pour des raisons de sécurité que parce que les conditions de vie dans ce centre d’accueil étaient déplorables.

Les auteures et plusieurs autres personnes sont restées sur le site de leur ancienne maison, sans logement et sans accès à l’eau. Leur vie et leur santé étaient directement en péril. De nombreux membres de la communauté ont souffert de bronchite ou d’autres maladies du fait des mauvaises conditions de vie. Les femmes, particulièrement celles qui sont enceintes, y compris les auteures, sont dans une situation de vulnérabilité extrême et leur santé et celle des enfants qu’elles portent est exposée à de graves risques. Elles n’ont pas accès aux soins de santé maternelle.

Les auteures sont couvertes par le régime d’assurance maladie obligatoire de l’État partie. Selon elles, toutefois, cette couverture est uniquement théorique. Le régime d’assurance maladie obligatoire n’est pas totalement gratuit, le ticket modérateur pouvant atteindre 20 % du prix de référence, ce que les auteures ne peuvent pas se permettre. Les auteures soutiennent de surcroît qu’elles n’ont pas dûment accès aux soins gynécologiques, en premier lieu parce qu’elles sont roms ; il arrive en effet que des gynécologues refusent de prendre des femmes roms comme patientes à cause des préjugés, des stéréotypes et de la stigmatisation qui visent les Roms. Les femmes qui ne sont pas inscrites auprès d’un gynécologue doivent payer l’intégralité des soins reçus (au lieu des 20 % du ticket modérateur), même si elles sont couvertes par le régime d’assurance maladie obligatoire. Partant, comme L. A., D. S. et L. B. ne sont pas inscrites auprès d’un gynécologue, elles devraient payer 100 % du coût de leur visite chez le gynécologue.

Les auteures soutiennent qu’au cours des huit dernières années, les autorités n’ont pas alloué suffisamment de ressources aux programmes de santé maternelle et infantile, et en particulier à ceux dont les femmes roms bénéficient. En pratique, ces femmes ont un accès restreint aux services de santé procréative. À Šuto Orizari, par exemple, il n’y a plus de gynécologue depuis neuf ans, bien que les autorités aient tenté d’en recruter un. Les auteures affirment par ailleurs que le logement est le principal problème des Roms, qui sont nombreux à vivre dans des habitations de fortune dépourvues d’électricité, de chauffage, d’accès à l’eau et d’installations sanitaires.

En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les auteures soutiennent qu’aucun recours interne efficace ne pouvait être exercé pour empêcher l’expulsion du 1er août 2016. L’expulsion a fait suite à la décision de « nettoyer » le campement, qui n’a été communiquée qu’à un tiers. Les auteures n’ont eu accès à aucun recours qui aurait permis de surseoir à l’exécution de la décision. En particulier parce qu’elles n’ont pas été informées de la décision de « nettoyer » le campement et le droit interne ne prévoit pas de recours ayant automatiquement un effet suspensif contre ce type de décision. Les auteures ajoutent qu’aucune procédure judiciaire ne permet d’obtenir un logement et des soins médicaux gratuits et que, même si pareille procédure existait, on ne saurait s’attendre à ce qu’elles y aient recouru avant de saisir le Comité étant donné qu’elles sont enceintes et que, partant, le temps presse. Elles font aussi valoir que les personnes dans leur situation n’ont jamais obtenu un quelconque type de réparation.

Les auteures signalent que d’autres anciens résidents du campement ont déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, arguant que l’expulsion du 1er août 2016 et le défaut de l’État partie de leur fournir un logement de remplacement ou toute autre forme d’aide constituaient une violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Elles soulignent toutefois que, comme elles ne sont pas associées à cette requête, la question dont elles ont saisi le Comité n’a pas déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

Les auteures affirment être victimes d’une violation continue, par l’État partie, des articles 2 [al. d) et f)], 4 (par. 1 et 2), 12 (par. 1 et 2) et 14 [al. b) et h)] de la Convention. Elles soutiennent avoir subi des formes de discrimination croisée fondée sur le genre, l’origine ethnique, l’âge, la classe sociale et l’état de santé.

Les auteures font valoir que les expulsions sont relativement rares dans l’État partie et semblent viser surtout les populations roms, et que leur expulsion constitue une discrimination indirecte à l’égard des populations roms. En outre, l’État partie n’a pas tenu compte de la vulnérabilité qu’elles présentaient en tant que mères jeunes, célibataires et enceintes, ni du soutien particulier dont elles avaient besoin, portant ainsi atteinte à l’article 2 [al. d)] de la Convention.

Les auteures allèguent que l’État partie n’a pas adopté de politique visant à modifier ou abroger ou toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique constituant une discrimination à leur égard, ce qui constitue une violation de l’article 2 [al. f)] de la Convention. L’État partie n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer la pratique discriminatoire que constitue l’expulsion des personnes roms, y compris les femmes, et ses conséquences particulièrement discriminatoires envers les jeunes roms enceintes. De plus, l’État partie n’a pas fourni de réparation appropriée aux auteures, que ce soit sous la forme d’une indemnisation ou sous la forme d’une aide sociale.

Les auteures soutiennent que l’État partie a violé les droits que leurs garantissent les paragraphes 1) et 2) de l’article 4 de la Convention en ne prenant pas de mesures spéciales destinées à répondre aux besoins particuliers des jeunes roms enceintes visées par une expulsion. Le fait d’être des femmes roms enceintes, sans abri et vivant dans la pauvreté dans des conditions équivalentes à celles des femmes rurales les expose particulièrement à des formes multiples de discrimination croisée, en conséquence de quoi elles ont besoin de mesures spéciales de prévention et de protection ; or, l’État partie, n’a pris aucune mesure de ce type. C’est l’État partie qui, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour que les femmes roms aient accès au logement et aux services de santé, en dépit des recommandations formulées à cet égard par le Comité, a placé les auteures dans la situation dans laquelle elles se trouvent actuellement.

Les auteures avancent que l’État partie les a exposées à la discrimination en limitant leur accès aux services de santé, notamment les services de santé procréative, en violation des paragraphes 1) et 2) de l’article 12 de la Convention. Bien qu’elles aient été particulièrement vulnérables en tant que jeunes femmes roms enceintes et sans abri ne bénéficiant pas de prestations sociales, les auteures n’avaient pas accès à des services de santé gratuits. L’expulsion n’a fait qu’empirer la situation, ce qui leur a causé un surcroît de stress et d’angoisse et a mis leur santé gravement en péril. De surcroît, elles sont moins bien alimentées car elles ont moins facilement accès à une alimentation adéquate. Les auteures déclarent qu’elles n’ont pas reçu d’éducation en matière de santé sexuelle et procréative et n’ont jamais participé à des programmes de planification familiale ou de contraception, programmes qui, compte tenu de leur âge, auraient pourtant pu améliorer sensiblement leur situation.

Les auteures sont d’avis que leurs conditions de vie et les problèmes auxquels elles font faces sont identiques à ceux des femmes rurales. En ne leur fournissant pas des services de santé gratuits et accessibles alors qu’elles sont membres d’une communauté marginalisée vivant en milieu rural, l’État partie a violé les droits que leur garantit l’article 14 [par. 2 b)] de la Convention, à plus forte raison compte tenu de la situation dans laquelle l’expulsion les a placées.

Les auteures soutiennent de plus que, en les expulsant sans fournir immédiatement un logement de remplacement approprié ni s’assurer qu’elles pouvaient se nourrir et qu’elles avaient accès et de l’eau propre à des fins personnelles et domestiques, à des sources d’énergie durables et à des installations sanitaires leur permettant de vivre dans des conditions et d’hygiène adéquates, l’État partie a violé l’article 14 [par. 2 h)] de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Le 20 mai 2019, l’État partie a présenté ses observations. Il fait observer que les auteures vivaient en contrebas de la forteresse de Kale et que le Ministère du travail et des politiques sociales a pris des mesures d’urgence en vue de leur fournir un logement temporaire convenable pour assurer leur protection.

L’État partie soutient que les mesures en question consistaient en différentes actions visant à reloger les groupes cibles suivants : les familles avec des femmes enceintes et des enfants de moins de 3 ans, la priorité étant accordée à celles ayant plus de trois enfants ; les familles avec des enfants âgés de 4 à 7 ans ou des enfants atteints de troubles du développement ; les personnes âgées de plus de 65 ans malades ou affaiblies.

L’État partie signale que ces mesures ont permis de reloger 123 personnes, notamment les auteures, dans des centres publics de protection sociale. Toutes ces personnes ont été inscrites à un programme de réinsertion sociale (d’« accompagnement de vie ») établi et mis en œuvre avec l’appui de deux organisations non gouvernementales roms.

L’État partie indique que les auteures sont restées dans les centres de protection sociale jusqu’en octobre 2018, après quoi elles se sont vu proposer un logement indépendant dans un campement de conteneurs. Il fait observer que L. A. et R. A. vivent toujours dans ce campement, tandis que, selon les organisations de la société civile qui s’occupent de leur dossier, D. S. et L. B. ont quitté le territoire macédonien et vivent actuellement à l’étranger.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partiesur la recevabilité et sur le fond

Dans une lettre du 14 juin 2019, les auteures ont formulé des commentaires sur les observations de l’État partie.

Les auteures font observer que l’État partie n’a présenté ses observations que le 20 mai 2019 alors qu’il était censé le faire le 29 juin 2017 au plus tard et qu’il n’a pas expliqué ce retard. Elles estiment que le Comité devrait ne pas tenir compte de ces observations car le contraire reviendrait à accepter que l’État partie enfreigne les règles de procédure.

Les auteures soutiennent que la présentation tardive des observations de l’État partie justifie en soi qu’il conclue à une violation de l’article 6 du Protocole facultatif. Les États parties doivent respecter les délais pour que les victimes aient accès à la justice. De surcroît, la réponse de l’État partie donne à penser que celui-ci ne prend pas au sérieux les obligations mises à sa charge par le Protocole facultatif.

Les auteures ajoutent que le Comité ne devrait pas inviter l’État partie à lui soumettre de nouvelles observations sur les présents commentaires. Si toutefois il décidait de le faire, le délai accordé ne devrait pas dépasser un mois.

Selon les auteures, l’État partie est forclos à contester la recevabilité de la présente communication étant donné qu’il n’a pas abordé la question dans ses observations du 20 mai 2019, ni dans le délai initialement prévu de six mois.

Les auteures avancent que le refus de l’État partie de prendre les mesures temporaires demandées par le Comité constitue en soi une violation des droits de l’homme, et que le Comité devrait donc conclure à une violation, par l’État partie, de l’article 5 du Protocole facultatif.

Les auteures fournissent des informations actualisées sur leur situation. L. A. a été logée au centre Ranka Milanovik, où les conditions de vie étaient déplorables et inadaptées aux femmes enceintes ou venant d’accoucher. En novembre 2018, elle est allée vivre dans un campement de conteneurs, à Vizbegovo, où les conditions sont aussi mauvaises. Les résidents ne sont pas autorisés à recevoir des visites, 14 familles se partagent deux salles de bains et les repas ne sont livrés que le dimanche. En outre, un problème d’assainissement a provoqué une fuite d’eaux usées et des odeurs nauséabondes. Les autorités ont refusé de prendre en charge les 4 000 euros de réparations nécessaires. Bien que le Premier Ministre ait visité le campement au premier semestre de 2019 et ait promis des logements sociaux, les auteures et les autres résidents n’ont guère d’espoir. L. A. est menacée d’expulsion et risque de se retrouver à la rue avec ses deux enfants d’ici le 15 juin 2019 parce que son mari est alcoolique. On ne lui a pas proposé de logement de remplacement, et elle sera donc obligée de retourner vivre au Polygon, où elle habitait avant l’expulsion. Le conseil des auteures tente d’aider L. A. à obtenir une injonction pour empêcher l’expulsion.

R. A. a habité au centre Ranka Milnovik jusqu’à ce que, en novembre 2018, elle aille vivre dans le campement de conteneurs de Vizbegovo, où elle habite toujours. Elle ne peut pas consulter un gynécologue parce qu’elle n’a pas les moyens de prendre le taxi et qu’il n’est pas possible de se rendre autrement chez le gynécologue le plus proche.

Les auteures indiquent que D. S. et L. B. ont demandé l’asile en France parce qu’elles estimaient que, dans l’État partie, elles étaient exposées à la persécution fondée sur l’origine ethnique.

Les auteures affirment qu’elles se sont retrouvées sans abri pendant leur grossesse par suite de l’expulsion du 1er août 2016. Lorsqu’elles ont donné naissance à leurs enfants, les unes vivaient à l’air libre sur le site du Polygon, les autres étaient hébergées au centre Ranka Milanovik. Dans les deux cas de figure, l’État partie a exposé des femmes qui étaient à un stade avancé de la grossesse ou qui venaient d’accoucher à une situation incompatible avec la Convention.

Les auteures réaffirment qu’elles n’ont pas porté les griefs qu’elles tirent de la Convention devant les juridictions internes (voir par. 2.13). Elles font par ailleurs observer que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication.

Les auteures soulignent qu’elles n’ont disposé d’aucun recours interne utile ou que les recours disponibles n’étaient pas susceptibles de leur permettre d’obtenir réparation. La procédure judiciaire ordinaire ne se prête pas à la défense des droits des femmes enceintes en matière de procréation, qui nécessite une action rapide. Il doit exister une procédure d’urgence permettant de protéger le droit à des services prénataux appropriés et à une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement garanti à l’article 12 (par. 2) de la Convention. Les recours ex post facto,par exemple les actions civiles, ne peuvent pas être considérés comme des recours efficaces contre les violations de ce droit sachant que celles-ci entraînent un préjudice irréparable. En l’espèce, les autorités ont privé les auteures de tout recours utile puisque l’expulsion a été effectuée sans préavis et sans que les expulsés aient le droit de contester la mesure. Les auteures se sont retrouvées sans abri, ce qui a porté atteinte à leur droit à la santé procréative et à une nutrition adéquate pendant la grossesse, en violation des dispositions de l’article 12 (par. 2) de la Convention et d’autres instruments.

Les auteures ajoutent qu’il n’existe aucune procédure interne permettant à une femme enceinte dont les droits garantis à l’article 12 (par. 2) de la Convention ont été violés d’accéder d’urgence aux services sociaux et médicaux dont elle a besoin. Elles font observer que l’État partie n’a pas soutenu le contraire et que, en ne faisant pas droit à la demande de mesures provisoires, il a démontré qu’elles n’avaient concrètement aucune chance d’obtenir une réparation effective.

Les auteures font observer que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas déclaré irrecevable la requête dont elle a été saisie au sujet de la même décision d’expulsion, ce qui montre qu’elle n’a pas conclu que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

Observations complémentaires de l’État partie

Dans une note verbale du 10 septembre 2019, l’État partie a communiqué des observations complémentaires. Il rappelle que, agissant en coopération avec le centre intermunicipal d’action sociale de Skopje, le Ministère du travail et de la politique sociale a proposé aux familles d’être hébergées au centre pour sans-abri Čičino Selo, à Skopje, ce que toutes ont refusé. Selon lui, elles préféraient être relogées au centre pour l’enfance de Ljubanci ou à Kalanovo, ou bien bénéficier de logements sociaux. L’État partie affirme que le centre pour l’enfance de Ljubanci est un établissement délabré dans lequel il n’y a aucun service de base et que le Ministère du travail et de la politique sociale ne met pas de logements sociaux à la disposition des sans-abri, tandis que le centre Čičino Selo fournit à ses résidents les médicaments et les examens médicaux dont ils ont besoin sans qu’ils aient à s’acquitter du ticket modérateur, ainsi que trois repas par jour, et organise à leur intention des activités quotidiennes d’intégration sociale, tout en assurant leur sécurité grâce à un service de gardiens.

L’État partie signale que c’est le Ministère des transports et des communications qui est chargé de l’attribution des logements sociaux, dont les bénéficiaires sont choisis sur une liste de candidats par une commission expressément constituée pour ce faire. Il déclare que le centre intermunicipal d’action sociale de Skopje s’est efforcé d’apporter une assistance aux familles touchées et qu’un grand nombre d’entre elles ont bénéficié d’une aide financière.

L’État partie ajoute que, le 5 janvier 2017, 11 familles (60 personnes) avaient été relogées dans 2 centres de protection sociale différents, 12 autres ayant refusé de l’être. En fin de compte, 83 anciens résidents du campement situé en contrebas de la forteresse de Kale ont été hébergés dans ces centres, où ils ont été nourris, ont eu accès à des boissons chaudes, et se sont vu fournir des articles d’hygiène, des couvertures, des matelas et des vêtements. Le 8 janvier 2017, ils ont passé des examens médicaux et ont reçu des médicaments. Selon le centre intermunicipal d’action sociale, la majorité de ces personnes avaient des papiers d’identité et, pour celles qui n’en avaient pas, une procédure de régularisation a été lancée en coopération avec une organisation non gouvernementale appelée Ambrela. En outre, toutes étaient couvertes par le régime public d’assurance maladie.

L’État partie fait valoir qu’à la suite des réunions gouvernementales des 5 et 15 octobre 2017 et du 24 juillet 2018, un logement provisoire a été fourni à environ 120 personnes, qui ont en outre bénéficié d’un programme d’accompagnement et de réintégration destiné aux bénéficiaires de l’assistance publique (voir par. 4.2 et 4.3). Il ajoute qu’à la fin de 2018, le Gouvernement avait financé ce programme à hauteur de 1 200 000 denar (environ 19 000 euros). En outre, des enfants de 5 à 13 ans ont participé aux activités du centre pour les enfants en situation de rue et, en mai, des enfants en âge d’être scolarisés ont été inscrits à l’école primaire « Frères Ramiz et Hamid ». En 2018, des enfants ont profité de vacances d’été et d’hiver gratuites.

L’État partie affirme que 14 familles ont été transférées à titre provisoire dans un campement de conteneurs, où elles ont résidé de manière indépendante en vertu d’un bail initial de six mois, qui a été prolongée pour la même durée. Les résidents étaient tenus de maintenir les lieux dans un état satisfaisant, et certains se sont donc chargés de réparer une partie des dommages causés aux toilettes et autres installations sanitaires. En tant que demandeurs d’emploi actifs, ils devaient aussi se présenter régulièrement à l’agence pour l’emploi. Malheureusement, ils n’ont pas accepté de suivre les cours de formation proposés par l’agence. Au 8 février 2019, 11 personnes avaient trouvé un emploi, mais seules 6 sont restées employées tandis que 5 avaient démissionné. En outre, comme les résidents étaient obligés de scolariser leurs enfants, ceux qui avaient l’âge de le faire sont allés à l’école primaire ou en cours du soir. Un service de transport, des fournitures scolaires et une aide aux devoirs leur ont été fournis.

L’État partie soutient que toutes les personnes hébergées dans le campement bénéficient de soins de santé et ont reçu des cartes d’assurance maladie et, pour leurs enfants, des carnets de vaccination. Des certificats de naissance sont établis pour les nouveau-nés, qui bénéficient de l’assurance maladie.

En novembre 2018, le Ministère du travail et de la politique sociale et le centre intercommunal d’action sociale de Skopje ont réaménagé le site occupé par le campement établi en contrebas de la forteresse de Kale. En décembre 2018, 85 personnes ont été installées dans un centre de protection sociale rattaché à l’institution publique qui, à Skopje, est chargée de prendre en charge les enfants ayant des problèmes éducatifs et sociaux et des troubles du comportement. Douze enfants âgés de 6 à 13 ans ont fréquenté le centre pour enfants en situation de rue. Les familles ont été examinées par des professionnels de la santé et les enfants ont été vaccinés. Une puéricultrice a rendu visite aux familles qui venaient d’avoir un enfant.

L’État partie n’est pas d’accord avec l’allégation selon laquelle il n’a pas fait droit à la demande de mesures temporaires car, depuis 2016, il a pris immédiatement toutes les mesures, urgentes ou non, qui étaient nécessaires pour protéger les familles roms, et ces mesures continuent de s’appliquer. Partant, il demande au Comité de ne pas conclure à une violation de l’article 5 du Protocole facultatif.

En outre, l’État partie réaffirme que la loi de 2012 sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes et la loi de 2010 sur la prévention de la discrimination et la lutte contre la discrimination prévoient des mécanismes de protection des droits des femmes et des procédures judiciaires permettant de dénoncer les violations de ces droits. Il signale que le Bureau du Médiateur est aussi un mécanisme de protection auquel il peut être recouru. Enfin, il précise que la saisine de la Commission pour la protection contre la discrimination et la saisine du Bureau du Médiateur sont des procédures gratuites, et que les auteures ont le « mécanisme de protection judiciaire » à leur disposition. L’État partie prie donc le Comité de déclarer la communication irrecevable sur le fondement de l’article 4 du Protocole facultatif.

L’État partie estime que les allégations selon lesquelles il a présenté ses observations au Comité avec un retard excessif sont dénuées de fondement et que, de surcroît, la présentation tardive d’observations est sans effet sur les personnes concernées.

Commentaires des auteures sur les observations complémentaires de l’État partie

Le 25 octobre 2019, les auteures ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Elles affirment que, dans sa communication « non sollicitée », l’État partie n’a fourni aucun détail précis sur la situation personnelle des victimes, y compris au regard des renseignements fournis dans leur précédente communication. Le Comité devrait donc estimer que leurs observations factuelles n’ont pas été contestées. Les auteures font également remarquer que l’État partie a fait valoir, tardivement, qu’il avait proposé aux personnes dont les maisons avaient été détruites le 1er août 2016 d’être hébergées au centre Čičino Selo, mais que cet argument est « invraisemblable », car il n’y avait pas de places disponibles dans ce centre, qui était presque plein et dont la capacité d’accueil était limitée depuis un incendie. À cet égard, les auteurs font observer que, dans la lettre du 24 août 2016 qu’il a adressée à la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie a avancé que 55 personnes vivaient dans ce centre. De surcroît, même si celui-ci avait pu accueillir davantage de personnes, il n’était pas adapté à qui que ce soit, y compris aux auteures. En 2013, le Bureau du Médiateur a estimé que les conditions de vie n’y étaient pas acceptables, notant, entre autres, le manque de nourriture, les conditions d’hygiène insatisfaisantes et des problèmes concernant, les soins de santé, la sécurité, l’accès des enfants roms à l’éducation et la collecte des déchets. Les auteures affirment que des gangs fréquentaient le centre et commettaient des actes de violence contre les résidents, que chacun savait que les Roms étaient victimes de violence interethnique et que les parents craignaient que leurs filles soient victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles. En outre, l’État partie n’a fourni aucun élément démontrant qu’il avait proposé aux auteures un hébergement dans ce centre.

De l’avis des auteures, les mesures que l’État partie dit avoir prises des mois et des années après leur expulsion ne sont pas pertinentes car, dans leur situation, le temps pressait. Les auteures répètent qu’elles se sont toutes retrouvées sans abri et sans aide sociale ni assistance médicale. Lorsque le froid est devenu insupportable, deux d’entre elles ont fui la Macédoine du Nord et ont demandé l’asile en France, tandis que les deux autres ont vécu dans des conditions insalubres au centre Ranka Milanovik. Les efforts que l’État partie a entrepris, trop tard, pour empêcher les auteurs de mourir de froid six mois après l’expulsion ne peuvent être considérés comme suffisants aux fins de la protection des droits que les intéressées tiennent de la Convention. Les auteures arguent en outre qu’en déclarant avoir fourni des documents d’assurance maladie à toutes les personnes hébergées au centre, l’État partie admet que les auteures ne bénéficiaient pas de l’assurance maladie pendant et après leur grossesse, en violation de l’article 12 (par. 2) de la Convention.

Les auteures contestent la thèse selon laquelle l’État partie a accédé à la demande de mesures temporaires présentée par le Comité. Elles soutiennent que la seule mesure prise par l’État partie a été de leur offrir un hébergement au centre Čičino Selo, qui, le 1er août 2016, pouvait accueillir cinq ou six personnes. En outre, rien n’indique que les auteures aient été considérées comme prioritaires ou que les conditions de vie aient été adéquates pour des femmes enceintes et des jeunes mamans.

Concernant l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteures n’ont pas épuisé les recours internes et le Bureau du Médiateur aurait pu leur fournir un recours utile, les auteures font valoir que le Médiateur est uniquement compétent pour formuler des recommandations, des propositions et suggestions. En ce qui concerne la Commission de la protection contre la discrimination et les recours judiciaires, elles avancent que lorsque les autorités prennent une mesure qui met en danger les droits des femmes en matière de procréation, l’article 2 de la Convention exige que la mesure en question − en l’espèce, l’expulsion − fasse l’objet d’un examen avant d’être exécutée. Or, comme les autorités n’ont pas prévenu les auteures qu’elles allaient être expulsées, aucun recours n’aurait pu être épuisé. À cet égard, le Comité estime que lorsqu’un recours est inefficace en raison du laps de temps écoulé et guère susceptible de permettre l’obtention d’une réparation effective, il n’est pas nécessaire de l’épuiser. En outre, au paragraphe 11 de sa recommandation générale no 33(2015) sur l’accès des femmes à la justice, le Comité a dit que les États parties avaient l’obligation, au titre des traités, de faire en sorte que toutes les femmes aient l’égalité d’accès à des voies de recours effectives et en temps utile. Les auteures affirment qu’il s’ensuit que l’État partie doit veiller à ce que les femmes aient accès à des voies de recours avant qu’il ne soit porté gravement atteinte à leurs droits, qui plus est lorsque l’atteinte est planifiée et à plus forte raison lorsqu’elle concerne des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher.

Les auteures avancent que la déclaration de l’État partie selon laquelle la présentation tardive d’observations au Comité est sans effet sur les personnes concernées témoigne d’un manque de respect envers elles, envers le Comité, et envers la Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant. Après avoir attendu une réponse de l’État partie pendant plusieurs années, elles ont perdu tout espoir d’obtenir justice sur la base du Protocole facultatif.

N’ayant pas respecté les délais qui lui étaient impartis, l’État partie ne peut prétendre que les auteures ne se sont pas acquittées de l’obligation d’épuiser les recours internes énoncés à l’article 69 (par. 6) du règlement intérieur du Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Il est tenu de le faire, conformément au paragraphe 4 de l’article 72 du règlement, avant d’examiner la communication quant au fond.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen.

Le Comité note que les auteures affirment qu’au moment des faits, elles n’avaient aucun recours interne à leur disposition pour obtenir réparation en ce qui a trait à leurs circonstances particulières, en particulier pour faire surseoir à l’expulsion et à la démolition du 1er août 2016 et que, en tout état de cause, elles n’avaient pas été prévenues qu’elles allaient être expulsées. Il note également qu’elles avancent alternativement que, en tout état de cause, sans tenir compte de leur expulsion, elles n’ont accès à aucun recours pour contester les autres violations dont elles tirent grief car elles ne peuvent pas prouver qu’elles ont la nationalité de l’État partie ou qu’elles entrent dans une autre catégorie de personnes admissibles au bénéfice de l’assurance maladie. Il prend note aussi de leur argument selon lequel, quand bien même il aurait existé une procédure judiciaire pouvant leur permettre d’obtenir gratuitement des soins médicaux et un logement, sachant qu’elles étaient enceintes et que, donc, le temps pressait, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elles s’engagent dans cette voie, d’autant qu’elles sont sans papiers et ne peuvent donc pas saisir les tribunaux.

Le Comité rappelle qu’il joue un rôle subsidiaire par rapport aux institutions judiciaires nationales, ce qui signifie que pour qu’une communication soit recevable, l’auteur doit avoir épuisé tous les recours internes. À cet égard, il relève que l’État partie soutient que des voies de recours existaient pour protéger les droits des femmes en vertu de la loi de 2012 sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes et de la loi de 2010 sur la prévention de la discrimination et la lutte contre la discrimination, mais que les auteures n’avaient pas déposé de plainte à ce titre.

Le Comité estime qu’il incombe aux États parties au Protocole facultatif de fournir la preuve que les recours invoqués sont pertinents dans les cas considérés et qu’ils auraient pu permettre aux plaignants d’obtenir réparation dans leurs circonstances particulières. Il constate que l’État partie ne donne aucun détail et ne cite aucune décision pertinente applicable au cas d’espèce pour établir que les recours invoqués pourraient effectivement apporter une réelle réparation aux auteures. Au contraire, l’État partie se contente de soulever que les recours existent en droit, sans fournir d’explication ou d’exemple démontrant qu’ils étaient pertinents et auraient pu être utiles dans les circonstances particulières de l’espèce.

Au vu de ce qui précède et en l’absence de toute autre information pertinente au dossier quant à l’utilité des recours internes en l’espèce, le Comité estime que, compte tenu des circonstances de l’expulsion et de du fait que les auteures étaient enceintes au moment des faits, l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’un recours leur permettant d’obtenir immédiatement un hébergement de remplacement et l’accès à la médecine de la procréation et aux autres services sociaux nécessaires et pouvant être considéré comme un recours utile existait, mais n’avait pas été épuisé.

Dès lors, le Comité considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, rien dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêche d’examiner la communication.

Par conséquent, le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 2 [al. d) et f)], 12 (par. 1 et 2) et 14 [al. b) et h)] de la Convention et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les auteures et l’État partie.

Le Comité doit déterminer si l’État partie a pris les mesures nécessaires face à la discrimination dont les auteures ont été victimes en tant que membres d’une minorité ethnique marginalisée lorsqu’elles ont été expulsées, le 1er août 2016, et s’il s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait d’assurer aux intéressées l’accès à des soins médicaux appropriés, y compris des soins de santé procréative, dans le respect de l’article 12 de la Convention.

Le Comité note que, au moment de l’expulsion, les auteures étaient particulièrement vulnérables en ce qu’elles étaient des femmes jeunes − l’une d’entre elles étant même mineure −, d’origine rom, célibataires, enceintes ou récemment accouchées et, pour certaines, déjà mères d’enfants mineurs. Il note également que les intéressées avancent que, malgré ces circonstances, les autorités ont décidé de démolir leurs maisons sans préavis, ont détruit leur seule source d’eau et les ont expulsées sans leur avoir fourni de logement de remplacement. Enfin, il constate que les auteures déclarent que, après l’expulsion, elles se sont vu proposer un hébergement dans un centre d’accueil destiné aux réfugiés, aux déplacés et aux sans-abri, mais ont refusé de s’y installer pour des raisons de sécurité et parce que les conditions de vie y étaient déplorables, et ont préféré rester vivre à l’air libre sur le site du campement. Le Comité prend note aussi des observations de l’État partie, qui soutient que les auteures ont été relogées dans un centre de protection sociale, puis dans un campement de conteneurs, qu’il avait classé les personnes touchées en différents groupes en fonction de leurs besoins ; et que les femmes enceintes faisaient partie des groupes prioritaires (voir par. 4.2). Le Comité note toutefois que les conditions de vie dans le centre de protection sociale et le campement de conteneurs étaient mauvaises en raison de problèmes d’assainissement, d’un nombre de toilettes insuffisant et d’une pénurie de nourriture.

À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que, en ce qui concerne l’expulsion du 1er août 2016, l’État partie n’a pas tenu compte de la situation des auteures comme il aurait dû le faire pour préserver celles-ci de la discrimination. Au contraire, l’État partie a exécuté la décision d’expulser une communauté toute entière sans préavis, en conséquence de quoi, lorsqu’elles ont donné naissance à leurs enfants les auteures vivaient les unes dans la rue, les autres dans un centre de protection sociale, sans qu’il soit satisfait aux besoins particuliers qu’elles avaient en tant que jeunes femmes enceintes d’origine rom.

De plus, le Comité prend note des griefs fondés sur l’article 12 (par. 1 et 2) et l’article 14 [par. 2 b) et h)] de la Convention. À cet égard, il rappelle sa recommandation générale no 24 et réaffirme que les États parties sont tenus de faire en sorte que, pendant la grossesse et pendant et après l’accouchement, les femmes aient accès aux services de santé, en mettant ces services à leur disposition gratuitement si besoin est, et de veiller à ce qu’elles aient une alimentation adéquate pendant la grossesse et l’allaitement. Il rappelle également que, dans ses observations finales concernant le sixième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/MKD/CO/6, par. 37 et 38), il a recensé les obstacles auxquels les femmes roms se heurtaient lorsqu’elles tentaient d’accéder aux services de santé et a recommandé que l’État partie s’assure que ces femmes aient accès à des soins de santé abordables et ne soient pas stigmatisées par les médecins.

Le Comité note que les auteures soutiennent que même en étant couvertes par le régime d’assurance obligatoire de l’État partie, elles doivent payer une part importante de leurs frais médicaux alors qu’elles n’ont pas les moyens de le faire. De plus, le montant des factures varie selon que le médecin accepte de les prendre comme patientes et des gynécologues refusent de prendre des femmes roms comme patientes. Tant avant qu’après l’expulsion, la majorité d’entre elles n’avaient pas les moyens de consulter un médecin. Pendant leur grossesse, L. A. et D. S. n’ont jamais été examinées par un gynécologue. R. A. a été examinée deux fois et L. B., une seule fois, lors de son accouchement. Le Comité note également que l’expulsion a précarisé encore la santé des auteures en rendant plus difficile l’accès de ces jeunes femmes enceintes à la nourriture, à l’eau propre et à une alimentation adéquate. Les auteures affirment en outre n’avoir reçu aucune éducation en matière de santé sexuelle et procréative et ne pas avoir été informées de leurs droits à cet égard, ce que l’État partie n’a pas contesté.

Compte tenu des considérations exposées plus haut et agissant conformément au paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité estime que l’État partie a manqué à ses obligations et a violé les droits que les auteures tiennent des articles 2 [al. d) et f)], 12 (par. 1 et 2) 14 [par. 2 b) et h)] de la Convention.

Le Comité recommande à l’État partie :

a)En ce qui concerne les auteures :

i)De leur accorder une réparation adéquate, notamment en reconnaissant le préjudice matériel et moral qu’elles ont subi en raison de leur accès insuffisant à un logement et aux services de santé pendant leur grossesse, situation aggravée par leur éviction ;

ii)De leur fournir un logement convenable, un accès à l’eau propre et à une alimentation adéquate, ainsi qu’un accès immédiat à des services de santé abordables ;

b)De manière générale :

i)D’adopter et d’appliquer des mesures, politiques et programmes ciblés, concrets et efficaces, y compris des mesures temporaires spéciales, en conformité avec le paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et la recommandation générale no 25 (2004) sur les mesures temporaires spéciales, pour lutter contre les formes de discrimination croisée à l’égard des femmes et des filles roms ;

ii)De garantir aux femmes et aux filles roms l’accès à un logement décent ;

iii)D’assurer l’accès à des soins de santé et à des services de santé de la procréation abordables et de qualité et de prévenir et d’éliminer la facturation illégale aux femmes et aux filles roms de services de santé publique ;

iv)D’élaborer des programmes d’atténuation de la pauvreté et d’inclusion sociale destinés aux femmes et aux filles roms ;

v)De mettre davantage l’accent sur l’application de mesures temporaires spéciales du type de celles prévues au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et dans la recommandation générale no 25 dans tous les domaines visés par la Convention dans lesquels les femmes et les filles appartenant à des groupes ethniques minoritaires, et en particulier les femmes et les filles roms, sont défavorisées ;

vi)De coopérer activement, avec les organisations de la société civile, les organisations de défense des droits de l’homme et les associations féminines représentant les femmes et les filles roms, notamment en leur apportant un soutien financier, afin d’améliorer encore la sensibilisation du public aux formes de discrimination croisée en raison du sexe, du genre et de l’appartenance ethnique et de promouvoir la tolérance et la participation des femmes roms à tous les domaines de la vie publique sur un pied d’égalité avec les autres ;

vii)De faire en sorte que, tant individuellement que collectivement, les femmes et les filles roms aient accès aux informations concernant les droits que leur reconnaît la Convention et puissent effectivement s’en prévaloir ;

viii)De veiller à ce que les femmes et les filles roms aient accès en temps voulu à des voies de recours utiles, effectives et financièrement abordables, voire à l’aide juridictionnelle, en tant que de besoin, et voient leurs causes entendues de manière équitable par une juridiction compétente et indépendante ou par une autre institution publique, selon qu’il convient ;

ix)De veiller à ce que les femmes et les filles roms ne fassent pas l’objet d’expulsions sans qu’un logement de remplacement ne leur ait préalablement été fourni.

En application du paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est prié de faire traduire ces constatations et recommandations dans sa langue officielle et de les diffuser largement auprès de tous les secteurs de la société.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de M. Gunnar Bergby

1.Je ne peux pas me rallier à l’opinion de la majorité sur la question de la recevabilité.

2.Pour moi, la communication aurait dû être déclarée irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes selon le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention – en fait, ces recours n’ont même pas été intentés. Je ne souscris pas à la conclusion que les procédures de recours en l’espèce excéderaient des délais raisonnables ou qu’il serait peu probable qu’elles donnent satisfaction.

3.D’autre part, j’estime également la communication irrecevable en application de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif au motif que l’éviction du 1er août 2016 est l’objet d’une instance pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme (Bekir et autres c. Macédoine du Nord), bien que les auteures de la communication no 110/2016 n’y soient pas parties.